La lutte contre la répression et pour l'indépendance, freinée par l'héritage du stalinisme
Deuxième partie de notre document sur la situation en Afrique subsaharienne, dont vous pouvez trouver la première partie en cliquant sur ce lien ici. Ce texte a été adopté suite à une discussion qui a eu lieu lors du 11e Congrès mondial du CIO, qui s'est tenu en janvier 2016 – une réunion à laquelle ont participé des camarades venus de 34 pays de tous les continents du monde.
La première partie de ce document a passé en revue la situation actuelle en Afrique tant sur le plan politique qu'économique et les complications liées aux rivalités entre différentes puissances impérialistes et différentes factions de la classe dirigeante africaine. Dans cette deuxième partie, nous analysons plus en détail les spécificités de la politique africaine et les conséquences que cela a en termes de l'organisation de la lutte de classes et de la perspective de la révolution socialiste.
– 11e Congrès mondial du CIO
La lutte contre la répression
De manière générale,
l'Afrique ne connait aucun régime de démocratie bourgeoise stable. La plupart
de nos pays ont des droits démocratiques très limités, et leurs structures
d'État sont caractérisées par des éléments de bonapartisme (dictature) à divers
degrés.
Même en Afrique du Sud, qui peut être considérée comme le plus stable
des pays africains (relativement), le président Zuma cherche à promouvoir le
rôle des chefs traditionnels non élus afin qu'ils le soutiennent en
retour, tandis que la police est toujours aussi brutale que sous le régime
d'apartheid, comme on l'a vu à Marikana.
Alors, pourquoi cette spécificité de la
politique africaine ? Sa raison fondamentale vient de la faiblesse du
capitalisme en Afrique, qui ne permet pas la moindre véritable amélioration du
niveau de vie ni le maintien de droits démocratiques. Cela veut dire que, là où
quelques améliorations et réformes peuvent être obtenues par la lutte de masse,
ces gains ou concessions sont très rapidement remis en question pour être
annulés.
L'Afrique reste dominée par
des régimes dictatoriaux dont les chefs ont beaucoup de mal à quitter leurs
fauteuils présidentiels (à l'exception notable de la passation
« pacifique » du pouvoir au Nigeria l'an dernier). De manière
générale, on trouve sur le continent au moins dix dictateurs déclarés et des
plus brutaux qui soient, dont les années au pouvoir cumulées équivalent à trois
cents ans. Le plus « grand » d'entre eux, Robert Mugabe, s'accroche à
son fauteuil depuis 35 ans ; à 91 ans, il est un des plus vieux
dirigeants du monde.
Au Rwanda, Paul Kagamé, qui a organisé un référendum l'an
passé pour faire passer une nouvelle constitution devant lui permettre de
rester au pouvoir jusqu'en 2034, rejoint ainsi la liste de ces dirigeants
candidats à la présidence à vie. Même si beaucoup de choses peuvent encore se
passer, il est évident qu'une telle manœuvre dans un pays qui a connu le
génocide le plus brutal de l'histoire récente pourrait servir de véritable
détonateur pour une nouvelle crise dans un futur proche.
Face à ces tentatives
d'étendre le règne dictatorial à moitié déguisé d'une certaine élite, on voit
des mouvements d'opposition s'organiser. Mais tant que les travailleurs
n'auront pas leur propre parti, indépendant de la politique bourgeoise, toute « victoire »
ne fera que faire passer le pouvoir des mains d'une faction de la
bourgeoisie nationale à une autre faction de cette même bourgeoisie, sans que cela ne change quoi que ce soit pour les
masses.
L'Afrique a connu
différentes vagues de lutte. Les mouvements dans un pays ont souvent servi
d'inspiration pour des révoltes, voire des révolutions, dans d'autres pays.
Mais sans un programme qui permette de tirer les leçons des luttes du passé, en
Afrique comme ailleurs, aucun gain substantiel ne pourra jamais être obtenu, et
aucun acquis ne pourra être maintenu pour très longtemps.
Dans les
années '90, inspirées par la lutte contre le régime d'apartheid en Afrique
du Sud et par le triomphe apparent de la « démocratie » en Europe de
l'Est, les masses africaines de nombreux pays sont montées à l'assaut pour se débarrasser de
toute une série de régimes dictatoriaux ou semi-dictatoriaux, ou les ont tout
du moins contraints à des concessions majeures. Ça a été le cas au Bénin, au
Cap-Vert, en Centrafrique, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Kenya, au Mali, à
Madagascar, au Malawi, au Niger, au Togo, en Zambie…
Mais dans tous ces cas,
même si des droits démocratiques ont été obtenus et si les anciens dirigeants ont été chassés du pouvoir, rien n'a changé fondamentalement dans la structure de
tous ces États. D'ailleurs, toutes ces luttes n'ont pas été victorieuses : au
Nigeria, le mouvement qui a duré de 1993 à 1994 a fini par être
vaincu, parce que les dirigeants du mouvement de contestation et de grèves
n'avaient pas de véritable stratégie pour renverser le régime militaire.
Le mouvement pour la
démocratie au Nigeria a été un des nombreux exemples où de puissants
mouvements, de portée révolutionnaire pour certains, n'ont pas atteint leurs
objectifs (ou s'ils les ont atteints, ne les ont atteints qu'à titre
temporaire). En général, cela n'était pas dû à la faiblesse de la classe
ouvrière et des pauvres. Il est vrai que, malgré la rapide urbanisation, la classe ouvrière ne
représente toujours qu'une minorité de la société des pays africains ; elle détient néanmoins une immense force potentielle, capable de guider les
masses de la société, en particulier la jeunesse, les pauvres et les opprimés,
vers un avenir radieux.
Dans de nombreux pays,
lorsque la classe ouvrière passe à l'action, elle peut entrainer derrière elle
la nation toute entière. Les pauvres des villes peuvent lutter, mais ce qui est
important de prendre en compte ici est l'organisation de cette lutte, et en
particulier le rôle qu'y jouent le mouvement ouvrier et les socialistes qui
tentent de développer une conscience collective parmi ce mouvement, afin de
lier la lutte immédiate à l'objectif d'une révolution contre le capitalisme. La
jeunesse peut aussi jouer un rôle décisif (pas seulement les étudiants et
lycéens, mais la jeunesse de manière générale) en contribuant à stimuler et à renforcer
les mouvements larges.
La jeunesse a un grand rôle à jouer pour assurer la permanence de la révolution |
L'importance du programme et
d'une lutte contre l'héritage du stalinisme
Pour sortir de la
catastrophe qui menace à présent le continent, il nous faut organiser une lutte
autour d'un véritable programme d'action. La théorie de la révolution permanente, en tant que
programme et en tant que méthode, reste décisive pour trouver une solution aux
maux qui rongent l'Afrique. Ceci, non seulement en terme de programme politique au niveau
national, mais aussi en tant que stratégie sur le plan international, puisque nous voyons
bien qu'une révolution victorieuse dans un pays peut avoir un impact très
important sur les pays voisins (quand bien même ceux-ci seraient plus grands).
Pendant des décennies, les
idées du stalinisme ont dominé la pensée de la gauche de la plupart des pays
africains. L'opposition au colonialisme et à l'impérialisme associée au
développement de l'Union soviétique, de la Chine puis de Cuba, a contribué à
un large soutien pour l'idée du « socialisme » ou du
« communisme ». Les États « communistes » (en réalité,
staliniens) étaient perçus comme des alliés dans la lutte contre l'impérialisme
qui étouffe le continent africain – d'autant plus que les troupes cubaines ont
joué un rôle décisif dans la victoire contre l'invasion de l'Angola par
l'Afrique du Sud en 1987-88.
Au cours de la Guerre
froide, ce soutien populaire au « communisme » a été un
facteur qui a permis à certains dirigeants africains de prendre leurs distances par rapport à l'impérialisme occidental, en jouant sur les rivalités entre les deux
grandes puissances mondiales. Ceux qui comptaient sur l'aide de l'Union
soviétique ou de la Chine maoïste ont adopté une phraséologie
« communiste », même si les mesures prises par eux n'ont jamais visé
à véritablement rompre de manière fondamentale avec le capitalisme.
Mais au fur
et à mesure que s'approfondissaient leurs propres crises internes, les
dirigeants des États staliniens ont été de moins en moins enclins à soutenir
d'autres États comme ils l'avaient fait pour Cuba au début des
années '60. C'est ainsi que, lorsque les dirigeants de la faction de
gauche au sein du second régime militaire de Rawlings au Ghana sont partis à
Moscou pour y demander une aide économique, ils se sont vus répondre de se tourner plutôt vers l'Occident.
En Afrique comme dans le
reste du monde, l'effondrement des États staliniens à partir de la fin des
années '80 a causé un fort virage au sein du mouvement ouvrier. En
Afrique, cela a également eu pour conséquence de faire s'évaporer l'idée d'un
mode de développement alternatif au capitalisme, le « communisme »
(même si cette alternative se présentait sous un visage déformé par le
stalinisme).
À son apogée, l'influence du
stalinisme au sein du mouvement ouvrier a ouvert la voie à l'usage d'une
phraséologie d'apparence « marxiste » pour justifier des alliances
qui visaient dans les faits à subordonner la classe prolétaire et les pauvres à
la domination politique de politiciens bourgeois ou petits-bourgeois, jugés
soi-disant « progressistes ». La « théorie des deux
stades » prônée par le stalinisme a eu pour conséquence le refus de
construire un mouvement dont l'objectif aurait été la rupture avec le
capitalisme, parce que cela aurait mis à mal l'alliance avec les bourgeois
soi-disant « progressistes ».
Cette approche est fondamentalement la
même qui avait été adoptée par le parti menchévique au cours de la révolution
russe de 1917, et l'opposé totale de l'approche suivie par les bolchéviks
dirigés par Lénine. Cette stratégie erronée n'a eu pour résultat que de
nombreuses occasions manquées, des défaites et l'abrutissement du mouvement
ouvrier sous l'influence délétère des dirigeants formés à l'école stalinienne
avec leurs méthodes autoritaires.
Même si aujourd'hui le
stalinisme, en tant que force organisée, est devenu beaucoup plus faible
qu'auparavant, l'approche défendue par les staliniens, qui vise
fondamentalement à subordonner le mouvement prolétarien à une alliance avec des
libéraux et réformateurs bourgeois, continue à infecter le mouvement ouvrier et
une partie de la gauche à travers tout le continent.
Il est évidemment possible
de conclure des alliances avec des forces procapitalistes autour de quelques
thèmes tels que la défense des droits démocratiques, la maltraitance des
travailleurs, etc. Mais ces alliances ne peuvent jamais être conclues au prix
de l'abandon de la construction d'un mouvement prolétarien politiquement
indépendant de la bourgeoisie, capable d'unir les travailleurs, la jeunesse et
les pauvres pour un changement de société à la base.
Tout comme les bolchéviks
l'ont fait en 1917, les marxistes cherchent à propager l'idée d'un
gouvernement des travailleurs et des pauvres, et non pas d'une coalition avec
des forces procapitalistes au nom de la « défense de la révolution »
ou du « progrès ». Toute politique qui maintient le capitalisme en
vie est susceptible d'ouvrir la voie à de nouvelles périodes de réaction. La
seule issue se trouve dans l'application ferme d'une politique révolutionnaire.
En Afrique, la question d'un
programme socialiste n'est pas seulement cruciale pour la résolution des
problèmes politiques et économiques. C'est aussi la question des divisions
ethniques et religieuses qui se trouve au cœur du débat, comme on l'a vu lors
des récentes élections en Côte d'Ivoire : partout on voit que la construction
d'un mouvement prolétarien et l'application d'un programme socialiste sont en
réalité une question de vie ou de mort.
Le CIO dispose de bases dans
deux des plus importants pays d'Afrique, le Nigeria et l'Afrique du Sud, ce qui
est un atout majeur pour la suite de notre développement. De plus, le fait
qu'au cours des cinq dernières années, le CIO ait entamé une activité dans des
pays francophones et arabophones d'Afrique représente un pas en avant très
important.
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