dimanche 25 août 2013

CI : Interdiction du meeting contre la cherté de la vie

Que faire à présent ?


Le meeting contre la cherté de la vie du 24 aout, organisé par la Coalition des indignés de Côte d'Ivoire (CICI) a été annulé au dernier moment par les autorités de la commune de Yopougon. 

C'est le matin-même que les organisateurs, au moment de leur arrivée sur la place vers 7h, se sont vus remettre par un agent de police une lettre de l'adjoint au maire leur signifiant la décision de l'annulation du meeting. Alors que depuis trois semaines la commune et la police avaient été averties, et que toutes les autorités rencontrées avaient donné leur accord quant à l'action. Des dispositions avaient été prises pour que la police assure la sécurité des manifestants, etc. 


Deux arguments ont été invoqués pour justifier l'interdiction :
1) La Coalition des indignés de Côte d'Ivoire (CICI) ne serait pas enregistrée dans le répertoire des associations de la commune de Yopougon (alors qu'elle est reconnue au niveau national…)
2) Les autorités jugent inopportune la tenue d'une action sur le thème de la cherté de la vie, vu les “immenses efforts” déployés selon elles en ce domaine par le gouvernement ; et soucieuses de ne pas donc voir la “quiétude” des citoyens troublée par cette action.

Les camarades de la CICI ont bravement défié l'interdiction en tentant de marcher malgré tout dans une rue adjacente tout en ralliant les passants (dont un grand nombre était venus manifester mais avaient été chassés du lieu par la police). Le petit cortège a été dispersé, gazé, et plusieurs personnes ont été blessées, dont une femme enceinte de 7 mois et qui est tombée sur le ventre. Un camarade a été arrêté et se trouve toujours au violon du commissariat du 16ème arrondissement de Yopougon – une campagne de solidarité et de protestation internationale a été lancée hier par le CIO partout dans le monde.

Le camarade Afri Koné Modeste lors de la campagne de mobilisation
qui a précédé la manifestation

Une population qui nage dans le bonheur ?

Mais de quelle “quiétude” parlent donc les autorités ? Il suffit de jeter un œil sur les réactions enregistrées lors de notre campagne de mobilisation (une vidéo au hasard) pour se rendre compte de l'ampleur de la colère, du désespoir et du désarroi dans lesquels est plongée la population après déjà plus de 2 ans de prise du pouvoir effectif par le régime d'Alassane Ouattara.

Les revendications de la mobilisation sont largement soutenues par la population. En effet, qui ne voudrait pas voir baisser les prix du gaz, de l'essence, de l'eau et de l'électricité ? Qui ne voudrait pas voir doubler le salaire minimum ? Qui ne voudrait pas la santé et l'enseignement gratuits ? Qui ne voudrait pas voir un emploi pour tous ? Qui ne voudrait pas voir les vastes richesses de la Côte d'Ivoire mises au service de l'ensemble de la société ? Qui ne voudrait pas savoir où est parti l'argent du PPTE et de la “pluie de milliards” apportée par ADO ?

Lors de nos actions, nous avons même pu discuter avec des soldats des FRCI (Forces républicaines de Côte d'Ivoire, dont beaucoup sont d'ex-rebelles), qui eux aussi soutiennent le mouvement. Le gouvernement n'avait-il pas promis 5 millions à chaque combattant ? Au lieu de ça, les FRCI sont mal logés, sont victimes d'arriérés de salaire, et beaucoup en sont réduits à déserter et brigander pour survivre. D'ailleurs, les manifestations d'anciens combattants se sont multipliées ces derniers temps, à Dimbokro, Korhogo, Bouaké, Man… malheureusement souvent au détriment des populations, en l'absence d'un cadre de lutte commun contre la pauvreté et la cherté de la vie.

C'est justement un tel cadre que veut offrir la CICI. La CICI est une plate-forme large regroupant toute une série de syndicats, associations de jeunes, de femmes, etc, y compris l'association des handicapés refoulés de la fonction publique et celle des déflatés de la Sotra. De plus en plus d'organisations rejoignent le mouvement, et la campagne a aussi reçu le soutien de partis politiques de gauche, comme le parti Lider (Liberté et démocratie pour la république, dirigée par l'ex-numéro 2 du FPI Mamadou Coulibaly, qui a quitté le FPI sur une base de gauche – bien que toujours réformiste). La CICI possède donc un énorme potentiel en tant que structure capable de rallier l'ensemble de la population indignée et des déçus du régime Ouattara, pour aller vers la réconciliation dans la lutte. C'est pour cette raison que le jeune groupe ivoirien des sympathisants du CIO est également partie prenante de la CICI afin de la renforcer, de permettre à nos militants de se former dans la pratique et de militer dans le cadre d'une organisation large déjà promise à un avenir radieux.

Une organisation militante qui correspond à une réelle demande populaire

Perspectives pour la CICI et la Côte d'Ivoire

À ce titre, l'annulation du meeting du 24 constitue vraisemblablement un point tournant dans la vie politique ivoirienne. Il faut rappeler que la place CP1 est un lieu traditionnel de manifestation pour le mouvement pro-Gbagbo. Notamment, la JFPI (Jeunesse du FPI) qui y avait prévu un grand meeting de soutien à Gbagbo le 16 février, s'était également vu refuser l'accès à la place la veille. Mais la CICI mène campagne autour d'un thème “apolitique” qui touche l'ensemble des Ivoiriens (même si nous appelons nous aussi à la libération de Gbagbo, sans pour autant le déifier comme font certains). Par cette vaste campagne de mobilisation, la CICI a donc fait ses preuves en tant que nouvel organe de lutte capable d'unifier l'ensemble de la population, de se faire connaitre, de tenir un discours cohérent, et d'aller jusqu'au bout de ses paroles. Dans le paysage politique en ruine que présente actuellement la Côte d'Ivoire, la CICI répond à une demande criante, et a donc sans doute déjà gagné un immense prestige et une immense autorité, qui ne pourront à présent que croitre encore.

Vu l'énorme soutien et engouement reçu de la part de l'ensemble de la population et organisations de la société civile, vu l'écho qui lui a été fait dans les médias tant nationaux qu'internationaux, la CICI est bien partie pour atteindre son objectif qui est d'être l'expression de “la conscience du peuple”. À terme, la CICI pourrait même se muer en un nouveau parti des travailleurs dont le discours et la fougue trancheraient radicalement avec les phrases toutes faites et la passivité des intellectuels bourgeois de gauche comme de droite.

Mais comment développer la CICI ? Comment aller plus loin et surtout comment la CICI pourra-t-elle exprimer la voix populaire par des actions de rue plutôt que dans les bureaux ? Vu l'interdiction de la manifestation. Il est clair que le régime a peur de la contestation. Il est de plus en plus isolé, en Côte d'Ivoire comme à l'international, empêtré dans toute une série de scandales de corruption, d'attribution de marchés publics non-règlementaires… (un article suivra d'ailleurs prochainement à ce sujet sur notre site). Vu la colère qui vit partout dans la société (une autre vidéo au hasard), le régime craint à juste titre que le moindre mouvement de contestation ne mène à une explosion sociale. Il a parfaitement raison. Et par son refus, il empêche que cette action soit canalisée et organisée. 

C'est-à-dire que le gouvernement est prêt à ne laisser s'exprimer cette colère sous la forme d'une recrudescence de la violence conjugale, de la criminalité, de violence ethnique, d'émeutes et de pogroms, avec tous les dangers que cela implique pour l'ensemble de la population, plutôt que de voir – cauchemar ! – cette colère organisée en un mouvement large qui pourrait réconcilier la population dans le cadre d'une lutte commune, le balayer et donner naissance à un pouvoir populaire. D'ailleurs, les autres partis politiques d'opposition (FPI y compris, malheureusement) préfèrent eux aussi rester dans la logique d'une mobilisation purement “politique” dont le seul but est leur retour à la tête de l'État (bourgois), plutôt que d'encourager le peuple à fonder ses propres organes de contrôle et de pouvoir (et d'aller vers la destruction complète de l'État et son remplacement par un gouvernement des travailleurs basé sur le pouvoir des agoras et parlements de la rue).

Il faut également s'attendre à présent à voir des manœuvres de la part du régime par lesquelles la CICI et ses représentants, étant devenus une force sociale, seraient conviés à la table des négociations avec des hauts-cadres étatiques. Cela, dans le but de détourner l'action de la CICI, de la dénaturer et de la convaincre d'adopter une stratégie basée sur la “discussion” et sur le “lobbying”, comme une quelconque ONG, plutôt que d'emprunter le chemin de la lutte des classes. Nous devons refuser catégoriquement toutes ces tentatives.

Vers une “décentralisation” pour permettre l'émergence de comités locaux
de mobilisation et d'agitation

Que faire ?

La CICI doit poursuivre son évolution en tant qu'organe de concentration et de coordination des luttes. Pour ce faire, nous soumettons à discussion l'idée de la “décentralisation”. En effet, la campagne de Yopougon était nécessaire afin de créer une équipe soudée et de la concentrer dans le cadre d'un effort commun. Cela était indispensable pour apprendre à se connaitre les uns les autres, voir le comportement et le mode de fonctionnement de chacun, discuter du programme, des revendications, etc. Mais beaucoup de militants ont regretté le fait que dans le cadre de cette campagne, il était extrêmement difficile pour les comités militants d'Abobo, Koumassi, Port-Bouet, Cocody… de participer, en raison des sempiternelles difficultés de transport. Nous avons recueilli le soutien de toute une série de “parlements” locaux, associations et coopératives diverses qui sont prêts à mobiliser et à entrer en action, mais qui n'ont pas vraiment pu jouer le rôle qu'ils auraient aimé jouer. 

De plus, nous constatons en même temps l'inutilité absolue de chercher à demander à ce régime la moindre autorisation de manifester. C'est pourquoi, au diable les demandes officielles ! Partons en action, point, sans prévenir personne. À ce titre, il est important pour les militants ivoiriens d'étudier la façon dont s'est construite notre organisation, le DSM (Democratic Socialist Party) au Nigeria, qui doit elle aussi faire face aux même conditions semi-dictatoriales mais est malgré tout parvenue à se développer en un mouvement large présent dans tout le pays.

La suggestion que nous soumettons donc à débat aujourd'hui est donc celle-ci : “décentraliser” le mouvement, activer des comités de mobilisation dans les différents quartiers d'Abidjan, aller vers l'organisation “illégale” de manifestations, meetings, occupations semi-improvisés ayant pour but de rallier la population et faire passer un message, distribuer des tracts, etc. Ces actions seront nécessairement assez brèves, d'une durée d'une demi-heure / une heure (comme l'action du vendredi 23 à Yopougon). Elles seraient accompagnées ou préparées par des distributions de tracts, voire la vente d'un journal des Indignés ? L'objectif serait de préparer les consciences pour aller par exemple vers un appel à une journée “ville morte”.

En même temps, il nous faut garder un œil sur tout mouvement de grève qui se produirait dans la ville. On annonce des nouveaux licenciements dans la Poste : on pourrait mener une campagne de solidarité devant les institutions ad hoc, aider les facteurs à organiser une grève… De même, vis-à-vis de la grève des taxis qui aura lieu la semaine prochaine : on pourrait assister à des meetings de chauffeurs afin de les aider à formuler des revendications qui puissent satisfaire les chauffeurs de woro-woro autant que ceux de gbaka et taxi-compteur (et les utilisateurs), dans le cadre d'une lutte commune de tout les transporteurs pour une véritable politique du transport à Abidjan et dans le pays. En cas de grève, les comités de mobilisation de la CICI devraient en outre organiser des manifestations de solidarité dans les quartiers concernés, assister les grévistes pour la tenue du piquet de grève et en cas d'occupation, etc.

Avant cela aussi, il importe maintenant de discuter des structures, finances, etc. de la Coalition afin de clarifier le mouvement pour pouvoir passer à un nouveau stade de développement. Il faudrait donc pour cela organiser une nouvelle AG de la Coalition.

Ainsi, on pourra petit à petit reconstruire un mouvement populaire allant vers la refondation d'agoras démocratiques et apolitiques capables de se diriger vers le dégagement du régime, le démantèlement de l'État et la prise du pouvoir.

Un exemple d'action “clandestine” qui pourrait être organisée par des
comités locaux dans les différents quartiers d'Abidjan

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