De
nombreuses questions restent posées
Bientôt
un mois depuis que Blaise Compaoré est tombé au Burkina,
chassé par une révolte populaire sans précédent dans l'histoire
de ce pays. Ce mouvement a mis un terme à 27 ans de dictature
sanguinaire et fait perdre à l'impérialisme un de ses plus surs
soutiens dans la sous-région. Avec la mise en place d'un
gouvernement de transition à charge d'organiser les élections d'ici
un an, on a vu les différentes forces se positionner et
beaucoup de choses se clarifier.
Cependant,
beaucoup de points d'interrogation demeurent, et notamment la
question de quelle alternative construire aujourd'hui, dans le
Burkina d'après-Blaise. Il convient également d'attirer l'attention
sur certains dangers qui risquent de se poser pour le mouvement
populaire, et de discuter de l'orientation et des formes
d'organisation à adopter pour continuer la lutte, en plus de la
question de ce que signifierait une « prise du pouvoir »
pour les révolutionnaires que nous sommes.
Dossier par Jules Konan (CIO-CI), en partenariat avec nos reporters au Burkina Faso
Dans
cet article, nous allons beaucoup nous servir des déclarations des
dirigeants du Balai citoyen après la victoire de la première
phase de la révolution burkinabée. Ces déclarations serviront de
base à la discussion et à l'argumentation développées dans cet
article, afin de mettre en avant les points que nous jugeons
positifs, et de critiquer les points que nous jugeons négatifs.
Cela, afin de contribuer à la discussion quant au progrès de la
révolution burkinabée. Que les partisans du Balai ne se formalisent
donc pas de ces « critiques » : nous sommes tout
autant qu'eux convaincus que le Balai citoyen est une des
meilleures organisations de lutte qui existent en ce moment au
Burkina Faso, et nous
avons beaucoup d'estime pour ses dirigeants. Ce texte vise à servir
d'ouverture au débat que nous aimerions mener avec les militants des
diverses forces de l'opposition burkinabée, pas seulement avec le
Balai d'ailleurs.
Petit
bilan un mois après la chute de Blaise
Après
la chute de Blaise, l'armée qui avait assumé brièvement le pouvoir
à la demande populaire, a rapidement organisé un comité à charge
d'élire un président de la transition. Les membres de ce comité
étaient issus des partis, des syndicats, de la société civile, des
chefferies traditionnelles, etc. Les critères de sélection
incluaient des termes tels que « être de bonne moralité »,
« être reconnu professionnellement », « ne pas
avoir soutenu publiquement le projet de modification de
l'article 37 », « ne pas être candidat pour la
présidence d'après-transition », etc. Le choix s'est
naturellement porté sur Kafando – un diplomate de haut vol,
diplômé de plusieurs grandes écoles et universités européennes,
ambassadeur du Burkina auprès de l'ONU depuis 16 ans, très
bien introduit donc auprès de la “communauté internationale”.
Une personne qui a toujours été dévoué au régime “blaisiste”,
anti-sankariste et anti-communiste notoire. Bref, un candidat
bourgeois pour reprendre les rênes de l'État bourgeois et rassurer
l'impérialisme. Nul doute qu'une belle promotion lui sera réservée
par les patrons à la fin de sa mission.
En
même temps, la même soi-disant “communauté internationale” a
une fois de plus affiché son hypocrisie. Comme le disait Sams'K
Le Jah du Balai citoyen dans son interview parue
le 12 novembre sur le site lefaso.net, celle-ci n'a pas
levé le petit doigt pendant toutes ces années où Blaise s'amusait
à chipoter la Constitution ; la seule “intervention” a été
l'appel du pied discret de François Hollande qui promettait à
Blaise un parachute doré dans l'une ou l'autre institution
internationale au cas où il laisserait tomber ; et voilà que
tout à coup, la même “communauté internationale” débarque sur
tous les fronts pour s'écrier qu'il est inadmissible qu'un militaire
(même plébiscité par le peuple) puisse diriger le pays, qu'il faut
absolument un « pouvoir civil ». On est où là ?
Enfin, il y a une petite amélioration par rapport à la Tunisie,
lorsque Sarkozy proposait à Ben Ali son soutien militaire pour
mater la révolution qui s'annonçait !
Ensuite,
on a vu les soi-disant (ex-)“opposants” politiques et de la
société civile s'engager dans un véritable cirque, d'abord le
lendemain de la prise du pouvoir par l'armée en cherchant à
s'imposer à la RTB avant de laisser tomber ; puis le
lundi 17 novembre en s'entre-déchirant en public comme des
charognards pour savoir à qui reviendraient les divers postes de
l'administration depuis qu'un grand coup de balai a été donné au
sein de la machine d'État. Tous ces gens qui n'avaient aucunement
participé au mouvement, dont les discours timorés n'ont jamais osé
formellement appeler Blaise à dégager, préférant se plaindre de
“déficiences démocratiques” ou que sais-je, qui n'ont jamais
représenté quoi que ce soit d'autre qu'eux-mêmes, se jettent
maintenant sur la mangeoire étatique enfin libérée. Le lion parti,
les hyènes sont à la fête !
Pendant
ce temps, l'armée s'accroche au pouvoir en la personne du
lieutenant-colonel Zida qui s'impose en tant que Premier ministre,
malgré les protestations des “amis de la démocratie”. Le
gouvernement de transition compte d'ailleurs plusieurs militaires,
même si ceux-ci ont depuis décidé de s'habiller en “civil”.
Beaucoup de ces militaires sont eux aussi d'anciens soutiens de
Blaise. On n'a d'ailleurs évité que de justesse la nomination de
Sagnon au gouvernement !
Alors,
si l'on parle de lutte contre la corruption et de nettoyage de
l'administration, il ne fait aucun doute que les “réformes”
dores et déjà annoncées dans l'économie viseront à renforcer la
politique néolibérale menée par l'ancien chef. Et que tout cela ne
présage rien de bon pour la “continuité de l'État”. Restons
vigilants !
Un
retour à la « normalité » pour une « vraie
émergence » ?
Dans
une interview parue le 13 novembre sur le site
burkina24.com, Smockey
déclarait ceci : « Je
rêve d’un pays qui retrouve la normalité après 27 ans de
dictature et de règne sans partage, que le pays puisse enfin avoir
des institutions qui fonctionnent normalement et que le citoyen
lambda puisse enfin rêver d’un possible développement et d’une
vraie émergence, au contraire de ce qu’on nous a vendu pendant des
années alors que la triste réalité était la pauvreté d’un
grand nombre. »
Nous
apprécions ce rêve de Smockey et je pense que tous seront d'accord
avec l'idée d'une « vraie émergence ». Cependant, il
faut bien se rendre compte que dans les conditions du Burkina Faso
actuel, ce rêve restera un rêve. D'ailleurs, les rêves sont
parfois trompeurs !
Lorsque
Smockey parle de « retrouver la normalité après 27 ans
de dictature », de quelle « normalité »
parle-t-il ? De celle qui était en vigueur avant ces 27 ans
de dictature ? Ou bien parle-t-on des quatre courtes années
de régime révolutionnaire sankariste ? – difficile de
présenter cela comme la « normalité ». Est-ce alors que
l'on parle des 24 années de régime militaire et d'instabilité
politique qui ont précédé ? En fait, c'est malheureux à
dire, mais c'est pourtant bien ça qui est la « normalité »
pour un pays capitaliste néocolonial et sous-développé comme le
Burkina Faso / Haute-Volta.
D'ailleurs,
même le modèle démocratique qui nous est régulièrement présenté
comme étant la « normalité » pour les pays capitalistes
avancés (France, États-Unis, etc.) est lui aussi remis en cause
aujourd'hui depuis des années et en particulier avec l'arrivée de
la “Grande Récession” qui ravage l'économie mondiale
depuis 2007. Aujourd'hui aux États-Unis comme en France, on tue
des manifestants, on arrête des syndicalistes, on voit une
recrudescence des régionalismes, du racisme, de l'ethnicisme, la vie
politique est confisquée par une poignée de partis politiques
déconnectés du peuple et des masses, les scandales de corruption se
multiplient, et les ressources de l'État sont dilapidées au profit
des grandes banques et des grandes entreprises, tandis que la
population est appelée à « patienter » et à se serrer
la ceinture. Dans le monde actuel, c'est bien malheureux, mais la
« normalité » tend justement de plus en plus à être la
mise en place de régimes dictatoriaux autoritaires comme on le voit
en Russie, en Chine… ou en Côte d'Ivoire.
Il
est temps aujourd'hui (surtout en Afrique) que l'on se rende enfin
compte que la « normalité » démocratique tant vantée,
avec l'alternance des pouvoirs, la limitation des mandats, la liberté
de parole, etc. n'était en réalité que le fruit de la situation
« anormale » qu'a connue l'Occident dans les années '60
et '70, sur base d'une croissance économique jamais vue dans
l'histoire, de l'existence d'organisations très puissantes de la
classe des travailleurs (syndicats et partis socialistes – au
moment où ceux-ci représentaient encore quelque chose), et dans le
contexte de la Guerre froide où l'URSS, malgré tous ses
défauts et ses limitations qui l'ont finalement menée à sa perte,
offrait un modèle alternatif d'une société dépourvue des fléaux
capitalistes tels que le chômage ou le manque de logements,
phénomènes devenus si banals dans nos sociétés capitalistes que
plus personne ne se pose la question de leur provenance.
C'est
cette situation anormale en régime capitaliste qui a forcé les
patrons de l'Europe et de l'Amérique à faire des concessions
majeures à leurs populations en termes de libertés et de niveau de
vie – autant d'« acquis » qui non seulement ne
sont pas venus d'eux-mêmes, mais au prix de dures luttes (au sortir
de la Seconde Guerre mondiale mais encore après en Belgique
en 1960, en France en 1968…), et que la classe dirigeante
occidentale veut maintenant récupérer en mettant ses propres pays à
feu et à sang.
Bref,
le capitalisme aujourd'hui n'a aucun intérêt à voir triompher la
démocratie. A-t-on vu les États-Unis accorder le moindre soutien
aux manifestants de Hong Kong ? Si l'impérialisme
occidental a tellement insisté sur le fait qu'il voulait voir un
“civil” à la tête du Faso, c'est parce qu'il veut être sûr
d'y voir un de ses agents, financé par lui, contrôlable, et
permutable à tout moment, plutôt qu'un militaire qui serait par
nature beaucoup plus difficilement déboulonnable au cas où celui-ci
déciderait de prêter une oreille trop attentive à la voix
populaire.
Leur
premier réflexe sera de mettre en place des institutions devant
servir à racheter et contrôler les dirigeants de l'opposition et
des divers organes de la société civile, tout en assurant la
présence d'une machine de répression forte capable de couper court
à toute velléité d'émancipation populaire qui sorte “du cadre
des négociations”, assorti de médias qui ne manqueront pas de
critiquer ces “impatients” ou “égoïstes”, “trop
gourmands”, “irresponsables” qui, en “réclamant trop”,
risqueraient de dissuader les “partenaires étrangers”
d'“investir” dans le pays.
L'émergence
que le capitalisme nous prépare au Burkina, comme en Côte d'Ivoire,
c'est une “émergence” à l'indienne ou à la chinoise, une
émergence de la bourgeoisie locale en partenariat “gagnant-gagnant”
avec l'impérialisme, sur le dos de la population réduite à la
misère et à un état proche de l'esclavage, une émergence des
inégalités extrêmes propres au capitalisme à son stade de
putréfaction actuelle.
Heureusement
donc que les cibals et leurs alliés préviennent déjà que « la
lutte continue » et qu'ils désirent renforcer et structurer
les divers mouvements afin d'assurer la mise en place d'une « veille
citoyenne ».
L'armée
Un
grand débat s'est engagé autour de la pertinence de l'appel qui
aurait été fait par le Balai citoyen et le CAR (Comité
anti-référendum) à prendre le pouvoir. Smockey et Sams'K Le Jah
se sont déjà longuement expliqués à ce sujet. D'après ce qu'il
ressort de leurs interviews, leur principal souci au moment des
journées du 30 et du 31 octobre était de voir Blaise
quitter le pouvoir en évitant un bain de sang qui aurait
inévitablement entrainé la mort de nombreux militants de qualité.
Ils avaient remarqué que les soldats semblaient sympathiser avec le
mouvement de contestation et hésitaient à ouvrir le feu, et ont
d'ailleurs très correctement appelé les soldats à rejoindre le
mouvement, tout en expliquant aux manifestants que leur ennemi
n'était pas le gendarme devant eux dans la rue, mais le politicien
terroriste retranché à Kossyam ; qu'il fallait donc éviter
toute provocation qui aurait pu faire tourner le mouvement au
désastre.
Comme
une division semblait s'être installée parmi l'état-major
militaire quant à la route à suivre, vu les hésitations et ordres
contradictoires donnés au cours de ces journées, la foule a
commencé à appeler les généraux à se rebeller contre leur
maitre. Les dirigeants de l'opposition du Balai citoyen et du
CAR ont négocié avec certains membres de l'état-major pour les
appeler à éviter le massacre, et c'est les militaires entre eux qui
ont ensuite choisi Zida pour les représenter et assurer la vacance
du pouvoir. Ensuite, la raison pour laquelle les dirigeants du Balai
se sont tenus place de la Révolution devant la foule aux côtés des
militaires, était parce que ces militaires craignaient d'être
lynchés par le peuple en colère, alors que leur comparution était
nécessaire pour lire la lettre de démission de Blaise.
Mais
comme le dit Sams'K Le Jah : « Notre discours au
Balai, c’est de dire que plus jamais l’armée au pouvoir après
Blaise ; mais là, c’est circonstanciel. […] Si à la fin
des discussions, on se rend compte que les militaires qu’on a
appelés ne veulent pas nous écouter, en ce moment on peut commencer
à fronder. […] De toutes les façons, il est clair que la
révolution n’a pas été faite par l’armée. C’est le peuple
qui a pris le pouvoir, et l’armée a aidé le peuple à abréger sa
souffrance, à abréger le temps que cela allait prendre. En tout
cas, le peuple était décidé à faire partir Blaise Compaoré.
Et l’armée dans sa prise de position, a aidé à réduire le
nombre de morts. Il aurait pu y avoir des centaines de morts, si
l’armée était restée toujours du côté de Blaise. Il faut
saluer cet esprit de l’armée qui a choisi d’être avec le
peuple. Les militaires qui gèrent ces quelques jours de transition
savent très bien que le même peuple est là. Le même peuple va
redescendre dans la rue, si jamais il y a une tentative de
confiscation du pouvoir. »
On
peut donc très bien comprendre le souci : vu le fait que la
population du Faso n'était pas organisée avec ses propres organes
de pouvoir populaire qui auraient pu assurer le bon fonctionnement de
la société indépendamment de l'État bourgeois ; vu que la
classe ouvrière burkinabée est très faible, malgré la
mobilisation exemplaire des syndicats de la fonction publique et des
enseignants le 29 octobre ; vu l'absence d'un dirigeant des
partis d'opposition qui fasse consensus au niveau de la population
(et pour cause !) ; vu le fait que les simples soldats
n'étaient pas organisés en comités de base ou n'avaient pas été
préparés à ce faire au préalable ; vu enfin le fait que
toutes les énergies étaient concentrées autour de la question du
pouvoir de Blaise, et le souci de voir cette tâche “faite” le
plus rapidement possible et au moindre cout en vies humaines, l'appel
à une prise de pouvoir par l'armée peut se justifier, à certaines
conditions.
La
première de ces conditions est de bien se rendre compte qu'il existe
un risque de confiscation du pouvoir par l'armée, surtout en
l'absence d'une alternative “civile” qui fasse consensus, et que
donc le mouvement populaire ne doit pas désarmer mais rester
vigilant pour assurer le respect par l'armée de ses engagements. La
seconde est la garantie qu'après le départ de Blaise, quel que soit
le pouvoir mis en place, de larges libertés démocratiques soient
conférées à toutes les organisations de la société civile afin
de pouvoir mieux se structurer, s'étendre et s'organiser pour jouer
correctement leur rôle de contre-pouvoir. La troisième est qu'il ne
faut pas semer la moindre illusion parmi les masses dans le fait que
les militaires pourraient être capables de gérer le pays d'une
manière qui satisfasse la population et qui soit supérieure à la
gestion par les “civils”.
Il
convient de nuancer cette dernière affirmation. Effectivement, nous
pensons que dans le contexte actuel, vu les fauves qui s'apprêtent à
se hisser au pouvoir dès qu'on leur en donnera l'occasion, et qui
ont été préparés depuis des années à cette fin par
l'impérialisme (nous parlons de Zeph et de ses petits camarades),
dont la carrière et l'avenir dépendent entièrement et uniquement
de la bonne volonté de l'impérialisme, l'armée peut effectivement
représenter un “moindre mal”. Comme nous l'avons dit plus haut,
les militaires représentent un pouvoir structuré, tirant ses
ressources directement du revenu de l'État, et dont le sort n'est
qu'indirectement lié aux décisions prises par la bourgeoisie et en
particulier par la bourgeoisie étrangère (impérialiste).
Le
pouvoir militaire pourrait donc constituer un régime “débonnaire”,
“à l'écoute du peuple”, qui serait capale de dire « non »
lorsqu'il le faut face aux revendications les plus extrêmes de la
part de l'impérialisme et notamment de s'opposer à la politique
d'austérité néolibérale imposée depuis des décennies au Faso
par les institutions telles que le FMI et la Banque mondiale.
C'est ce que nous appelons un “régime bonapartiste”.
Cependant,
il faut se rendre compte que cela ne serait qu'un “moindre mal”,
mais pas un “bien”. L'armée reste attachée à un État qui est
un État bourgeois, elle est elle-même dirigée par des gens qui
font partie des élites bourgeoises du pays, et dont l'intérêt
passe par la préservation du capitalisme. C'est-à-dire que les
militaires au pouvoir se verraient de toutes façons contraints de
céder du terrain face à l'impérialisme, de brader les ressources
nationales, de maintenir les salaires à la baisse, et de restreindre
les libertés d'organisation et de parole, tout en restant “à
l'écoute” du peuple. Et cela, d'autant plus dans le contexte
actuel de crise économique mondiale, où les marges sont extrêmement
réduites en ce qui concerne le partage de quelques “miettes” du
gâteau à la population (le gâteau s'étant lui-même réduit à la
taille de miette).
C'est
pourquoi, nous regrettons quelque peu les paroles de Sams'K Le Jah,
dans la même interview du 12 novembre : « Il faut
avoir confiance, même s’il est vrai qu’il y a des gens qui ne
respectent pas leurs paroles. Il faut aussi savoir qu’il y a des
gens qui respectent leurs paroles. Moi, je ne suis pas dans une
logique de condamner quelqu’un avant qu’il ait posé un acte
condamnable. Soyons patients, encourageons-les, il faut que le peuple
leur donne un peu plus de confiance ; et ils doivent savoir que
si le peuple leur fait confiance, ils ont intérêt à davantage
mériter cette confiance. »
Or,
il faut bien se rendre compte que dans le cadre du capitalisme,
quelle que soit l'honneur et le sens de la parole donnée d'un
dirigeant, ce dirigeant se verra contraint de briser cette parole,
parce que ce système est tout simplement ingérable, et qu'il
contraint forcément les dirigeants, si pas à la corruption et au
mensonge, du moins à prendre des “décisions difficiles” qui
vont à l'encontre du bien-être du peuple, au nom de “l'intérêt
national”, qui est en fait celui d'un État qui reste soumis à la
botte de l'impérialisme et du système financier international.
Nous
sommes donc pour le transfert du pouvoir à des civils, mais dans le
cadre de la mise en place d'un pouvoir populaire qui sorte du cadre
du système capitaliste. En attendant, il ne faut pas accorder la
moindre confiance dans les leaders de la soi-disant “opposition”
bourgeoise (civile) qui ont déjà à maintes reprises révélé leur
vrai visage et dont le CV au service de l'impérialisme est bien
connu.
L'armée s'est jusqu'ici comportée de manière “exemplaire” – mais ça peut changer |
Les
limites de la « veille citoyenne »
Smockey
disait ceci le 14 novembre : « Je suis convaincu que
si nous avions voulu du pouvoir, nous l’aurions eu. Si le Balai
citoyen avait voulu du pouvoir, il l’aurait eu. Parce que nous
étions presque les seuls sur le terrain. Nous avions discuté du
pouvoir avec l’armée […] C’est dire qu’en ce moment-là, si
le Balai citoyen avait eu envie d’occuper une place politique, nous
l’aurions eue et nous le pouvons encore. Mais nous disons dans
notre charte que les ambitions politiques sont proscrites.
Contrairement à ce que certains veulent faire croire, nous voulions
maintenir notre rôle de veille citoyenne, de sentinelle. »
Nous
pensons que Smockey a raison et en même temps n'a pas tout à fait
raison.
Le
fait que le Balai citoyen se refuse à toute ambition politique
peut poser problème car si le Balai refuse de prendre le pouvoir
cela signifie qu'il laisse le pouvoir à d'autres, dont nous
connaissons déjà la “valeur”. Il a d'ailleurs bien raison de ne
pas leur faire confiance et d'appeler à maintenir la « veille
citoyenne ».
Mais
nous sommes déjà en mesure de garantir que quelle que soit la
personne qui prendra le pouvoir en se hissant à la tête de l'État
bourgeois néocolonial burkinabé, le Balai aura du travail ! Vu
que cet État n'est rien d'autre qu'un panier de crabes et que la
personne qui le gèrera sera en même temps appelé à gérer les
intérêts de l'impérialisme dans le pays et dans la sous-région
(le Faso demeurant le “hangar” de la Françafrique en
Afrique de l'Ouest). C'est d'ailleurs pourquoi le
Balai citoyen a bien raison de ne pas vouloir “prendre le
pouvoir” en prenant le contrôle de cet État – cet État et
ce système sont irrémédiablement pourris ; par conséquent,
tout dirigeant du Balai, même animé des meilleures intentions, qui
se retrouverait à la tête de cette machine, se verrait
instantanément obligé de prendre des décisions allant à
l'encontre de la volonté et du bien-être du peuple. Le Balai reste
donc fidèle à ses engagements en refusant d'y participer.
Mais
du coup, il devient clair que nous nous dirigeons vers une situation
dans laquelle un gouvernement de faux opposants pro-capitalistes
parviendront à la tête de l'État, prendront des mesures
impopulaires, seront “balayés” par le Balai lorsque le peuple en
aura eu marre, qui reprendra ensuite son rôle de « veille
citoyenne » pendant qu'un nouveau serviteur de l'impérialisme
prendra les rênes de l'État, prendra des mesures impopulaires,
avant de se faire “balayer” à son tour… et ainsi de suite.
Bref :
on ne sortira de ce petit jeu de balayage et re-balayage perpétuel
que de deux façons : soit par la neutralisation totale du
Balai, qui se fera par l'interdiction de ses réunions par la police
et l'armée, voire par la corruption ou l'assassinat de ses
dirigeants et de ses militants, ou encore par son intégration à
l'appareil d'État en tant qu'institution, organe secondaire de
pseudo-concertation populaire – tout comme la plupart des
syndicats ont été intégrés à l'appareil d'État en Europe et en
Amérique ; soit par la prise du pouvoir par une coalition
révolutionnaire qui se dirigera résolument vers la sortie du
système capitaliste.
Le
système “rêvé” par Smockey, dans lequel serait maintenue une
veille citoyenne qui constituerait un contre-pouvoir populaire ayant
un droit de regard sur les dirigeants de Kossyam, serait donc
profondément instable, voire utopique. Il ne s'agit pas de la lutte
pour la “démocratie ” ni pour la “normalité” au
Burkina, mais d'une lutte à mort entre deux camps : celui
de la révolution et celui de la réaction, qui ne peut se solder que
par la victoire finale et décisive de l'un ou de l'autre.
Qu'entendons-nous
par “prise du pouvoir” ?
Quand
nous parlons de prise du pouvoir, nous ne parlons évidemment pas de
nous mettre à la tête de l'État bourgeois pour gérer le système
capitaliste à la place des capitalistes. Mais il nous faut créer
nos propres organes de pouvoir, notre propre État, un État des
masses populaires, des travailleurs et des pauvres, qui doit selon
nous se baser sur des comités populaires ancrés dans les quartiers,
dans les entreprises, dans les villages, auxquels toute la population
pourra participer. Ce sont ces comités qui auront à charge de faire
tourner l'économie, de mobiliser la jeunesse pour entreprendre les
grands travaux nécessaires au développement du pays, qui auront à
charge également d'assurer la défense et la justice, via des
milices populaires et des tribunaux populaires soumis au contrôle
démocratique de ces comités.
Lorsque
Hervé Kam parle d'institutions fortes « pour que plus
jamais on n’ait des “hommes forts au Burkina” », c'est à
ce genre d'institutions que nous pensons. Afin d'assurer qu'aucun
« homme fort » ne s'imposera plus jamais au peuple, il
faut que tout dirigeant(e), quel que soit sa fonction, soit soumis à
l'élection (y compris les chefs de la police, des milices et des
tribunaux populaires, et les dirigeants des entreprises et services
publics), élection devant être renouvelée régulièrement (au
moins tous les un-deux ans), soit révocable à tout moment par
les instances l'ayant élu(e), et ne puisse bénéficier d'aucun
privilège pour cette responsabilité, afin d'assurer que les élus
du peuple visent la responsabilité pour la responsabilité, et non
pour le salaire et la voiture qui vont avec. Les élus du peuple
devraient donc se contenter d'un salaire modeste, de l'ordre de
100-200 000 francs, afin de conserver leur ancrage
populaire. Ces différents comités devraient être reliés entre eux
en envoyant des délégués au niveau régional puis national.
D'autre
part, nous ne pouvons envisager un développement du pays et un tel
pouvoir populaire tant que la base économique dépend du bon vouloir
d'institutions et d'investisseurs privés (et bien souvent
étrangers), dont il faudrait attendre la “bonté” afin de “créer
des emplois”. Le pouvoir populaire devra s'assurer le contrôle
total de l'économie et du développement, à l'image de ce que nous
avons vu lors de la révolution sankariste. Nationalisation des
secteurs-clés de l'économie, des ressources naturelles et des
services publics (mines d'or, grands projets d'agriculture,
distribution d'eau, d'électricité, d'essence et de gaz, transports,
etc.), sous contrôle et gestion par les comités populaires, pour
assurer la mobilisation de notre force de travail et développer le
pays par nous-mêmes !
C'est
ainsi que l'on pourra arriver à une nouvelle société gérée par
et pour le peuple, une société que nous appelons « socialiste ».
C'est la cause pour laquelle se bat le CIO au Burkina Faso, en
Côte d'Ivoire et dans le reste du monde. Car ce n'est que par
un tel développement que l'on pourra garantir un bon salaire, la
nourriture, un logement, l'eau, l'électricité et un confort de vie
pour tous, en utilisant à fond le plein potentiel des immenses
ressources naturelles et humaines du Faso, en toute indépendance, et
que les fils et filles du Faso partis se chercher à l'étranger
pourront fièrement revenir au pays pour construire.
De
tels comités populaires, en tant que nouvelles structures du
pouvoir, pourraient émerger à partir des clubs Cibal. Nous voyons
d'ailleurs d'un fort bon œil le fait que les responsables régionaux
du mouvement portent le nom de « préfet Cibal », « maire
Cibal », etc. parce que cela pose bien la question de « Qui
a le pouvoir dans la société ? ». Oui, l'objectif doit
être de s'atteler dès aujourd'hui à la constitution d'un tel “État
parallèle”, pas seulement pour agir en tant que “sentinelle”
du pouvoir, mais pour, à terme, remplacer ce pouvoir.
Cependant,
il convient de bien préparer cette “transition”, en utilisant
les bonnes opportunités, en nouant les bonnes alliances, et en
évitant toute une série de dangers.
Les clubs de discussion populaire dans les quartiers – un système à étendre et à généraliser, en vue d'une prise du pouvoir populaire |
Se
préparer pour une prise de pouvoir populaire
Le
premier danger est évidemment celui de la répression. Aujourd'hui,
on annonce le règne de la démocratie au Burkina, la liberté de
parole et d'organisation, etc. Mais les capitalistes ne laisseront
pas s'installer et se développer un mouvement populaire et
révolutionnaire qui menace directement leurs ambitions et qui, de
l'aveu des dirigeants mêmes de ce mouvement, aurait déjà pu
prendre le pouvoir, mais l'a refusé.
Cela
veut dire que les capitalistes vont accorder une attention spéciale
au développement des organisations de la société civile au Faso,
et tout faire pour intégrer ces mouvements dans le processus de
“restauration”. Mais ce qu'ils ne peuvent acheter, ils le
détruisent. Et vu que Blaise en cavale est parti se faire héberger
auprès d'individus peu recommendables, il est à parier qu'il va
continuer à piloter de loin les institutions de la république, et
qu'au moindre signe de remise en cause trop directe du nouvel ordre
établi ou “refus du dialogue”, la machine de répression se
remettra en marche pour réprimer les mouvements sociaux, voire
traquer leurs dirigeants. C'est du reste ce que l'on a vu en Tunisie,
avec notamment l'assassinat de dirigeants de gauche. Il convient donc
d'être extrêmement vigilant à ce niveau.
Le
régime va également sans doute utiliser le rêve de “stabilité”
d'une partie de la population pour critiquer l'opposition radicale
qui souhaiterait aller plus loin qu'un simple changement de faciès à
la tête du pouvoir. C'est pourquoi il convient d'expliquer
patiemment à ces gens pourquoi nous ne faisons pas confiance et ne
pouvons pas faire confiance à ce gouvernement de transition ni au
gouvernement qui sortira des urnes l'an prochain : le problème
n'est pas un individu, mais le système qui maintient le Faso dans la
pauvreté et le sous-développement.
D'un
autre côté, le Balai n'est pas seul dans la lutte. Il a cependant
l'avantage d'être le plus médiatisé et celui dont le mode
d'organisation parait le plus “englobant”. Aussi, ce mouvement
parait le plus déterminé : il ne faut pas oublier que la
fondation du Balai citoyen tire son origine du constat de
l'échec des grandes manifestations nationales de juillet 2013
contre le régime, et notamment du constat qu'il fallait une nouvelle
organisation après la déception vis-à-vis des dirigeants non
seulement des partis d'opposition, mais aussi des plateformes larges
telles que la CCVC (Coalition contre la vie chère), qui ont alors
clairement démontré qu'ils n'étaient pas prêts à mener la lutte
“jusqu'au bout”.
Mais
de nombreuses autres organisations de la société civile existent au
Burkina : coopératives de femmes, associations de jeunes,
syndicats, etc. sans oublier la CAR et autres. Les syndicats ouvriers
et de la fonction publique, les associations de femmes, de paysans,
de commerçants et de transporteurs ont de plus un rôle particulier
à jouer dans la mesure où ils ont le pouvoir de bloquer l'économie
du pays, de part leur position.
Il
faut également payer une attention particulière aux soldats et les
encourager à se constituer en comités à la base pour qu'en temps
voulu, la grève puisse s'étendre à l'armée et les soldats
puissent mettre en avant leurs propres leaders, élire leurs propres
officiers, pour que lors de sa prochaine phase, le mouvement n'ait
plus à dépendre de la bienveillance de l'état-major, comme ça a
été le cas le mois passé.
Une
discussion doit s'opérer entre tous ces mouvements pour discuter de
l'alternative à construire pour un Faso libre et prospère – qui
doit selon nous être une alternative socialiste, selon les lignes
développées ci-dessus –, tout en organisant la lutte contre
les plans antisociaux du gouvernement de transition et de ses amis
patrons.
Il
faut favoriser le débat le plus large entre toutes les composantes
de la société civile, en structurant ce débat, mais aussi en
assurant une liberté de parole totale en son sein. Pour cela, on
pourrait envisager le lancement par exemple de nouveaux journaux et
radio populaires, en plus de débats à la télévision nationale
tant que le nouveau pouvoir le permet.
Ce
débat doit être destiné à clarifier les objectifs du mouvement
sur le long terme et les tâches à accomplir pour y parvenir, tout
en discutant aussi du modèle de société que nous voulons pour le
Faso.
Enfin,
une étape importante dans la structuration de ce débat et dans la
diffusion large des idées de pouvoir populaire pourrait être la
création d'un nouveau parti politique, un parti des travailleurs et
des masses populaires du Burkina. Ce parti devrait unifier l'ensemble des mouvements de la société civile et donc avoir une structure ouverte dans laquelle toutes les différentes tendances pourraient s'insérer et débattre démocratiquement de la voie à suivre vers la prise du pouvoir et de quel modèle de société nous voulons.
Le rôle de ce parti ne serait pas de participer au gouvernement bourgeois, mais de servir de relais politique des luttes sociales, de coordinateur et de “catalyseur” des luttes, qui pourrait aussi permettre à la population radicalisée d'avoir quelqu'un pour qui voter au parlement – sans avoir pour autant la moindre illusion dans le fait que le système puisse être changé à partir du parlement, mais dans le but de permettre que la protestation et le désir d'une alternative populaire puissent s'exprimer dans les urnes, et donc de renforcer le mouvement.
Le rôle de ce parti ne serait pas de participer au gouvernement bourgeois, mais de servir de relais politique des luttes sociales, de coordinateur et de “catalyseur” des luttes, qui pourrait aussi permettre à la population radicalisée d'avoir quelqu'un pour qui voter au parlement – sans avoir pour autant la moindre illusion dans le fait que le système puisse être changé à partir du parlement, mais dans le but de permettre que la protestation et le désir d'une alternative populaire puissent s'exprimer dans les urnes, et donc de renforcer le mouvement.
Il faut unir toutes les composantes de la société civile en une plateforme de lutte commune, qui pourrait prendre la forme d'un parti du peuple, démocratique et ouvert à toutes les tendances |
Internationalisme : exporter le mouvement à l'étranger
Un
autre enjeu est à prendre en compte, c'est le fait que le Burkina
seul n'a aucun poids économique sur la scène internationale, alors
qu'il détient un grand rôle géopolitique et militaire.
Sa
plus grande richesse est sa main d'œuvre courageuse et laborieuse,
qu'il exporte constamment à l'étranger, faute d'une alternative.
Cela signifie donc que l'impérialisme n'hésitera pas une seconde à
incendier tout le pays s'il le faut à partir du moment où la
contestation y atteindrait un seuil révolutionnaire, d'autant plus
qu'il n'aurait rien à perdre ce faisant – au contraire, de
son point de vue, plus la population burkinabée est pauvre, plus
elle sera encline à aller bosser pour un salaire de misère dans les
plantations du Sud. C'est pourquoi il est nécessaire que la
révolution burkinabée s'exporte à l'étranger.
Malheureusement,
cela ne sera pas facile, vu que les travailleurs burkinabés sont
généralement mal considérés dans les pays avoisinants, et
notamment en Côte d'Ivoire. Du point de vue de la plupart des
Ivoiriens, la chute de Blaise n'a pas suscité plus de sympathie
envers les Burkinabés, tout au plus, cela les a fait ricaner de voir
leur ennemi ainsi puni, « une revanche pour Gbagbo »,
point. Mais on ne trouve pas grand' monde en Côte d'Ivoire pour
dire « C'est ça ! Il faut faire comme les Burkinabés ! ».
La crise burkinabée est comprise en Côte d'Ivoire comme un
problème purement burkinabé, fruit de l'état d'arriération du
pays.
De
même, la révolution burkinabée a suscité peu de sympathie à
l'étranger, contrairement aux révolutions tunisienne et égyptienne
qui ont en leur temps bénéficié d'un large soutien des médias et
encouragé le développement des mouvements Occupy aux États-Unis et
des Indignés à travers toute l'Europe. C'est en partie à cause du
faible nombre de journalistes présents au Burkina (même ceux
présents en Côte d'Ivoire ne quittent d'ailleurs que rarement
les salons climatisés pour se renseigner sur ce qui se passe dans la
rue), mais il y a aussi une bonne dose de racisme et de préjugés
sur l'Afrique, savamment entretenus par les médias internationaux.
Dans
les reportages sur France 24 et autres médias par exemple, on
n'a quasi pas montré les véritables dirigeants du mouvement. Toute
l'attention s'est focalisée sur quelques politiciens et sur les
militaires. Lorsque les manifestants ont été montrés à la télé,
il ne s'agissait que d'une foule noire indistincte, ou de quelques
jeunes (exclusivement de sexe masculin) échaudés en train de hurler
des propos incompréhensibles – l'image parfaite du “nègre
typique”, sauvage, incontrôlé, indiscipliné et irraisonné.
Personne
en France n'a commenté les tactiques et l'organisation qui ont été
mises en place pour faire tomber Blaise ; pour la plupart des
gens, la chute du régime n'a constitué qu'un “fait divers” en
Afrique comme il en arrive tous les jours, entre les viols au Congo
et Ebola au Liberia. Et c'est bien dommage, car la seule force dans
le monde qui est capable d'empêcher une intervention française au
Burkina, est le peuple français lui-même, et notamment les
travailleurs français qui souffrent énormément de la politique
d'austérité appliquée contre eux par leur classe dirigeante.
C'est
pourquoi le mouvement burkinabé doit tout faire pour s'exporter à
l'étranger – en Afrique de l'Ouest et en Occident. Ce qui ne
veut pas dire voyager en Europe pour aller y croiser quelques ONG du
type Amnesty International, Oxfam et autres “amis de
l'Afrique” qui sont toujours là pour signer des motions de soutien
et envoyer des dons à ces “pauvres Africains” mais qui ferment
leurs yeux sur les réalités de la lutte de classes – mais
plutôt s'adresser directement aux partis, aux syndicats et aux
organisations militantes qui sont aujourd'hui à la tête de la lutte
contre les gouvernements de leurs propres pays.
De
même, il faut arrêter de compter sur l'avis éclairé de chefs
d'État africains, actuels ou passés. Tous ces chefs d'État qui
sont aux commandes en ce moment ne sont là que pour représenter
l'impérialisme dans leurs propres pays ; leur sort et leur
carrière dépend entièrement de leurs bonnes relations avec
l'impérialisme, on l'a vu avec les prises de position de l'Union
africaine ces dernières semaines mais aussi avec l'extradition de
Blaise par la France. Il faut donc aussi arrêter d'aller demander
l'avis de personnalités telles qu'Abdou Diouf comme l'a fait
Didier Awadi dans son film « Le point de vue du lion »
– où se trouvait M. Diouf lorsque Sankara a été
assassiné ? Une des erreurs de Sankara a été d'espérer
susciter le soutien ou la sympathie de tous ces individus peu
recommandables. Or, en cas de deuxième vague de la révolution
burkinabée, il ne faudra compter que sur un soulèvement populaire
dans toute l'Afrique de l'Ouest et sur la solidarité des
travailleurs européens, et rien d'autre.
Il
faut tout faire pour nouer des liens forts avec les mouvements de
contestation au Sénégal, au Ghana, au Niger, au Bénin, au Togo…
En Côte d'Ivoire en particulier, qui est la plaque tournante de
toute l'économie de l'Afrique de l'Ouest francophone, les
“envoyés” du Balai pourraient apporter leur expérience
inestimable aux mouvements de lutte qui y existent. Il faut
encourager les Burkinabés exilés à rejoindre les structures dans
les pays où ils se trouvent et à s'impliquer dans la vie politique
en Côte d'Ivoire et ailleurs – car plus que jamais
aujourd'hui, le sort du Burkina Faso et de ses voisins sont
liés, le triomphe de la révolution au Burkina passe par la
révolution en Côte d'Ivoire et dans toute
l'Afrique de l'Ouest.
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