Une conséquence de la « guerre contre les drogues » menée par les États-Unis
Lorsqu'on parle
aujourd'hui de manifestations étudiantes, on pense avant tout au
mouvement à Hong Kong, qui a récemment accaparé toute
l'attention médiatique. On parle moins de ce qui est en train de se
passer en ce moment au Mexique, à la suite de la « disparition »
de 43 étudiants dans l'État de Guerrero. Pourtant, il s'agit d'un mouvement d'ampleur national qui est en train de se développer à l'échelle de tout le pays, et qui mérite d'être bien suivi par les révolutionnaires du monde entier.
Article par notre camarade Tim Heffernan, Socialist Alternative (section canadienne du CIO), Toronto
Au départ, c'est une
histoire sordide de trafiquants de drogue, de politiciens corrompus et
de policiers ripoux, tous impliqués dans l'attaque d'un groupe de
jeunes militants qui fréquentaient les « normales rurales »
– des centres de formation d'enseignants en brousse. Si les
détails de ces évènements sont toujours très flous, il semblerait
que la nuit du 26 septembre, une bagarre s'est produite
entre des étudiants et la police locale dans la petite ville
d'Iguala, dans le Guerrero.
Les étudiants « normalistas »
s'étaient rendus à Iguala pour y « réquisitionner »
des bus – avec l'autorisation des chauffeurs, disent les
étudiants – afin de se rendre à Mexico pour la commémoration
du (second) massacre de Tlatelolco de 1968 (lorsque
300 manifestants étudiants ont été abattus dix jours
avant les Jeux olympiques de Mexico). La pratique de
« réquisition » de transport est relativement courante
de la part des normalistas.
Voici le récit qu'a
fait un journaliste des horribles évènements du 26 septembre :
« Le manque de
fonds pour leur internat rend ce genre de « réquisition »
et d'autres actions de ce genre (comme la « réquisition »
de camions transportant du lait et autres produits alimentaires)
souvent nécessaires pour les étudiants. Une fois que les étudiants
ont fini leur virée et rentrent à l'école, ils rendent normalement
les bus ou camions à leur propriétaire. Mais cette fois, la police
a bloqué les bus et ouvert le feu, tuant six personnes sur le
coup (dont trois étudiants et trois passants qui n'avaient
rien à voir dans l'affaire), tandis que 43 autres étudiants
ont tout simplement… disparu.
La dernière fois que ces étudiants
ont été vus, ils étaient en train de monter de force dans les
fourgons de la police. On ne les a jamais revus depuis. Quelques
jours plus tard, lors de fouilles, plusieurs fosses communes ont été
découvertes dans les environs. Toujours aucune trace des étudiants,
mais cela a permis de retrouver les restes de nombreuses personnes
également disparues auparavant, qui ont visiblement été torturées
et brulées vives (sans doute par des traficants de drogue) »
(Leonidas Oikonomakis sur le site roarmag.org)
Depuis lors, le
dirigeant du principal gang de narco-traficants de la région a été
arrêté, ainsi que 36 policiers. Le conseil régional de l'État
de Guerrero a destitué le maire de la ville d'Iguala, qui est
également recherché ainsi que le chef de sa police locale dans le
cadre d'une affaire de crime organisé. Le maire et sa femme ont pris
la fuite.
Manifestation monstre à Mexico |
Les plus grandes mobilisations étudiantes depuis des dizaines d'années
Cette affaire de
« disparitions » a déclenché la colère de la
population du Guerrero et de tout le Mexique, surtout parmi les
étudiants des universités. On a vu mercredi 22 octobre la
plus grande marche étudiante du Mexique depuis au moins vingt ans,
estimée à 100 000 manifestants – un chiffre
d'autant plus impressionnant que la marche a été organisée un jour
en semaine. Beaucoup de gens font référence au mouvement de 1968.
Un journal rapportait : « Il y avait des torches, des
bougies, des trompettes, mais surtout, un silence retentissant,
tandis que des dizaines de milliers de jeunes gens venus en
délégation de toute la ville de Mexico défilaient tels un fleuve
humain pendant plus de quatre heures, de l'Ange de
l'Indépendance sur l'avenue de la Réforme jusqu'au Zócalo, avec un
seul cri : « Ils les ont pris vivants, qu'ils nous les
rendent vivants ! » (www.proceso.com.mx)
Les manifestants
réclamaient la démission du chef de l'État, Peña Nieto, et
dénonçaient les trois principaux partis politiques (PRI, PAN
et PRD) pour leur camaraderie avec le « narcopoder » (le
pouvoir de la drogue). Les manifestations se sont répandues à
travers tout le Mexique pour former un des plus grands mouvements
qu'ait connu la nation ces dernières années, mobilisant des
milliers d'étudiants des universités et de lycéens, tout en
recevant également le soutien des syndicats, des milices de gauche et d'une grande partie de la population de manière générale.
Le
gouvernement de Peña Nieto est fortement critiqué de son
incapacité à retrouver ces étudiants même quatre semaines
après les évènements. La population mexicaine subit depuis des
années les conséquences de la « guerre contre les drogues »
menée par les États-Unis, qui a fait au moins 70 000 morts
et des milliers de disparus. Mais c'est cette dernière horreur, où
l'on voit la police corrompue s'associer aux trafiquants meurtriers
pour assassiner des adolescents, qui a à présent mis le feu à tout
le pays.
Sur
la chaine NBC, on voyait un père déclarer à la foule massée à
Mexico : « Il est incroyable que ce gouvernement qui ne
cesse de vanter l'état avancé de sa technologie se retrouve
maintenant inapte à utiliser cette technologie pour retrouver un
groupe de 43 étudiants. Il n'a qu'à retrouver nos enfants, ou
subir les conséquences ».
Toujours
selon la NBC, « des étudiants bloquaient jeudi les principaux
axes de la capitale, empêchant le trafic de circuler. Si les
manifestations dans la capitale sont jusqu'ici restées pacifiques,
on ne peut en dire autant de la situation dans le Guerrero, où les
manifestants ont dévasté et brulé plusieurs bâtiments, y compris
la mairie de la ville d'Iguala, et occupent plusieurs mairies et
stations radio. Deux groupes miliciens anti-trafiquants soutiennent le
mouvement, tandis qu'un groupe local de guerrilleros de gauche a juré
venger les étudiants disparus.
En
plus de critiquer le président Peña Nieto et son Parti
révolutionnaire institutionnel (PRI), les manifestants sont furieux
vis-à-vis du PRD (Parti de la révolution démocratique) qui dirige
l'État de Guerrero et la ville d'Iguala. Les manifestants, ainsi que
de nombreux sénateurs et députés, ont appelé à la démission du
gouverneur du Guerrero, Angel Aguirre, qui a finalement décidé
de jeter l'éponge mardi soir.
Les
marches coïncident avec d'autres mouvements de contestation
étudiante, ce qui renforce la pression sur le président. Les
étudiants des collèges techniques de Mexico occupent leurs campus
en guise de protestation contre la modification de leur cursus, par
laquelle ils ne recevraient plus qu'un diplôme de technicien au lieu
d'ingénieur. Ils considèrent cette réforme comme une tactique pour
les payer moins une fois qu'ils auront obtenu leur diplôme, ce que
le président voudrait utiliser pour attirer plus d'entreprises
étrangères au Mexique. Pendant ce temps, les étudiants de l'État
de Guanajuato marchaient mardi après qu'un de leurs camarades ait
été assassiné – enlevé par la police selon plusieurs
témoins, bien que le procureur d'État démente cette affirmation.
« Cela
fait longtemps que les Mexicains accumulent la colère par rapport à
toute une série d'enjeux », disait Ricardo Rivas, un
instituteur présent à la marche à Mexico. « Une fois que
cette colère va exploser, c'est tout le pays qui va partir. Ce
mouvement pourrait bien devenir encore plus grand. »
(www.nbcnews.com)
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