Beaucoup de mots viennent à l'esprit
en considérant l'ampleur de la mini-crise post-électorale que vient
de traverser la Côte d'Ivoire. Les traits les plus saillants
toutefois que nous pouvons dégager du chaos, est d'une part,
l'absurdité du système électoral bourgeois qui même en Occident
ne convainc plus personne, d'autre part, la confirmation de la crise
politique grave que continue de connaitre le pays, une crise qui
touche l'ensemble des partis politiques ivoiriens, et le RDR au
premier rang. Celui-ci se voit en effet punir pour l'incommensurable
arrogance de ses cadres, mais surtout pour sa politique néolibérale
anti-pauvres. Cependant, la crise est une crise de l'ensemble de
l'establishment, telle que révélé par le nombre hallucinant
d'indépendants victorieux et par le taux d'abstention. En cela
aussi, la Côte d'Ivoire rejoint le concert des nations sur le
plan mondial, des indignés du système économique et politique mis
en place.
Article par Jules Konan
Les résultats des élections
municipales et régionales du 21 avril 2013 ont beau ne pas
avoir été confirmés partout (certaines circonscriptions doivent
reprendre le vote à zéro à cause des blagues de la CEI), le
chiffre qui est tombé est on ne peut plus clair : sur
les 197 communes de Côte d'Ivoire, 72 ont été
remportées par des indépendants ! Contre 65 pour le RDR,
49 pour le PDCI, et 9 par une liste commune de l'alliance
RHDP à l'agonie. Le taux de participation officiel n'aurait été
qu'au maximum de 40 % des électeurs enregistrés.
Si le RDR semble s'en sortir en tant
que “premier parti”, on voit bien que les partis ne sont
plus à la mode ! Les communes qui lui ont été attribuées
sont quasi toutes situées dans sa zone “traditionnelle” du Nord.
Par contre, les chiffres bruts masquent une réalité qui est la
déculottée monumentale qui a été infligée à un très grand
nombre de cadres RDR haut-placés. C'est dire si la confiance règne
envers l'establishment et les représentants du régime.
Des élections qui devaient être le “symbole de la réconciliation”
Ce désenchantement n'est pas
surprenant. ADO est au pouvoir depuis maintenant plus de 2 ans,
et on tarde à voir se réaliser les promesses. Il a lui-même
reconnu récemment “ne pas avoir imaginé l'ampleur du désastre se
trouvait le pays”, et qu'il faudrait donc obligatoirement briguer
un deuxième mandat pour pouvoir mettre en œuvre l'ensemble de son
programme, censé amener le pays à l'émergence d'ici 2020. En
attendant, les “grands chantiers” ne créent que quelques emplois
précaires et sous-payés pour des finalités souvent antisociales
(comme c'est le cas du nouveau pont ou de la fausse réfection de
l'université), les enseignants grévistes sont lourdement pénalisés
pour n'avoir fait que demander ce qui leur revient pourtant de droit,
et le cout de la vie ne cesse d'augmenter, avec des hausses subites
de l'ordre de 20 % sur toute une série de produits de base
C'est dire si le mécontentement gronde.
Au vu de tout cela, ces élections
avaient un enjeu éminemment symbolique. Le régime, extrêmement
soucieux de redorer le visage de la Côte d'Ivoire à l'étranger
afin “d'attirer les investisseurs étrangers”, voulait prouver
avec ces élections municipales et régionales que le temps des
“palabres” était révolu, que la Côte d'Ivoire était
revenue sur le chemin de la stabilité et de la démocratie. Il
fallait aussi consolider l'image du RDR en tant que “sauveur de la
nation ivoirienne en perdition”. Adama Soumahoro,
secrétaire général du RDR, s'écriait ainsi le 4 avril
que : « La Côte d'Ivoire, du nord au sud, d'est en
ouest, est plongée dans les clameurs et les vivats de joie et de
bonheur. […] Nous devons démontrer que nous sommes prêts
pour 2015, en faisant de ces élections régionales et
municipales un succès républicain et populaire, […], qui seront
une étape du rassemblement et de l'unité pour l'édification d'une
Côte d'Ivoire paisible, réconciliée et prospère ».
C'était d'autant plus important que
par deux fois déjà cette année, deux tentatives d'obtention d'un
symbole du renouveau national s'étaient soldées par de lamentables
échecs, voire pire.
L'année 2013 avait déjà
excessivement mal commencé avec le “drame” de la
Saint-Sylvestre. Afin de bien célébrer l'an neuf et clôturer par
la même occasion l'opération “Ville lumière” qui a couté
5 milliards de francs (7 millions d'euros), le gouvernement
avait aussi organisé un grand spectacle de feux d'artifice au
Plateau, qui s'était soldé par une bousculade faisant plus de
60 morts et des centaines de blessés graves. Après ce drame,
aucun responsable n'a été contraint de démissionner.
Cela fait, le gouvernement a porté
toute son attention vers la Coupe d'Afrique des nations, dans
laquelle la Côte d'Ivoire faisait office de grand favori. Une
somme immense a été engagée dans cette aventure pour faire
assister des ministres aux matchs en Afrique du Sud, etc.
Mais ici aussi, des palabres entre Drogba et Sidy, en plus de la
nullité du tout nouveau sélectionneur Lanouchi, ont eu poussé les
Éléphants à la défaite en quart de finale devant l'équipe quasi
amatrice du Nigeria (à qui nous adressons toutes nos félicitations, bien que d'énormes problèmes subsistent). Ici aussi, personne n'a
été contraint à la démission. Au contraire, le classement
international des Éléphants a progressé de 4 rangs. (Par
contre, on a très peu fait de cas du triomphe de l'équipe minimes
victorieuse contre le Nigeria à la CAN junior le mois passé.)
Tout cela pour rappeler l'importance
hautement symbolique de ce scrutin.
Sans compter que, de manière plus
prosaïque, cela faisait dix ans que des élections municipales
n'avaient pas été organisées en Côte d'Ivoire : il
était donc temps de renouveler le staff.
ADO explique pourquoi les élections sont si importantes |
Une campagne mal partie
Avant que la campagne ne commence,
plusieurs ratés s'étaient déjà fait ressentir. D'une part, le
refus du FPI de participer. Ensuite, les nombreux désaccords sur les
choix des candidats qui ont finalement conduit à l'éclatement
virtuel du cartel RHDP, en plus de jeter la désunion dans les rangs
de ces partis eux-mêmes.
La raison avancée par le FPI pour
boycotter les élections est bien simple : il ne s'agit que
d'une mascarade, une parodie de démocratie, quand la plupart des
dirigeants du FPI sont soit en exil, soit en prison. Et sont
organisées par un gouvernement illégitime. Si d'un côté le FPI,
en focalisant l'ensemble de ses actions et de son discours sur la
libération de Gbagbo, se coupe petit à petit de la réalité
politique que connait le pays au point d'en devenir ridicule, d'un
autre côté, il est vrai que jusqu'ici, de nombreuses personnalités
du FPI qui n'ont pas forcément quoi que ce soit à voir avec les
violences de 2011 sont enfermées en attendant un jugement dont
la date n'a toujours pas été fixée, et ce depuis deux ans !
Alors que de nombreux auteurs de violences du camp du RDR,
régulièrement accusés par la Ligue des droits de l'homme et par
l'ONU, et même par l'ambassadeur des États-Unis qui dénoncent la
“justice des vainqueurs”, sont toujours en liberté et ont même
continué en toute impunité les trafics qu'ils avaient entamé
pendant la guerre civile.
Mais le FPI dans son discours ne lie
pas le boycott des élections à la question plus générale de la
manière dont des élections devraient se dérouler et de leur
pertinence en ce qui concerne la lutte pour une meilleure vie pour
les masses laborieuses de Côte d'Ivoire. Sa campagne de boycott
est par conséquente restée extrêmement passive. À notre sens, un
véritable boycott doit se faire en organisant des assemblées
populaires, en mobilisant la population en ce sens,en expliquant la
futilité des élections en général dans le cadre de la démocratie
bourgeoise, et en liant cela à la construction d'un parti de masse
des travailleurs et des pauvres de Côte d'Ivoire, quelle que
soit leur nationalité. Mais cela, le FPI, parti bourgeois
pseudo-radical, en est absolument incapable et n'en a pas envie.
Finalement, les quinze membres du
FPI qui se sont tout de même présentés aux élections en tant
qu'“indépendants” contre le mot d'ordre de leur parti, ont été
radiés aussi sec par leur direction. Voilà au moins un parti chez
qui on ne rigole pas avec la discipline.
Car l'autre trait frappant de la
préparation aux élections a été les divisions à tous niveaux au
sein de l'alliance RHDP, mais aussi au sein des partis eux-mêmes.
Alors qu'ils ne cessent de clamer que le RHDP n'est pas qu'une
alliance de circonstance mais représente un vrai rassemblement
partageant la même “vision”, le RDR et le PDCI ont finalement
chacun imposé leur propre candidat dans la plupart des régions et
communes. Que cela se fasse au nom de la “démocratie”, soit,
mais pourquoi alors toutes ces injures, toutes ces médisances ?
Où est passé l'esprit de camaraderie censé vivre parmi les
“héritiers d'Houphouët” ?
Que le RHDP vole en éclats à la
première occasion, soit. Les partis politiques eux-mêmes dans notre
pays n'ayant de toute façon de manière générale pas le moindre
idéal politique à part le besoin de se raccrocher à la mangeoire,
a fortiori il est évident que cette alliance n'a jamais été là
que temporairement pour chasser le FPI du pouvoir selon le souhait de
l'impérialisme.
Mais ce qui est vraiment grave et
montre l'ampleur de la médiocrité des politiciens ivoiriens, est
l'apparition d'innombrables candidats indépendants (la moitié
des 11 000 candidats en lice, selon Jeune Afrique),
pour la plupart issus des partis et se présentant contre le candidat
officiellement choisi par le parti. C'est invraisemblable. Les gens
qui sont membres d'un même parti politique sont pourtant censés
partager la même vision, se battre pour le même programme, et pour
cela respecter une structure et une discipline de parti. Mais non,
pas chez nous dirait-on. Comme le disait Dembélé Lassina,
candidat indépendant à Adjamé pourtant militant du PDCI, au
journal “Le Dialogue” ce 17 avril : « Je
préfère candidat “sans étiquette” […] Nous avons voulu nous
poser en rassembleur […] Le développement n'a pas de couleur
politique ». Y a-t-il une meilleure définition de
l'opportunisme ?
Mais en fait, il est essentiellement
ici question de démocratie au sein des partis. La plupart de ces
candidats indépendants sont des candidats qui avaient été choisis
localement par leur base dans leur ville ou région lors d'assemblées
des sections locales, avant de se voir finalement écarter par la
direction nationale des partis qui a préféré imposer ses propres
candidats. En fin de compte, ce n'est là qu'un des nombreux
symptômes de l'arrogance sans borne de la classe dirigeante
ivoirienne, qui n'a que faire des aspirations de sa base.
Pourtant, c'est précisément à cause
de cela déjà que le RDR avait été sanctionné lors des élections
législatives partielles de février 2013, recevant le
lamentable score de 0 voix sur 6. À cette occasion,
Amadou Soumahoro, l'arrogant secrétaire général du RDR, avait
déclaré ceci : « Nous nous sommes trompés sur le choix
des candidats, mais il y a aussi que nous n'avons pas encore répondu
aux attentes de nos militants.
Nous avons compris le message qu'ils viennent de nous lancer. Nous
allons prendre cet avertissement en compte Nous allons rencontrer les
militants pour qu'ils disent ce qu'ils reprochent à la
direction. Et nous en tiendrons compte pour les
municipales
et les régionales. La tenue des partielles est une
chance pour nous car elle permettra d'apporter des réglages
nécessaires. Les décisions prises ne sont pas immuables. »
Deux mois après pourtant, le RDR récidivait.
Ce qui est fascinant aussi, est que
presque l'ensemble du gouvernement est parti en campagne. Presque la
totalité des ministres se sont imposés en tant que candidats au
poste de maire ou président de conseil régional dans leur propre
village. Que ce soit Toungara à Abobo, Bacongo à Koumassi, Lobognon
à Fresco, Ouloto à Guiglo… Ceux qui ne sont pas eux-mêmes
candidats font quand même campagne pour le compte de leurs amis,
comme Kandia Camara à Cocody. L'ensemble du gouvernement a donc
pris congé pour aller parader dans les villages et les rues. Au
passage, tous ces ministres ont embarqué avec eux leurs attachés et
le personnel de leurs ministères, recrutés inopinément en tant que
porte-drapeaux. Les bureaux étant vides, c'est toute
l'administration qui s'est retrouvée à l'arrêt. Aucune décision
ne pouvait plus être prise. Le président lui-même avait, selon son
habitude, décidé d'aller célébrer ses deux ans de prise de
pouvoir à Paris plutôt que “chez lui” en Côte d'Ivoire.
Alors qu'on était par exemple en pleine grève nationale des
enseignants, et que les ex-rebelles démobilisés (mais pas désarmés)
manifestaient bruyamment à Bouaké et menaçaient les populations.
Amadou Soumahoro, en vacances électorales à Bouaké pour y soutenir un ami |
La campagne est lancée !
Et voilà que la campagne est
officiellement lancée. Ici aussi, on nage dans l'absurde, voire la
ringardise quand on voit les affiches de certains candidats. On
organise des meetings pour lesquels on paie les participants, et
pendant lesquels on annonce toutes sortes de cadeaux qui seront
octroyés à la commune en cas d'élection du candidat. On se promène
dans les rues avec des sonos géantes en causant d'infernaux
embouteillages. On distribue des t-shirts, des casquettes et des
billets à tour de bras (le nombre de billets de 500 f en
circulation s'est considérablement accru depuis lors). On fait
toutes sortes de promesses grandiloquentes, du style “Faire de
Daloa une ville émergente” et autres fantaisies.
“L'Éléphant déchainé”
titrait d'ailleurs avec beaucoup d'humour, à l'avant-veille des
élections : « Les candidats sauvent Ouattara –
5 millions d'emplois créés – Des communes et des régions
émergentes ». C'est en effet le nombre d'emplois qui seraient
créés dans le pays si toutes les promesses de tous les candidats
aux élections municipales et régionales étaient tenues, alors
qu'ADO avait récemment avoué qu'il lui faudrait un second mandat
pour pouvoir accomplir sa promesse de création d'un million
d'emplois !
Certains maires en place depuis dix ans
se sont tout à coup pour ainsi dire réveillés. Par exemple, à
Attécoubé, c'est le 11 avril qu'a été posée la première
pierre du “nouveau et beau marché promis à nos mamans” par le
maire Danho Paulin.
À Agboville, Adama Bictogo a fait
dont de 20 tonnes de ciment pour la maternité et de
soixante bancs pour l'école, tout en répétant qu'il n'a pas
besoin de l'argent de la commune pour vivre – on n'en
attendait pas moins de la part d'un ancien ministre viré après
avoir été accusé d'avoir détourné plus de 600 millions
de francs destinés aux victimes de la catastrophe des déchets
toxiques de 2006 !
Parmi les arguments de campagne, la
plupart des candidats étant dépourvus de tout programme et de toute
idéologie, on a vu toutes sortes d'invocations à des instances
supérieures. Quand ce n'est pas à Dieu qu'on fait appel, c'est à
l'esprit du président Houphouët. Les cadres du RDR sont évidemment
tous à invoquer leurs relations avec le gouvernement ou leur
proximité avec le président, qui devraient faciliter l'arrivée
d'un budget conséquent pour le développement de la commune – le
budget des communes n'est pas établi par la loi ?
D'autres candidats ont préféré
mettre en avant leur CV et leurs talents avérés ou non de
gestionnaires. Par exemple, le ministre du Commerce
Jean-Louis Billon, qui demandait de ne pas laisser la commune à
des “amateurs”, alors que lui-même n'est entré dans la vie
politique ivoirienne que depuis même pas six mois.
Et puis déjà, des violences. Le
gouvernement a beau placarder des affiches appelant les militants à
ne pas déchirer les affiches de leurs opposants, on voit des clashs
se produire dans plusieurs circonscriptions.
À Séguéla, les militants du PDCI ont
dû interdire l'accès de la ville au secrétaire général de leur
propre parti, venu soutenir officiellement le candidat… du RDR (!)
Soumahoro, pour rendre la pareille à ce dernier qui était venu le
soutenir dans sa propre région. Affirmant : « Nous
aurions brulé son véhicule, s'il s'était entêté à mettre les
pieds à ce meeting du RDR ».
À certains endroits, des candidats ont
invité à la tribune des amis officiers de l'armée pour les
soutenir, en contradiction flagrante avec la constitution qui
interdit à des membres de l'armée de prendre officiellement
position pour qui que ce soit, au nom de la séparation des pouvoirs.
Enfin, les artistes ivoiriens se sont
plaints du fait que dans la plupart des cas, aucune royalties n'ait
été payée pour l'utilisation de leurs œuvres lors de la campagne.
Seule une centaine de candidats s'est montrée respectueuse de la loi
à cet égard.
Une campagne “politique” d'une grande ringardise |
Une mini crise post-électorale !
Mais le plus épatant a été l'ampleur
des violences survenues lors du scrutin et dans les jours qui ont
suivis. Il est vrai que dans beaucoup de circonscriptions, de
nombreuses irrégularités ont été constatées. La Commission
électorale soi-disant indépendante est en réalité jugée très
partiale par bon nombre d'acteurs, dont l'ONU qui appelle depuis
deux ans à sa recomposition, en vain. À Adjamé, Yamoussoukro,
Lakota, Mankono… les candidats déçus ont crié à la fraude et
ont engagé leurs militants dans d'improbables batailles de rue pour
“prendre la mairie de force” – comme si cela allait servir
à quelque chose ! On dénombrait déjà plus de cinquante
blessés par balles ou machette lundi soir, lendemain du scrutin.
Mais ce qui est vraiment grave, est que
certaines de ces violences ont été encouragées par des candidats
qui sont ministres du gouvernement actuel ! Par exemple, à
Koumassi, les partisans du député et ministre de
l'Enseignement supérieur Cissé Bacongo ont tenu des
barricades pendant 48 heures en faisant usage d'armes à feu,
avant que ce ministre ne se fasse quelque peu tirer les oreilles par
le président et ne s'empresse d'appeler au calme. À Guiglo, si on
n'a pas vu de véritables violences, Anne Ouloto, ministre de la
Salubrité urbaine (mais mieux connue sous le nom de
“Madame Bulldozer) n'a de cesse de clamer que la victoire lui
a été volée. La presse au service des différents partis est elle
aussi partie en guerre. Le journal RDR “Le Patriote”
traitait ainsi le PDCI d'“éternel perdant, un parti de losers, de
pleurnicheurs”. Face à cela, il est consternant de constater
qu'aucun de ces ministres n'ait été tout simplement viré de son
poste ! Mais bon, on commence à avoir l'habitude…
Toutes ces violences sont d'autant plus
surprenantes qu'elles ont pour la plupart eu lieu entre partisans du
RHDP, voire entre membres du même parti ! mais qui se battaient
pour des candidats différents. Qu'est-ce que cela aurait donné si
le FPI s'était présenté ?! Si les choses restent en l'état,
la violence actuelle ne laisse rien présager de bon pour les
élections présidentielles de 2015…
En plus des violences, on peut être
fort inquiet non seulement de la partialité mais aussi de
l'incompétence de la CEI. Si celle-ci a été accusée d'avoir
favorisé certains candidats dans toute une série d'arrondissements,
d'autres actes sont absolument dépourvus de toute explication. À
Aboisso, des exemplaires préliminaires des bulletins de vote avaient
été distribués pendant la campagne, grâce auxquels chaque
candidat expliquait à ses partisans quelle case il fallait cocher
pour pouvoir voter pour lui (“la case de gauche”, etc.). Mais le
jour même de l'élection, l'ordre des candidats sur les bulletins de
vote présents dans les bureaux avait été modifié, sans raison
apparente. Beaucoup d'électeurs illettrés ou inattentifs ont donc
voté pour le mauvais candidat. Les résultats étant très serrés
(2543, 2439 et 2436 voix), chacun des candidats a crié au
scandale. On voit en effet mal dans l'intérêt de qui les bulletins
ont été modifiés, puisque chacun des candidats estime avoir perdu
des centaines de voix. C'est donc tout simplement incompréhensible.
Autre incident révélateur du grotesque des apprentis-bourgeois ivoiriens : dans un village de la commune de Bangolo, le lieutenant des douanes Té Flan Achille, candidat RDR, avait offert des billets, des tôles pour l'école, un bœuf, etc. Tout le village avait dansé pour lui. Seulement, au moment du décompte des voix, il s'avère que sur les 200 électeurs inscrits, seuls 11 ont voté pour lui ! Dès le lendemain, le candidat a débarqué dans le village et exigé qu'on lui restitue l'ensemble de ses dons. Il a finalement été contraint de s'enfuir, poursuivi par les huées des habitants.
Cissé Bacongo à la une du journal Nord-Sud : “Moi, belliqueux ?” |
Un bilan qui révèle l'ampleur de la fracture politique
Le bilan des élections a donc été
tout simplement désastreux à la fois pour le RHDP et pour le RDR.
“L'Éléphant déchainé” s'amusait d'ailleurs de la
disparition totale d'Amadou Soumahoro depuis quelques semaines.
Si celui-ci est toujours bien là, il est par contre tout à coup
devenu complètement silencieux, tranchant avec le bavardage
suffisant qu'il avait l'habitude de nous servir régulièrement.
Pourtant maire sortant de Séguéla, déjà en octobre 2012,
plusieurs chefs de village de sa commune, et cadres locaux de sa
commune (dont la présidente des femmes RDR de Séguéla) étaient
venus à Abidjan réclamer sa démission du poste de SG du RDR. Il a
finalement été battu à 44 % des voix par Diomandé Lassina,
candidat indépendant militant RDR choisi par la base. Tout un
symbole.
Le FPI jubile. Le taux de participation
fort restreint a en effet été estimé à à peine 30 %, 40 %
pour la CEI (le FPI l'estime lui-même à 10-20 %). Et le FPI de
conclure, fidèle à son incommensurable sophisme, que l'ensemble de
ceux qui n'ont pas été voter sont des électeurs du FPI – une
nouvelle grande victoire de Laurent Gbagbo ! La CEI est
quant à elle en train de chercher une explication au faible taux de
participation : selon elle, le taux de participation est
similaire à celui enregistré lors des élections législatives, qui
n'ont “jamais mobilisé les masses”.
Il est clair que de très nombreux
Ivoiriens sont dégoutés de la politique. Après 10 ans de
guerre civile, de longs combats et une crise post-électorale qui a
causé la mort de milliers de personnes, les militants du RDR en
particulier se sentent extrêmement déçus : « Tout ça,
pour ça ? ». La non-participation aux élections est en
grande partie due à la désertion des partisans de ce parti, qui
entendaient ainsi sanctionner la ligne adoptée par leur parti. De
manière générale, les gens voient bien que ces élections ne
serviront à rien, ne contribueront d'aucune manière à améliorer
leur sort, alors que par-dessus le marché ils risquent parfois leur
vie en allant voter. On entend de plus en plus souvent des gens dire
que « la Côte d'Ivoire n'est pas prête pour la
démocratie, ce qu'il nous faut c'est un bon dictateur ».
Mais si la population n'y croit pas, à
quoi bon organiser des élections ? Serait-ce la faute de la
population, pas assez “citoyenne” ?
La foule au bureau de vote |
Contre la démocratie bourgeoise, pour la démocratie ouvrière
Comme l'écrivait Lénine, dirigeant
historique du mouvement révolutionnaire mondial et fondateur de
l'Union soviétique, dans son célèbre livre : « L'État
et la révolution » (1917) :
« Décider périodiquement, pour
un certain nombre d'années, quel membre de la classe dirigeante
foulera aux pieds, écrasera le peuple au Parlement, telle est
l'essence véritable du parlementarisme bourgeois, non seulement dans
les monarchies constitutionnelles parlementaires, mais encore dans
les républiques les plus démocratiques. »
Pour nous autres, socialistes
révolutionnaires, les élections soi-disant “démocratiques”
telles qu'organisées selon le modèle de la démocratie bourgeoise
ne sont qu'une blague destinée à tromper le peuple. De plus en plus
de gens comprennent cela dans le monde, que ça soit aux États-Unis
(où le taux de participation aux présidentielles de 2004 par
exemple était d'à peine 50 %) ou en Côte d'Ivoire. À
quoi bon mourir pour ces gens-là ?!
Cependant, cela ne veut pas dire que
nous sommes contre la démocratie. Mais il faut bien entendre :
de quelle démocratie
parlons-nous ?
Dans
le cadre du système capitaliste, la démocratie bourgeoise est en
fait la dictature de la bourgeoisie. Seuls ont une chance de se faire
élire les personnes qui ont les bonnes connections, qui ont fait une
carrière prestigieuse en tant que patron d'une entreprise ou en tant
que fonctionnaire bien placé, qui disposent des moyens pour financer
leur campagne électorale – affiches, matériel publicitaire,
passages à la télévision et dans les journaux – et
éventuellement pour acheter les urnes à la CEI à la fin du
scrutin. Cela tranche totalement avec le discours de Lénine, pour
qui « Chaque cuisinier devrait pouvoir diriger l'État ».
La démocratie est nécessaire pour la
bonne marche de toute économie avancée. Les anciens pays dits
“communistes” (que nous préférons qualifier de “staliniens”)
tels que la Russie ou la Guinée et le Mali en ont fait l'amère
expérience. Car en effet, sans le droit de critiquer la décision du
chef, qu'est-ce qui nous garantit que nous allons dans la bonne
direction ? La confiance aveugle dans le chef de l'État ?
Et quand celui-ci devient corrompu, malade, ou tout simplement
paranoïaque ?
D'autre part, pour qu'un pays puisse
avancer, la démocratie ne doit pas être que politique, mais aussi
économique. C'est ce qui a permis au capitalisme de finalement
surpasser le système stalinien dans les années '70 : la
liberté de choix et de création garantit (ou garantissait) le fait
que les attentes de la population en termes de qualité et de
quantité des produits soit respecté. Dans le cadre du capitalisme,
un mauvais patron fait faillite. Dans le cadre du stalinisme
totalitaire, un mauvais gérant pouvait rester indéfiniment à la
tête de son entreprise nationale. C'est d'ailleurs cet argument qui
a été utilisé pour justifier la privatisation de toute une série
de compagnies étatiques en Côte d'Ivoire également (CIE,
Caistab, etc.).
Ensuite, la démocratie est
indispensable afin de garantir que le pouvoir et la décision
appartiennent réellement au peuple, et non à l'intérêt des
personnes placées au-dessus. La question est donc de savoir comment
ces personnes devraient être choisies, et surtout de quels moyens de
contrôle le peuple peut disposer afin de s'assurer que les promesses
soient tenues.
Par exemple, le mouvement chartiste,
pionnier de la démocratie au Royaume-Uni, réclamait que les
élections soient tenues chaque année. De la sorte, il ne faut pas
attendre cinq ans avant de dégager (au prix de dizaines ou
milliers de morts) un mauvais dirigeant. « Mais c'est
irresponsable, cela voudrait dire que ce dirigeant ne pourrait pas
mener à bien des mesures impopulaires, mais nécessaires pour
redresser l'économie ! » s'écrient les bourgeois. Nous
savons tous très bien que de telles mesures “impopulaires, mais
nécessaires” signifient toujours voler une partie de ce qui
revient aux travailleurs pour les donner aux entreprises, dans le
cadre d'une économie capitaliste soumise au bon vouloir justement
non pas des politiciens, mais de ces grands patrons, ivoiriens ou
étrangers, qui se servent d'eux comme de pantins.
Mieux que ça : nous revendiquons
le droit de révocabilité à tout moment. C'est-à-dire que, même
avec des élections annuelles, toute personne élue à un poste doit
pouvoir être rappelée par sa base à tout moment, sur base d'une
assemblée de leurs électeurs au cas où ceux-ci s'avéreraient
insatisfaits.
Afin d'éviter la course aux postes,
nous demandons aussi que l'ensemble des politiciens élus ne
reçoivent pas plus que le salaire moyen d'un ouvrier qualifié.
S'ils veulent augmenter ce salaire, ils n'ont qu'à augmenter le
Smig, comme ils nous le promettent depuis ! Cela, afin de
s'assurer que les candidats sont là non pas pour s'installer dans
des fauteuils confortables, mais pour réellement prendre cette
responsabilité au nom du développement de leur circonscription.
Enfin, nous désirons abaisser l'âge
minimum pour être électeur à 16 ans, afin de permettre une
plus grande implication de la jeunesse dans la prise de décision.
La manière dont les élections est
effectuée aujourd'hui est par ailleurs absurde, couteuse, et
inutile. Pour nous, les élus doivent être élus lors d'assemblées
populaires dans les quartiers, auxquelles ils viendraient se
présenter devant la population elle-même. Les délégués des
différents quartiers devraient ensuite entre eux nommer le dirigeant de la commune,
lui-même pour une durée de un an, sans privilège financier
autre que le salaire moyen d'un travailleur qualifié, et révocable
à tout moment.
De telles élections ne devraient pas
seulement se dérouler dans les quartiers, mais aussi dans les
entreprises, et en particulier dans les entreprises étatiques, afin
d'éviter la corruption et la mauvaise gestion des ressources
nationales, et leur pillage par nos dirigeants voleurs ou par les
groupes impérialistes.
Voilà la démocratie dont nous
voulons : une démocratie ouvrière, qui n'est en réalité que
la reformulation positive de la célèbre formule : “dictature
du prolétariat”.
Exemple de démocratie populaire : l'assemblée des Indignés à Madrid |
Comment les socialistes révolutionnaires conçoivent une campagne électorale
Nous ne cautionnons pas le système
électoral actuel, d'autant plus que c'est un système qui a été
imposé de toutes pièces à l'Afrique par l'Occident et qu'il ne
correspond en rien à la culture locale – bien que le concept
de démocratie ne soit pourtant pas étranger à l'Afrique : de
nombreux peuples de Côte d'Ivoire avaient un système
d'élection des chefs et des rois sur base d'assemblées
villageoises, qui n'est pas sans rappeler celui que nous désirerions
mettre en avant.
Mais ce n'est pas parce que nous ne
cautionnons pas ce système que nous refusons d'y participer.
Simplement, la manière dont nous participons aux élections dans les
divers pays où nous sommes constitués en tant que parti est
radicalement différente de celle qui est employée par les partis
bourgeois.
Tout d'abord, le CIO ne considère pas
la militance politique comme étant l'affaire de voter une personne
tous les cinq ans. Pour nous, la lutte pour la libération de la
population laborieuse est un combat de tous les jours. Par notre
activité, nous nous lions aux différents mouvements de protestation
qui naissent dans chaque pays où nous nous trouvons. Nous prenons la
parole lors des assemblées, apportons notre contribution au
développement de la stratégie des différents mouvements, assistons
les leaders de ces mouvements dans leur formation idéologique et
organisationnelle.
Lorsque viennent les élections, nous menons une
campagne offensive sur des thèmes qui touchent le quotidien des
travailleurs : emploi, enseignement, cherté de la vie, soins de
santé… non pas en faisant des promesses fantastiques, mais en
expliquant à la population que pour obtenir la satisfaction de ces
revendications, elle doit elle-même s'organiser et se prendre en
main, et en avertissant la population que sitôt les élections terminées, il faudra continuer à se battre pour faire en sorte que les promesses deviennent réalité.
Cependant, nous expliquons aussi que le
fait de voter pour des socialistes révolutionnaires garantit le fait
que la voix du peuple combatif soit représentée, nous accorde une
plus grande audience dans les médias, nous donne une autorité pour
pousser la lutte plus en avant. En Irlande, notre député
Joe Higgins a permis la restitution de 30 millions d'euros
qui avaient été volés à des travailleurs d'origine turque par la
compagnie de construction industrielle Gama. Notre député européen
Paul Murphy a quant à lui eu l'honneur de faire partie de la
deuxième “Flotille de la liberté” qui a tenté de briser le
siège de Gaza (Palestine) en 2011, avant de se faire
intercepter par l'armée israélienne. Paul a également pu se rendre
au Kazakhstan pour y défendre les travailleurs du pétrole en grève
contre une répression extrêmement brutale (à la grande surprise
des patrons kazakhes qui s'attendaient à ce qu'il se range de leur
côté comme les politiciens “habituels”).
Plus encore. En 1984, nos
camarades ont été élus à la tête du conseil communal de la
grande ville de Liverpool en Angleterre. Ils y ont bâti
5000 logements sociaux (avec jardin et garage), sept centres
sportifs, six nouvelles garderies, embelli la ville par de nouveaux
arbres et parcs, annulé les 1200 licenciements prévus par le
précédent conseil communal, et engagé à la place 1000 personnes.
Tout cela en pleine vague d'austérité au Royaume-Uni, alors dirigé
par la terrible et détestable Margaret Thatcher (fort
heureusement décédée le mois dernier), qui avait décidé de
restreindre le budget des communes et envoyait la police charger les
travailleurs des mines en grève à coups d'épée !
Fidèle au slogan “Mieux vaut briser
la loi que briser les pauvres”, le budget établi par le conseil
communal de Liverpool était donc illégal, avec des dépenses qui
dépassaient les entrées. Nos camarades ont justifié cela en
exigeant du gouvernement qu'il augmente le budget de la commune. Cela
revenait à une déclaration de guerre contre le gouvernement. En
mobilisant largement la population lors d'immenses manifestations et
grèves régionales rassemblant des milliers de personnes, nos
camarades à la tête de Liverpool sont parvenus à forcer la “Dame
de fer” à faire la concession de valider le budget qui avait été
fixé par le conseil communal “rebelle”.
Voilà la politique que nous désirons
mener : se servir des élections bourgeoises comme d'un tremplin
destiné à mettre en avant nos mots d'ordre et notre stratégie,
afin de mobiliser la population dans la lutte pour la fin du
capitalisme, et pour le socialisme.
Nos camarades du conseil communal de Liverpool en 1984, en tête de manif |
Conclusion : un point tournant dans la situation politique
En guise de conclusion, nous voyons
donc que ces élections, avec la grève des enseignants, ont marqué
un point tournant dans l'évolution de la conscience politique en
Côte d'Ivoire. Une majorité de la population, sans pour autant
être partisane du FPI, est déçue, si pas dégoutée, de la
politique et de l'attitude du régime Ouattara et de ses cadres, qui
n'ont ces derniers mois brillé que par leur arrogance et par leur
mépris du peuple, y compris de leur propre base dans leur propre
parti.
C'est en réalité l'ensemble des
partis politiques ivoiriens qui sont en crise en ce moment. Le RDR
est en perte de légitimité, le PDCI ne sait s'il doit tenter de
maintenir l'alliance du RHDP malgré les récents événements ou
répondre à l'appel du FPI, le FPI est en train de perdre son
implantation vu son retrait systématique de la vie politique du pays
depuis plusieurs mois et étant donné le fait que la plupart de ses
cadres sont en exil ou en prison. Cela explique la pléthore
d'indépendants, dont la majorité est issue du RDR.
Avec le nombre de grèves en
augmentation et le nombre d'importantes décisions qui sont sans
cesse reportées à plus tard, il faut s'attendre à entrer dans une
période de luttes sociales de plus en plus grandes. Un tel contexte
est favorable à l'éclosion de toute une série de nouveaux partis
politiques, mais aussi à l'organisation d'une grève nationale de la
fonction publique, si pas d'une grève générale.
C'est pourquoi le CIO appelle
l'ensemble des travailleurs et des jeunes de Côte d'Ivoire à
prendre contact avec nous pour entamer des discussions visant à la
création d'un nouveau parti des travailleurs, des jeunes et des
pauvres, à l'image du WASP sud-africain ou du SPN nigérian, seule solution capable de nous mener à la réconciliation
et de nous éviter une grave crise électorale en 2015.
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