samedi 26 mars 2016

CI : Économie nationale


Le pays se développe… mais pas pour nous !


On annonce ces derniers temps beaucoup de chiffres à l'air très encourageant pour l'économie ivoirienne. Comme il fallait s'y attendre, la « bonne tenue » des élections en Côte d'Ivoire a été un facteur extrêmement important pour convaincre bon nombre d'« investisseurs » étrangers de concrétiser leurs projets envisagés depuis plusieurs années. Les élections devaient en effet faire la preuve éclatante que la « stabilité » est bel et bien revenue dans le pays. Les adorateurs de notre président ne manquent pas de l'aduler pour ses « nombreux efforts ». Mais ceci soulève deux questions : d'abord, dans quelle mesure peut-on dire que l'économie « se porte bien » ? Ensuite, dans quelle mesure le mérite en revient-il à Alassane Ouattara et à son gouvernement ? Et quelle conclusion tirer de tout cela par rapport à la lutte pour la démocratie et le bien-être des populations dans notre pays.

– Jules Konan


L'argent travaille…

De plus en plus d'entreprises sont créées sur le sol ivoirien : en 2015, elles étaient environ quatre fois plus nombreuses qu'en 2014. Une enquête réalisée en avril 2015 révélait aussi que 56 % des entreprises s'attendaient à connaitre une hausse de leurs activités.

Dans l'agriculture, la production vivrière a augmenté de 13 % en 2015, une hausse surtout portée par le manioc et le riz. La Côte d'Ivoire est également devenue le premier producteur mondial d'anacarde, devant l'Inde, tandis que le prix payé aux planteurs augmente pour l'anacarde, le cacao, le coton, le café. Le revenu des planteurs se serait par conséquent accru de 24 %.

On voit aussi une croissance importante de l'industrie : en 2015, les industries métalliques ont crû de 50 %, la fabrication de machines de 26 %, la fabrication de papier et de carton de 10 %, de la menuiserie de 8 %, du verre de 12 %, de la chimie de 10 %, du béton de 36 %… Les mines sont en hausse (surtout l'or), et on produit plus d'électricité qu'avant, ce qui a permis de beaucoup diminuer les coupures.

C'est le même dynamisme constaté au niveau du commerce : les ventes de vêtements sont en hausse de 34 %, les ventes de meubles et équipements ménagers de 22 %, les produits de beauté de 35 %. On note un net essor du marché du luxe : champagne, montres, bijoux. Le tourisme est lui aussi appelé à se renforcer : on comptait 470 000 visiteurs étrangers en 2014.

Enfin, indicateurs très importants : le trafic aérien s'est accru de 23 %, le transport maritime de 10 % et le transport ferroviaire de 5 % (indiquant un renforcement des échanges avec le Burkina et le Mali).

Entre 2011 et 2015, le PIB par habitant aurait donc augmenté de 36 % (de 510 000 à 690 0000 FCFA par habitant par an).

De nombreux projets de construction d'usines et d'infrastructures ont été réalisés, et beaucoup d'autres sont encore annoncés : de nouvelles cimenteries à San Pedro et à Attécoubé, des marchés de gros dans toutes les villes de l'intérieur, l'Aérocité d'Abidjan, l'extension des ports d'Abidjan et de San Pedro, des barrages électriques, des hôtels, de nouvelles routes, de nouveaux ponts, de nouveaux échangeurs…

Selon le cabinet sud-africain Nielsen, la Côte d'Ivoire est devenue le pays le plus attractif pour les investissements privés de toute l'Afrique subsaharienne. On voit d'ailleurs une présence de plus en plus accrue de groupes étrangers, avec une diversification importante. Alors que 40 % de notre économie reste dominée par des entreprises françaises, les échanges avec le Maroc et la Turquie par exemple ne cessent d'augmenter. Les échanges entre le Maroc et la Côte d'Ivoire sont passés de 40 milliards en 2010, à 160 milliards en 2015 (chiffres similaires concernant la Turquie). Les États-Unis ont de leur côté promis une aide de 200 milliards de francs, tandis que des grands groupes tels que General Electric envisagent sérieusement de s'installer dans notre pays (on parle de 30 000 milliards de francs d'investissement). La Chine aussi a promis d'exporter son savoir-faire industriel (à cause de la crise, elle veut démonter ses usines chez elle pour venir les remonter en Afrique).

Les échanges entre le Maroc et la Côte d'Ivoire ont quadruplé en 5 ans

…mais ne circule pas !

La Côte d'Ivoire a gagné 29 places au classement de l'ONG Transparency International, qui enquête chaque année sur la perception de la corruption dans les différents pays du monde. Mais elle reste 107e sur 168 pays ! Avec 32 points sur 100, la Côte d'Ivoire reste même en-dessous de la moyenne africaine, qui est de 33/100 ! Selon Jeune Afrique, 85 % des Ivoiriens seraient confrontés à la corruption au moins une fois par jour. La corruption et la difficulté d'obtenir des documents, des terrains et des crédits sont les principales contraintes mentionnées par les entreprises qui expliquent qu'elles ont du mal à étendre leurs activités (et donc à embaucher).

Même si les bonnes performances économiques ont été saluées (il reste un désaccord sur les chiffres exact : le gouvernement parle de plus de 10 % alors que le FMI n'en voit « que » 8,5 %), de nombreuses institutions pointent de graves déficiences dans la gestion de cette croissance sans pareil.

Ainsi, dans le rapport de la Banque mondiale sur l'économie ivoirienne, on lit : « Jusqu'ici, la bonne performance de l'économie ivoirienne ne s'est pas traduite par une baisse significative du taux de pauvreté ni par une augmentation des revenus de la population qui vit en-dessous du seuil de pauvreté. Les écarts de revenus entre les pauvres et le reste de la population demeurent élevés. » De plus, si le taux de chômage n'est que de 7 % dans notre pays, c'est parce que le chômage est un luxe que les Ivoiriens ne peuvent se permettre. Le problème dans ce pays n'est pas de trouver un travail, mais bien de trouver un travail qui paie.

On estime que les « emplois indépendants non agricoles » occupent 3 millions de travailleurs en Côte d'Ivoire. Traduction : notre pays compte 30 % de « djossistes » qui vivotent d'un petit boulot qui finalement ne rapporte rien (revenu moyen de 60 000 francs). Il s'agit en réalité d'un chômage déguisé. Et il est prévu une forte augmentation de cette catégorie de la population si rien ne change : en 2025, ces « travailleurs indépendants » devraient atteindre le nombre de 9 millions, soit 40 % de la population. Mais le sort de cette catégorie de la population reste meilleur que celui des paysans qui (malgré la hausse de leurs revenus) ne touchent en moyenne que 40 000 francs par mois. Même si tous ces petits « entrepreneurs » sont dans l'informel, un tiers d'entre eux disent payer des taxes ! Les salariés véritables ne représentent toujours que 20 % des travailleurs ivoiriens. Ils gagnent en moyenne 300 000 francs par mois, soit 5 fois plus que le reste de la population. De manière générale, on estime que l'Ivoirien moyen gagne 100 000 francs par mois, ce qui est inférieur à la moyenne africaine.

Parallèlement, si plus de gens travaillent aujourd'hui qu'avant et espèrent connaitre une hausse de leur niveau de vie, la réalité est que la hausse constante des prix, des factures et des loyers anéantit toute véritable amélioration.

Le FMI a également fortement mis en garde le gouvernement contre l'utilisation abusive de « partenariats public-privé » (PPP). Le principe de tels projets est que des privés investissent avec l'État dans des travaux d'intérêt public, mais les bénéfices sont garantis au privé par l'État, qui s'engage à mettre de sa poche au cas où l'investissement ne rapporterait pas les profits escomptés. Il s'agit d'une véritable arnaque, comme on le voit avec le pont HKB qui coute 1 milliard de francs par mois à l'État : en effet, l'État s'est engagé à payer le transport de chaque véhicule qui manque pour atteindre l'objectif de 60 000 véhicules par jour sur ce pont. Le prochain programme de développement national compte 49 projets « de l'émergence » en PPP (notamment le projet de « métro » d'Abidjan). « Les PPP étant des contrats de longue durée, c'est une sorte d'épée de Damoclès qui plane sur les finances ivoiriennes. Tout porte donc à croire que le gouvernement fait fausse route. » (Tribune de l'Économie).

30 % de la population vit de petits-métiers de survie.
Un chômage de masse déguisé.

L'économie se développe… malgré Alassane et sa bande !

Les bonnes performances actuelles de l'économie ivoirienne ne sont pas tellement dues au « génie » d'Alassane Ouattara qu'à l'état général de l'économie mondiale. Partout dans le monde, c'est la crise : alors que la population s'appauvrit partout, les grands groupes capitalistes et les grands financiers ont tellement d'argent qu'ils ne savent plus quoi en faire. Ils sont donc à la recherche de nouveaux marchés et de nouveaux sites d'investissement : en Afrique, en Asie… À ce titre, la Côte d'Ivoire présente de nombreux attraits pour les grands patrons du monde entier : une infrastructure de qualité, une position stratégique dans la sous-région, une industrie relativement diversifiée, une main-d'œuvre instruite et surtout… docile, désorganisée, et qui se contente de peu !

Quelle bénédiction pour les patrons en effet : on ramasse partout des chômeurs qui sont prêts à travailler pour des cacahuètes et qu'on peut licencier à tout moment dès qu'ils commencent un peu à revendiquer, pour les remplacer par d'autres crève-la-faim. Des travailleurs qui n'ont aucune notion de syndicalisme. Des syndicats divisés, atomisés et dont le seul rôle est d'aller s'asseoir dans le bureau du patron pour manger avec lui.

On comprend donc mieux pourquoi, alors que le PIB a crû de 33 % entre 2012 et 2015, le taux de pauvreté n'a diminué que de quelques pour-cents ! En fait, la baisse du taux de pauvreté n'est même pas suffisante pour compenser la hausse de la population : il y a aujourd'hui dans notre pays un million de pauvres de plus qu'en 2008.

La principale raison de cette « croissance à deux vitesses » se trouve ici : toute la politique du RDR est tournée vers une amélioration du « climat des affaires » et de l'infrastructure, tout en assurant un climat de désorganisation des mouvements de lutte et de répression qui font que, malgré le mécontentement à la base, aucune voix organisée ne peut s'élever pour protester. C'est là que se révèle donc la véritable nature de l'État néocolonial ivoirien : une machine de répression au service de la bourgeoisie (étrangère). Alassane et son gouvernement jouent ici le rôle d'intermédiaires qui louent le territoire et les ressources naturelles et humaines à leur disposition à qui veut bien venir s'en servir, tout en subsidiant ces projets avec l'argent de l'État, notamment via les fameux PPP. Toute cette croissance peut créer une illusion parmi la population du fait qu'« Alassane travaille pour nous ». Or, c'est faux.


En même temps, l'arrivée de toutes ces nouvelles grandes entreprises va donner du travail à des centaines de jeunes qui viendront renforcer la classe ouvrière ivoirienne. Ces jeunes feront là leur toute première expérience du travail à la chaine. Ils n'auront sans doute aucune expérience du syndicalisme ; mais les conditions concrètes du terrain et le caractère de nouveauté de la lutte ne manqueront pas d'éveiller en eux un sentiment d'injustice et une grande combativité. C'est à nous, socialistes, qu'il revient de nous apprêter pour aller à la rencontre de ces nouveaux ouvriers et les organiser en classe.

De plus en plus d'Ivoiriens rejoignent les rangs de la classe ouvrière.
Il revient aux socialistes d'organiser cette force pour le changement.

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