Liens entre le contexte, les masses, le parti, et la révolution
Dans le numéro 42
(octobre 2015) du magazine de gauche Amandla, M. Floyd Shivambu, vice-président
du parti des Combattants pour la liberté économique (EFF, le parti de Julius Malema, ancien président de la jeunesse de l'ANC maintenant reconverti en leader de gauche populiste et « radicale »), se plaignait de « L'incapacité de la gauche à faire sienne l'élan révolutionnaire qui lui a été offert par les EFF »,
prévenant que cela « pourrait freiner la lutte pour le
socialisme ».
Sous le sous-titre « La pureté théorique
mène à l'isolation vis-à-vis des masses », le camarade
Shivambu affirme que l'erreur du NUMSA (Syndicat national des
travailleurs du métal d'Afrique du Sud) et du Front uni (la
plateforme de gauche lancée par le NUMSA afin de contrer l'ANC) est
de s'« autocaractériser en tant que superrévolutionnaires,
qui ont la meilleure clarté théorique, politique et idéologique
sur chaque élément de la situation en Afrique du Sud et dans le
monde ».
Il prédit que le NUMSA et
le Front uni, « comme le WASP en Afrique du Sud ou Unité
populaire en Grèce … finiront dans les librairies et autour des
tables des maquis dans les discussions et analyses du rapport de
force, sans pour autant avoir obtenu le moindre véritable poids
dans la société ».
Cherchant à prouver son
affirmation selon laquelle « Les EFF ont toujours cherché à
unifier la gauche », Shivambu prétend que les EFF n'ont pas pu
établir une alliance constructive avec le WASP « à cause du
fait que le WASP est contrôlé par une organisation qui se trouve
quelque part en Europe, et est venu avec des exigences déraisonnables
du genre “que 50 % des représentants publics doivent
être exclusivement des membres du WASP” ».
Nous reviendrons sur la
question de la relation entre théorie et pratique dans un autre
article. Nous allons ici tout d'abord rétablir la vérité sur la
façon dont se sont terminées les négociations entre le WASP et les
EFF, et répondre au défi lancé à la gauche par les EFF concernant
l'unité et l'« élan révolutionnaire ».
Dossier par notre camarade Weizmann Hamilton, membre du Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud (WASP, section sud-africaine du CIO)
Les négociations entre le
WASP et les EFF – ce qui s'est réellement passé
L'assertion selon laquelle
nous avons exigé 50 % des sièges est un pur mensonge. Il
s'agit d'une invention par la direction des EFF dans le but de
détourner l'attention des faits réels. La proposition du WASP était
que nous présentions une liste commune EFF/WASP à la Commission
électorale indépendante, la plateforme ainsi formée devant avancer
les points de programme suivants : (i) nationalisation des
secteurs stratégiques de l'économie sous le contrôle et la gestion
des travailleurs ; (ii) enseignement gratuit ; (iii) santé
gratuite ; (iv) élection de tous les cadres publics, soumis à
droit de révocation ; (v) limitation du revenu de tous les élus
au salaire moyen d'un travailleur qualifié. Les EFF ont proposé
l'addition de deux de leurs « sept piliers », dont
l'expropriation des terres sans compensation. Le WASP a accepté. La
formule pour la distribution des sièges devait être discutée
uniquement après que la liste commune ait été enregistrée.
Nous avons également
proposé que le WASP et les EFF, même s'ils devaient faire partie d'une même
plateforme électorale, maintiennent leur identité, conservent leur
propre organisation et leurs propres activités. Nous avons également
proposé d'organiser une série de débats fraternels entre les
membres des deux organisations, afin d'aplanir les divergences que
nous pourrions avoir et de permettre à la base des deux partis de
décider laquelle des positions des deux organisations est correcte,
sur toute une série de points importants. Ce n'est d'ailleurs pas la première
fois que nous désirions faire partie d'une plateforme commune avec les EFF :
par exemple à Johannesburg nous avons mené ensemble une campagne
victorieuse contre l'opération de déguerpissement des vendeurs de
rue menée par l'ANC.
Après notre première (et
dernière) rencontre, il a été décidé que les délégués
feraient un rapport à leurs structures respectives, échangeraient
des documents et qu'une deuxième rencontre serait organisée. Mais
les EFF n'ont pas répondu à notre demande d'une deuxième
rencontre. Nous avons ensuite envoyé une lettre ouverte aux membres
des EFF, rédigé un message de félicitations lors du
lancement de la section des EFF à Rustenburg, et publié une deuxième lettre
ouverte. Aucune de ces lettres n'a reçu la moindre réponse de qui
que ce soit.
Nous avons été déçus,
mais pas surpris. Lors de la rencontre, les EFF avaient bien insisté
sur le fait qu'ils ne font « pas de coalitions ». Leur
contreproposition était que nous envoyions deux membres de notre
direction au comité central des EFF, à condition qu'ils ne mettent
en avant que des positions EFF, même si celles-ci devaient aller à
l'encontre des positions du WASP. Cela aurait voulu dire que les
dirigeants du WASP se seraient vus contraints de soutenir le
dictateur Mugabe qui s'accroche au pouvoir par la violence et
l'intimidation depuis plus de trente ans, et dont les mains sont
rouges du sang du peuple Ndebele, dont 30 000 personnes ont
été abattues lors du massacre de Gukhurahundi dans les années '80.
Nous nous serions également vus contraints de soutenir la visite de Malema (le
dirigeant des EFF) au Nigeria, où il était parti demander la
bénédiction du pasteur Joshua – un individu peu
recommandable, responsable de la mort de 100 de ses fidèles (dont
80 Sud-Africains) victimes de l'effondrement d'une de ses
églises dont la construction ne répondait à aucune norme architecturale. Les EFF ont également exigé que les membres WASP
rejoignent les EFF, et que la liste à présenter aux élections
porte uniquement le nom de « EFF ». Les EFF demandaient
donc, dans les faits, la liquidation politique du WASP ; une
opération que, dans le monde des affaires, on n'hésiterait pas à
qualifier d'« opération de rachat hostile ».
Les camarades du WASP (Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud) lors de leur dernier congrès |
Les EFF ont-ils offert à
l'Afrique du Sud un « élan révolutionnaire » ?
Dans un article où on
voit s'étaler tout le sens d'autoglorification typique des EFF,
Shivambu affirme que son parti est le plus grand parti de gauche du
continent africain, qui a depuis sa fondation offert un « élan
révolutionnaire » à l'Afrique du Sud. Les EFF pourraient
gagner énormément en crédibilité et en santé politique si, au
lieu des infinies prétentions dont ils se nourrissent, ils
cherchaient à revenir à un sens de la proportion et à se
familiariser d'un peu plus près avec la signification des mots
qu'ils tirent de leur dictionnaire pour phraséologues de gauche.
Aucun « élan
révolutionnaire » n'a jamais été créé par un parti
politique. De tels « élans » sont créés par la lutte
de classes, par les actions des masses en conflit avec la classe
dirigeante, lorsque leur volonté et leur confiance dans leur propre force collective les inspirent à se dresser à la révolte
et à remettre en cause le pouvoir. De tels élans ne peuvent durer
de manière indéfinie ; entre autres parce qu'au cours de ce
conflit entre les classes, le rapport de force fluctue en fonction
de la capacité de la classe prolétaire ou de la classe capitaliste
à prendre le dessus. La durée de tels « élans » est
déterminée, entre autres, par la présence ou l'absence à la tête
des masses, d'un parti forgé dans les idées du marxisme – et
donc, oui, fort de sa clarté théorique – et doté d'une
compréhension des stratégies et des tactiques nécessaires pour le
renversement de l'État capitaliste et l'édification d'une
démocratie prolétarienne, afin de débuter la reconstruction
socialiste de la société. En d'autres termes, cet élan requiert la
convergence des facteurs objectifs et subjectifs afin d'accomplir le
processus révolutionnaire jusqu'à son dénouement final.
L'attitude négligente,
voire méprisante, réservée par les EFF à la préoccupation du
WASP qui recherche toujours la clarté dans la théorie, fait que les
EFF ferment les yeux sur notre compréhension de ce qui constitue un
« élan révolutionnaire », du rôle des partis, des
masses et de la relation entre parti, masse et direction. Mais
peut-être prendront-ils plus au sérieux l'autorité du camarade Lev
Davidovitch Bronstein dit Trotsky, qui, aux côtés de Lénine, s'est
trouvé à la tête du plus grand évènement de l'histoire récente,
la révolution russe d'octobre 1917.
Dans sa préface à
son ouvrage magistral, l'Histoire de la
révolution russe,
Trotsky fait cette remarque : « Le trait le plus incontestable d'une révolution, c'est l'intervention directe des masses dans les
évènements historiques. En temps normal, l'État – qu'il
soit monarchique ou démocratique – s'élève au-dessus de la
nation, et l'histoire est faite par des spécialistes du métier : des rois, des ministres, des cadres, des députés,
des journalistes… Mais lors de ces moments cruciaux, où l'ordre
ancien devient intolérable pour les masses, on voit ces masses tout
à coup briser les barrières qui les excluaient de l'arène politique,
mettre de côté leurs représentants traditionnels, et créer par
leur propre intervention, les fondations premières d'un nouveau
régime … L'histoire de la révolution est donc … avant tout
le récit d'une irruption violente des masses dans le royaume de la
maitrise de leur propre destinée. »
Il ne fait aucun doute que
la campagne électorale des EFF a répondu à une attente de la part
des couches les plus opprimées de notre pays. L'impact des EFF se
reflète dans son score : plus de 1,1 millions de voix, une
performance épatante pour un parti qui n'avait même pas un an à
l'époque. Il ne fait aussi aucun doute que l'arrivée en force des
EFF au parlement a ébranlé l'ANC dans ses fondations, surtout
avec la campagne #rendeznouslargent, alors que les députés ANC s'étaient regroupés autour de Zuma pour le défendre des accusations de
corruption, au mépris du sentiment d'outrage qui vivait parmi la
population.
Cela a fortement endommagé le parti au pouvoir et a
approfondi la crise interne dans l'ANC ainsi que de l'Alliance
tripartite dirigeante (formée de l'ANC, du Parti « communiste »
sud-africain et de la Confédération syndicale Cosatu). Cette
campagne a endommagé la crédibilité du parlement, le démasquant
pour ce qu'il est : loin de constituer le summum de la
soi-disant « révolution démocratique nationale », il ne
s'agit que d'un théâtre politique où les intérêts de l'élite
politique et économique sont gérés en cherchant à les faire
passer pour les intérêts du peuple.
Mais en politique,
il importe de garder le sens de la mesure et des proportions.
Il est bien sûr très clair que les divisions au sein de l'ANC sont en ce moment aussi profondes qu'elles ne l'étaient avant la conférence de Polokwane (de 2007, lors de laquelle Jacob Zuma a été élu président de l'ANC) et qu'elles vont s'approfondir encore avec le débat autour de la succession de Zuma et la conférence élective de 2017. Le scénario catastrophe que ses dirigeants avaient envisagé pour 2014 (tomber sous la barre des 50 % des voix) pourrait très bien se produire en 2019.
Il est bien sûr très clair que les divisions au sein de l'ANC sont en ce moment aussi profondes qu'elles ne l'étaient avant la conférence de Polokwane (de 2007, lors de laquelle Jacob Zuma a été élu président de l'ANC) et qu'elles vont s'approfondir encore avec le débat autour de la succession de Zuma et la conférence élective de 2017. Le scénario catastrophe que ses dirigeants avaient envisagé pour 2014 (tomber sous la barre des 50 % des voix) pourrait très bien se produire en 2019.
Il est clair aussi que les tentatives de la
classe capitaliste de créer un parti de remplacement avec AgangSA (parti d'opposition de centre-gauche) se
sont conclues par un échec monumental. L'Alliance démocratique (principal parti d'opposition de droite) s'est également vu imposer un dirigeant noir à la tête d'un
parti dont les membres sont en majorité des Blancs : il s'agissait d'un véritable
coup d'État orchestré par les riches soutiens financiers de ce
parti dans le cadre d'une tentative désespérée d'attirer
l'électorat noir. Malgré tout, ce parti reste profondément divisé, même s'il a augmenté le nombre de ses voix en 2014.
Certes, il y a partout un
sentiment de crise dans la société, et une baisse constante du
soutien électoral envers l'ANC. Cette désillusion se reflète dans
l'abstention de masse lors des élections, mais aussi dans le nombre
sans précédent et totalement spontané de manifestations de
quartier qui éclatent autour de toute une série de thèmes.
Mais malgré le nombre spectaculaire de voix obtenues par les EFF, le taux d'abstention s'est encore accru en 2014. Le fait que le score des EFF n'ait pas dépassé celui de Cope en 2009 (une scission sociale-libérale de l'ANC qui a obtenu 7 % des voix avant de disparaitre suite à une dispute entre ses dirigeants), dans des conditions pourtant bien plus favorables, démontre bien que les EFF n'ont pas été capables de convaincre les abstentionnistes du fait qu'ils représentaient une véritable alternative.
Mais malgré le nombre spectaculaire de voix obtenues par les EFF, le taux d'abstention s'est encore accru en 2014. Le fait que le score des EFF n'ait pas dépassé celui de Cope en 2009 (une scission sociale-libérale de l'ANC qui a obtenu 7 % des voix avant de disparaitre suite à une dispute entre ses dirigeants), dans des conditions pourtant bien plus favorables, démontre bien que les EFF n'ont pas été capables de convaincre les abstentionnistes du fait qu'ils représentaient une véritable alternative.
Lénine a détaillé
quatre conditions principales pour le développement d'une révolution
socialiste. Premièrement, il faut des scissions et des divisions au
sein de la classe dirigeante et de ses représentants politiques.
Deuxièmement, la classe moyenne doit être vacillante, et une
importante couche d'entre elle soutenir l'idée d'une révolution.
Troisièmement, la classe ouvrière doit être organisée et afficher
une claire volonté de lutte, se mettant ainsi à la tête du
processus révolutionnaire. Quatrièmement, il est nécessaire
d'avoir un parti socialiste révolutionnaire de masse doté d'une
direction claire et bénéficiant d'un large soutien pour ses idées
parmi de larges couches des masses populaires (et en particulier les
couches actives des travailleurs).
Lénine a également dit des
révolutions qu'elles démontrent deux choses : « Tout
d'abord, que le peuple ne peut plus être dirigé comme il l'était
auparavant ; ensuite, que les dirigeants ne peuvent plus diriger
comme ils le faisaient auparavant. » (Le Gauchisme, maladie infantile du communisme). Mais ce n'est pas la
situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, ni la
situation dans laquelle nous étions en 2012, lorsque le parti des EFF
a été fondé. Il ne s'agit encore que de la musique du futur.
Trotsky poursuit :
« Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l'âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l'ancien régime. C'est seulement le milieu dirigeant de leur classe qui possède un programme politique, lequel a encore besoin d'être vérifié par les évènements et approuvé par les masses. Le processus politique essentiel d'une révolution est précisément en ceci que la classe prend conscience graduellement des problèmes posés par la crise sociale, et que les masses s'orientent activement par un processus d'approximations successives …
Ce n'est que par
l'étude des processus politiques au sein des masses
elles-mêmes que nous pouvons comprendre le rôle des partis et des
dirigeants, que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ceux-ci
constituent un élément qui n'est pas indépendant, mais qui est
néanmoins un élément très important dans ce processus.
Sans une organisation pour la guider, l'énergie des masses se
dissipe, comme de la vapeur qui ne serait pas enfermée dans un cylindre à piston. Cependant, ce qui fait bouger la machine n'est pas
le piston, ni le cylindre, mais bien la vapeur. » (Histoire de la révolution russe)
Les EFF se font une
idée plutôt vague du concept de révolution, ce qui explique
pourquoi leur regard est fermement fixé sur leur propre nombril
plutôt que sur les masses. Ils semblent croire, de plus, qu'ils sont
l'incarnation de « l'élan révolutionnaire », ce qui
implique que cet élan révolutionnaire soit né et meure avec leur
organisation. Cette notion est pour le moins délirante.
Même si nous étions prêts à accepter ce langage
d'autoglorification, il nous faut tout de même rappeler que ce
n'est pas les EFF qui ont créé « l'élan révolutionnaire »,
mais bien « l'élan révolutionnaire » qui a créé les
EFF. En fait, la manière dont les EFF interprètent même les
évènements qui leur ont donné naissance reflète bien cette vision
qui fait passer à l'arrière-plan le rôle des masses en général
et des travailleurs des mines en particulier.
Les travailleurs des mines de platine célèbrent la victoire de leur mouvement de grève, en 2014 |
La portée politique
de Marikana
La période qui a suivi le
massacre de Marikana n'a pas constitué un « élan
révolutionnaire », dans le sens que les conditions pour une
insurrection de masse et pour une remise en cause du pouvoir
n'étaient pas présentes. Il serait bien plus correct de dire que ce
qui a été créé par la révolte des mineurs de Rustenburg en 2012,
par le massacre de Marikana la même année et par les profonds
bouleversements de la conscience politique que ces évènements ont
produit parmi les travailleurs des mines et parmi la classe ouvrière
de façon générale, – ce que ces évènements ont créé, ce
sont les conditions pour l'établissement d'un parti prolétarien
révolutionnaire de masse. En suivant cette chaine d'évènements, on
voit que la grève des mineurs est passée d'une bataille pour les
salaires à une révolte politique contre les patrons des mines,
contre le gouvernement ANC et contre ses alliés de l'Alliance
tripartite.
L'ANC s'est révélé n'être qu'un agent conscient des patrons des mines et de la classe
capitaliste au sens large. Il a montré qu'il est prêt à utiliser
la puissance de l'État (qui n'est rien d'autre qu'une force de
répression armée entre les mains de la classe dominante, pour
paraphraser Friedrich Engels) pour régler dans l'intérêt des
patrons une dispute impliquant la classe ouvrière, de manière
violente s'il le faut. Les actions du gouvernement ANC ont consommé ce
qu'il restait des illusions qui jusque là lui assuraient
l'attachement des masses. L'illusion selon laquelle l'ANC représente
les intérêts de classe des travailleurs et des pauvres a subi un
coup terrible, duquel il ne s'est pas relevé.
La rapidité du
déclin de l'ANC va bien sûr dépendre non seulement de la vitesse
de sa propre dégénérescence interne, mais aussi de la rapidité
avec laquelle une alternative (sous la forme d'un parti prolétarien
de masse) sera mise en place pour remplir le vide qui s'est ouvert à
sa gauche. Dans un premier temps, ce vide s'était développé graduellement au
cours de la période précédente. Puis, Marikana a constitué le point
tournant à partir duquel les changements quantitatifs qui s'étaient
accumulés dans la conscience se sont transformés en un changement
qualitatif – la goutte d'eau qui a fait déborder le vase.
Depuis lors, ce vide politique s'est subitement ouvert tel un gouffre
béant.
L'humeur de la classe
ouvrière après l'« élan » de Marikana aurait pu avoir
un impact politique encore plus décisif si, par exemple, la Cosatu
avait appelé à une grève générale de soutien avec les mineurs.
Si la Cosatu avait appelé à la formation d'un nouveau parti de
masse, cet appel aurait retenti avec force dans tout le pays. Mais la
révolte des travailleurs des mines a dû également faire face à
l'opposition de la Cosatu et du Parti communiste, qui ont organisé
ce qui aurait pu dégénérer en un nouveau bain de sang :
l'envoi de cars entiers remplis de travailleurs pour « reprendre
Rustenburg des mains des contrerévolutionnaires » – puisque
c'est ainsi qu'ils ont qualifié les comités de grève indépendants
et le Mouvement socialiste démocratique (ancienne section
sud-africaine du CIO qui a contribué à la fondation du WASP aux
côtés des mineurs).
Même si la grève des
mineurs a quitté la province du Nord-Ouest pour se répandre aux provinces du
Gauteng, de l'État-Libre, du Mpumalanga, du Limpopo et du Cap-du-Nord, en encourageant également les travailleurs des
plantations du Cap-occidental à partir en action, ce serait
totalement exagérer que de dire que tout ceci a constitué un « élan
révolutionnaire » qui aurait ouvert la voie à une révolte
contre l'État et à un possible renversement du capitalisme. Les
travailleurs des mines étaient en conflit non seulement avec le
gouvernement et l'ensemble de la classe capitaliste, mais aussi avec
les dirigeants officiels du mouvement syndical. Le reste de la classe
ouvrière, considérant les mineurs avec sympathie, a été
scandalisée par le massacre, mais sans que l'on ne voie un mouvement
généralisé et spontané de la classe ouvrière. Le lancement des
EFF n'a en réalité été que le fruit d'une des ondes de choc secondaires du séisme de
Marikana. Son impact sur l'échelle de Richter politique a été
inférieur à celui de la rupture du NUMSA avec l'ANC lors de son
Congrès national extraordinaire de décembre 2013.
Jusqu'en 1996, année
où l'ANC a adopté le programme GEAR (encouragement et
redistribution de la croissance, un programme capitaliste
néolibéral), la section du CIO en Afrique du Sud s'appelait la
Tendance ouvrière marxiste (MWT), un groupe qui agissait au sein de
l'ANC pour tenter d'y convaincre les membres de la nécessité d'un
programme socialiste. Avec l'adoption du programme GEAR, la MWT a
reconnu que cela consacrait la conversion définitive de l'ANC en un
parti opérant consciemment pour le capitalisme, et qu'un
affrontement entre l'ANC et sa base électorale prolétarienne était
inévitable à un moment dans le futur. La MWT a abandonné la
tactique d'une orientation envers l'ANC, et a commencé à
fonctionner en tant que formation indépendante : le Mouvement
socialiste démocratique (DSM). Nous anticipions ainsi sur le fait
que le cours des évènements allait démontrer à la classe ouvrière
l'antagonisme entre ses intérêts et ceux de l'ANC. C'est depuis lors que nous appelons à la formation d'un nouveau parti prolétarien de
masse doté d'un programme socialiste.
Comme Trotsky l'a
expliqué, le marxisme est la science des perspectives. Elle fournit
l'avantage qui est celui de pouvoir des prévisions plutôt que
d'être constamment pris par surprise. En 1994 déjà, Peter
Taaffe, secrétaire général de la section du CIO en Angleterre et
pays de Galles, avait prédit dans son article intitulé De
l'esclavage de l'apartheid à la liberté,
qu'un temps viendrait où l'ANC tournerait ses fusils pour les
pointer sur la classe ouvrière noire. Personne ne pouvait prédire
que cela se produirait à exactement 15h17 le 16 aout 2012.
Mais il était possible de prévoir qu'un jour la classe ouvrière
allait comprendre le caractère opposé de ses intérêts et de ceux
de l'ANC procapitaliste. Et c'est ce qui a été prédit par le DSM.
Le DSM
a donc pris des mesures afin de tenter de donner une expression politique
organisée à la conclusion que les travailleurs avaient tirée. À
la suite d'une série de rencontres entre le DSM et les comités de
grève qui ont commencé en décembre 2012, le comité de grève
national a accepté de soutenir le WASP, dont la fondation a eu lieu
le 21 mars 2013. Les EFF ont quant à eux été fondés en
aout de la même année, suivis par l'historique Congrès national
extraordinaire du NUMSA, qui a pris la décision de rompre avec
l'ANC et le Parti communiste pour former un Front uni, un Mouvement
pour le socialisme et un parti prolétarien. C'est la révolte des
mineurs qui a conféré à la lutte de classe un accent politique
plus aiguisé, à la suite de Marikana, et qui a produit le
changement dans la conscience de la classe ouvrière de manière
générale pour préparer les conditions qui allaient mener aux
bouleversements décisifs que l'on a connu depuis lors sur le terrain
politique.
En ce
temps-là, les Combattants pour la liberté économique n'étaient
encore qu'un groupe d'opposition virulent qui s'annonçait à la face
du monde portés par leur démagogie de gauche. Son futur
« commandant-en-chef » Julius Malema était au départ
réticent à l'idée de quitter l'ANC pour former un nouveau parti.
Nous pensons qu'il n'est pas exagéré de dire que le lancement du
WASP et son inscription en tant que parti politique a en fait été un facteur important qui a encouragé l'évolution du processus politique, avec le lancement des EFF et les résolutions adoptées
par le NUMSA.
Lors
des élections, le WASP a obtenu un score en-dessous des attentes, en
partie parce que les EFF ont été mis sur le devant de la scène,
propulsés dans les médias par les immenses moyens financiers qui
lui proviennent de la part de parrains aux poches bien remplies.
Parmi ces donateurs, on retrouve de nombreux apprentis capitalistes
noirs, et très peu de membres eux-mêmes. C'est ainsi que les EFF se sont élevés au rang d'opposition de gauche la plus en vue
contre l'ANC.
Néanmoins, cela n'empêche pas que le WASP a été le premier parti à émerger à la gauche de l'ANC, doté d'un programme socialiste révolutionnaire, depuis la fin de l'apartheid. Personne ne pourra supprimer ce fait de l'histoire. Le rôle catalyseur qu'il a joué en replaçant l'idée du socialisme dans le débat dominant la campagne électorale, en aiguisant les contours idéologiques du débat au sein du NUMSA, est en soi la justification historique de son lancement. C'est par ce critère : sa capacité à agir en tant que petite roue de l'engrenage capable de mettre en mouvement la grande roue des processus historiques à une plus large échelle – et non par le nombre de voix qu'il a reçues –, que le WASP doit être jugé.
Néanmoins, cela n'empêche pas que le WASP a été le premier parti à émerger à la gauche de l'ANC, doté d'un programme socialiste révolutionnaire, depuis la fin de l'apartheid. Personne ne pourra supprimer ce fait de l'histoire. Le rôle catalyseur qu'il a joué en replaçant l'idée du socialisme dans le débat dominant la campagne électorale, en aiguisant les contours idéologiques du débat au sein du NUMSA, est en soi la justification historique de son lancement. C'est par ce critère : sa capacité à agir en tant que petite roue de l'engrenage capable de mettre en mouvement la grande roue des processus historiques à une plus large échelle – et non par le nombre de voix qu'il a reçues –, que le WASP doit être jugé.
Le WASP était présent aux côtés des mineurs dès les premiers jours de leur combat et au moment du massacre |
Le socialisme,
l'internationalisme et les EFF
Les EFF prétendent que
les négociations avec le WASP ont cessé parce que notre parti
serait « contrôlé par une organisation quelque part en
Europe ». Cela est non seulement incorrect, mais révèle bien
le caractère extrêmement superficiel de leur compréhension de
l'internationalisme. Le socialisme est international ou n'est pas. Toute personne qui ne comprend pas cela, ne comprend rien au
socialisme. Les délégués des EFF ont peut-être marmonné entre eux
sur ce soi-disant « contrôle venu d'Europe », mais n'ont
jamais abordé cette question lors des discussions entre eux et nous.
S'ils l'avaient fait, cela nous aurait fourni une occasion de leur
expliquer la nature de l'association internationale à laquelle ils
font ici référence, le Comité pour une Internationale ouvrière
(CIO).
En fait, le WASP n'est pas
une section du CIO, même si notre parti a exprimé son intention de
s'affilier au CIO. Jusqu'à présent, seul le DSM, une des
organisations fondatrices du WASP, est membre du CIO. Nous ne
désirons pas nous étendre sur la question de savoir si nous sommes
« contrôlés » ou non par une autre organisation. Le DSM est
fier d'être membre du CIO, une organisation internationale qui
compte des membres dans 50 pays du monde, sur chaque continent.
Nos camarades de l'Internationale ne sont pas des figures qui
conspirent dans l'ombre, des ennemis de la démocratie ou des
oppresseurs de la classe ouvrière comme M. Mugabe, ni des
individus dont la seule raison d'être est d'escroquer les pauvres
pour s'enrichir personnellement, comme le pasteur Joshua, qui est un
des cinq plus riches chefs religieux du Nigeria, et qui collabore
étroitement avec les oligarques corrompus qui dirigent ce pays.
Nos camarades sont les
membres du Mouvement socialiste démocratique du Nigeria, qui se
battent pour faire reconnaitre le Parti socialiste du Nigeria, lancé
en novembre 2013, mais que les autorités électorales refusent
de voir participer aux scrutins, malgré le fait qu'ils aient payé
la somme de 3 millions de francs requise pour ce faire.
Nos camarades sont les
membres du groupe Alternative socialiste aux États-Unis, dont la
figure de proue Kshama Sawant est surnommée par les médias
étatsuniens comme « femme la plus dangereuse
d'Amérique ». Kshama a été la première socialiste à avoir
été élue à un poste public aux États-Unis depuis 100 ans,
réélue cette année et le tout, sans recevoir un franc de la part
des riches. Kshama a été élue sur le principe d'un « représentant
des travailleurs qui gagne le salaire d'un travailleur » :
elle ne touche qu'un tiers du montant qui devrait officiellement lui
être versé selon la loi, et le reste est reversé à un fonds
social. Après avoir été élue, elle a forcé le conseil de la
ville de Seattle à adopter la mesure qui constituait le cœur de son
programme électoral : le salaire minimum à 8500 francs de
l'heure (15$/h). Ce phénomène a déclenché un mouvement de lutte de
masse dans tous les États-Unis pour que ce salaire devienne le
nouveau salaire minimum national.
Nos camarades sont les
militants du Parti socialiste d'Irlande, dont la figure publique
Paul Murphy est menacé d'emprisonnement pour avoir soi-disant
« séquestré » une ministre du gouvernement, dans le
cadre d'une campagne de masse de boycott des nouveaux compteurs d'eau
installés par le gouvernement en tant que partie prenante de sa
volonté de privatiser la fourniture d'eau. En juillet, 57 % des
ménages du pays ont refusé de payer leur facture d'eau (soit
860 000 ménages sur 1 520 000). Nos camarades
d'Irlande du Nord mènent une campagne similaire de leur propre côté de la frontière.
Syriza trahit la classe
prolétaire grecque : les EFF soutiennent Syriza « antiimpérialiste »
À part M. Mugabe et
le pasteur Joshua, qui sont les amis des EFF dans le monde ? Il
s'avère que Syriza en Grèce est présentée par les EFF comme un
parti « antisystème, antiimpérialiste ». Les EFF
maintiennent cette position plusieurs mois après que Syriza, élue
sur un programme clairement antiaustérité, ait commis une des pires
trahisons du peuple grec dans l'histoire moderne. Les
mesures d'austérité brutales imposées aux masses grecques par la
troïka impérialiste (Union européenne, Banque centrale européenne
et Fonds monétaire international) ont causé, selon l'ancien
ministre des Finances Yanis Varoufakis, la pire dépression jamais
vue dans le monde depuis les années '1930. L'économie s'est
contractée de 20 %, la dette s'élève à 174 % du PIB, le
chômage est passé à 30 % (60 % parmi les jeunes), les
salaires ont été coupés de 30 %, et les masses connaissent
par conséquent un déclin de leurs conditions de vie si
catastrophique que ce pays a maintenant un des taux de suicide les
plus élevés d'Europe.
La troïka a exigé du gouvernement Syriza qu'il ajoute encore plus de misère sur les dos des
travailleurs grecs en coupant le salaire minimum et les pensions, en
effectuant de nouvelles privatisations, en mettant en place des
mesures de remboursement de la dette des ménages qui vont mener à
plus d'expulsions de domicile et à une hausse du nombre de
sans-abris, en attaquant le droit de grève. Toutes ces mesures sont
là pour forcer la Grèce à rembourser une dette créée par les
oligarques grecs et reconnue même par le FMI comme étant impossible
à rembourser. Tout cela pour pouvoir permettre à la Grèce
d'emprunter encore plus d'argent, ce qui va la plonger encore plus
dans la dette. Des conditions tellement drastiques qu'elles sont en
train de transformer la Grèce en une véritable colonie. Syriza a
répondu en appelant à un référendum pour demander au peuple s'il
était d'accord d'accepter les demandes de la troïka, et à
elle-même demandé au peuple de voter « Non ».
La classe prolétaire,
mobilisée, a donné à Syriza un mandat de 62 % pour rejeter
les demandes de la troïka : près du double des voix reçues par
Syriza lors des élections de janvier 2015 qui lui ont permis d'arriver au pouvoir. Mais en moins d'une
semaine, Syriza a capitulé face à la troïka, est devenue le
partenaire de l'impérialisme européen dans le pays et a accepté de
poursuivre la réduction en esclavage des masses grecques. Voici le
parti que les EFF soutiennent contre l'alliance Unité populaire qui
a quitté Syriza, poussée par un profond dégout. Nous ne défendons
pas tout ce qui a été dit par Unité populaire, tout comme nous ne défendons pas le Parti communiste
grec et son incurable sectarisme. Mais la scission face à une
trahison de cette ampleur était entièrement compréhensible et a
certainement ôté à Syriza l'aura qui avait poussé les EFF à la
qualifier de parti « antisystème et antiimpérialiste ».
Jeudi 19 novembre, les travailleurs grecs sont partis en grève
nationale, pour la 41e fois depuis que l'offensive austéritaire a
commencé il y a cinq ans. Cette fois, la grève était dirigée
contre le gouvernement Syriza. De quel côté des barricades se
tiennent les EFF ?
La question est donc :
« Pourquoi Syriza, alors qu'elle avait été élue sur un
programme antiaustérité, a-t-elle fini par trahir le peuple en
mettant en place un programme encore pire que celui que le peuple lui
avait demandé de rejeter ? » La raison en est que la direction de
Syriza n'est pas socialiste. Elle ne comprend pas que l'impasse dans
laquelle se trouve la société grecque ne peut être résolue qu'en
renversant le capitalisme, en faisant passer les secteurs
stratégiques de l'économie grecque sous le contrôle et la gestion
démocratique de la classe prolétaire.
Voilà le choix auquel
Syriza était confrontée : répudier la dette, nationaliser les
banques, sortir de l'euro et battre sa propre monnaie. Une fois cette
route empruntée, Syriza aurait été forcée de passer à la
nationalisation des secteurs stratégiques de l'économie, au
démantèlement de la machine d'État capitaliste, à la construction
d'un État prolétarien et au lancement de la reconstruction
socialiste de la société. Mais Syriza n'a jamais été un parti
révolutionnaire ni socialiste. Sa direction ne fait pas confiance en
la classe prolétaire ni au socialisme. En fait, dans une interview
donnée en février 2015, l'ex-ministre des Finances Varoufakis
se décrivait lui-même comme un « marxiste erratique »
dont la tâche est « de sauver le capitalisme de lui-même » !
Ainsi, lorsque la
direction de Syriza s'est retrouvée face au choix de se soumettre (à
la tyrannie impérialiste européenne) ou de lutter (pour le
renversement du capitalisme), elle a décidé de tourner le dos à la
classe prolétaire et de s'incliner devant la bourgeoisie européenne.
La capitulation et la trahison de Syriza proviennent non seulement de
la composition petite-bourgeoise de sa direction, mais aussi et
surtout de son manque de clarté théorique. Elle voyait la lutte de
classe non pas comme un conflit mortel entre des forces sociales aux
intérêts totalement opposés, mais comme un malentendu qui peut
être réglé autour d'une tasse de thé.
Cette trahison a eu des
répercussions qui se sont fait sentir dans toute l'Europe. Elle a
déçu la classe prolétaire d'Espagne, du Portugal, d'Irlande et du
Royaume-Uni, alors que dans ces pays grandit de jour en jour la
détermination de résister à l'austérité. Comme le montre notre
analyse sur l'évolution de la politique économique des EFF, sur
laquelle nous nous pencherons dans un prochain article, la
trajectoire suivie en ce moment par ce parti signifie que, placé
dans des conditions similaires, les EFF pourrait fort bien devenir le
Syriza sud-africain…
Alexandre Tsipras, après six mois au pouvoir et malgré un soutien populaire sans précédent, a décidé d'abandonner la lutte et d'appliquer tout ce que l'Europe le forcera à faire. |
Il est urgent de
construire un parti prolétarien de masse
Pour conclure avec
Trotksy, une fois de plus : « Les différentes étapes du
processus révolutionnaire, consolidées par un changement constant de partis
dans lequel on voit tour à tour le plus extrême supplanter le plus modéré, expriment la pression croissante des masses vers la gauche – tant que le
mouvement dans son élan ne se brise pas contre des obstacles objectifs.
Lorsque c'est le cas, alors commence la réaction : le désenchantement parmi différentes couches de la classe révolutionnaire, la
croissance du sentiment d'indifférence et, par là-même, une consolidation des forces contrerévolutionnaires. » (Histoire de la révolution russe)
Aucune analogie n'est
parfaite. Nous avons cité Trotsky non parce que nous pensons qu'il y
a des parallèles exacts entre la situation actuelle chez nous et celle décrite par Trotsky, qui
s'applique à la période entre les révolutions de février et
d'octobre 1917 en Russie ; loin de là. Si nous citons Trotsky, c'est pour pouvoir apprendre de sa méthode, comprendre le rôle de la classe,
du parti et des masses, la relation entre elles et le rythme du
processus révolutionnaire.
La lutte dans notre pays
suit en ce moment une trajectoire vers le haut. Les couches
d'avant-garde de la classe prolétaire sont plus à gauche que les
plus radicaux de leurs porteparoles attitrés. La direction est
frappée par un conservatisme idéologique qui la fait sous-estimer
le potentiel de la situation, qui offre pourtant la possibilité
d'avancer beaucoup plus rapidement que tout ce qui se fait pour le moment vers la création d'un parti
prolétarien de masse doté d'un programme socialiste.
L'approche des EFF par rapport à cette question est de se proclamer d'avance en tant que
porte-étendard de la gauche, et de rechercher l'unité avec le reste de la gauche
mais uniquement selon leurs propres termes, c'est-à-dire en marchant en cadence au pas de leur gros tambour. Les EFF ont traité le reste de la gauche avec un
manque criant de respect, y compris le NUMSA, un syndicat dont le
poids politique et le potentiel révolutionnaire sont pourtant de
loin plus élevés que ceux des EFF.
Le syndicat NUMSA en lutte pour défendre l'emploi |
Malheureusement, le NUMSA
lui-même a laissé passer bon nombre d'occasions importantes. Le
refus du NUMSA de venir prendre la place qui lui revenait de droit au
sein du WASP pendant la campagne électorale a été une première
grande déception pour la direction du WASP, mais aussi pour la classe
prolétaire dans son ensemble. Les membres du NUMSA ont un immense
respect pour le WASP, ils voient dans notre parti une bien plus
grande proximité idéologique et politique que ce que leur direction est
prête à le reconnaitre. Avec toutes leurs attentes, relayées même
dans les médias, les membres du NUMSA ont été pour le moins
surpris par la déclaration du camarade Jim à la télévision qui,
lorsqu'on lui a demandé si le NUMSA allait soutenir le WASP, a répondu
qu'« il n'y a pour le moment pas de parti prolétarien en Afrique du
Sud ».
Encore plus regrettable,
nous voyons que l'approche de la direction du NUMSA a paralysé le
travail de construction du Front uni, qui est désorienté
idéologiquement, insipide sur le plan politique, et incapable
d'exécuter la tâche pour laquelle il a été créé, qui était
d'unifier les masses laborieuses en lutte en-dehors du mouvement
syndical pour les rassembler dans un organe commun aux côtés des travailleurs dans les
entreprises.
Le rôle du Mouvement pour
le socialisme apparait à présent moins d'unifier la gauche autour
d'une base idéologique et politique discutée et décidée en
commun, que de forcer la gauche à s'aligner derrière la ligne du
NUMSA. Cette ligne, s'il faut se référer à un éditorial du
camarade Jim dans la deuxième édition du bulletin en ligne du
Mouvement pour le socialisme, ne consiste pas en un rejet total du
révisionnisme pratiqué par le Parti communiste, mais plutôt en un
renouvèlement des traditions idéologiques et de la culture
organisationnelle de ce même Parti communiste.
L'adhérence obstinée à des concepts
théoriques erronés ou éculés tels que la « révolution démocratique
nationale », le « colonialisme d'un genre particulier »
et la « charte de la liberté », ne nous mène que dans
une seule direction : la résurrection de la théorie
stalinienne de la révolution en « deux étapes », qui a
pourtant clairement démontré sa faillite tout au long des luttes du
vingtième siècle. Les camarades approchent cette question comme des
prisonniers politiques qui se seraient échappés de la prison du
Parti communiste, mais qui maintenant cherchent à y revenir
volontairement. La situation actuelle requiert pourtant non pas un
clone du Parti communiste, mais bien un parti prolétarien de masse doté
d'un programme socialiste.
La révolte des étudiants
montre bien que, si un processus révolutionnaire ne parvient pas à
trouver un débouché dans les impasses idéologiques que
représentent aujourd'hui les EFF comme le NUMSA, il trouvera une
autre manière de s'exprimer. On a beaucoup parlé du succès de la
marche des EFF sur la bourse de Johannesburg. Mais selon des estimations
plus rationnelles, il ressort que la soi-disant « marée
rouge » regroupait beaucoup moins de personnes que ce qui a été
suggéré par la plupart des médias pris de panique. Quelle que soit la
vérité concernant le nombre de manifestants, il est clair que le
succès de l'action des EFF ce jour-là n'était pas dû à sa propre force motrice,
mais bien au fait qu'ils surfaient à ce moment sur la puissante vague de la
révolte des étudiants.
Il est bien plus important
de remarquer le fait que ce mouvement estudiantin s'est déroulé de
manière totalement indépendante de toute force politique ou
syndicale, que ce soit les EFF ou le NUMSA. La recherche d'un parti
prolétarien de masse trouvera son expression ailleurs que chez les
EFF et le NUMSA, qui paraissent aujourd'hui ne pas être des guides à
suivre sur cette route, mais bien des obstacles qu'il faut
contourner.
Tous les ingrédients sont
présents pour une explosion sociale en Afrique du Sud, ce qui va
l'amener dans une période d'énormes bouleversements sociaux et
politiques. La crise économique s'aggrave de jour en jour. Le pays
se rapproche petit à petit du gouffre financier à propos duquel les
économistes bourgeois avaient tiré la sonnette d'alarme il y a déjà
bien longtemps. D'énormes pressions contradictoires pèsent sur la
balance fiscale : d'un côté, le gouvernement et la bourgeoisie
qui veulent voir plus de moyens dégagés pour construire des
centrales nucléaires et acheter des jets présidentiels ; de
l'autre, le peuple qui réclame l'enseignement gratuit et une hausse
des salaires pour les employés du public.
Pendant ce temps, le
déficit budgétaire se rapproche des 4-5 % du PIB, ce qui
pourrait décider les agences de notation à réduire la note du
pays, réduisant du même coup la confiance en la capacité de
financement du pays et provoquant une nouvelle vague redoublée de
fuite des capitaux. La sècheresse menace de milliers de pertes de
bétail et de la possibilité d'une famine dans certaines zones. Nous assistons aussi à l'effondrement des industries de l'acier, de l'ingénierie et des
mines. Tout ça en plus de la dévaluation du rand (la monnaie nationale), de
la croissance économique inerte, du déficit bancaire croissant et
de la dette qui s'accumule rapidement (dette de l'État comme dette
des ménages). Voici donc rassemblé un matériau extrêmement
explosif qui risque de provoquer une véritable conflagration
sociale.
Les patrons, extrêmement
conscients du déclin de l'ANC, n'hésiteront pas le moins du monde s'il le faut à
s'en débarrasser comme d'une orange pressée, ou à encourager une
scission en son sein, tant ils sont désespérés de trouver une
force alternative en laquelle ils puissent avoir confiance pour protéger
leurs intérêts – y compris un gouvernement de coalition.
Quelle ironie ce serait, le cas échéant, de voir une telle
coalition inclure les EFF ! Comme nous l'expliquerons dans notre
prochain article sur l'évolution de la politique économique des
EFF, les révisions de son programme effectuées par sa direction
pourraient bien, dans ce cadre, ne pas être incompatibles avec les
intérêts de la classe capitaliste.
Ni les EFF, ni le NUMSA ne
contrôlent le cours de l'histoire. L'unité de la gauche aiderait la
classe prolétaire à se sortir de l'impasse dans laquelle elle se
trouve, à condition qu'elle soit unie par un parti prolétarien de
masse doté d'un programme socialiste. La nécessité de cela n'a
jamais été aussi grande qu'aujourd'hui.
La grève des étudiants d'octobre 2015 qui a forcé Zuma à annuler la hausse des frais d'inscription en moins d'une semaine |
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