dimanche 12 mai 2013

Afrique du Sud : Compte-rendu du documentaire de la BBC

Marikana : le massacre qui a changé la face de l’Afrique du Sud

 


Une critique surprenante de la faillite du projet “progressiste” de l’ANC (Rassemblement national africain, le parti de Nelson Mandela) a été diffusée sur la chaine télévisée britannique BBC2 fin du mois dernier. Dans ce documentaire, un ancien militant anti-apartheid britannique revient en Afrique du Sud et constate ce qu’est devenu l’ANC. Ce film a permis de faire plus largement connaître les récents événements survenus en Afrique du Sud et dans lesquels les militants de notre section sud-africaine jouent un rôle déterminant.

Par Alec Thraves, Socialist Party (CIO en Angleterre et pays de Galles) 
 



Peter Hain est député du Parti Labour (parti “socialiste” britannique) pour la circonscription de Neath (au pays de Galles, au Royaume-Uni). Ancien activiste anti-apartheid dans sa jeunesse, il retourne dans son Afrique du Sud natale et découvre à quel point l’ANC est en train de perdre le soutien des travailleurs noirs et la manière dont ce parti est perçu après avoir ordonné le massacre de Marikana, lors duquel 34 mineurs de l’entreprise Lonmin ont été tués par la police en août 2012. 

Le député Peter Hain redécouvre, choqué, son Afrique du Sud natale

La critique de la faillite des idéaux de société et des projets “progressistes” de l'ANC (notamment autour de l’ancien slogan : « Une meilleure vie pour tous ») après 18 ans au pouvoir – et plus particulièrement encore concernant la vie des pauvres – est très forte. Peter Hain a l’air visiblement choqué et profondément déprimé lorsqu’il entend dire de la part d’anciens partisans de l’ANC qu’après le massacre de Marikana, ils ne voteront plus jamais pour ce parti. Peter Hain confirme également ce que le Democratic Socialist Movement (DSM, section sud-africaine du CIO) avait déclaré immédiatement après le massacre, à savoir : « Marikana a changé l’Afrique du Sud pour toujours ».


Les membres du DSM n’ont pas attendu plusieurs mois de recevoir le rapport de la commission d’enquête du gouvernement Zuma pour savoir ce qui s’était réellement passé, puisqu’ils avaient entendu les faits racontés de la bouche même des survivants. Les événements de Marikana ont constitué un meurtre prémédité, consciencieusement planifié avec la complicité des plus hautes instances du groupe minier Lonmin, de la police et du gouvernement.

Les vidéos montrant les mineurs se faire massacrer par la police ont forcé le député Hain à ouvrir les yeux sur le fait que la brutalité du capitalisme sud-africain est toujours bien présente, même avec un gouvernement à majorité noire dominé par l’ANC. Ce reportage démontre clairement que le NUM (National Union of Miners, le syndicat national des mineurs) a été pris la main dans le sac pour s’être laissé corrompre par la direction de la mine, et que les syndicats liés à l’ANC (comme le COSATU, Rassemblement des syndicats sud-africains) ont été utilisés pour briser le mouvement de grève !

Par contre, ce reportage comporte de nombreuses lacunes. Notamment, il fait l'impasse sur le fait qu’après le massacre de Marikana se sont développés des dizaines de comités de grèves illégaux qui ont répandu la grève à travers toute la région minière, entrainant dans ce mouvement des douzaines de puits miniers et plus de 150 000 mineurs. Ces comités ont été initiés, développés et dirigés par des membres et des sympathisants du DSM (Democratic Socialist Movement, section sud-africaine du CIO). Peter Hain a bien entendu voulu mettre en avant le rôle de son héros Nelson Mandela, et a de ce fait involontairement expliqué quelle fut sa contribution à la situation désastreuse actuelle, à laquelle doit aujourd’hui faire face la classe ouvrière sud-africaine.

Notre camarade Mametlwe Sebei, participant aux comités de grève

Les objectifs de Mandela – d’après son ami Peter Hain – étaient d’obtenir une majorité parlementaire noire et une démocratie libérale stable. Afin d’atteindre cet objectif, Nelson Mandela a accepté que le capitalisme puisse continuer d’exister sans être menacé : un capitalisme dominé par une bourgeoisie blanche, en échange d’un gouvernement dominé par des noirs. Le résultat de cette politique d’équilibre des pouvoirs après dix-huit ans est un terrible accroissement des inégalités entre riches et pauvres et l’arrivée d’une élite noire corrompue s’enrichissant sur le dos des masses pauvres.

Peter Hain cherche à se convaincre lui-même que tout n'a pas été pour le plus mal. Il dit notamment que l’ANC a construit trois millions de nouvelles maisons. Je les ai vues ces maisons, à Durban et à Johannesburg, et ce n'est pas pour rien qu'on les appelle “boites d’allumettes” (matchbox houses en anglais). Quand on s'y allonge, on a les pieds qui dépassent par la porte ! Ces maisons ne sont pas bien solides, ne disposent pas de toilettes ni d’accès à l’électricité, et n’ont pas la moindre arrivée d’eau. Peter Hain notait aussi que toutes les écoles promises par l’ANC ont été construites. Mais les professeurs que j’ai rencontrés là-bas, au ghetto de Freedom Park, me racontaient qu’ils avaient 60 élèves par classe, sans aucun cahier. On se serait attendu à mieux de la part du pays le plus développé d'Afrique !
  
C’est un député Hain complètement démoralisé que l’on voit attaquer le président Zuma à propos de la corruption monumentale qui règne à tous les niveaux de pouvoir de l’ANC, tant au niveau local que national. Zuma a rejeté l’attaque en niant avoir utilisé 24 millions d’euros des caisses de l’État pour rénover et remeubler son luxueux complexe immobilier ; il a préféré rejeté l’accusation sur les médias, au prétexte qu’ils avaient exagéré le problème. Peter Hain est resté quasiment sans voix devant tant d’incompétence, d’arrogance et de collusion patronale qui imprégnait la réponse présidentielle. Cet entretien est extrêmement indicatif de la fracture désormais présente entre les masses et les dirigeants de l’ANC.

Jacob Zuma, l'ami des grands patrons sud-africains

Toute l’ironie de l’histoire, c’est que Peter Hain s’est ensuite tourné vers l’ancien dirigeant des jeunesses de l’ANC, Julius Malema, afin de trouver auprès de lui l'opposition à la corruption de la direction représentée par le président Zuma. Après Marikana et durant les deux mois de grève des mineurs, Malema a cherché à s’attirer les bonnes grâces des travailleurs en exigeant avec eux la nationalisation des mines. Ce n’était cependant pas une profession de foi idéologique, mais plutôt une tentative populiste de gagner un certain soutien dans le cadre de sa lutte interne contre Zuma afin d'être ré-admis dans l’ANC. Homme d’affaire millionnaire, Malema est sorti du même moule que le reste des noirs apprentis bourgeois corrompus de l’ANC. Ce n’est en aucun cas un allié des travailleurs.

Julius Malema cherche à se faire une carrière de leader populiste

Partout où Hain est allé durant ses deux semaines de visite, l’histoire de l’oppression capitaliste de la classe ouvrière sud-africaine a constamment défilé sous ses yeux. Dans la province du Cap-Occidental, les ouvriers agricoles sont censés vivre avec seulement 7,5 € par jour. Mais un grand propriétaire a magnanimement autorisé ses manœuvres à « manger autant de raisin qu’ils le souhaitent – et on serait surpris de voir à quel point ils peuvent manger ! » (citation reprise du documentaire). Dans la province du Cap-Oriental, se développe un exode massif de jeunes à la recherche d’un emploi. Au final, nombre d’entre eux se sont retrouvés abattus par balles au fond des mines de Rustenburg. Les familles qu’ils laissent derrière eux n’ont littéralement pas un sou et essaient de survivre tant bien que mal à travers les campagnes.

Au jour d’aujourd’hui, la réalité matérielle des masses en Afrique du Sud est des plus sombres. Mais Peter Hain préfère conclure ce documentaire impressionnant en essayant de rester optimiste, en espérant que malgré tout, l’ANC sera à la hauteur de ses tâches et de son héritage démocratique. Une telle pensée utopique n’est pas étonnante de la part d’un député du parti travailliste proche du patronat britannique. Les expériences des mineurs et des autres franges de la classe ouvrière sud-africaine et les leçons qui en ont été tirées au cours de ces quelques derniers mois ont tracé de biens meilleures balises concernant la manière de traiter avec les grosses fortunes du gouvernement de l’ANC.

Ainsi, les mineurs du Comité national de grève (toujours non officiellement reconnu aujourd’hui), les membres du Democratic Socialist Movement (CIO-Afrique du Sud) et d’autres groupes de la classe ouvrière ont lancé ensemble le Workers' and Socialist Party (WASP, Parti des travailleurs et des socialistes – mais “Wasp” veut aussi dire “Guêpe”) dans le but de concurrencer à armes égales l’ANC aux prochaines élections. Il s’agit d’un énorme pas en avant pour offrir aux travailleurs et aux masses pauvres une représentation politique qui leur soit propre. 

La seule option pouvant constituer une alternative à ce gouvernement corrompu protégeant un régime capitaliste brutal et à ce que Peter Hain décrit comme « profondément démoralisant » est la construction d’une société socialiste démocratique basée sur la nationalisation des secteurs-clés de l’économie dans le cadre d’une planification démocratique de l’activité économique.

Le WASP est, on l'espère, promis à un grand avenir


Pour aller plus loin :

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