Tensions autour des réformes dans la filière cacao
Depuis des années, les différents
gouvernements ivoiriens ont cherché à mieux canaliser la richesse
provenant du cacao et à en tirer un meilleur profit pour le pays. Au
cœur de cette politique se trouve notamment les tentatives d'aller
vers une transformation locale du cacao, afin de récupérer une plus
grande partie de la valeur ajoutée de la filière cacao-chocolat. En
même temps, l'État recherche des mécanismes permettant d'assurer
une production durable de cacao, afin de contrer la tendance à la
baisse de production, et de garantir un revenu stable aux planteurs.
Seulement voilà : depuis le début de cette année, une guerre
fait rage entre les grands groupes du cacao et l'État, concernant
différents points de gestion de la filière. Des groupes comme
Cargill ont gelé leurs investissements et parlent de délocaliser :
qu'en est-il exactement ? Nous faisons un petit tour de la
question dans cet article.
Article par Jules Konan, CIO Côte d'Ivoire
La tradition exige que tout article
parlant de cacao rappelle que la Côte d'Ivoire est le premier
producteur mondial de cacao, avec 40 % de la production
mondiale. Nous ne dérogeons donc pas à cette règle. Le cacao a en
effet bel et bien été à l'origine du “miracle ivoirien” des
années '60-80, années pendant lesquelles notre pays était en
marche vers le développement, dépassant même des pays comme la
Corée sur toute une série d'indicateurs. Aujourd'hui, malgré la
récente ruée sur l'hévéa (pour le meilleur ou pour le pire), le
cacao reste une richesse nationale de premier plan pour notre pays,
représentant 15 % du PIB et 40 % des recettes
d'exportation.
De manière générale d'ailleurs,
l'agriculture en Côte d'Ivoire occupe toujours 66 % de la
population active, et fournit 70 % des recettes d'exportation :
café, caoutchouc, huile de palme, anacarde, coco, fruits, élevage…
Le principal secteur industriel ivoirien est tout naturellement le
secteur agro-alimentaire, qui représente 24 % de la valeur
ajoutée du secteur secondaire.
Le cacao joue un rôle crucial dans l'économie ivoirienne |
La filière cacao
La source de toute richesse et de
toute valeur est le travail humain. C'est pourquoi, tous les
économistes savent que le fait de travailler au maximum une ressource
naturelle sur le territoire national avant de l'exporter, permet de
créer plus de richesse pour le pays. Dans la société actuelle, qui
se caractérise par une grande division du travail, les différentes
étapes dans la transformation d'une ressource jusqu'à son stade de
produit fini sont souvent effectuées non pas par une même personne
à un même endroit (comme c'était le cas avec l'artisanat), mais
par différents acteurs, différentes entreprises, à des endroits
différents, et qui chacun effectue une étape bien déterminée du
processus. C'est ce qu'on appelle une “chaine de valeur” ou
encore une “filière”.
Ainsi, les différentes étapes de la
filière “cacao” sont la production de cacao par le planteur, la
transformation primaire du cacao en poudre de cacao et en beurre de
cacao (broyage), la transformation secondaire de la poudre de cacao
en chocolat (différentes étapes), et la distribution finale au
consommateur. Entre chaque étape, il faut ajouter le transport d'un
endroit à l'autre, le commerce, l'emballage, et les fournisseurs des
différents acteurs (vendeurs d'engrais aux planteurs, etc.).
À chaque étape de la filière, un
nouveau travail est effectué, qui de par lui-même ajoute de la
valeur au produit. Ce travail est, puisque nous sommes en système
capitaliste, la plupart du temps effectué par des travailleurs qui
ne reçoivent sous forme de leur salaire qu'une partie de la valeur
du travail qu'ils ont effectué. Le reste, après paiement des
diverses charges (dont les taxes à l'État), est accaparé par le
capitaliste qui les a invités à travailler pour lui. Ce capitaliste
pouvant prendre la forme de l'État ou d'un partenariat public-privé.
Cette plus-value peut ensuite être utilisée par le capitaliste pour
manger, pour investir dans la production, pour être placé sur un
compte quelque part d'où il ne sortira jamais, ou, dans le cas de
l'État, pour financer les services publics, etc. (ou manger).
Après que le cacao a quitté le champ, il passe entre de nombreuses mains avant de devenir chocolat |
Petite histoire du cacao en Côte d'Ivoire
D'où l'enjeu de la transformation
locale des matières premières. Jusqu'aux années '80, la
Côte d'Ivoire avait tendance à exporter l'ensemble de ses
produits agricoles sous forme non-transformée. La transformation se
faisait en Europe. C'est-à-dire que la valeur ajoutée par le
travail de cette transformation était créée en Europe également.
Jusque là pourtant, tout allait bien et l'État ne semblait pas y
voir un gros problème. Là où les choses se sont gâtées, c'est au
moment de la chute soudaine du prix du cacao, à la fin des
années '80. La Côte d'Ivoire a alors appris à ses dépens
l'importance non seulement économique mais aussi stratégique de la
transformation.
À ce moment-là en effet, la
surproduction de cacao au niveau mondial (à cause de l'extension
débridée des plantations en Côte d'Ivoire, mais aussi de
l'entrée en scène de nouveau pays producteurs, comme l'Indonésie),
a causé une baisse des cours mondiaux, conséquence de la loi de
l'offre et de la demande. Les pays importateurs de cacao en ont
profité pour acheter des quantités massives de cacao à prix réduit
(aujourd'hui, les cinq plus grands pays importateurs de cacao
sont les Pays-Bas avec 31 % des importations mondiales
– d'où la prépondérance de ces nationaux dans les
institutions de l'Onuci et de la filière cacao –, suivis des
États-Unis, 21 %, de la France, 11 %, de
l'Estonie, 8 % – porte d'entrée vers le marché
russe – et de la Belgique, 5 %). C'est à partir de
là que le rapport de forces dans la fixation du prix mondial est
passé définitivement du côté des acheteurs.
Jusque là en effet, les prix étaient
plus ou moins fixés par les pays producteurs et en particulier par
la Côte d'Ivoire : avec son quasi-monopole sur le commerce
de cacao mondial, organisé sous la structure unique de la Caistab
(Caisse de stabilisation), personne ne pouvait jouer avec la
Côte d'Ivoire. Mais voilà que d'un coup, les réserves de
cacao dans les pays acheteurs se sont tellement accrues que eux-mêmes
se retrouvent en mesure de fixer les prix (en 1999, on estimait
les stocks de cacao mondiaux comme équivalents à 50 % de la
consommation annuelle mondiale). La réponse du président Houphouët
a été de déclarer la “guerre du cacao”, en 1989, qui sera
en quelque sorte le “dernier combat” du “père de la nation”.
Voilà donc que le président Houphouët
déclare qu'elle ne vendra plus un seul gramme de cacao jusqu'à ce
que les stocks dans le Nord soient épuisés et que les prix
remontent. D'autres se sont fait putscher pour moins que ça !
Mais aucune Licore n'est venu chasser le président. Les acheteurs
ont tenu bon, alors que la Côte d'Ivoire a été contrainte de
céder un an en provoquant, humiliation suprême, une nouvelle
chute vertigineuse des prix du cacao, de laquelle ils ne se
relèveront pas. C'est cet échec qui a mené à la faillite de la
Caistab, à la ruine de l'État, à l'imposition par le FMI
d'Alassane en tant que premier premier ministre de
Côte d'Ivoire, à l'austérité, aux manifestations de masse et
à la montée du FPI, bref, à plus de vingt ans de crise dans
notre pays. Que s'est-il passé ?
La transformation du cacao revêt une
importance non seulement économique, mais aussi stratégique. La
Côte d'Ivoire continuait à produire et stockait son propre
cacao, en attendant que les pays du Nord aient épuisé leurs stocks.
Espérant ensuite revendre ces stocks plus tard, au compte-goutte,
une fois que les prix seraient repartis à la hausse. Pendant ce
temps, l'État ne vendait pas, mais continuait à acheter la
production aux planteurs au prix garanti par la Caistab. Seulement
voilà : la Côte d'Ivoire ne disposant à l'époque pas de
capacité de transformation du cacao, elle ne stockait que des fèves
de cacao. Or, les fèves, même correctement fermentées et séchées,
ne peuvent pas se conserver très longtemps sans perdre toutes leurs
qualités, surtout en climat tropical, et surtout vu le manque aussi
d'infrastructure de stockage adaptée dans le pays, surtout pour une
telle quantité.
Dans le Nord, par contre, les fèves avaient été
broyées pour en faire de la poudre et du beurre de cacao. La poudre
de cacao est un produit relativement inerte qui peut se conserver
très longtemps. Tandis que la Côte d'Ivoire voyait des
milliers de tonne pourrir ou se faire ronger par les insectes, les
importateurs européens rigolaient bien. Finalement, après deux ans
de bras de fer, la Côte d'Ivoire s'est vue contrainte de vendre
dans l'urgence tout ce qui pouvait encore être sauvé de son stock.
D'où une nouvelle chute dramatique des prix, avec toutes les
conséquences tragiques pour le pays déjà mentionnées plus haut.
Houphouët, fatigué, ne s'en relèvera pas et laissera le pays dans
le chaos.
Voilà donc toute la véritable
importance du débat sur la transformation du cacao en Côte d'Ivoire.
Les stocks mondiaux sont énormes afin de parer à tout retournement du marché |
Le broyage, un enjeu stratégique
En réalité, ce débat porte
essentiellement sur le broyage du cacao. Le broyage ne représente
pourtant que 4 % de la valeur ajoutée du chocolat final en
supermarché, tandis que les autres étapes de la transformation
(qui mènent de la poudre de cacao au chocolat emballé) représentent
ensemble 84 % (!) de cette même valeur ajoutée. Mais ces
différentes étapes, de part la nature quelque peu volatile du
chocolat en tant que produit fini, requièrent une grande proximité
par rapport au consommateur final. Or, les Ivoiriens, pour toutes
sortes de raisons socio-économico-culturelles, ne sont pas des
grands mangeur de chocolat. Pour eux, le chocolat reste un produit de
luxe, et ce n'est pas la politique menée par le régime ADO – au
contraire ! –, qui permettra aux Ivoiriens de pouvoir
commencer à faire de pareilles dépenses dans le futur. D'où le
fait que la plupart des entreprises jugent “inutile”, voire
“impossible”, la transformation secondaire du cacao en
Côte d'Ivoire même.
Malgré tout, si seulement le broyage
était entièrement effectué en Côte d'Ivoire, cela
permettrait d'accroitre sensiblement la part de la valeur ajoutée
produite par le pays : en 2005, le broyage représentait
4 % de la valeur ajoutée finale contre 5 % pour le
planteur, 1 % pour le pisteur (achteur bord-champ et
transportateur), 2 % pour l'exportateur et 3 % sous forme
de taxes à destination de l'État ivoirien. Avec le broyage local,
la part de la Côte d'Ivoire passerait donc de 11 à 15 %
de la valeur ajoutée. Sans oublier, rappelons-le, l'enjeu
stratégique.
En conséquence, depuis la fin de la
“guerre du cacao”, les différents gouvernements ivoiriens qui se
sont succédé ont tous apporté une grande attention au broyage
local. Par exemple, conformément à son programme visant à faire de
la Côte d'Ivoire un pays émergent d'ici 2020, le
président Outtara a fixé l'objectif de 50 % de cacao
broyé sur le territoire national d'ici 2015. Cet objectif
semble ou semblait jusqu'à présent réaliste : en 2006,
la Côte d'Ivoire broyait 24 % de sa production de
cacao, en 2010, 35 %. Avec ses 532 000 broyées
par an, la Côte d'Ivoire est aujourd'hui devenue premier
broyeur mondial, à égalité avec les Pays-Bas.
Cependant, le broyage, qui est une
opération en apparence simple, nécessite un équipement très
couteux. Il comporte en fait toute une série d'opérations :
pré-nettoyage, pré-séchage, concassage, alcalinisation,
torréfaction, broyage, raffinage, pressage, concassage. Avec la
libéralisation de la filière entamée sous Bédié (et parachevée
sous le très socialiste Gbagbo), les investissements dans ce créneau
crucial de l'économie ivoirienne ont été entièrement laissés
entre les mains du privé.
Alors que la quasi totalité de
l'achat du cacao se trouve entre les mains de multinationales
étrangères – à peine neuf entreprises effectuent 75 %
des achats totaux : Cargill et ADM (USA),
Callebaut (Suisse), Olam (Singapour),
Touton Négoce (France), Ali Lakiss (Liban),
Noble et Armajaro (UK), et Estève (Brésil) – la
situation en ce qui concerne l'industrie est encore plus
inquiétante : 5 entreprises font plus de la moitié de la
transformation locale. Il s'agit des mêmes ADM, Cargill et
Callebaut, auxquels s'ajoutent Nestlé (Suisse) et Mars (USA).
L'autre moitié appartient à toute une série d'entreprises
étrangères ou ivoiriennes (mais souvent gérées par des Libanais,
considérés par la population comme des “faux Ivoiriens”).
Le broyage local comportant toutes
sortes de difficultés sur le plan technique (beaucoup de
chocolatiers préfèrent utiliser le cacao broyé en Europe, de
meilleure qualité), ces entreprises ont été attirées sur le sol
ivoirien par d'importantes remises de taxes : 92 francs de
remise par kilo de beurre de cacao, 55 francs par kilo de poudre
de cacao. Ces remises de taxes coutent 45 milliards de francs
- 70 millions d'euros – chaque année à l'État
ivoirien.
Le broyage du cacao est la première étape vers le chocolat |
Les tensions dans la filière
Deux éléments sont à l'origine des
tensions actuelles dans la filière cacao. D'une part, la décision
du gouvernement de supprimer cette remise de taxe, de l'autre, le
prix garanti aux planteurs et la réforme de la filière.
Toutes les compagnies exportatrices ne
sont transformatrices. C'est le cas de Armajaro, entreprise
appartenant au capitaliste Anthony “Chocolate Fingers” Ward,
célèbre pour avoir à lui seul acheté un sixième de la production
de cacao mondiale en 2010 dans le cadre d'une audacieuse
opération de spéculation. M. Ward, grand amateur de vins fins
et de voitures de course, est également un ami personnel du
président ivoirien actuel, Alassane. À leur retour en Côte d'Ivoire
fin 2011, Armajaro et ses collègues de Sucden (une autre
vieille entreprise ivoirienne qui avait déserté le pays pendant les
années de crise) ont bruyamment dénoncé les avantages fiscaux
accordés aux broyeurs, réclamant le retour à la “libre
concurrence”. Ces deux entreprises ont rallié à elles d'autres
plus petits exportateurs “purs” pour créer un syndicat, le GNI,
Groupement des négociateurs indépendants, qui a commencé à mener
la vie rude au Gépex, le syndicat des entreprises transformatrices.
Il faut dire que les avantages fiscaux
accordés aux entreprises transformatrices n'étaient au départ
prévus que pour une durée de cinq ans, le temps de
rembourser les investissements effectués par ces entreprises dans
leurs installations techniques. Mais ils sont toujours en vigueur
depuis vingt ans dans certains cas. Comme nous l'avons vu, ces
avantages fiscaux coutent énormément à l'État, alors qu'en
réalité les retombées directes sur le plan économique sont assez
faibles. Les exportateurs ont aussi critiqué le fait que les emplois
créés par le broyage se chiffrent à tout au plus quelques
centaines, et que l'État perd beaucoup plus d'argent avec cette
politique qu'il n'en gagne.
ADO a donc décidé d'annuler ces
avantages fiscaux. La réaction de Cargill ne s'est pas fait
attendre : après avoir envoyé des batteries d'avocats assiéger
l'administration, et même le président de Cargill – qui
s'est déplacé pour rencontrer ADO en personne –, la société
a annulé ses projets d'extension en Côte d'Ivoire pour se
tourner vers l'Indonésie, où elle inaugurera une nouvelle usine
l'an prochain. Ses agents qui sont censés aider les coopératives de
planteurs dans le cadre de la certification de leur production,
semblent désormais absents du terrain ; et de nombreux employés
ont été mis au chômage technique.
Cargill et ses comparses (ADM,
Cémoi, Callebaut) se sont dits prêts à délocaliser au mois de mai
si leurs privilèges fiscaux ne leur étaient pas rendus entretemps.
Si le mois de mai est passé et que Cargill est toujours là, les
tensions restent vives. Les entreprises ont par exemple refusé une
proposition d'organiser un festival du cacao à la fin de cette
année. Et les investissements et recrutements sont gelés. Ces
entreprises sont en outre soutenues dans leur revendication par leurs
États respectifs via les déclarations de diplomates.
Cargill est en tête des pleurnichards concernant le retrait des privilèges fiscaux indus |
Le prix minimum garanti
L'autre problème est le prix garanti
aux planteurs. Cette mesure de fixation du prix était pourtant
nécessaire. Les planteurs se voient maintenant garantir un prix
équivalent à 60 % du prix de la fève de cacao exportée. Ce
qui est bien. Cela permet en effet au planteur d'éviter de se faire
bluffer par des pisteurs véreux qui lui annoncent, en pleine
brousse, que « Le prix à Londres à chuté hier » sans
que le planteur ait la moindre possibilité de vérifier cette
information. Cela lui permet de tirer un meilleur bénéfice pour sa
récolte, qui lui permettra de mettre ses enfants à l'école, de se
soigner, etc. Et puis aussi, cela l'encourage à réinvestir dans sa
plantation de cacao par l'achat d'engrais, l'entretien correct de sa
plantation… Ce qui est indispensable d'une part pour endiguer la
baisse de la production, d'autre part pour préserver ce qui reste de
la forêt ivoirienne.
Seulement voilà : le prix au
planteur est fixé selon un système de bourse virtuelle sur une
période d'un an. Une fois le prix fixé, il est fixé pour toute la
durée de la récolte (six mois pour la grande traite, de septembre à
février). Mais la fixation du prix au planteur ne laisse qu'une très
faible marge à l'exportateur. En réalité, comme c'est le cas en ce
moment, comme une nouvelle chute du prix international ne se reflète
sur le prix à payer au planteur que bien après. C'est-à-dire que
dans la situation actuelle, si on ajoute au prix du cacao bord-champ
l'ensemble des frais de transport, stockage, et les très nombreuses
taxes à payer, les exportateurs se retrouvent dans une situation où
le prix minimal qu'ils doivent fixer pour pouvoir faire un bénéfice
est inférieur au prix du marché international ! C'est en
particulier le cas pour les petits exportateurs ivoiriens.
En plus, les régulations mises en
place par la filière pour l'exportation du cacao, destinées à
améliorer la qualité du cacao ivoirien, sont extrêmement
restrictives. Au point que des chargements entiers de cacao sont
refusés par les agents de régulation. À moins, évidemment, qu'ils
ne se fassent “graisser la patte”, sport également pratiqué
pour l'“accélération” de l'obtention des nombreux documents
nécessaires à l'exportation. Là aussi, les gros exportateurs
multinationaux, qui disposent de plus de liquidités, sont largement
favorisés par rapport aux petites entreprises ivoiriennes. Certaines
sont donc menacées de faillite.
(les données chiffrées se trouvent
dans l'Éléphant déchainé du 31 mai 2013, que nous
n'avons malheureusement pas sous la main en ce moment – une mise à
jour suivra lorsque nous l'aurons retrouvé)
Les régulations sont à ce point
abusives que concernant la petite traite (d'avril à mai) où le
cacao est toujours de moins bonne qualité que pendant la grande, les
planteurs peinent à trouver des acheteurs, et se voient donc
contraints d'accepter des prix au rabais, sous le prix fixé par
l'État – malgré les risques encourus par les pisteurs, qui
peuvent aller de l'amende et l'emprisonnement au retrait de la
licence.
Du coup, la fixation du prix au
planteur, mesure positive s'il en est, semble à présent se
retourner contre l'économie ivoirienne, menaçant des centaines de
personnes de licenciement et d'une concentration encore plus grande
de la filière entre les mains des multinationales.
Le prix minimum a apporté un réel mieux dans la situation des planteurs, mais est remis en cause par le système lui-même |
Que faire ?
On voit en fait ici se révéler
toutes les limites du modèle néolibéral et néocolonial prôné par
ADO. Ces entreprises, qui ont considérablement bénéficié de
l'anarchie qui a suivi le démantèlement de la Caistab et tout au
long de la guerre civile, tirent d'immenses profits dont très peu
bénéficient à la Côte d'Ivoire. Mais elles poussent
maintenant les hauts cris et font du chantage dès que l'on touche à
leurs privilèges – privilèges qu'elles continuent à obtenir
indument alors qu'il avait bien été stipulé que ceux-ci ne
devraient durer que cinq ans.
Bien qu'il soit assez peu probable de
voir ces entreprises délocaliser en masse (toutes ont massivement
investi dans la filière, de l'encadrement des planteurs aux usines
et infrastructures de transport), cela reste une possibilité. Et que
fait le gouvernement ? La seule solution serait la
renationalisation du secteur, mais étant donné la ligne idéologique
et la nature des soutiens du régime Ouattara, il semble que
celui-ci n'a d'autre choix que d'abaisser son froc, ou en tout cas
d'aller à des négociations aboutissant à des demi-mesures de type
“transitoire”.
De même, si l'on voit le blocage
causé par le prix “excessif” accordé aux planteurs. Dans le
cadre du capitalisme, et surtout à l'ère impérialiste et dans un
contexte de crise économique profonde à l'échelle internationale,
toute mesure progressiste se retourne inévitablement contre
l'économie et contre la population. Les capitalistes reprennent
d'une main ce qu'ils ont donné de l'autre. Vous voulez monter les
salaires ? On licencie et on délocalise. Vous voulez augmenter
les taxes sur les compagnies qui ont le monopole de l'électricité ?
La facture grime en flèche. Et ainsi de suite. Ce système – et
ce gouvernement – sont soumis à la dictature des capitalistes
et des multinationales. Les politiciens bourgeois sont incapables de
nous en sortir.
La seule chose capable de sauver le
secteur tout en en retirant quelque chose qui puisse bénéficier au
développement du pays, est une grève du personnel des usines de
broyage avec occupation des installations, et revendication de
nationalisation sous contrôle et gestion par les travailleurs et les
planteurs (sur base de délégués élus, révocables à tout moment,
et ne disposant de rien de plus qu'un salaire d'ouvrier qualifié),
avec confiscation par l'État sans rachat ni indemnités, sauf sur
base de besoins prouvés (notamment pour les petits exportateurs) :
ils ont déjà assez profité ! De la sorte, plus de risque de
délocalisation, plus de problème de corruption et une bien plus
grande flexibilité au niveau du prix qui pourra être payé aux
planteurs.
En fait, c'est la nationalisation de
l'ensemble de la filière qu'il nous faut, du pisteur à
l'exportateur, et l'instauration d'un monopole étatique soumis au
contrôle démocratique des travailleurs de la filière et des
planteurs, et du mouvement syndical large. Au lieu de voir la majeure
partie des profits de la filière disparaitre à l'étranger, et de
devoir sans cesse chercher à contenter les requins impérialistes,
les immenses ressources dégagées sur base du commerce du cacao
pourraient être mises au service de la population et notamment des
planteurs, avec un refinancement massif de l'Anader et du CNRA, pour
la mise en place à grande échelle d'une cacaoculture durable et
respectueuse de l'environnement, tout en accroissant le revenu des
planteurs. Cet argent servirait aussi de fonds pour la construction
de routes, d'écoles de brousse, de logements, etc. Comme cela se
fait d'ailleurs dans d'autres pays comme le Vietnam ou le Ghana,
malgré les tendances à la libéralisation dans ces deux cas,
et le poids de la bureaucratie engendrée par le manque de contrôle
populaire.
Une fois nationalisées, ces usines
pourront réaliser le rêve d'Houphouët : organiser la grève
du cacao pour recevoir un meilleur prix pour notre plus grande
ressource naturelle. Mais les industriels des pays importateurs,
soucieux de leurs bénéfices et du sort de leurs actionnaires,
répercuteraient d'office cette hausse de prix sur les travailleurs
et les consommateurs dans leurs pays : licenciements, hausses de
prix. Ce qui pourrait susciter un soutien à une éventuelle
intervention armée étrangère (encore). Donc, un pouvoir
révolutionnaire qui procéderait de la sorte devrait tout faire pour
ne pas se mettre à dos les travailleurs de ces pays, mais au
contraire les appeler à s'organiser pour revendiquer la
nationalisation de ces entreprises dans leurs propres pays.
D'où la nécessité de construire en
Côte d'Ivoire un mouvement révolutionnaire international et
mondial tel que le CIO.
Il faut une renationalisation de la filière sous contrôle démocratique des travailleurs et des planteurs |
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