Quelle doit être la position des socialistes dans le débat sur la sortie ou non de l'Union européenne ?
Le référendum du 23 juin n'est pas un
simple référendum sur l'adhésion à l'Union européenne :
c'est aussi une chance pour nous de donner notre verdict par rapport
à David Cameron et à son régime corrompu. En votant pour la sortie de l'Union européenne, nous
signerions l'arrêt de mort de ce gouvernement. Nous obtiendrions
ainsi l'organisation d'élections anticipées, ce qui nous
permettrait de nous débarrasser des conservateurs au pouvoir. Il est
donc très important pour nous de voter pour la sortie.
Dans cette bataille entre les forces pro- et
anti-Union européenne, c'est sa tête que Cameron met en jeu, ainsi
que celles de plusieurs autres ministres du camp « pro-UE »,
comme le ministre des Finances George Osborne et la ministre de
l'Intérieur Theresa May. Même s'ils parviennent à une victoire,
leur autorité pourrait être gravement endommagée, en fonction de
la marge de victoire obtenue. Quel que soit le résultat du
référendum, le débat a déjà provoqué une intense crise interne
au sein de leur parti, qui risque bien de le déchirer.
Jeremy Corbyn et son parti, le Parti travailliste,
appellent à rester dans l'UE : c'est une grave erreur, alors
que ce vote pourrait conduire à la chute du gouvernement
conservateur, déjà dans les cordes. Le Parti travailliste doit
changer de cap afin de faire tomber Cameron et ses amis et provoquer la tenue de nouvelles élections nationales. Jusqu'à présent, les débats au sein du mouvement ouvrier n'ont pas assez porté sur le contexte économique et politique du référendum sur l'UE. Il nous faut donc nous pencher plus en détail sur le camp que doivent adopter les syndicalistes, les militants anti-austérité, les jeunes et les socialistes : pour ou contre l'Union européenne ?
– Article inspiré d'un dossier par Clive Heemskerk, Parti socialiste d'Angleterre et du pays de Galles (section du CIO) et membre de la Coalition syndicaliste et socialiste (TUSC)
En ce
moment, les sondages d'opinion montrent qu'une majorité de la
population est pour rester dans l'Union européenne. C'est
particulièrement le cas pour les jeunes qui, tout comme la plupart
des travailleurs, sont dégoutés par le nationalisme réactionnaire
de ceux qui sont présentés par les médias comme étant le camp
anti-UE : les conservateurs de droite et le Parti de
l'indépendance (UKIP, droite populiste). Mais en cet « âge
d'austérité », six mois sont une longue période.
Poussés
par la crise financière et la récession, les évènements se
déroulent à un rythme renversant, provoquant de brusques
revirements dans la conscience des masses. Une nouvelle plongée dans
la récession, qui mettrait un terme à la soi-disant « reprise »
des quelques dernières années, aurait pour effet d'intensifier les
tensions au sein de l'UE.
Le
dénouement de la crise grecque a aussi eu un impact. La capitulation
humiliante de Syriza face à l'austérité brutale imposée par l'UE
a peu fait pour renforcer l'image de cette institution.
Selon
ses calculs, le Premier ministre Cameron espère pouvoir obtenir la
confirmation de l'adhésion à l'Union européenne, tout en mettant
un terme à la crise au sein de son parti. Mais ces espoirs
pourraient être rapidement anéantis. Margaret Thatcher, une
fervente partisane du capitalisme, disait en 1975 que les
référendums sont « l'arme des dictateurs et des démagogues »,
ajoutant qu'un gouvernement ne devrait organiser un référendum que
s'il connaissait la réponse à l'avance. Mais une défaite
confirmerait la perte du statut de grande puissance du Royaume-Uni,
tout en déchirant le Parti conservateur.
L'UE n'est qu'un club de patrons néolibéral
Pour
définir notre position dans ce débat, le point de départ ne doit
pas être la soi-disant « défense des intérêts
britanniques » ni l'idée illusion d'un « renfort de
l'union » des États bourgeois d'Europe. Il nous faut partir du
point de vue de la classe prolétaire, contre la classe capitaliste,
en prenant en compte le fait que les intérêts de ces deux classes
sont irrémédiablement opposés, sur le plan national comme
international.
L'Union
européenne n'a, dès son origine, jamais été rien de plus qu'un
accord entre les différentes bourgeoisies nationales d'Europe, dont
le but était de créer un champ d'action aussi large que possible
pour les multinationales européennes, et donc de sécuriser ainsi
leurs profits en écartant toute une série d'obstacles. Depuis le
traité de Rome de 1957 (fondation de la CEE), chaque traité n'a
fait que développer et renforcer le marché commun européen, grâce
à des règlementations et des normes commerciales paneuropéennes.
Le
dernier traité a été celui de Lisbonne, en 2007, qu'on nous a
présenté comme une « constitution européenne ». Ce
traité a été signé entre autres par le Premier ministre
britannique Gordon Brown (Parti travailliste), sans que ne soit tenu
le référendum qui avait pourtant été promis lors des élections
de 2005. Ce traité a gravé dans la loi européenne la
politique néolibérale qui a dominé le capitalisme mondial tout au
long des trente dernières années : la privatisation, la
dérégulation, les attaques sur les droits des travailleurs, des
coupes dans les systèmes de pensions, d'enseignement et des soins de
santé. L'UE est donc à présent fermement établie en tant qu'agent
d'austérité permanente paneuropéenne.
Tout
cela ne veut cependant pas dire que le capitalisme a été capable de
créer (ou sera capable de créer) une sorte d'« États-Unis
d'Europe », comme certaines personnes se l'imaginent.
Les
gigantesques pressions provenant de l'économie mondiale sont en
train de pousser les différentes classes capitalistes nationales
d'Europe à se liguer sur les plans politique et économique, dans le
but de créer un bloc assez grand pour pouvoir rivaliser avec les
concurrents de ces États, notamment les États-Unis, la Chine et le
Japon. Mais, le système capitaliste, qui repose sur la propriété
privée des moyens de production, est également fermement ancré sur
l'État-nation. Ces États-nations ne sont pas de simples entités
économiques, mais des formations sociales et politiques
persistantes, issues de l'histoire.
Ces États demeurent un obstacle
qui se dresse face à toutes les tentatives d'une unification totale
de l'Europe. L'Union européenne n'a jamais été qu'une alliance
conclue entre les différentes classes bourgeoises de
28 États-nations, qui n'a jamais eu le moindre caractère
permanent. Même si cette alliance est fortement inclusive et a
permis d'aller assez loin en terme d'intégration, son caractère
fondamental n'a jamais changé : elle reste une simple alliance
et rien de plus.
Il est
également vrai que les négociations entre pays européens visaient
à une « égalité dans la concurrence » grâce à la
mise en place d'un marché commun et de certaines règlementations
environnementales, la liberté de mouvement, une certaine politique
sociale commune, etc. Il s'agit d'autant de tentatives de résoudre
les contradictions entre les différentes classes capitalistes des
différents États-nations. Notre classe capitaliste britannique
repose surtout sur les services financiers dérégulés et sur la
fameuse « flexibilité » du marché de l'emploi dans
notre pays, étant à la traine derrière les capitalistes français
et allemands en termes des investissements, de la productivité et de
la recherche. Ce qui fait que les objectifs et les aspirations des
capitalistes britanniques sont assez différents de ceux de leurs
« partenaires européens ». Mais ce n'est pas une raison
pour laquelle le mouvement ouvrier du Royaume-Uni devrait soutenir
l'adhésion à l'UE.
Ce genre
de questions n'est pas nouvelle pour nous autres marxistes. Lors du
congrès des conseils ouvriers d'octobre 1917 (au cours duquel a
été votée la prise du pouvoir par les conseils ouvriers appelés
« soviets » en russe), Lénine était pour l'annulation
de tous les traités signés par le gouvernement du tsar (l'empereur
de Russie), tout en faisant cette concession : « Tous ces
gouvernements prédateurs ont conclu des accords entre eux non
seulement pour piller le reste du monde, mais y ont également inclus
des clauses concernant les bonnes relations entre leurs différentes
nations … nous ne pouvons rejeter ces dernières ». Mais,
afin de défendre les intérêts de la classe prolétaire, les
conseils ouvriers ne pouvaient « être liés par les traités
du tsar. Nous ne pouvons nous permettre d'être bloqués par des
traités ».
Aujourd'hui, la nature néolibérale de l'UE et de
ses directives procapitalistes, antisociales, qui forcent la
privatisation des services publics, interdisent les nationalisations,
permettent de contester des conventions collectives conclues avec les
syndicats, etc. a de réelles conséquences pour les travailleurs du
Royaume-Uni et d'Europe en général. La classe prolétaire doit
avoir sa propre position indépendante : Non à l'Europe des
patrons ! Mais oui à une Europe socialiste.
Pour la population européenne, l'UE représente aujourd'hui un carcan qui l'empêche de lutter pour une politique sociale |
L'Union européenne ne peut-elle être réformée ?
Certains
militants et syndicalistes de gauche pensent que l'on peut faire
pression sur les chefs de l'Union européenne pour obtenir une
révision de sa ligne politique, notamment par les élections au
parlement européen. Cependant, aucune véritable stratégie n'a
jamais été avancée pour ce faire, et on comprend facilement
pourquoi.
L'autorité
suprême qui dirige l'Union européenne est le Conseil européen,
composé des chefs de gouvernement des 28 États-nations
bourgeois membres de l'UE. L'ensemble des fonctions exécutives
appartiennent à la Commission européenne, dont aucun membre n'est
élu, et dont le président actuel est le conservateur luxembourgeois
Jean-Claude Juncker.
Le
parlement européen actuel compte 751 députés européens. Même
s'il a permis à nos camarades du CIO Joe Higgins et Paul Murphy d'y
trouver une tribune à partir de laquelle s'adresser aux travailleurs
d'Europe et de jouer un important rôle de soutien pour de nombreux
mouvements sociaux, ce parlement ne joue absolument aucun rôle
politique, mis à part le fait de valider la Commission européenne
une fois tous les cinq ans. C'est juste un endroit où on fait des
discours.
Beaucoup
de gens appellent à donner plus de pouvoirs au parlement européen.
Mais à qui revient-il de prendre cette décision ? Au Conseil
européen, composé des 28 chefs de gouvernement. Pourquoi ces
politiciens de premier rang, chacun à la tête d'un État-nation
capitaliste, accepteraient-ils de remettre leur pouvoir à un autre
groupe de politiciens de seconde zone regroupés au sein du parlement
européen ? L'appel pour plus de pouvoir au parlement européen
– surtout si cet appel a pour objectif de faire de ce
parlement un outil pour la défense des droits des travailleurs
contre le capitalisme – doit donc forcément être un appel à
un soulèvement de masse simultané des travailleurs et des simples
citoyens de l'ensemble des pays européens – pas pour
renverser une autorité centrale, mais simplement pour
« contraindre » les représentants de 28 États-nations
capitalistes de céder une partie de leur pouvoir.
Au cours
de l'histoire, on a connu des parlements qui ont servi de points de
ralliement pour des mouvements de masse en vue d'une prise du pouvoir
et d'une rupture historique avec l'ancien régime : ça a
notamment été le cas lors de la guerre civile anglaise (1642-1651)
et de la révolution française (1789-1799). Mais cela n'a pas
toujours fonctionné. Lors des révolutions européennes de 1848 (le
« Printemps des peuples ») on a vu l'assemblée de
Francfort en Allemagne tenter de prendre le pouvoir à la place des
principautés féodales et des cités-États indépendantes dont
l'association formait la confédération germanique, dans le but de
créer une Allemagne unie.
Mais même alors, à une époque où le
capitalisme était en pleine croissance et où il ne faisait aucun
doute que ces révolutionnaires étaient soutenus par une conscience
nationale allemande largement répandue parmi les masses (avec une
culture commune, une langue commune, etc.), les parlementaires
bourgeois n'étaient pas prêts à accomplir les mesures
révolutionnaires qui s'imposaient. Faut-il vraiment chercher ici un
parallèle avec la situation actuelle, à une époque où le
capitalisme n'est plus capable de jouer le moindre rôle
progressiste, alors qu'il n'existe aucun mouvement populaire pour un
État capitaliste européen unitaire, mais au contraire, une
hostilité grandissante parmi les masses contre l'Union européenne
et contre l'austérité qu'elle nous impose ?
Si les
politiciens bourgeois des différents États-nations de l'UE n'ont
jamais pris pour base des traités européens les idées de « justice
sociale avant les intérêts des multinationales », c'est tout
simplement parce que ces politiciens représentent uniquement les
intérêts de leurs différentes classes capitalistes. La classe
prolétaire est la seule classe qui n'a aucun intérêt au maintien
du capitalisme et dont les intérêts sont identiques, qu'elle soit
allemande, britannique, italienne, grecque ou polonaise. Il s'agit
donc de la seule classe qui a un véritable intérêt à la
solidarité internationale.
Mais si nous parlons de construire un
mouvement prolétarien à travers toute l'Europe – puisque
c'est bien ce que nous voulons –, pourquoi alors vouloir
limiter son action à une réforme des traités européens ? Si
ce mouvement pouvait contraindre les différentes classes
capitalistes d'Europe à des concessions très importantes (cela
n'est pas impossible, si les capitalistes voyaient l'intérêt d'une
retraite tactique, bien que temporaire, au cas où leur règne serait
menacé), pourquoi alors ne pas poursuivre sur cette lancée jusqu'au
renversement des gouvernements capitalistes d'Europe et la mise en
place d'une nouvelle alliance des peuples d'Europe, une Europe
socialiste ?
Les
États-Unis socialistes d'Europe, dont la forme première sera sans
doute une confédération d'États socialistes indépendants :
voilà le programme du marxisme. Mais entre-temps, nous voyons des
mouvements d'opposition contre l'austérité émerger sur différents
terrains nationaux : la crise grecque, le mouvement contre la
facturation de l'eau courante en Irlande, les indignés en Espagne…
Même si tous ces mouvements restent non coordonnés entre eux. Que
doivent répondre alors les socialistes, lorsque ces mouvements sont
pris à partie par leurs gouvernements capitalistes nationaux, qui
leur disent que leur action est « contraire aux normes
européennes » et qu'ils risquent donc de « remettre en
question l'avenir de l'Europe » ?
Le « rêve européen » a pris fin |
Ne laissons pas le champ libre à la droite !
Quelques
jours après que le Front national soit sorti vainqueur des élections
européennes de mai 2014 en France, sa dirigeante Marine Le Pen
a affirmé que cette victoire lui donnait un mandat pour exiger du
président François Hollande la nationalisation de Alstom
(l'entreprise qui construit les trains TGV à grande vitesse), quand
bien même cela serait « contraire aux règles de l'Union
européenne, afin de sauver cette entreprise stratégique ».
Que
doivent répondre à cela les partisans de l'UE au sein du mouvement
ouvrier ? Appeler les travailleurs à accepter les « règles
de l'UE » ? Appeler la Commission européenne à
« autoriser » la sauvegarde de l'emploi ? Ou bien,
suivre l'avis de Lénine, qui est de ne jamais s'accepter lié par
des traités dont la classe ouvrière n'est pas responsable ?
Il est
dangereux de poser les problèmes d'une manière qui renforce l'idée
selon laquelle il existerait des solutions durables aux problèmes
auxquels sont confrontés les travailleurs endéans les limites de
l'État-nation. Même la nationalisation sous le contrôle
démocratique des travailleurs d'importants secteurs de l'économie
d'un pays (comme nous le défendons en Grèce) ne serait qu'un
premier pas, visant à briser le pouvoir du capitalisme mondial. La
lutte pour le renversement du capitalisme et pour le début de la
transition vers le socialisme commence évidemment au niveau d'un
pays, mais ne peut s'y arrêter.
Mais le
plus grand danger est de laisser la voie libre à la droite sur le
terrain national. L'effroyable dette placée sur le dos des
travailleurs de Grèce et d'autres pays depuis la crise bancaire de
2007-2009, via les institutions de l'UE et de la zone euro, peut être
comparée au fardeau imposé au peuple allemand par les
« vainqueurs » de la Première Guerre mondiale à titre
de « réparations de guerre », telles que définies par
le traité de Versailles. Ce sentiment d'avoir été « puni »
par le Royaume-Uni et la France était très brulant dans la
conscience de masse du peuple allemand : il devait donc être
considéré par la gauche de ce pays.
Dans
les années '1930, un peu avant la prise de pouvoir par les
Nazis en 1933, Léon Trotsky critiquait Ernst Thälmann, le
dirigeant stalinien du Parti communiste allemand (KPD). Selon
Thälmann, le problème portait principalement sur la « libération
nationale », vu que « l'Allemagne était devenue un jouet
entre les main des vainqueurs de la guerre ». Mais Trotsky
écrivait que la France et l'Angleterre sont elles-mêmes devenues
des jouets entre les mains de l'Amérique : « États unis
soviétiques d'Europe, voilà le seul mot d'ordre correct apportant
une solution au morcellement de l'Europe. » (La
lutte contre le fascisme en Allemagne).
Mais
Trotsky insistait sur le fait que la classe ouvrière ne peut
abandonner ce terrain à la droite nationaliste, comme ses
organisations de masse (les partis social-démocrate et communiste)
l'avaient fait en 1929 à l'occasion d'un référendum, promu à
l'époque par le Parti national du peuple allemand (DNVP,
Deutschnationale Volkspartei), pour rejeter les dettes de réparation
de guerre. Le Parti communiste a appelé à une abstention, tandis
que les députés sociaux-démocrates voulaient continuer à payer
ces dettes, « en vertu du droit international ».
Lors de
la campagne pour ce référendum, le Parti national-socialiste
(« nazi ») a participé aux côtés du Parti national :
c'était la première fois qu'une importante faction des capitalistes
allemandes décidait de collaborer avec Hitler. Cette participation a
été un des facteurs qui a expliqué la hausse phénoménale du
nombre de voix pour le parti nazi lors des élections de
septembre 1930, passant de 810 000 voix (2,6 % des
suffrages) en 1928 à 6,3 millions (18,2 %), tout cela
dans le contexte de la grave crise économique de 1929.
Trotsky,
dans son analyse des résultats des élections, a conclu que la
classe ouvrière avait reçu une nouvelle chance de se placer à la
tête de la nation en tant que couche dirigeante, mais que, suite à
de nombreuses occasions gâchées lors des dix années précédentes,
elle n'avait pas été capable de démontrer qu'elle pourrait changer
le destin de l'ensemble des classes sociales de la nation, y compris
de la petite-bourgeoisie. C'est ainsi qu'avait été ouverte la voie
à une terrible réaction.
Les
dettes du traité de Versailles étaient bien entendu appuyées par
une force militaire étrangère (notamment l'invasion de la Ruhr
en 1923, une importante région industrielle allemande). Ce
n'est pas le cas avec les traités actuels de l'Union européenne.
Même si le fait que certains hauts cadres de l'UE aient parlé de la
nécessité d'un « état d'urgence » en cas de rupture
avec la Grèce (causant de nombreuses inquiétudes dans un pays où
les coups d'État sont relativement habituels) montre bien à quel
point ils sont prêts à accepter une réaction « légitime ».
Néanmoins,
il est dangereux de parler de l'UE en tant que « super-État »,
comme le fait le Parti communiste britannique : cela représente
une exagération de la véritable puissance de l'UE, avec le risque
de démobiliser les travailleurs en leur disant qu'« il n'y a
rien à faire face » à la « loi européenne »,
etc. Bien au contraire, on a déjà vu des grèves bien organisées
s'opposer frontalement aux directives européennes et obtenir des
victoires, sans que l'UE ne puisse faire quoi que ce soit contre
cela. Si les patrons utilisent les lois européennes contre des
grévistes, elles sont toujours appliquées par des avocats
britanniques commandités par le gouvernement britannique.
En
d'autres termes, les lois « européennes » ne sont jamais
appliquées que par des représentants nationaux de nos grands
patrons nationaux. Une fois de plus, la conclusion est que la classe
prolétaire a besoin de son propre parti, indépendant de la
bourgeoisie, pour pouvoir combattre les politiciens capitalistes,
qu'ils se trouvent à Londres ou à Bruxelles.
Nous ne pouvons nous permettre de laisser la droite populiste se positionner comme seule force opposée à l'Union européenne (ici, Nigel Farage, le dirigeant du Parti de l'indépendance) |
Un référendum contre la classe dirigeante
Certains
militants de gauche qui disent vouloir voter pour rester dans l'UE
pensent contrer l'argument des socialistes selon lequel « l'UE
n'est qu'un club de patrons » en disant que « le
Royaume-Uni aussi n'est jamais qu'un club de patrons ». Mais
ils ne comprennent pas que c'est justement pour cela que nous devons
voter pour sortir de l'UE. Si on demande aux socialistes
« acceptez-vous les relations économiques, sociales et
politiques au Royaume-Uni aujourd'hui ? », devrions-nous
répondre oui ?
Et si
les socialistes ont raison de refuser des lois britanniques qui
imposent l'austérité à la classe prolétaire (qui ne sont que des
accords conclus par les représentants politiques du capitalisme qui
sont assis à Londres), pourquoi auraient-ils tort de refuser des
accords conclus entre les représentants politiques des différentes
classes capitalistes nationales d'Europe, qui visent à imposer la
même austérité à la classe prolétaire à travers tout le
continent ?
Le
référendum sur la sortie de l'UE sera dans les faits un référendum
sur l'acceptation la classe dirigeante britannique et de sa
politique. Malgré toute la propagande nationaliste dans les médias,
le retrait de l'UE n'est pas le souhait de la grande majorité des
capitalistes britanniques. Même la faction « atlantiste »,
qui suit les néoconservateurs états-uniens dans leur souhait de
« dissoudre » l'UE, est surtout désireuse de contrer les
efforts des différentes classes capitalistes nationales d'Europe
désireuses dans leur résistance à l'influence états-unienne en
Europe, que de désintégrer l'UE dans sa totalité.
Après les
concessions obtenues par Cameron au cours de ses « négociations »
avec l'UE, l'ensemble des principales forces du capitalisme, au
Royaume-Uni comme a l'étranger, soutiendra le maintien au sein de
l'UE : les politiciens, la monarchie, la BBC, Obama, le pape…
et même le Parti travailliste et les dirigeants de la Confédération
syndicale britannique.
Pour la
majorité des travailleurs cependant, le problème ne sera pas
tellement de savoir sur quoi au juste porte le référendum, mais
plutôt de comment exprimer leur ras-le-bol face à ce « gouvernement
sans aucun mandat » : rappelons que seuls 24 % des
électeurs a voté pour le Parti conservateur aux dernières
élections ! Il s'agit donc d'une occasion pour eux d'exprimer
leur colère contre l'élite politique capitaliste, tout comme le
référendum écossais s'est changé en une révolte de masse contre
l'austérité. Les socialistes doivent lutter pour convaincre les
syndicats, les jeunes et le mouvement anti-austérité d'apporter
leur voix à cette révolte.
Les
référendums ne sont pas une méthode de lutte « classique »
du mouvement ouvrier, pas comme les actions collectives telles que
les marches, les grèves et les occupations, ou la participation aux
élections d'un parti prolétarien. Un référendum peut être
utilisé par la classe dirigeante pour distraire le mouvement
ouvrier, mais en d'autres occasions, il peut être utilisé par le
mouvement ouvrier pour organiser ses forces, tout en infligeant un
coup à la classe dirigeante.
En France par exemple, le président
Charles de Gaulle usait et abusait de référendums pour renforcer sa
dictature, en mobilisant régulièrement la paysannerie et la
petite-bourgeoisie des campagnes (politiquement plus conservatrices)
contre les électeurs prolétariens des villes. Mais finalement,
en 1969, c'est à la suite d'un référendum sur une question
constitutionnelle sans importance qu'il a été battu et s'est vu
contraint de quitter le pouvoir : il s'agissait dans les faits
d'une continuation, par d'autres voies, de la vague révolutionnaire
de 1968.
La
classe ouvrière doit organiser sa propre campagne pour le
référendum, pour quitter l'Union européenne des patrons, tout en
présentant notre propre alternative : une confédération
paneuropéenne socialiste.
Une voix prolétarienne indépendante
Au cours
de la campagne pour le référendum de 1975 sur l'adhésion ou
non du Royaume-Uni à la CEE (l'ancêtre de l'UE), le Parti
travailliste a organisé une conférence extraordinaire au cours
duquel le camp du « Non » s'est imposé à une majorité
écrasante. 39 syndicats ont également opté pour le « Non ».
Mais vu
que le Parti travailliste, qui était un parti « ouvrier-bourgeois »
(dont la direction était acquise à la cause du capitalisme, même
si la base était composée à majorité de travailleurs, et dont le
programme défendait l'idée de nationalisations, etc.), est
entre-temps devenu un parti purement capitaliste, sa position par
rapport à l'UE s'est elle aussi modifiée. Par exemple, le célèbre
militant socialiste Tony Benn, qui siégeait au BEN du Parti
travailliste, relatait dans ses mémoires qu'un jour, en 1989,
lors d'une réunion où il cherchait à défendre le droit des
travailleurs à se prononcer en cas de rachat de leur entreprise par
un autre groupe, il a été mis en minorité par les autres
dirigeants du parti, car sa proposition était « contraire aux
règles de la CEE ». Seul quatre des personnes présentes ont
défendu pour sa proposition, dont Hannah Sell, présidente des
Jeunes socialistes, qui est aujourd'hui SGA du Parti socialiste
(section du CIO en Angleterre et au pays de Galles).
Depuis
lors, vu que le Parti travailliste est fermement dévoué au marché
capitaliste et que la majorité des dirigeants syndicaux s'accrochent
au rêve d'une « Europe sociale » qui leur garantirait
soi-disant plus de droits et une prospérité toujours croissante,
nous n'avons plus vu la moindre voix prolétarienne se prononcer en
faveur d'une alternative claire à l'Union européenne. C'est
pourquoi nous avons applaudi la décision du syndicat des
transporteurs, le RMT, de lancer une liste « Non à l'UE, Oui à
la démocratie » lors des élections de 2009 et avons
rejoint ce mouvement, qui a mené à la mise en place de la Coalition
syndicaliste et socialiste (TUSC) en 2010.
Mais la
TUSC reste une « préformation ». Elle n'a pas la
prétention d'être « le » nouveau parti prolétarien du
Royaume-Uni. Même si cette coalition a pu tout de même compter sur
300 000 voix lors des élections de 2010, ce score
reste encore très modeste. Si un syndicat décidait de lancer une
campagne pour un vote de retrait de l'Union européenne, la TUSC
pourrait jouer un rôle intéressant dans ce cadre, mais elle ne
pourrait pas encore devenir la force principale dans cette campagne.
Les
syndicats doivent tout faire pour éviter que la droite réactionnaire
soit la seule à se prononcer contre l'UE. Les lois sur les
référendums exigent des organisations qui désirent participer à
la campagne (y compris les partis politiques et les syndicats) de
tout d'abord s'enregistrer auprès de la Commission électorale en
tant que « participants autorisés ». La Commission a
également le droit de décider seule quels sont ceux, parmi ces
« participants autorisés », qui deviendront les
représentants « officiels » du « Oui » et du
« Non » ; ce qui donne accès à l'octroi de fonds
publics, à des passages dans les médias, etc.
Mais la
Commission électorale n'est pas obligée de désigner un de ces
« participants autorisés » en tant que représentant
officiel d'un des camps, au cas où ce statut serait contesté par
différentes forces. Si les syndicats de gauche se positionnaient
fermement en faveur d'un « Non » à l'UE en lançant une
campagne expliquant pourquoi les syndicalistes et les socialistes
doivent défendre le « Non » et ne pas laisser ce terrain
aux seuls populistes de droite et à leurs riches soutiens, ils
interdiraient donc à la Commission électorale d'octroyer des fonds
publics et l'accès médiatique à la campagne de la droite
nationaliste. Nous ne pouvons pas laisser des politiciens de droite
réactionnaire se faire passer pour les représentants de la colère
prolétarienne contre l'austérité.
Mais si
aucun syndicat en-dehors du RMT n'est prêt à lancer une campagne
pour le « Non », alors, vu que le RMT fait partie de la
TUSC, ce sera à la TUSC à jouer ce rôle. Une occasion a été
manquée lorsque le Parti communiste a refusé de rejoindre la TUSC
en 2014, ce qui a fait que la coalition s'est représentée aux
élections sous le nom de « Non à l'UE » au lieu de son
nouveau sigle. Il ne faut pas que cela se représente. Il faut
renforcer le profil de la TUSC dans les syndicats et dans les
élections (y compris lors de ce référendum) : c'est une tâche
cruciale qui concerne la future formation d'un parti prolétarien de
masse, capable de rassembler l'ensemble des syndicats, des
travailleurs non organisés, des socialistes, des jeunes, des groupes
opprimés et des militants de la société civile, dans une lutte
pour le socialisme au Royaume-Uni et en Europe.
« Non à l'UE, Oui à la démocratie » La coalition des syndicats pour les élections européennes, qui a donné naissance à la TUSC |
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