samedi 22 juin 2013

Tunisie : rapport du Forum social mondial

Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme ! 

 


Initiée il y a maintenant plus de deux ans, la révolution tunisienne a connu un tournant au début de ce mois de février avec l’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd. Quelques jours après sa mort, plus d’un million de personnes étaient dans les rues (sur une population de 12 millions d’habitants) pour lui rendre hommage et en opposition au gouvernement, tandis que prenait place la première grève générale nationale depuis 1978. 

Le Forum social mondial de Tunis qui s'est tenu en mars 2013 a permis à nos camarades européens de se rendre sur place en renfort de notre section tunisienne afin de mieux faire connaitre le travail du CIO.

Ci-dessous, deux articles : tout d'abord un rapport par Nicolas Croes concernant la situation politique en Tunisie à ce moment-là ; ensuite, un rapport de Jeroen Demuynck concernant l'intervention du CIO sur le Forum social à proprement parler. Nicolas et Jeroen sont tous deux membres de la section belge du CIO, le Parti socialiste de lutte / Linkse Socialistische Partij (PSL/LSP) : Nicolas en est un des dirigeants nationaux, tandis que Jeroen est assistant de notre député européen, Paul Murphy (lui aussi présent au Forum social).
 

Une situation qui reste explosive


Les événements qui se sont succédé après l’assassinat de Chokri Belaïd ont profondément déstabilisé le régime et le parti islamiste réactionnaire au pouvoir, Ennahda. La colère et la haine éprouvées contre lui n’ont fait que se renforcer ces derniers mois, à mesure de l’aggravation de toutes ces questions sociales qui étaient au cœur de la révolution de 2011. 

En effet sur le ‘’terrain’’, le chômage est énorme tandis que l’inflation massive des prix a avalé la plupart des augmentations salariales acquises de haute lutte par les travailleurs. La misère sociale est encore plus criante dans diverses régions maintenues dans le sous-développement. Dans les faits, la politique des dirigeants actuels suit une voie néolibérale identique à celle de l’ancienne clique mafieuse autour du dictateur Ben Ali. À titre d’exemple, les conditions du récent prêt conclu avec le Fonds monétaire international prévoient notamment d’abolir les subsides d’État pour les denrées alimentaires. Cette mesure suffira à elle seule pour précipiter directement 400.000 personnes de plus dans la pauvreté. Quant à l’ancien appareil policier, si ses maitres ont changé, il poursuit inlassablement son sale boulot de répression et de violence, sur fond d’un état d’urgence toujours en vigueur. En bref, toutes les conditions matérielles qui ont été à la base de l’explosion révolutionnaire de décembre 2010 - janvier 2011 sont toujours bien présentes et n’ont fait que devenir plus aigües.

Avant même les événements de février, l’establishment politique était déjà embourbé dans une crise profonde dont les fondements résident dans l’incapacité des classes dominantes à trouver la formule magique leur permettant d’appliquer la politique contre-révolutionnaire tout en disposant d’une assise relative parmi les masses. Sorti vainqueur des dernières élections, Ennadha est littéralement au bord de l’implosion et voit aujourd’hui son autorité s’effondrer. Cette perte d’influence a été illustrée par la tentative de son aile la plus radicale d’opérer un tour de force au lendemain de la grève générale par l’organisation d’une manifestation. Malgré tout l’argent destiné à payer les participants à cette manifestation ‘‘massive’’, seuls quelques milliers de personnes avaient répondu à l’appel. Un sondage paru en avril dans le journal tunisien Le Quotidien accordait au dirigeant d’Ennhada, Rached Ghannouchi (largement considéré comme l’assassin de Belaïd), un taux de popularité de 1,9 %. 

Vu dans les rues de Tunis : Ennahda dégage !

 

 

Quelle voie de sortie ?

 

Dans l’opposition, deux grands blocs se font face, à côté d’une myriade de petits partis. On trouve d’une part le parti Nidaa Tounès, qui se positionne comme le parti de l’opposition bourgeoisie laïque et tente de rallier à lui sous le slogan de ‘‘Tout sauf les islamistes’’. Mais il s’agit surtout du refuge de tout un tas d’anciens membres du RCD (Rassemblement constitutionnel démocrate), le parti de l’ancien dictateur Ben Ali ! Son dirigeant, Essebsi, fut d’ailleurs notamment ministre sous Bourguiba et président de la Chambre sous Ben Ali. Fondamentalement, Ennadha et Nidaa Tounes ne représentent que deux des têtes de l’hydre de la dictature du capital et de la contre-révolution. Chacune de ces têtes essaye d’attirer l’attention sur la fracture entre les religieux et les laïcs, avant tout pour dévier l’attention de la véritable guerre de classe à l’œuvre dans le pays. Chacune clame que la révolution est maintenant terminée. Elles se font l’écho de tous ceux pour qui Ben Ali pouvait bien tomber le vendredi 14 janvier 2011 pourvu que les travailleurs retournent à l’usine le lundi. 

Mais les slogans que l’on pouvait entendre lors de la grève générale de février dans les cortèges massifs et historiques de manifestants parlaient de la chute du gouvernement et de la nécessité d’une nouvelle révolution. Des jours durant, des affrontements eurent lieu entre manifestants et forces de police dans de nombreux endroits, en particulier dans les régions militantes de l’intérieur du pays comme Gafsa (où avaient éclaté les émeutes du bassin minier en 2008) ou Sidi Bouzid (d’où est parti le mouvement révolutionnaire qui mit fin au règne de Ben Ali). Heureusement, bien qu’encore imparfaite, cette colère dispose d’un embryon d’expression politique.

Car à côté d’Ennadha et de Nidaa Tounès, on trouve le Front populaire, une organisation créée en octobre 2012 réunissant le large spectre de la gauche radicale tunisienne. En son sein se trouvent différentes organisations et courants se réclamant du maoïsme (notamment le Parti des travailleurs et le Parti des patriotes démocrates unifié), du trotskisme (la Ligue de la gauche ouvrière), du nassérisme ou encore de l’écologie politique. 

La dynamique enclenchée autour de ce Front est porteuse d’un grand potentiel pour construire une réelle expression politique pour les luttes des travailleurs et des couches populaires. Mais pour l’instant, sa direction, tout comme celle de la grande fédération syndicale UGTT (Union générale tunisienne du Travail), manque encore d’audace et de clarté sur la stratégie à adopter aujourd’hui. Or, chaque moment de répit laissé à l’hydre de la contre-révolution se payera chèrement dans le camp des travailleurs. Si ce n’est pas encore la perspective la plus immédiate, le danger d’un coup d’État est bien présent dans la situation. 

 

Pour la chute du gouvernement, pour la chute du système capitaliste

 
Aujourd’hui, la gauche et la centrale syndicale UGTT doivent prendre garde à ne pas sombrer dans les diverses manœuvres pour ‘‘l’unité nationale’’ ou pour ‘‘l’unité contre les islamistes’’. Il ne saurait être question d’une alliance avec des forces hostiles aux travailleurs, la ligne de démarcation doit être clairement tracée entre les amis et les ennemis de la révolution !

La seule unité possible est celle de la classe ouvrière, de la jeunesse et des pauvres pour poursuivre leur révolution jusqu’à l’instauration, à travers la lutte de masse, d’un gouvernement qui leur appartient. Le potentiel est aujourd’hui gigantesque pour cela, et il n’est pas exagéré de dire que le pouvoir a été à portée de main des masses à plusieurs reprises ces deux dernières années, et très certainement en février dernier. Parmi la population, la compréhension que les droits démocratiques ne peuvent êtres défendus que par une démocratie économique est très grande (cela implique de placer sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs et des masses pauvres les secteurs-clés de l’économie). L’idée de la nécessité du ‘‘socialisme’’ est fort répandue, directement issue de la puissance du syndicat UGTT, de sa place dans l’histoire du pays et des fortes traditions issues de l’activité de la gauche radicale, y compris sous la dictature. Mais il règne un grand flou concernant ce que ce terme peut bien signifier.

Aujourd’hui, il faut un plan d’action clair avec l’organisation d’une nouvelle grève générale suite au succès de celle de février liée à la tenue d’assemblées de masse dans les lieux de travail, les quartiers, les universités, les écoles, etc. pour discuter et déterminer les prochaines étapes de la lutte de la manière la plus démocratique et collective possible.

Selon nous, la meilleure voie à suivre est de construire des comités de lutte et de les coordonner aux échelons local, régional et national par l’élection de représentants révocables directement issus des forces vives de la révolution (les couches combatives de l’UGTT, du mouvement ouvrier et de la jeunesse). Ces comités ne doivent pas seulement avoir pour tâche d’organiser une lutte efficace contre les forces de la contre-révolution et de protéger la population contre l’action de la police ou des milices réactionnaires islamistes, mais aussi de préparer les travailleurs et les pauvres à l’exercice du pouvoir et à la construction d’une société socialiste démocratique. De façon similaire à la vague de mobilisations de masse qui a déferlé sur le monde après la révolution tunisienne, une telle démarche audacieuse vers le véritable socialisme initierait un élan révolutionnaire international extraordinaire, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise du capitalisme. 


 

Revendications défendues par les partisans du CIO en Tunisie

 




  • Ennahda dégage ! Pour l’organisation rapide d’une nouvelle grève générale de 24h, à renouveler jusqu’à la chute du régime !
  • Pour la formation de comités de défense par les travailleurs, les jeunes et les masses pauvres, afin d’organiser la protection contre les attaques de la contre-révolution !
  • Stop à l’état d’urgence et à la répression des mouvements sociaux ! Pour la défense résolue de toutes les libertés démocratiques !
  • Non aux attaques contre les droits des femmes ! Pour l’égalité de traitement à tous niveaux !
  • Un revenu et un logement décents pour tous et toutes ! A bas la vie chère ! Pour l’indexation automatique des revenus au coût de la vie !
  • Non aux plans antisociaux du FMI, aux privatisations et à l’austérité ! Non au paiement de la dette de Ben Ali !
  • Nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population des banques et des grandes entreprises !
  • Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front populaire…)
  • Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour le socialisme international !

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    Un Forum Social Mondial très politisé


    Le Forum social mondial (FSM) s’est déroulé à Tunis du 26 au 30 mars dernier, et a rencontré un succès inattendu. Près de 70.000 militants issus du monde entier s’étaient réunis en Tunisie, un choix des plus approprié. Et force est de constater que le processus révolutionnaire que connait le pays a conduit à une forte politisation. 

    Les militants tunisiens étaient bien entendu présents en masse, ce qui s’est ressenti au niveau des discussions politiques. Le processus révolutionnaire est toujours en cours en Tunisie. L'arrivée au pouvoir du parti islamiste conservateur Ennahda n'a conduit à la résolution d’aucun des problèmes qui furent à la base du soulèvement révolutionnaire. Le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO, dont le PSL est la section belge) était présent avec des militants issus de six pays différents, et les idées marxistes révolutionnaires que nous défendons ont pu compter sur un large écho. 

    Les organisateurs du FSM ont longtemps douté de la faisabilité de cette édition. Les forums précédents, depuis Porto Alegre au Brésil, avaient connu une participation limitée. Cette crainte a été partiellement confirmée par la participation limitée provenant d'Asie et d’Amérique latine. D’autre part, de nombreuses inquiétudes ont été alimentées par l'instabilité politique du pays, très certainement depuis l’assassinat politique de Chokri Belaïd, le célèbre opposant de gauche (voir notre article à ce sujet). 

    La très forte participation au Forum, tout spécialement d’Afrique du Nord, est une indication que le processus révolutionnaire en Tunisie et dans la région se poursuit et continue à faire appel à l'imagination de nombreux militants de gauche, mais aussi bien au-delà. De nombreux militants de base tunisiens étaient là, l’UGTT (Union générale tunisienne du Travail) avait environ 1.000 de ses militants présents. Malheureusement, certaines décisions des organisateurs ont eu un effet néfaste qui a conduit à des tensions entre des militants tunisiens et les organisateurs du FSM. Ainsi, les étudiants du campus universitaires avaient dû céder leurs logements à des participants du FSM, sans qu’ils n’en aient été avertis au préalable ! 

    Stand du CIO au Forum social mondial à Tunis

    Le processus révolutionnaire est loin d’être terminé


    Le sentiment dominant parmi les militants tunisiens est que la révolution est encore à achever. Le processus révolutionnaire se développe et est visible au travers de la forte polarisation politique qui prend place dans le pays. D'une part, la grande majorité de la population s’identifie à la révolution. Mais, deux ans après la chute de Ben Ali, la vie quotidienne reste marquée par de très nombreux problèmes. Le taux de chômage est monumental et toute une génération de jeunes n’a pas de perspectives d’avenir. Quant à ceux qui ont un emploi, ils travaillent souvent dans des conditions très précaires pour des salaires de misère, souvent inférieurs au salaire minimum officiel de 200 dinars (60 000 francs CFA) par mois. 

    D’autre part, il y a le gouvernement de coalition dirigé par les islamistes réactionnaires du parti Ennahda et les puissances capitalistes nationales et étrangères qui veulent défendre les intérêts de l'élite. Depuis son arrivée au pouvoir, Ennahda n’a fait qu’appliquer une politique similaire à celle qui prévalait sous le règne du dictateur déchu : encore et toujours la politique néolibérale. Le gouvernement a récemment signé un prêt d’environ 1,35 milliards d'euros avec le Fonds monétaire international. En contrepartie, le gouvernement a promis d’abolir les subsides d’État pour la nourriture et l'essence alors que les prix des denrées alimentaires ont déjà fortement augmenté jusqu’à présent. Pendant ce temps, de nombreuses entreprises sont parties à l’offensive contre les salaires et les conditions de travail.

    La façade ‘‘démocratique’’ du gouvernement s'effondre face à son incapacité de répondre aux aspirations sociales et aux revendications de la population. La lutte de classe se développe, et la riposte des autorités se limite à une répression de plus en plus brutale, y compris à l’aide des “Ligues de protection de la révolution”, des milices réactionnaires islamistes radicales qui agissent comme "mercenaires" pour Ennahda.

    L’assassinat de Chrokri Belaid est à considérer dans ce cadre. Mais la réponse du mouvement des travailleurs, venus en masse assister à son enterrement, a été une grève générale de 24 heures dans tout le pays. Les revendications de la fédération syndicale UGTT ont malheureusement été limitées à la condamnation de la violence politique. Cette grève aurait pu être utilisée pour développer un plan d'action vers la chute du gouvernement. 

    Un tel plan disposerait d’un vaste soutien dans la société. Un jeune militant nous a ainsi exprimé sa détresse en déclarant que ‘‘Nous n’allons tout de même pas nous laisser voler notre révolution.’’ Ce sentiment est largement partagé, et se reflète en partie dans le score élevé obtenu par le Front populaire, une alliance de partis et d’organisations de gauche qui a déjà obtenu dans les 20% dans plusieurs sondages. Mais en raison de l’absence d’une stratégie claire de la part de l’UGTT et du Front Populaire pour aller de l’avant, beaucoup de jeunes et de militants sont à la recherche de moyens pour accélérer le processus révolutionnaire.

     
    Notre député européen, le camarade Paul Murphy,
    était aussi de la partie

     

    La soif d’idées révolutionnaires


    Cette quête d'idées pour renforcer et accélérer le processus révolutionnaire - jusqu’à la question du contrôle des moyens de production et du socialisme démocratique - a été illustrée par l’intérêt qu’ont pu susciter nos divers tracts et notre matériel politique. Dès le premier jour du FSM, la quasi-totalité de nos journaux, livres et brochures avaient disparu. Quant à nos tracts (l’un portant sur la situation en Tunisie, l’autre présentant le CIO, tous deux disponibles en arabe, en français et en anglais), ils ont été reçus avec grand enthousiasme. 

    Le va-et-vient a été constant à notre stand tout au long du FSM. Souvent, des gens revenaient après avoir lu notre matériel politique afin d’en discuter avec nos militants. Ces discussions ont pu être très poussées politiquement, l’intérêt était grand pour l'idée de vagues de grèves de 24 heures successives jusqu'à la chute du gouvernement et son remplacement par un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des pauvres. L’essentiel de nos discussions ont porté sur la stratégie à adopter pour rompre avec le système capitaliste et passer à l’instauration d’une société socialiste démocratique. Il n’était donc pas uniquement question de renverser ce gouvernement pourri, mais aussi de construire un système fondamentalement différent. Cela a créé une dynamique et une ambiance animées à notre stand, avec de petits meetings spontanés réunissant de petits groupes de passants autour de l’un de nos militants. Notre meeting consacré à la lutte internationale contre le capitalisme a pu compter sur une présence de 80 participants, malgré la difficulté de trouver la salle. Ce meeting a également été diffusé en direct sur le site du FSM, et 1.200 personnes y ont assisté virtuellement. 

    Le Comité pour une Internationale ouvrière fera tout son possible pour accroitre sa présence dans la région et pour aider à y construire un mouvement révolutionnaire conséquent armé d’un programme socialiste.

    Militants du CIO en vadrouille au Forum social mondial

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