vendredi 14 juin 2013

Israël/Palestine : comment parvenir à un État palestinien ?

La revendication d'un État palestinien et les solutions du conflit



Le secrétaire d'État américain John Kerry a récemment discuté avec des cadres de la Ligue arabe d'une éventuelle relance du processus de paix entre Israël et la Palestine. Cependant, vu que les différents gouvernements israéliens ne font qu'augmenter le nombre de colonies juives en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, grignotant de plus en plus de territoire palestinien, de plus en plus de gens se posent la question de savoir s'il est vraiment possible d'envisager un État palestinien viable au côté d'Israël. Certains ont donc décidé d'oublier l'idée d'une solution à “deux États” pour rejoindre ceux qui préconisent “un État”. Mais cette lutte pour un État uni israélo-palestinien est-elle possible ? 
 
Judy Beishon, membre du comité exécutif du Socialist Party (section anglaise du CIO), se penche dans cet article sur cette question cruciale : quel programme les socialistes devraient-ils adopter aujourd'hui dans le but de résoudre la question nationale palestinienne et du même coup, mettre un terme à ce conflit qui n'a déjà que trop duré ?


Les plus de quatre millions de Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza souffrent terriblement de l'occupation israélienne ; le taux de chômage et de pauvreté dans ces territoires est effarant. Les Palestiniens sont soumis à des incursions brutales et à des tirs de missiles réguliers en provenance d'Israël visant à tuer, blesser, et intimider : plus de 6500 Palestiniens ont été tués de la sorte au cours des douze dernières années. Désespérés de trouver une solution à ces conditions cauchemardesques, les Palestiniens ont été grandement inspirés par le renversement des dictateurs arabes en Égypte et en Tunisie, en 2011, et ont espéré pouvoir sur base de cet exemple renouveler et faire progresser leur propre lutte.

Ces deux dernières années, on a vu toute une série de manifestations un peu partout en Cisjordanie en solidarité avec les grèves de la faim et révoltes des prisonniers palestiniens, et contre l'austérité. On a aussi eu une grève de 48 heures des fonctionnaires de l'Autorité palestinienne (AP), en décembre 2012, pour revendiquer le paiement des arriérés salariaux. La seule réponse qu'ils ont obtenue a été des lacrymos et des matraques de la part des forces de sécurité de l'AP elle-même.

La majeure partie de la colère suscitée par l'austérité imposée par l'AP est dirigée contre l'occupation. Néanmoins, elle est aussi dirigée contre les dirigeants palestiniens qui collaborent avec l'occupation ; parmi les revendications des différents mouvements, se trouvait la demande de démission du premier ministre de l'AP Salam Fayyad et de son président Mahmoud Abbas, qui ont tous deux misérablement échoué à obtenir la moindre avancée pour la cause palestinienne.

Les élections municipales en Cisjordanie en octobre 2012 ont montré la perte de soutien du parti Fatah dirigé par Abbas : dans des villes importantes comme Naplouse, Ramallah ou Jénine, et ailleurs, les postes de maire ont été remportés par des candidats indépendants.
On a aussi vu des manifestations être organisées récemment à Gaza, surtout contre la fin de l'aide étrangère. Il y a un soutien large partout en Palestine pour la fin de la séparation entre le gouvernement de Gaza, dirigé par le Hamas, et celui de Cisjordanie, dirigé par le Fatah, séparation qui dure depuis 2007. La pression populaire a forcé les deux parties à signer trois accords de réconciliation depuis mai 2011, mais sans que cela n'ait apporté quoi que ce soit de concret en termes de réunification du gouvernement palestinien.

Depuis 2007, Gaza est dirigée par le Hamas, parti islamiste
démocratiquement élu
par les Palestiniens,

mais classifié comme groupe terroriste par l'Europe et les États-Unis.
Ce qui a mené à la division des Palestiniens et au blocus de Gaza.



L'appel à l'ONU


Une chose sur laquelle Israéliens et Palestiniens sont d'accord :
“Quand les Américains arrêteront-ils de me faire perdre le temps
avec ces réunions inutiles ?”
Abbas, face au désespoir de sa population et à sa propre incapacité à faire quoi que ce soit pour améliorer son sort, a en novembre 2012 décidé d'appeler les Nations-Unies à promouvoir le statut de la Palestine au sein de l'ONU afin qu'elle soit considérée comme un “État” et non plus comme une “entité”. La pression à la base l'a également contraint à adopter un langage plus acerbe qu'auparavant, parlant par exemple de “nettoyage ethnique” perpétré à Jérusalem-Est et ailleurs.

Ses efforts ont été récompensés par le passage de la Palestine au statut d'“État observateur” (c'est-à-dire, toujours pas État membre). Cela a été fort bien reçu par les Palestiniens, mais tout le monde est bien conscient du fait que cette victoire n'est que purement symbolique, contribuant uniquement à infliger une nouvelle humiliation internationale bien méritée à la classe dirigeante israélienne, qui se retrouve de plus en plus isolée. Seul huit pays sur les 193 membres de l'ONU ont voté avec Israël contre cette résolution.

Le gouvernement israélien – avec à l'esprit l'approche des élections nationales – a répondu au vote de l'ONU par la rétention de millions de dollars d'argent provenant d'impôts et dû à l'AP, et par l'annonce de projets de nouvelles colonies. Alors qu'on a déjà atteint le nombre record de 500 000 colons juifs, le nouveau plan de logements E1 menace d'accroitre encore leur nombre en divisant la Cisjordanie en deux (une moitié Nord, une moitié Sud), et en séparant Jérusalem-Est de la Cisjordanie. Il est aussi prévu de construire 2610 logements entre Jérusalem et Bethléem.

Même le négociateur-en-chef de l'AP, Saeb Erekat, s'est senti obligé de répondre à ces attaques : « Ne parlez plus d'une solution à deux États… parlez plutôt d'une réalité avec un seul État, du fleuve Jourdain jusqu'à la Méditerranée ».

Le vote à l'ONU pour accepter la Palestine en tant que membre observateur.
En rouge : ont voté “non”; en vert : ont voté “oui”
(noir : abstention)

 L'origine de la solution à “deux États”


La résolution 181 de l'ONU datant de 1947, qui a jeté les bases pour des décennies de conflit sanglant, a décidé la partition de la Palestine sous mandat britannique afin de créer un État israélien. Israël a ensuite occupé de plus en plus de territoires, jusqu'à s'assurer le contrôle complet de toutes les zones palestiniennes après les guerres de 1948-9 et de 1967. Aujourd'hui, en conséquence de ces guerres, près de cinq millions de Palestiniens sont des réfugiés déclarés auprès de l'ONU, dont plus de trois millions vit dans les pays voisins (Jordanie, Syrie, Liban, Égypte…).

En 1988, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a décidé d'abandonner la revendication d'un État palestinien unique selon les frontières d'avant la partition, et s'est résigné à la place à une solution à deux États – la Palestine aux côté d'Israël. L'État palestinien qui serait ainsi créé devrait être basé sur les territoires qui restaient aux Palestiniens avant la guerre de Six Jours, en 1967, c'est-à-dire la Cisjordanie, Gaza, et Jérusalem-Est en tant que capitale, soit 22 % de la Palestine d'avant 1948.

En 1990, les dirigeants de l'OLP ont été plus loin en votant leur acceptation de l'existence d'Israël. Même les dirigeants islamistes de droite du Hamas, qui se trouve en-dehors de l'OLP, tout en refusant de reconnaitre Israël, ont de temps à autre eux-mêmes mentionné une possible co-existence négociée entre les deux États sur le long terme.

L'évolution du territoire aux mains des Palestiniens depuis 1947

L'échec du capitalisme


La lutte contre l'austérité et la lutte pour la libération nationale sont étroitement liées, parce qu'aucune de ces deux luttes ne peut être victorieuse sans une transformation fondamentale de la société. Le capitalisme s'est avéré absolument incapable de mettre un terme à ce conflit qui porte sur la terre, sur les ressources, les marchés, etc.

Les principaux responsables de la souffrance des Palestiniens sont clairement l'impérialisme occidental et la classe dirigeante israélienne. Mais la responsabilité est également partagée par les élites capitalistes arabes qui n'ont aucun véritable désir de défendre la cause des masses palestiniennes, parce que le moindre pas en avant pour les Palestiniens constituerait une source d'inspiration pour une nouvelle vague de luttes des travailleurs et des pauvres dans tous les pays arabes – y compris de la part des minorités nationales et religieuses opprimées –, ce qui menacerait les privilèges et la richesse de ces élites.

Les élites arabes, ce qui inclut les riches Palestiniens, ont plus de choses à faire avec les riches du monde entier – y compris ceux d'Israël – qu'avec la vie des simples Palestiniens. Ils veulent donner l'impression d'être à la recherche d'une solution pour la Palestine uniquement pour préserver leur part de soutien à domicile, tout en continuant à conclure des accords commerciaux secrets avec leurs partenaires juifs israéliens et avec les multinationales du monde entier.

Aucun stratège capitaliste, nulle part dans le monde, n'est capable de venir avec une solution qui puisse voir apparaitre un État palestinien capable de recevoir les investissements nécessaires, et qui satisfasse en même temps les grands patrons qui se cachent derrière la classe dirigeante israélienne.

Les capitalistes israéliens ont de nombreuses raisons pour empêcher toute tentative d'aller vers l'établissement d'un véritable État palestinien. Tout d'abord, ils refusent de voir s'installer à leur porte un régime armé et revendiquant des terres qui sont occupées par Israël depuis maintenant 65 ans ; ensuite, toute avancée risquerait d'encourager la population palestinienne d'Israël dans leur lutte contre les discriminations, et de même de susciter des mouvements parmi les réfugiés palestiniens qui se trouvent dans les pays voisins ; de même, cela risquerait d'inspirer les travailleurs et les classes moyennes israéliens, juifs comme musulmans, et de les faire partir en lutte pour de meilleures conditions de vie ; et enfin, cela provoquerait inévitablement la colère des colons juifs d'extrême-droite et de leurs partisans, pour qui la “Judée et la Samarie” (qui recouvrent la plupart de la Cisjordanie) sont pour les juifs seulement.

Pour les capitalistes israéliens donc, le moindre prétexte est bon pour faire trainer les négociations et les remettre à plus tard ; par exemple, le fait que des milices palestiniennes tirent des missiles sur Israël (que le Hamas ou l'AP soit complice de ces tirs de missiles ou non), ou bien l'exigence que l'AP reconnaisse avant toute chose l'existence d'Israël en tant qu'État ou patrie juif. Le président américain Obama a repris cette dernière revendication pour la première fois lors de sa visite en Israël au mois de mars 2013, malgré le fait que les dirigeants de l'AP aient depuis très longtemps accepté officiellement l'existence d'Israël et que leur appareil de sécurité coopère étroitement avec celui d'Israël.

Cela ne veut pas dire que, entre deux épisodes de recrudescence du carnage, les dirigeants israéliens ne changeront jamais d'attitude, vu l'énorme pression internationale qu'ils subissent, ou au cas où ce changement d'attitude ne leur serait imposé par l'inévitable réapparition d'une lutte de masse par les Palestiniens – ou afin d'éviter au dernier moment l'apparition d'une telle lutte. À chaque étape du conflit, on les a vu à un moment ou l'autre reprendre des négociations pour la “paix” ou se sentir obligés de faire quelques concessions d'une manière ou d'une autre.

L'élite israélienne est extrêmement inquiète de l'isolement international de son pays et du tour que prend l'actualité de sa sous-région (développement du nucléaire en Iran, changement de régime en Égypte, guerre civile en Syrie, manifestations contre l'austérité en Jordanie, etc.), et beaucoup de ses membres cherchent à renforcer sa position et à éviter une nouvelle insurrection palestinienne en s'engageant dans un nouveau processus de paix.

Cependant, les différents politiciens israéliens divergent grandement sur le type d'ouvertures qu'il conviendrait de faire ; certains n'en veulent aucune, d'autres ne cessent de clamer qu'il faut reprendre les discussions avec l'AP. L'ancien chef du Shin Bet (services secrets israéliens) Yaakov Peri, élu à la Knesset (parlement israélien) sur la liste Yesh Atid (centre laïc) lors des élections de janvier, disait carrément : « Sommes-nous au bord d'une troisième intifada ? C'est une véritable possibilité, vu l'ampleur du désespoir, couplé au statu quo politique », avant d'avertir du fait que sans un processus de paix, ce sont les “groupes islamistes fondamentalistes” qui prendront l'initiative.

Le gouvernement formé après les récentes élections, toujours dirigé par Netanyahu, a confié à l'ancienne ministre des Affaires étrangères Tzipi Livni la tâche de redémarrer les pourparlers de paix. Quelle blague, quand on sait que c'est elle qui était ministre des Affaires étrangères lors du brutal massacre de Gaza en 2008-9. Selon elle, la victoire des Palestiniens à l'ONU en novembre était une “attaque terroriste stratégique”.

Néanmoins, elle s'est sentie obligée de présider à plusieurs concessions ; et sur un plus long terme, un accord pourrait être trouvé qui aille jusqu'à accorder l'idée d'un “État” palestinien d'une sorte ou d'une autre, tant que dure le capitalisme. Mais cet État serait sans doute démuni de toutes griffes sur le plan militaire ou économique, et ne pourrait jamais satisfaire la soif d'autodétermination des Palestiniens, ni contribuer à augmenter leur niveau de vie.

La classe dirigeante israélienne a tout fait pour s'assurer que les accords d'Oslo en 1993 n'étaient pas une étape vers une véritable indépendance de la Palestine. Tout au long de ce processus de “paix”, la construction des colonies juives s'est poursuivie. En 1990, juste avant que ce processus ne soit entamé, il y avait 78 600 colons juifs en Cisjordanie ; en 1997, à peine quatre ans après la signature de l'accord, ce nombre avait doublé pour atteindre 154 400. Parmi ses nombreuses restrictions et limitations, l'appendice du protocole de Paris de 1994 subordonnait l'économie palestinienne à Israël. L'AP devait selon cet accord utiliser la monnaie israélienne et acheter son eau, son électricité et son pétrole uniquement à Israël. La TVA en Palestine devait être fixée sur la TVA israélienne, et de nombreuses clauses limitaient le droit de l'AP au commerce international.

 
L'État israélien, prisonnier de sa propre logique ?

 

Il faut une lutte de masse


La section du CIO en Israël-Palestine (Maavak Sotzyalisti / Nidal Eshteraki) et partout dans le monde appelle les Palestiniens à construire une action de masse démocratiquement organisée. Cela est crucial pour faire progresser leur lutte et pour leur défense urgemment nécessaire contre les opérations brutales perpétrées par l'armée israélienne – par les armes si nécessaire –, et contre les attaques meurtrières organisées par certains colons juifs d'extrême-droite assoifés de sang.

Les Palestiniens se sont soulevés en masse lors de la première intifada qui avait début en 1987 et qui avait mené à la concession du processus de paix d'Oslo et à l'établissement de l'Autorité palestinienne en 1994. Lorsqu'il est devenu clair que ce processus non seulement n'avait pas apporté la moindre amélioration au sort des Palestiniens ni à un État, mais l'avait en réalité même fait empirer à de nombreux égards, une deuxième intifada a éclaté. Mais ce mouvement a fait l'erreur de s'écarter de l'action de masse pour lui préférer des actes individuels tels que des attaques-suicides et autres contre d'innocents civils israéliens. 

Ces opérations tiraient leur énergie du désespoir et n'étaient pas du tout coordonnées de manière démocratique, tout le pouvoir de décision reposant entre les mains de quelques petites organisations secrètes. Mais les attaques contre les civils israéliens sont en réalité contre-productives, parce qu'elles incitent fortement les juifs israéliens à se détourner de tout soutien à la cause palestinienne et au contraire à courir chercher refuge entre les bras de la propagande de leur gouvernement de droite. La nature arbitraire de ces attentats cause des pertes de vie absolument inutiles du côté des Israéliens – y compris des enfants et des Palestiniens vivant en Israël.

Des luttes de masse pourraient être organisées contre de nombreuses cibles, comme le mur de séparation, les barrages routiers, les confiscations de terrain, les démolitions de maisons et autres aspects repoussants de l'occupation. La classe dirigeante israélienne est en ce moment terrifiée par l'idée que les Palestiniens puissent s'unir en un mouvement déterminé et qui irait s'intensifiant, parce qu'elle ne pourrait pas se débarrasser d'un tel mouvement par des moyens militaires.

Les travailleurs et les pauvres en Tunisie et en Égypte ont démontré à quel point l'action de masse peut être efficace, même si les révolutions dans leurs pays n'ont pas encore été jusqu'au bout.

En même temps que mener la lutte contre l'occupation, les Palestiniens des territoires occupés sont confrontés à la tâche nécessaire de se débarrasser de leurs propres dirigeants politiques pro-capitalistes, qu'ils soient du Fatah, du Hamas, du Djihad islamique, etc. ; tous ces dirigeants bourgeois et petits-bourgeois sont en effet incapables d'apporter la moindre amélioration en ce qui concerne le niveau de vie ou la libération nationale. Il faut construire des comités de base qui s'organisent dans les quartiers, sur les entreprises, dans les écoles, etc. et qui se coordonnent pour la construction d'un nouveau parti de masse des travailleurs capable de remettre en question le capitalisme, et de le jeter à bas.

La première intifada, soulèvement de masse de la population palestinienne,
avait donné des résultats, là où le terrorisme et la guérilla avaient échoué

 

Un État ?


Tout en résistant obstinément à toute idée de développement d'un véritable État palestinien à côté d'Israël, l'idée d'un seul État, d'un “grand Israël” ou d'une “grande Palestine” qui regrouperait à la fois la population israélienne et l'ensemble des territoires palestiniens, dont les habitants recevraient les mêmes droits que les autres Israéliens, n'est pas perçu comme une option sérieuse par la plupart des stratèges israéliens. Dans un tel État en effet, les juifs israéliens seraient une minorité – au moins d'ici 2020 – dans l'État qu'ils auraient pourtant bâti comme étant le leur, en tant que havre et refuge pour les juifs à la suite de l'Holocauste.

Puisqu'en même temps, il est évident que l'occupation des territoires palestiniens ne pourra pas durer indéfiniment, l'ancien premier ministre Ariel Sharon avait décidé de mettre un terme à toute tentative de solution à un État en tentant une séparation unilatérale, justement à cause de la situation démographique – le taux de natalité plus élevé parmi la population palestinienne que parmi la population juive.

Ce dilemme donc pour les capitalistes israéliens – le conflit national et la tendance démographique – les a mené à utiliser la répression militaire et l'établissement de colonies et d'un programme d'infrastructures afin de progressivement parquer les Palestiniens dans quelques enclaves ravagées par la misère. D'autres “solutions” tout aussi révoltantes sont régulièrement discutées, surtout parmi les politiciens les plus droitiers, comme par exemple la sous-traitance de la répression des Gazaouis à une élite arabe, l'annexion de la Cisjordanie, ou le déguerpissement complet de tous les Palestiniens hors de Palestine-Israël.

Contrairement à leur classe dirigeante, les travailleurs juifs israéliens n'ont rien à gagner de ce conflit national, qui n'est pour eux qu'un apparemment éternel piège sanglant. Une majorité des Israéliens soutient l'idée d'un État palestinien à côté de l'État israélien, ne serait-ce que pour mettre un terme à l'insécurité constante à laquelle ils sont confrontés. Mais l'idée d'“un État” dans lequel ils deviendraient une minorité ethnique est pour eux absolument impossible à envisager. Ils craignent de se voir discriminés dans ce même pays où leurs parents et grands-parents sont arrivés dans l'espoir d'y trouver une patrie juive, pour lequel ils ont fait tellement de sacrifices. Ce serait aussi un retournement de situation par rapport à ce qui se passe actuellement, où ce sont les Palestiniens, en Israël et en-dehors d'Israël, qui subissent la discrimination. Un sondage réalisé en octobre 2012 a par exemple démontré que 69 % des Israéliens sont contre l'idée de, dans le cas où la Cisjordanie serait annexée par Israël, donner le droit de vote aux Palestiniens.

Des décennies de conflit et de propagande sioniste en Israël, en plus de la stratégie du cul-de-sac adoptée par les dirigeants palestiniens, ont créé d'immenses obstacles sur la route de la confiance mutuelle, qui ne pourront être pleinement écartés que lorsque sera mis à terme à l'interférence impérialiste et au capitalisme dans la région. Entretemps, les socialistes en Israël-Palestine et partout dans le monde, plutôt que de rejeter les craintes des travailleurs israéliens – et des travailleurs palestiniens – au sujet de la solution à “un État”, comme certains le font, doivent pointer du doigt les divisions de classe qui existent en Israël – les intérêts diamétralement opposés de la classe ouvrière et de la classe capitaliste. La classe ouvrière israélienne possède la force potentielle – via son rôle dans la production – de bloquer l'économie israélienne et de mettre à genoux le capitalisme israélien.

De nombreux marxistes se sont opposés à la création d'Israël dans ce qui était à l'époque la Palestine sous mandat britannique, sachant que cela aurait d'amères conséquences pour les Palestiniens et que cela ne serait qu'une fausse solution pour les juifs. Mais maintenant qu'Israël existe, et qu'une fervente conscience nationale israélienne a été établie, cette réalité ne peut être simplement balayée de la main. Un État israélien avec six millions d'habitants juifs et avec à sa disposition un des plus puissants appareils militaires au monde, doté entre autres d'armes nucléaires, ne peut être vaincu militairement par les Palestiniens ou par les forces armées des États arabes afin d'imposer une solution à un État ou la fin d'Israël.

20 % des citoyens israéliens sont d'ethnie palestinienne ou arabe.
En cas de solution à “un État”, les Israéliens ont peur
de se retrouver minoritaires dans leur propre pays.

Des pistes pour une solution


Bien qu'elle bénéficie en général d'un meilleur niveau de vie que les Palestiniens d'Israël (qui sont au nombre de 1,5 millions), la population juive israélienne connait elle aussi une pauvreté fort répandue et l'insécurité financière. Vague après vague d'attaques néolibérales se sont abattues sur la population, promulguées par les divers gouvernements israéliens qui ont coupé les services publics, détruit des emplois, supprimé des droits et toutes sortes d'allocations.

En conséquence de cela, on a vu beaucoup de mouvements de protestation et de grèves se développer parmi les travailleurs israéliens – juifs ou palestiniens – autour de thèmes sociaux ou économiques. Les conflits en entreprise incluent les luttes contre la privatisation, pour le paiement des arriérés salariaux, contre les salaires de misère. Certains mouvements ont aussi ciblé les attaques contre les droits démocratiques, comme par exemple une loi qui visait à empêcher les gens à appeler à des boycotts.

En 2011, un vaste mouvement de “ville de tentes” s'est développé pour protester contre le manque de logements et contre la hausse des loyers et des prix de l'immobilier, et de manière générale contre “l'injustice sociale”. Ce mouvement a vu se dérouler des manifestations d'une ampleur sans précédent pour Israël, faisant descendre dans les rues des centaines de milliers de personnes.

C'est uniquement par le développement de tels mouvements – armés d'un programme pour le changement et d'un appel à former un nouveau parti de masse des travailleurs israéliens – que la classe dirigeante israélienne verra son pouvoir remis en cause et pourra se voir contrainte de dégager, malgré toute sa brutalité (qui n'est soit dit en passant pas l'apanage des seuls capitalistes israéliens !).

Le mouvement Occupy Tel-Aviv en 2011,
quand les masses israéliennes ont défié leur gouvernement

 

Deux États ?


Tout comme il sera capable d'adopter un programme pour une société socialiste démocratique qui aura pour but de desservir les véritables intérêts des simples Israéliens, y compris de la minorité palestinienne en Israël, un nouveau parti des travailleurs de masse en Israël sera également capable d'exiger la fin de l'occupation et de l'exploitation des territoires palestiniens. Dans son programme, l'idée d'une solution à deux États serait bien plus acceptée par la majorité des travailleurs des deux camps nationaux que la solution à un État. Cela ne veut pas dire que beaucoup de gens sont extrêmement sceptiques quant à la possibilité de réaliser ce plan, vu les nombreuses tentatives malheureuses, voire destructrices, qui ont déjà été effectuées en ce sens par les politiciens capitalistes.

Bien que seule une petite minorité des juifs israéliens soient aujourd'hui actifs dans les campagnes pour un État palestinien, il y a réellement une remise en question et un malaise parmi la société israélienne quant à l'occupation des territoires palestiniens, et un très grand nombre des soldats et réservistes ne veulent pas y être envoyés. Mais au même moment, le gouvernement israélien diffuse une intense et constante propagande visant à justifier son étouffement des territoires palestiniens, au nom de la sécurité d'Israël. Le moindre tir de missiles en provenance de Gaza sert de prétexte pour intensifier la répression ou pour démontrer la nécessité du mur de séparation et des restrictions qui sont imposées aux déplacements et au commerce des Palestiniens, afin de sauvegarder les habitants d'Israël.

Mais ils sont très peu nombreux, les travailleurs juifs qui désirent vivre dans une situation de conflit permanent ; du coup, toute une série de développements pourraient les amener à se rapprocher de la cause palestinienne et à y contribuer directement, y compris leurs propres luttes contre les grands patrons israéliens, le fait de voir leurs luttes être soutenues par les travailleurs palestiniens et ailleurs dans le monde, l'inspiration puisée dans l'apparition de nouvelles luttes de masse des travailleurs palestiniens ou d'autres pays, ou la fin des meurtres arbitraires de civils israéliens par les Palestiniens.

 
Rabbins juifs à une manif pro-Palestine :
“Le sionisme est l'opposé du judaïsme”

 

Pour le socialisme


L'adoption d'un programme socialiste des deux côtés de la division nationale pourrait jeter les bases d'une nouvelle ouverture de véritables négociations, qui seraient menées par des représentants élus démocratiquement par les travailleurs palestiniens et israéliens, afin de résoudre l'ensemble des problèmes qui sous le capitalisme n'ont jamais pu trouver une solution.

Les sociétés socialistes ne peuvent être construites sur base de l'oppression d'une autre nationalité ; il est important pour elles de défendre l'égalité des droits et l'auto-détermination. La tâche de décider des modalités exactes de l'accord – les frontières, l'accès à l'eau et autres ressources, la partition de Jérusalem, la gestion du retour des réfugiés, les garanties de protection des droits des minorités, et autres enjeux importants – reviendra aux travailleurs et aux pauvres dans la sous-région.

Les “faits” qui sont imposés par les diverses classes capitalistes peuvent être changés sur base de débats et de consensus démocratiques, et de droits garantis. Contrairement aux immenses obstacles qui sont placés sur la route de la paix par le capitalisme, il sera possible sous le socialisme d'arriver à un accord parce chacun pourra recevoir un logement décent et un niveau de vie rehaussé du fait que les forces productives y seront libérées par la collectivisation et par la planification de l'économie, mettant par la même occasion un terme au chômage.

La proposition de deux États – une Palestine socialiste et un Israël socialiste – est la voie vers le socialisme qui reçoit aujourd'hui le plus d'attentions favorables, étant donné la situation actuelle. À n'importe quel moment sur cette route ou après, sur base d'une hausse de la confiance réciproque et en la possibilité de bénéfices mutuels, il pourrait être décidé de voter démocratiquement pour continuer la vie dans un seul État, en tant que partie prenante d'une confédération socialiste du Moyen-Orient.

Quoiqu'il en soit, grâce au socialisme, le Moyen-Orient pourrait se trouver sur les rails d'une transformation radicale qui le feraient passer d'une des sous-régions avec les plus graves et les plus complexes questions nationales au monde, à une dans laquelle les différentes nationalités vivent en harmonie les unes avec les autres, enrichissant leur vie sur les plans économique, social et culturel.

Pour une lutte unie des Palestiniens et des juifs contre le capitalisme
– seule solution pour sortir du conflit

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