La faiblesse appelle la réaction !
Ces
semaines passées, les syndicats étudiants ont signé une charte pour la paix sur
le campus, ont participé à des négociations avec le ministre Bacongo et se sont
tous retrouvés représentés lors d’une cérémonie organisée par ce même ministre
afin de se “réconcilier” avec les étudiants.
Tout cela
prend place quelques semaines après que le ministre ait été chassé du campus
par les étudiants révoltés (une vidéo au hasard), et dans un contexte de refonte possible du
gouvernement, après plusieurs scandales notamment suite à l’échec complet des
élections municipales pour le gouvernement néolibéral et néocolonial du RDR.
Appel par Jules Konan, CIO
Le ministre
Bacongo est soupçonné d’avoir détourné des milliards de francs destinés à la
réhabilitation du campus, qui en réalité n’existe que dans sa tête. Il est
accusé d’avoir fomenté une mini-crise électorale à Koumassi lors des élections
municipales, jetant le discrédit sur l’ensemble de la politique (en faillite)
de réconciliation pourtant prônée par son gouvernement. Il s’est rendu coupable
de mensonges à répétition, comme lorsqu’il déclarait sur la RTI la semaine
passée que les travaux de l’université de Man sont en cours (alors qu’il
admettait deux secondes après qu’il n’en a même pas encore le
financement), ou que le gouvernement a déjà créé deux universités
supplémentaires sur les cinq promises (alors qu’en fait il s’agit
uniquement d’un changement de statut des URES de Korhogo et de Daloa, sans qu’aucun
investissement n’ait été fait pour accroitre leur capacité, ni justifier leur
nouvelle appellation d’“université”), avant de baratiner concernant la piètre
situation de l’Institut national polytechnique (INP).
Rappelons
au passage que ce ministre qui se plaint de la gestion des affaires
universitaires sous l’ancien gouvernement, était lui-même membre de ce
gouvernement, puisqu’il est ministre de l’Enseignement supérieur
depuis 2008 !
Ce ministre
mythomane et voleur est absolument incompétent et a par ses actes et ses discours
perdu toute légitimité. Sans cautionner la moindre violence, nous sommes tous d’accord
sur le fait que sa lapidation du mois passé était bien méritée.
Il est
clair que l’ensemble des étudiants et du peuple ivoirien ne doivent aujourd’hui
réclamer qu’une seule chose de la part de ce ministre : sa démission !
L’expulsion
du ministre le mois dernier a donné un signal fort non seulement aux étudiants,
mais à l’ensemble de la population. Tout le peuple ivoirien avait les yeux
braqués sur ce qu’il se passait à l’université.
Il était
évident qu’après cela, une répression allait suivre : on allait chercher
des meneurs, ou du moins un bouc-émissaire, le régime n’allait pas se laisser
faire.
Tout cela se déroulait il y a plus d'un mois déjà. Mais nous
étions à ce moment en position de force. La mobilisation des étudiants devant
les locaux où étaient “jugés” les étudiants soi-disant responsables de la
violence a exercé une telle pression sur la direction de l’université que
finalement personne n’a réellement été condamné. La direction à ce moment était
affolée, le ministre était paniqué (déclarant dans la presse que les étudiants
étaient en réalité venus “l’acclamer”), décrédibilisé même aux yeux de la
“Première Dame” qui avait assisté en direct et de ses propres yeux au
quasi-lynchage du ministre (dont les vidéos ont fait le tour du web).
Les
syndicats étudiants ont cependant pris peur devant le risque de réaction et les
menaces. Alors que nous étions en position de force, nous avons laissé l’initiative
pour reprendre des négociations avec un ministre que nous considérons pourtant
comme illégitime.
Au
lendemain des événements de mai, on parlait de plans pour l’organisation d’une
journée morte sur le campus. Le CIO avait alors proposé de participer au
financement et à la rédaction d’un tract destiné à mobiliser les étudiants. Cependant,
rien n’a suivi.
Le “comité d'accueil” réservé au ministre le lundi 13 mai |
La charte a
été signée. Il est vrai que cette charte au fond ne nous engage à rien, vu que
le ministre lui-même est incapable de respecter le moindre engagement.
Nous avons
participé à la cérémonie du vendredi 14, qui elle non plus ne nous engage à
rien.
Mais dans
ces deux événements, nous avons laissé échapper une occasion en or de dénoncer
justement ces tentatives lamentables de réconciliation du ministre avec les étudiants,
et de musèlement des syndicats étudiants, pour au contraire, adopter une
tactique défensive, conservatrice, afin de protéger nos délégués.
Nous ne
voulons effectivement pas que nos délégués soient victimes de leur engagement
ni exclus de l’université. Mais nous pensons que la meilleure défense est l’attaque.
L’écrivain romain Vegetius ne disait-il pas : “Si vis pacem,
para bellum” ? (si tu veux la paix, prépare la guerre)
Cette
retraite tactique avait pour but de nous permettre de “calmer le jeu” afin de
conserver nos acquis, d’éviter une confrontation directe avec le régime, et de
pouvoir remobiliser plus tard.
Mais en
réalité, nous avons 1) contribué à redonner une légitimité à un ministre
qui n’en mérite aucune, 2) semé le doute et la confusion parmi les
étudiants qui étaient gonflés à bloc après l’action de mai et qui aujourd’hui
murmurent que certains de nos camarades ont commencé à manger avec le
régime. C’est-à-dire que loin de conserver notre base de mobilisation, nous
sommes en train de la perdre. Pour chaque semaine que nous laissons passer à battre en retraite, il nous faudra consacrer deux semaines à reconstruire notre mouvement. Beaucoup de délégués et de cadres mêmes sont déjà devenus inactifs, tandis que les autres crient leur impatience.
Et nous
déclarons notre faiblesse au régime qui revient pour nous narguer. La preuve ?
La présidente de l’université, Ly-Ramata a annoncé dès vendredi, juste après
les discours de réconciliation et d’appel à la paix sociale (!), que dorénavant
les étudiants devront payer chacun 1000 f tous les mois pour une toute
nouvelle assurance-santé. Comme si ça ne pouvait pas être inclus dans les frais
de scolarité ! S’il fallait une preuve que la tactique suivie en ce moment
est erronée, en voilà une.
Bacongo, sur la défensive |
Il nous
faut une meilleure communication avec les étudiants afin de mieux faire
comprendre notre tactique, que les étudiants comprennent quelle est la voie
suivie en ce moment par la direction. Cela signifie, des tracts, un journal,
des affiches à l’entrée des amphis.
Mais plus
que ça, il faut remobiliser, avant qu’il ne soit trop tard, en vue d’une
journée morte sur le campus.
Car de deux
choses l’une : si nous considérons ce ministre illégitime et appelons à sa
démission, nous devons également refuser toute négociation avec lui. Sans quoi,
nous nous contredisons et nous passons pour des girouettes politiques. Il est
dès lors compréhensible que les étudiants préfèrent regarder de loin l’action
des délégués plutôt que d’y participer.
Il nous
faut une mobilisation pour une journée morte à l’université. Les descentes d’auditoire
sont interdites ? Fort bien ! Nous publierons un tract clandestin. Pour
cette journée, il nous faut un matériel de communication exposant notre point
de vue et notre analyse, nos arguments, mais aussi nos revendications, afin de
nous assurer un taux de participation maximal à cette action.
Les
revendications doivent appeler à la démission du ministre, en plus de demander
un véritable investissement dans la réhabilitation du campus, la formation d’un
comité d’enquête composé d’étudiants et de professeurs (élus par assemblée
générale et révocables et redevables à tout moment par la même assemblée) afin
de découvrir combien a couté la “réhabilitation” actuelle et où est passé l’argent,
le retour aux libertés syndicales véritables, l’annulation de la hausse de la
scolarité, l’ouverture des logements étudiants, la mise en service des fameux
bus électriques, le retour du quai de la Sotra dans le campus, l’ouverture des
toilettes, etc. la liste est bien longue !
Un appel
devra également être adressé aux étudiants des autres campus de Côte d’Ivoire
pour les encourager à rejoindre le mouvement. De même, nos revendications doivent
aussi s’adresser aux enseignants (et au personnel de manière générale :
balayeurs, gardiens…) de l’université – salaires, conditions de travail,
etc.
Il faudra
également tenter coute que coute de faire un lien entre les revendications des
étudiants et celles des enseignants du secondaire et du primaire : pour le
reversement des salaires ponctionnés, pour une revalorisation salariale, pour
une embauche massive d’enseignants dans les écoles publiques, pour le paiement
des arriérés étatiques envers les écoles privées (qui empêcheraient les
fondateurs de payer correctement leurs enseignants), etc. en vue de mener une
lutte commune entre ces deux secteurs de l’enseignement qui, bien que ne
dépendant pas des même ministères, sont complémentaires (et puis dans les deux
cas, la démission des deux ministres Camara et Bacongo s’impose comme
nécessaire).
Dans le
tract, il faudra également donner les grandes lignes un plan d’action croissantes :
sur base du succès de la journée morte, on pourrait envisager une nouvelle
journée morte couplée à une manifestation sur le campus, puis à de nouvelles
manifestations, et à des occupations d’auditoires. Lors de ces actions, on
devrait en plus déjà se préparer à un appel aux enseignants du secondaire et du
primaire, privé et public, à une journée de grève tous ensemble, avec
manifestation commune au Plateau ou à Cocody.
Par l’adoption
d’une telle tactique, 1) les journalistes viendraient d’eux-mêmes, sans
que nous ayons à nous préoccuper de fonds pour payer une éventuelle conférence
de presse, 2) il serait beaucoup plus difficile aux autorités
universitaires de sanctionner les délégués étudiants, vu que les étudiants
seraient mobilisés en permanence, à l’écoute de leurs délégués, et mettraient
la pression sur la direction universitaire.
Nous devons
par contre entièrement condamner tout acte de violence physique de la part des
étudiants, comme notamment les jets de pierre, les actes de vandalisme, etc.
qui sont systématiquement utilisés par les médias et par le gouvernement pour
jeter le discrédit sur le mouvement étudiant, pour condamner les délégués et
accroitre la répression, et pour ne se focaliser que sur ces actes, sans tenir
compte des revendications véritables du mouvement.
Ce que nous
devons avoir en vue, à tout moment, et dans tout ce que nous faisons, est que
la nation toute entière a le regard rivé sur les universités. Le moindre appel à
la lutte de la part des étudiants pourrait rapidement être suivi dans tout le
pays. Nous pourrions dès aujourd’hui très facilement appeler à une journée de
grève nationale dans la fonction publique, voire à une journée de ville morte à
Abidjan. Tout ce qu’il nous faut pour cela, ce sont de bons arguments (vie
chère, scandales à répétition, etc.) et une bonne diffusion, et la preuve de
notre détermination à lutter.
La
démission du ministre en soi ne semble d’ailleurs pas si difficile à obtenir,
vu que lui-même est absolument paniqué, et que le régime est à la recherche du
moindre acte fort qui puisse lui permettre de remonter un tant soit peu dans l’opinion
publique. La démission du ministre provoquerait par contre un immense regain de
confiance en soi pour la population et ouvrirait la porte à une nouvelle
période de lutte sociale syndicale.
Vraiment ! |
L’ensemble
des partis politiques est en crise, le régime RDR est détesté y compris
par ses propres militants. La situation politique dans le pays est extrêmement
explosive. Le seul obstacle à une nouvelle explosion populaire est la peur d’un
retour à la guerre civile. Mais si nous ne déclenchons pas cette explosion, d’autres
le feront : les Blé Goudé et les Guillaume Soro, tous les
populistes prêts à sacrifier la population sur l’autel de leur marche personnelle
vers le pouvoir.
En réalité,
nous tenons en ce moment entre nos mains l’initiative de lancer le signal d’une
reprise de la lutte de classe, seule capable de réunifier le peuple de
Côte d’Ivoire dans le cadre d’une lutte commune contre ce régime détesté. C’est
là la seule chose qui puisse nous permettre de gommer les divisions, de
renforcer les structures syndicales, et d’éviter un nouveau bain de sang
en 2015.
C’est-à-dire
qu’une fois de plus, le sort de la Côte d’Ivoire se trouve aujourd’hui
entre les mains des étudiants.
C’est
pourquoi il nous faut dès à présent acquérir cette clarté au niveau de notre
tactique, et repasser à l’offensive avant qu’il ne soit trop tard. Le CIO est
prêt à faire tout son possible pour accompagner le mouvement étudiant dans
cette lutte, y compris par l’organisation de campagnes de solidarité
internationale (manifs devant les ambassades ivoiriennes, dans le monde entier,
etc.) si le besoin s’en fait sentir.
Cessons d’hésiter
– allons-y !
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