Menace de nouvelles crises économiques, politiques et sociales
La crise économique qui ravage l'Europe et les États-Unis a maintenant atteint les pays “émergents” et notamment l'Asie du Sud et du Sud-Est, vaste région s'étendant du Pakistan à l'Indonésie, et où vit un tiers de la population mondiale. Les gouvernements corrompus et apparemment autoritaires de la sous-région sont en réalité tous prêts à s'écrouler au moindre soulèvement.
Alors que cette partie du monde avait pu se sortir de la grave crise qui l'avait atteinte dans les années '90, la situation internationale est aujourd'hui bien différente. Déjà cette année, nous avons assisté à la plus grande grève générale de l'histoire de l'humanité, forte de 100 millions de travailleurs indiens. Que nous réserve l'avenir ?
Article par Clare Doyle,
secrétariat international du CIO
Jusqu'à
récemment, les économies “émergentes” des BRICS (Brésil,
Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) croissaient encore à
un rythme soutenu. La Chine semblait particulièrement défier les
lois de la gravité économique ou plutôt, les lois de la crise,
typiques de toute économie capitaliste. On a entendu toute une série
de gens nous dire que ces pays pourraient maintenir l'économie à
flot et sauver le monde de la crise qui continue à ravages l'Europe
et les États-Unis. L'effondrement tragique du taux de croissance au
Brésil (qui est passé de 7,5 % en 2010 à… 0,9 %
en 2012), et la révolte de masse des travailleurs et des jeunes
de ce pays, ont mis un terme à cette illusion.
Le ralentissement
actuel en Chine, dont l'économie “surboostée” lui avait permis
de ravir au Japon sa place de deuxième PIB mondial (après les
États-Unis), est maintenant source de gros ennuis pour la clique
dirigeante en Chine et partout dans le monde. La Chine est très
fortement impliquée dans de grands projets de capitalisation dans
toute une série de pays, pour des raisons économiques aussi bien
que stratégiques ; mais la baisse de ses exportations a déjà
un effet sur les économies des pays dans lesquels la Chine a
délocalisé certaines opérations industrielles de base et à partir
desquels elle tire les matières premières qui alimentent son
industrie.
L'Inde – qui
est la troisième plus grande économie d'Asie, et qui ne s'est que
récemment ouverte au marché mondial – a vu son taux de
croissance chuter, de 10,5 % en 2010 à 3,2 % en 2012.
La croissance de l'économie de la Malaisie, qui est extrêmement
dépendante du commerce avec la Chine, a ralenti pour n'atteindre que
4,1 % cette année.
La plupart des pays
asiatiques ont au départ bénéficié de la baisse des
investissements productifs (càd, profitables) qui s'est produite
ailleurs dans le monde. D'énormes quantités de capitaux “dormants”,
qui ne généraient que peu ou aucun intérêt dans les banques des
pays pratiquant l'assouplissement quantitatif (l'impression
d'argent), se sont déversées sur l'Asie en tant
qu'“investissements” spéculatifs.
Le Financial Times
commentait ainsi que les marchés obligataires en monnaies locales
« ont beaucoup prospéré du fait que l'effondrement financier
mondial de 2008 a libéré une masse d'argent facile […] qui a
quitté les États-Unis et l'Europe. Que se passe-t-il lorsque les
taux d'intérêts commencent à monter, surtout aux États-Unis ?
Combien de cet argent va se retourner et prendre ses jambes à son
coup ? ». Près de 50 % des bons d'État de
l'Indonésie appartiennent à des étrangers ; c'est le cas
aussi de 40 % des bons d'État de la Malaisie et des
Philippines.
Allons-nous
maintenant assister à une nouvelle “crise asiatique”, aussi
grave, voire plus grave encore, que celle de 1997-98 ? Les
gouvernements d'Asie du Sud et du Sud-Est
parviendront-ils à éviter la tempête à venir ?
Les deux blocs sous-régionaux que sont l'Asean (Asie du Sud-Est, en jaune) et la Saarc (Asie du Sud, en vert) |
Un précédent historique
Au cours de la “crise
asiatique” de 1997-99, on a vu plonger les devises de pays comme la
Thaïlande, tandis que des centaines de milliers d'emplois passaient
à la moulinette. Les soulèvements révolutionnaires contre la
politique d'austérité imposée par le FMI ont notamment, en
Indonésie, renversé le dictateur honni, Suharto. En Malaisie, un
mouvement de masse qui réclamait des réformes démocratiques a
menacé le long règne du Front national (BN), dominé par
l'Organisation nationale des Malais unis (UMNO). À la fin 1997,
la Corée du Sud a connu de nouvelles grèves générales
contre les attaques néolibérales, semblables à celles qui se sont
produites encore récemment.
La fois passée, le
FMI avait envoyé des prêts massifs à tous ces pays en proie à la
crise afin d'éviter un effondrement social et une révolution. Dans
le cas de la Corée du Sud, le montant des prêts s'élevait
à 57 milliards de dollars.
Aucun de ces
mouvements de résistance n'a pu former une voix et une ligne
politique capable d'accomplir les processus révolutionnaires qui
avaient vu le jour. En Indonésie, certains groupes de gauche ont
entretenu des illusions dans le caractère “démocratique de
Megawati Sukarnoputri, qui, une fois au pouvoir, a joué son
rôle de gérante du grand capital national et international, en
alliance avec les généraux de l'ancien régime. En Malaisie,
Anwar Ibrahim, le très populaire dirigeant du mouvement
“Reformasi”, était un ancien membre du gouvernement UMNO avec
Mahathir Mohammed. En tant qu'économiste néolibéral éduqué
aux États-Unis, il ne voulait pas (et ne veut toujours pas)
d'un mouvement qui pourrait aller jusqu'au bout et organiser la fin
du capitalisme.
Le CIO avait appelé
au soutien total à ces mouvements pour les droits démocratiques et
pour la liberté, et avait cherché à s'y impliquer autant que
possible, mais tout en expliquant – suivant en cela le concept
de la “révolution permanente” tel qu'imaginé par Trotsky –
la nécessité de débarrasser ces pays néocoloniaux de la
domination du capitalisme multinational aussi bien que national. Il
fallait y mener une politique socialiste claire, basée sur la
compréhension du rôle de la classe des travailleurs qui seule, avec
le soutien des pauvres des villes et des campagnes, peut établir une
véritable démocratie et transformer les vies de l'écrasante
majorité de la population dans cette région.
Tandis que le vent
froid de la récession mondiale a maintenant atteint les pays
asiatiques, de pareils mouvements tout aussi tumultueux pourraient
voir le jour. Étant donné le fait que les économies des divers
pays du monde sont encore plus interconnectées aujourd'hui qu'alors,
l'Inde et le Pakistan, qui avaient évité le pire de la crise de
1997-98, pourraient à présent se retrouver complètement submergés.
Le FMI ne va certainement pas pouvoir intervenir de manière aussi
importante qu'il l'a fait à l'époque pour sauver les gouvernements
des soulèvements révolutionnaires. Les premières explosions de
colère et de désespoir pourraient s'élargir pour aboutir sur un
mouvement généralisé au sein duquel l'ensemble des travailleurs et
des jeunes pauvres se mettraient à chercher des solutions
révolutionnaires. En ce moment, aucun pays asiatique ne peut
prétendre avoir un gouvernement stable, confiant et viable.
Manifs en Corée dans les années '90 Il s'agit d'un jeu de mot : “FMI = Je Suis Viré (?)” |
L'Inde, par exemple
L'Inde est
caractérisée par « l'économie de marché économique avec la
moins bonne performance de l'année » (The Guardian,
7 aout), vu le fait que sa croissance s'est arrêtée au
second trimestre. « Les investisseurs craignent une
répétition de la crise qui avait frappé l'Inde en 1991 ».
Misère de masse et
privations sont deux termes synonymes en Inde :
« Quatre-cent millions d'Indiens n'ont pas l'électricité
… La moitié des Indiens défèquent à l'air libre … Les taux
d'immunité pour la plupart des maladies sont inférieures à ceux
d'Afrique subsaharienne … Un enfant indien a deux fois plus de
chances de souffrir de la faim qu'un enfant africain (ils sont 43 %
à en souffrir en Inde) … Le budget de la santé publique s'élève
à à peine 39 $ par personne et par an, alors qu'il
est de 203 $ par personne par an en Chine, et de 483 $
au Brésil » (The Economist, 29 juin 2013)
La majorité des
femmes indiennes subissent une souffrance et des difficultés sans
nom. Le viol collectif et le meurtre d'une étudiante à New Delhi
en décembre dernier a provoqué un large mouvement de protestation
en Inde comme à l'échelle internationale. Il est possible que des
mesures soient introduites afin de tenter de sévir contre les
criminels sexuels, mais il faut se rendre compte que la violence
contre les femmes bénéficie du soutien de nombreuses vieilles
pratiques et croyances.
Les catastrophes
naturelles sont aggravées par la destruction irresponsable de
l'environnement, comme on l'a vu avec les glissements de terrain
meurtriers dans l'Uttarakhand (petit État de l'Himalaya, frontalier
du Népal et du Tibet (sous domination chinoise), 10 millions
d'habitants) en juin de cette année. L'état des services de secours
d'urgence est lamentable, ce qui cause encore plus de morts et de
souffrances.
Le gouffre qui
s'étend entre la masse de la population indienne, forte de près de
1,3 milliards de gens, et la minuscule poignée de super-riches,
s'élargit de plus en plus. Quelques individus issus de riches
dynasties familiales ont amassé de vastes fortunes. Selon le
magazine Forbes, Mukesh Ambani, patron de
Reliance Industries et le 22ème homme le plus riche du
monde, possède une fortune de 20 milliards de dollars
(10 000 milliards de francs CFA, voir ici les
photos de son
yacht qui a couté 10 milliards de francs) ; le
magnat de l'acier Lakshmi Mittal pèserait quant à lui
16 milliards de dollars (8000 milliards de francs).
Une nouvelle classe moyenne s'est développée dans certaines villes,
et fournit un certain marché pour les voitures et les produits de
semi-luxe.
« Pour les
riches, le seul problème est leur tour de taille », commente
The Economist (06/07/13). « Transportés partout par
leurs chauffeurs, dispensés de toute corvée quotidienne par leur
armée de serviteurs, ils sont devenus une race à part, corpulente,
qui se distingue clairement de leurs compatriotes maigrelets ».
(Cela nous rappelle les vieilles caricatures du gras capitaliste,
alors qu'au même moment, aujourd'hui aux États-Unis, ce sont les
travailleurs qui sont obèses, vu la manière dont on les gave de
nourriture bon marché mais d'origine indéterminée).
L'écrasante majorité
de la population indienne continue à mener tant bien que mal une
existence sordide avec un revenu de misère constamment érodé par
l'inflation galopante. Les couches moyennes, qui ont pu bénéficier
d'un certain développement de l'économie, voient déjà leurs
espoirs brisés par le ralentissement de l'économie.
Le gouvernement de
Delhi dirigé par le parti du Congrès est ravagé par l'indécision
et la corruption. Des régions entières du pays échappent au
contrôle du gouvernement, où les forces de guérilla naxalites
(maoïstes) se sont rendues populaires en chassant les propriétaires
terriens rapaces et les multinationales. Alors que des élections
sont prévues en 2014, le premier ministre Manmohan Singh
vacille entre la pression de l'extérieur, qui veut le forcer à
mettre en place des “réformes” néolibérales, et la pression
d'en-bas.
Il y a maintenant
même la possibilité de voir revenir au pouvoir le
parti nationaliste de droite largement discrédité, le BJP
(Bharatiya Janata Party, Parti du peuple indien), dirigé
par Narendra Modi. Modi est toujours détesté par des millions
de gens qui le surnomment le “boucher du Gujarat” (État
frontalier du Pakistan, 60 millions d'habitants) pour y avoir
été responsable du meurtre de plus de 2000 musulmans en 2002.
Dans de nombreux États, son parti se vautre dans la corruption. Mais
comme le disait le Financial Times : « Si
l'impression d'un vide étatique donnée par le Congrès continue
comme ça, de plus en plus de gens seront tentés de prendre des
risques avec lui » (10/06/13)
Et cela, dans un pays
qui a connu en février la plus grande grève générale de
l'histoire de l'humanité – plus de cent millions de
travailleurs étaient partis en grève pendant deux jours. Les
grévistes réclamaient entre autres la fin de la cherté de la vie
et un salaire décent pour tous. (Le roupie indien a chuté de 15 %
rien qu'entre mai et juillet, ce qui a fortement nuit aux revenus
déjà faibles).
Les partis
“communistes” de masse, jouissent toujours d'un certain soutien
parmi les travailleurs et même parmi les paysans. Cependant, le
“Parti communiste indien (marxiste)” a perdu énormément
de plumes depuis qu'il a perdu le pouvoir au Bengale occidental
(province de Calcutta/Kolkata, à la frontière avec le Bangladesh ;
100 millions d'habitants), où il régnait depuis des décennies.
Il a souffert électoralement à cause des attaques brutales menées
par lui sur le niveau de vie des travailleurs et des paysans,
sacrifiés sur l'autel du capitalisme indien comme étranger. Il sera
difficile – bien que pas impossible, en l'absence de tout
autre parti des travailleurs de masse – pour le PCI(M) de
regagner un soutien là ou ailleurs, tant qu'il adhère à la
doctrine stalinienne traitre des “deux stades” – selon
laquelle il faut d'abord installer le capitalisme avant de commencer
toute lutte pour le socialisme.
L'Inde, symbole de “l'émergence” |
Le Pakistan
La crise quasi
permanente qui constitue la vie quotidienne au Pakistan illustre bien
le besoin urgent pour les travailleurs de s'en prendre directement au
féodalisme et au capitalisme en même temps. La vie personnelle tout
comme la vie politique est oppressée par les coupures de courant,
les attentats terroristes, l'effondrement des services publics et la
paralysie du gouvernement.
Le Parti du peuple
pakistanais (PPP), autrefois si puissant, est entré dans une période
de déclin qui sera peut-être terminale. La seule raison pour
laquelle son gouvernement corrompu et inapte, sous la direction de
M. Zadari dit “20 %” (une amélioration depuis son
titre précédent de “M. 10 %”), est parvenu à arriver
jusqu'au bout de son mandat, est l'inertie affichée par toutes les
autres forces. L'armée, qui contrôle en coulisses des pans entiers
de l'économie et de la société, n'est pas intervenue non plus pour
reprendre le pouvoir direct. Cela ne veut pas dire qu'elle ne le fera
pas à nouveau dans le futur, vu le développement de la crise
politique et sociale.
Le PPP, dans lequel
tant de travailleurs et de jeunes avaient placés tous leurs espoirs
au début des années '80, a maintenant perdu la plupart de son
autorité. Le gouvernement de Nawaz Sharif est confronté à des
problèmes impossibles à résoudre : un État en faillite, une
économie en crise, le terrorisme islamiste de droite, et de
puissantes forces centrifuges qui menacent de faire éclater le pays.
L'économie
pakistanaise est dangereusement instable et fragile. Le nouveau prêt
du FMI, d'une valeur de 5,3 milliards de dollars, est lié
à l'exigence d'une “discipline financière”, càd, aucun subside
pour les pauvres. La priorité est la réforme du secteur du
transport de l'électricité, pour remédier aux coupures de courant
qui causent maintenant chaque année à l'économie nationale des
pertes estimées à 2 % du PIB.
Il est fort
improbable que le nouveau gouvernement puisse y faire quoi que ce
soit. Les deux-tiers de l'électorat vivent dans les zones rurales,
où des propriétaires féodaux ont encore pour ainsi dire droit de
vie ou de mort sur des millions de paysans. Ce sont aussi eux qui
décident du résultat des élections. La lutte héroïque de
Malala Yousafzai (une adolescente de 16 ans, déjà victime
de plusieurs tentatives d'assassinat dont une balle dans la tête
pour son blog anti-talibans) contre les talibans qui voulaient
empêcher les filles de s'inscrire à l'école, leur a par la même
occasion permis de redorer un peu leur blason (Yousafzai est le nom
d'une grande famille noble pachtoune, une ethnie qui vit à la fois
au Pakistan et en Afghanistan). Mais la lutte contre les féodaux et
contre les autorités, qui ne peuvent assurer une éducation complète
et gratuite des garçons et des filles à la ville et à la campagne,
est loin d'être terminée.
Après un attentat à la bombe… une journée comme les autres au Pakistan |
Du néocolonialisme et des gouvernements faibles
Dans la plupart des
sociétés asiatiques, beaucoup de droits démocratiques de base
n'ont jamais été établis. Les classes capitalistes émergentes
n'ont pas été assez fortes pour accomplir une réforme agraire en
profondeur ni pour chasser les restes du féodalisme. En Chine, il a
fallu l'État prolétarien déformé de Mao Zedong pour
accomplir cette tâche. Ce qui avait été accompli au cours des
siècles précédents par les classes bourgeoisies lors de leurs
révolutions en Angleterre, en France et ailleurs, reste toujours
inachevé dans la plupart des pays asiatiques.
Tout comme sur les
autres continents, la plupart des nations asiatiques ont été créées
artificiellement par des lignes tracées sur des cartes après (ou
avant) des années de pillage et de destructions meurtrières. Des
nations entières ont été réduits au statut de “minorité
ethnique” en Birmanie, en Thaïlande, au Sri Lanka. Seuls des
partis des travailleurs à la tête de gouvernements socialistes
seront à même de résoudre les questions des droits des minorités
nationales et d'entamer la tâche de bâtir des confédérations
mutuellement coopératives de nations, à l'échelle sous-régionale.
Cela fait des
décennies que le règne direct exercé par l'impérialisme a pris
fin partout en Asie. Cette domination a été remplacée par des
puissances régionales telles que la Chine et l'Inde, qui luttent
pour des “concessions” avantageuses sur le plan stratégique ou
économique, comme on le voit au Sri Lanka, en Birmanie, et
ailleurs.
Des multinationales
géantes fouillent la région à la recherche de marchés, de
main d'œuvre bon marché et de maximalisation des profits. Dans
la plupart des pays les plus pauvres du monde, le marché des
graines, des engrais, des détergents, de la vente, etc. est dominé
par des monopoles multinationaux. Unilever effectue ainsi 57 %
de ses ventes sur les “marchés émergents”, Colgate 53 %
et Procter & Gamble 40 % (Financial Times
29/07/13).
Une campagne contre
l'invasion du marché de la distribution indienne par Walmart
organisée par le PCI(M) a obtenu une semi-victoire. Il reste à voir
si la mise en échec de Walmart sera définitive. Les “communistes”
du PCI(M) ont juré de rester vigilants, mais même des campagnes de
masse ne peuvent obtenir que des victoires temporaires tant que les
forces du “libre marché” capitaliste déterminent
l'économie.
Les géants du
textile et de la chaussure que sont Primark, Gap, Reebok et Adidas
tirent d'énormes profits du travail asiatique. Le Bangladesh reçoit
20 milliards de dollars par an de ses exportations de
textiles fabriqués par des travailleurs payés 38 $ par mois
(20 000 francs CFA). La fureur suscitée par les
conditions de travail dans des entreprises telles que le complexe
Rana Plaza à Dhaka (la capitalie), qui s'est effondré cette
année en tuant 1300 travailleurs, s'est exprimé dans les rues
par des manifestations de masse et par des grèves.
À l'échelle
internationale, on verse des larmes de crocodile, puis on parvient à
des accords entre les revendeurs, les organisations patronales, les
ONG et les fédérations internationales de syndicat comme
IndustriALL. Même des organisations modérées comme “War on Want”
(Guerre à la pauvreté, une ONG britannique) se plaignent du
fait que de tels accords ne mènent jamais à rien et ne permettent
jamais de garantir un salaire décent, une réduction des heures de
travail ou de meilleures conditions de vie pour les millions de
travailleurs de l'industrie textile partout en Asie du Sud
et du Sud-Est. Ces accords ne permettent pas non plus l'émergence de
véritables organisations de travailleurs combatives.
Certains des géants
les plus connus de l'industrie automobile possèdent aussi des usines
en Asie. Ils forcent leurs travailleurs à accepter des salaires et
des conditions qui ne seraient pas tolérées dans aucune autre
région du monde. Mais en même temps, ils ont créé une nouvelle
génération de jeunes combattants de classe qui ont organisé des
grèves très importantes, comme celle de Maruti, près de Delhi
(Maruti est une société industrielle appartenant à Suzuki ;
les travailleurs demandaient le triplement de leur salaire et des
logements ; le directeur des ressources humaines est décédé
dans un incendie au cours de cette grève ; l'usine a été
fermée pendant presque un an ; le conflit est toujours en
cours).
Les magnats “locaux”
tels que les Tata, les Mittal, les Ambani, etc. se sont tellement
enrichis depuis l'“indépendance” de leur pays, sur le dos de
millions de travailleurs frappés par la pauvreté, dans leur pays
comme en-dehors que leurs entreprises d'acier, d'automobiles et de
mines parcourent à présent le monde entier, dans leur éternelle
quête de profits.
Grève de Maruti. Les 2000 travailleurs ont occupé l'usine malgré la décision du tribunal de déclarer la grève “illégale” (comme toujours) |
Vous avez dit “démocratie” ?
Un simple regard sur
n'importe quel pays d'Asie du Sud nous confirmera
l'immense, l'infranchissable “déficit démocratique”, comme
les commentateurs bourgeois le disent. Au Royaume-Uni, il y a eu
tout un débat afin de savoir si la réunion des chefs de
gouvernement du Commonwealth pouvait ou non avoir lieu comme prévu
au Sri Lanka cette année (ce qui laisserait le Sri Lanka
présider l'organisation du Commonwealth pendant les deux prochaines
années !). La presse à cette occasion signalait le fait que le
seul élément de démocratie présent au Sri Lanka est
l'organisation d'élections. Le Sri Lanka serait le pays le plus
dangereux au monde pour les journalistes, selon l'ONG “Reporters
sans frontières”. L'armée continue à saisir et à “lotir”
les terres des Tamouls dans le nord du pays, tandis que son ministre
de la Défense, Gotabaya Rajapakse (frère du président
Mahinda Rajapakse, du ministre de l'Économie Basil Rajapakse
et du président de l'Assemblée nationale Chamal Rajapakse),
aime à déclarer que « Les droits de l'homme ne sont pas pour
nous ».
La guerre civile au
Sri Lanka a été noyée dans le sang de dizaines de milliers
de Tamouls par la dictature népotiste chauviniste cingalaise de
Mahinda Rajapakse. Mais aucune des grandes puissances qui
luttent pour l'opportunité de faire des investissements très
profitables et pour l'influence politique au Sri Lanka
– notamment la Chine et l'Inde – n'est embarrassée par
le manque de droits démocratiques dans le pays.
Cette année en juin,
nous avons vu la première grève générale dans le pays, bien que
partielle, depuis des années ; c'est là un signal
d'avertissement au régime apparemment tout puissant. Un gouvernement
confiant dans son avenir n'aurait pas besoin de se reposer si
fortement sur l'usage de l'armée, sur la censure de la presse ou sur
la traque des opposants et des éléments minoritaires.
Même dans “la plus
grande démocratie du monde” – l'Inde – les votes
lors des élections sont achetés et vendus. Toutes sortes de
“cadeaux électoraux” – télévisions, ordinateurs,
téléphones portables, etc. – sont distribués par les partis
d'opposition comme du pouvoir lors des élections nationales ou
régionales. De véritable fiefs de la taille de pays entiers sont
détenus par des Ministres-en-chef et par leurs amis. La promesse
d'éliminer l'immonde système des castes, reprises en chœur par
tant de dirigeants politiques, reste irréalisée, et les minorités
ethniques voient leurs terres les plus précieuses se faire arracher
par des gouvernements ou des cartels qui œuvrent main dans la main
(sauf là où des mouvements de masse déterminés sont parvenus à
bloquer leurs projets).
Au Sri Lanka, une grande partie de la population tamoule du Nord vit désormais parquée dans des camps de concentration, tandis que leurs terres sont confisquées par les amis du régime |
Le “second monde” de la Malaisie
La Malaisie, pays
d'Asie du Sud-Est, parfois considérée comme faisant
partie du “second” plutôt que du “tiers” monde, comprend
trois principaux groupes raciaux (Malais, Chinois, Indiens). Le
gouvernement du Barisan Nasional (Front national), qui se
base sur la majorité malaise, prétend avoir à nouveau gagné les
élections en mai, bien qu'il ne détienne maintenant plus la
majorité des deux tiers qui lui permettait d'effectuer des
modifications constitutionnelles.
Les électeurs
“chinois” (càd, d'ethnie “chinoise”, et non pas de
nationalité chinoise), qui constituent un quart du total des
Malaisiens, se sont écartés du BN pour protester contre la
continuation de sa politique pro-malais. La majorité des électeurs
malaisiens “indiens” ont en général voté pour l'opposition de
la Pakatan Rakyat (Alliance du peuple).
Au cours du mois qui
a précédé les élections nationales, on a tout d'un coup vu tomber
un “déluge” d'allocations sociales pour les familles pauvres,
d'un montant total de 2,6 milliards de dollars. D'autres
cadeaux ont été faits pour l'ensemble des électeurs. Malgré cela,
l'alliance au pouvoir, dirigée par le BN, a sans nul doute été
vaincue ; mais elle a affirmé sa victoire, malgré les très
nombreux rapports de fraude électorale partout dans le pays. (Même
le contrat pour l'encre nécessaire au vote a été donné à une
entreprise qui appartient à un membre de l'alliance au pouvoir !)
Des jeunes
radicalisés et en colère sont immédiatement descendus dans les
rues pour déclarer le gouvernement illégitime ; certains de
leurs dirigeants ont été arrêtés. Le dirigeant de l'opposition
– ce même Anwar Ibrahim qui avait dirigé le mouvement
“Reformasi” en 1997 – a condamné la fraude
électorale et a exigé une enquête par les tribunaux. Mais il n'a à
aucun moment demandé à ce que le gouvernement laisse le pouvoir et
à manifester pour cela. Petit à petit, le mouvement des jeunes
s'est essoufflé puis a disparu.
Il faut une nouvelle
force politique en Malaisie, comme partout ailleurs dans la région,
afin de canaliser la colère des jeunes et des travailleurs en une
lutte pour une alternative socialiste. Le CIO en Malaisie, dans son
journal “Solidarité ouvrière” présente une longue liste de
revendications démocratiques liées à d'autres portant sur les
salaires, le logement, les emplois pour les jeunes, la
nationalisation des banques et des grandes entreprises sous contrôle
et gestion démocratique par les travailleurs. Ce journal est vendu
aux manifestations, sur les marchés de nuit, devant les entreprises
– que ce soit des banques ou des usines – et dans les
quartiers ouvriers.
Manifestation en Malaisie contre la fraude électorale |
Le futur devant nous
Lorsque les économies
asiatiques seront soumises à la pleine force de la tempête
économique qui approche, tous les partis politiques de la région
seront soumis à l'épreuve. Ceux qui prétendent représenter les
travailleurs, mais ne sont pas prêts à mener une lutte jusqu'au
bout et sans compromis contre la domination du capitalisme et de
l'impérialisme, perdront leur soutien. Ces vieux partis seront
rejetés au cœur de la lutte de classes. Le développement d'une
nouvelle force prolétarienne, basée sur un programme de classe
combatif, est la tâche principale des socialistes en Inde, au
Pakistan, en Malaisie, au Sri Lanka et dans toute la
sous-région.
Des évènements
terribles se préparent pour l'Asie du Sud et du Sud-Est ;
c'est en particulier le cas pour les pays plus petits comme la
Birmanie, le Népal, le Vietnam ou le Cambodge. Toutes les vieilles
“certitudes” seront remises en question, et c'est au CIO que
reviendra l'immense responsabilité de développer la capacité de
lutte de la classe des travailleurs à travers toute la sous-région.
Comme Trotsky l'a
écrit dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale,
rédigé il y a 75 ans : « Bons sont les méthodes et
moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur
confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à
l'abnégation dans la lutte » (Programme de transition).
Les quelques-uns qui comprennent aujourd'hui la nécessité d'un
programme complet afin d'effectuer une transformation socialiste en
profondeur de la société ont pris l'habitude de « nager
contre le courant ». Mais la vague de soulèvements de masse en
Asie et ailleurs dans le monde, contre le capitalisme sous toutes ses
formes, les porteront « à la tête du flux révolutionnaire »,
comme l'écrivait encore Trotsky.
Que ce soit le régime
chancelant de Yudyohono en Indonésie, l'alliance instable au
Pakistan, le gouvernement mou de Singh en Inde, le pouvoir illégitime
de Najib Raziv en Malaisie ou la dictature de verre au
Sri Lanka, aucune de ces cliques corrompues ne donne la moindre
apparence de stabilité pour la sous-région. Loin de là. Les
tempêtes qui pointent à l'horizon les verront remplacés non par un
ni deux, mais par toute une série de gouvernements de crise, jusqu'à
ce qu'un parti armé d'un programme socialiste révolutionnaire
parvienne à saisir les rênes du pouvoir et à inspirer une vague
révolutionnaire à travers toute l'Asie et au reste du monde.
Les masses asiatiques ne pourront plus être retenues bien longtemps. Et après… |
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