Pour une nationalisation sous le contrôle et la gestion par les travailleurs
La plupart des
panafricanistes et des socialistes sont convaincus de la nécessité
de la nationalisation des secteurs-clés de l'économie. Non
seulement en effet, le privé a prouvé ses limites (recherche du
profit avant tout qui nuit à la qualité du service, qui s'ajoute à la cherté
de la vie, qui empêche
les investissements non rentables ou pas assez rentables ; baisse des couts qui nuit à l'emploi et aux
conditions de travail et salariales, etc.), mais en plus, pour nos
pays africains et néocoloniaux, il est question de souveraineté
nationale. Il n'y a en effet pas d'indépendance politique sans
indépendance économique, tout comme il n'y a pas de démocratie
politique sans démocratie économique.
Cependant, nous avons
connu dans le passé toutes sortes d'expériences qui nous ont montré
que la nationalisation mal appliquée connait elle aussi toutes
sortes de problèmes, notamment la bureaucratisation, le désintérêt
des gestionnaires d'État et l'inefficacité, en raison de l'absence
de contrôle populaire sur la manière dont les entreprises étatiques
sont gérées. Délivrée des obligations de concurrence et de
compétitivité, l'industrie nationalisée a autant besoin de
démocratie que le corps humain a besoin d'oxygène – c'est là
une des grandes leçons de la faillite de l'Union soviétique
stalinienne.
Dans cet article,
basé sur des débats qui ont eu lieu au sein de notre section
allemande Alternative socialiste (Sozialistische Alternative,
SAV), nous expliquons en long et en large comment le CIO envisage la
question de la nationalisation.
Le vocabulaire de la
nationalisation
Dans le cadre de la
nouvelle situation mondiale, la question se pose de savoir comment
présenter nos revendications concernant la nationalisation des
besoins de production et en faveur du contrôle et de la gestion par
les travailleurs. Avant que nous ne parlions de la présentation de
notre programme, il est nécessaire de s’assurer que le contenu de
notre programme est clair. Aujourd’hui il y a parmi la gauche
beaucoup de discussions et de confusion quant à cette revendication.
Certains, sur base d’une opposition abstraite contre le
“public/étatique” de façon générale, sont contre les
nationalisations. Ces personnes parlent plutôt de socialisation, de
coopération, ou de prise en charge par la collectivité. Certains
donnent l’impression qu’ils ne veulent poser la question de la
propriété des moyens de production qu’après la victoire sur le
capitalisme, d’autres parlent de formes de propriété mixtes.
Les marxistes sont
pour la nationalisation des moyens de production, y compris
ici et maintenant, à l’intérieur du cadre de la société
capitaliste encore existante, donc, et aussi après une révolution
socialiste victorieuse, dans le cadre de l’État prolétarien
alors en construction. Seul un État – au moins aussi
longtemps que les structures d’État n'auront pas encore disparu
par l'avènement du communisme à son stade avancé – est
capable de prendre en compte les intérêts de l’ensemble de la
collectivité dans l’économie, d’organiser l’équilibre
financier entre différentes branches de l’économie, de planifier
les investissements de manière sensée, de désactiver les lois du
marché et de s’occuper de la répartition des biens de
consommation qui ont été produits. L’ancienne Poste publique
était (avec ses limites) un exemple des possibilités qu'offre
l'État. Les parties non rentables de la Poste étaient financées
avec les moyens des parties plus rentables, afin de maintenir un
service abordable pour les masses – une économie solidaire
d'elle-même.
Le terme
“nationalisation” entraine des connotations négatives chez
une grosse partie de la classe des travailleurs au souvenir de la
nationalisation stalino-bureaucratique, comme en Allemagne de l’Est,
ou des nationalisations bureaucratiques capitalistes, et donc
orientées vers le profit, que l’on a vues dans le monde
capitaliste. Nous ne pouvons pas faire comme si cela n’existait
pas, nous pouvons seulement tenter de trouver une manière de
souligner le contenu de notre revendication et de le placer au cœur
du débat. Cela, nous l’avons fait dans le passé en recourant à
d’autres notions dans le but de pouvoir entrer en dialogue avec la
classe des travailleurs : passage sous propriété publique
et entre les mains de la collectivité. Nous avons encore utilisé
des slogans tels que “Opel aux mains des travailleurs”.
Il est absolument
nécessaire d’être flexible dans de tels débats, mais nous ne
devons jamais mettre de côté notre contenu. La notion de “propriété
collective” peut aussi vouloir dire propriété sous forme de
coopérative. L’expropriation signifie seulement que l’on
veut dépouiller le propriétaire actuel de sa propriété, mais ne
dit encore rien à propos de la nouvelle forme de propriété. La
notion de “socialisation”, en revanche, est avant tout une
forme théorique et erronée en tant que revendication transitoire,
parce qu’elle peut conférer l’impression qu’il est possible
dans la situation actuelle d’avoir une société qui ne
fonctionnerait pas sur base d’un État. Nous préférons ne pas
utiliser ces termes car ils ne sont pas clairs. Ceci ne signifie
toutefois pas que nous devons argumenter contre l’usage de ces
notions au cas où elles seraient utilisées lors d’assemblées de
travailleurs. Mais nous devons chercher une manière de donner un
contenu marxiste correct à ces concepts.
Le président bolivien Evo Morales a renationalisé l'électricité de son pays “Nationalisé – propriété des Boliviens” |
Limitations par le capitalisme et le stalinisme
Il est important de
faire une distinction claire entre notre revendication de
nationalisation et sa version stalinienne, de même qu’avec les
formes de plus en plus nombreuses de nationalisations capitalistes.
C’est pourquoi y ajouter la question du contrôle démocratique
et de la gestion par les travailleurs est un argument clé. Cet
argument doit lui aussi être employé de manière flexible dans
différentes situations concrètes. Nos formulations sont aussi à
adapter en fonction du lieu où nous allons les utiliser, auprès de
travailleurs dont l’usine est menacée de fermeture ou dans un
tract à un congrès de Die Linke (parti large de la Gauche en
Allemagne) pour commenter les propositions de programme, par exemple.
Il peut être nécessaire d’employer des formulations plus courtes
et plus pointues. Par exemple : “Nationalisations dans
l’intérêt des travailleurs” ou “Nationalisations, pas
pour sauver leurs profits, mais pour sauver l’emploi”. Dans
notre programme général, il peut être judicieux d’utiliser
“Nationalisations socialistes, pas capitalistes”. De tels
slogans ne sont par contre certainement pas adaptés à un discours
agitationnel à la porte du chantier naval de Rostock (en ancienne
Allemagne de l’Est). Ils peuvent par contre bien clarifier un
discours lors d’un congrès régional de Die Linke. En même
temps, nous devons être clairs sur le fait que nous sommes contre
certaines nationalisations, comme le fait de nationaliser uniquement
des secteurs économiques non rentables – ainsi on laisserait l'État se charger uniquement des pertes, et les capitalistes investir l'ensemble des secteurs qui rapportent ?
Nous devons également
concrétiser la question de l’indemnisation. Dans le passé,
nous avons formulé cette revendication ainsi : “Indemnisation
seulement sur base de besoins prouvés”. Cette formulation
était plutôt rhétorique, parce que les capitalistes et les grands
actionnaires n’étaient pas vraiment des miséreux. Vu le fait
qu’il y a une plus grande part de travailleurs qui possèdent des
actions, nous devons aujourd’hui revendiquer le fait que
l’indemnisation soit prévue seulement pour les petits
actionnaires jusqu’à un montant qui reste à fixer.
La revendication de
la nationalisation sous contrôle et gestion par les travailleurs
est une revendication transitoire. Ceci signifie que nous ne devons
pas les placer uniquement dans le cadre d’un État prolétarien
ou d’une société socialiste. Nous disons cela aussi pour la
situation concrète où nous revendiquons, ici et maintenant, la
nationalisation de certaines entreprises et secteurs. Avec la crise
actuelle, on va voir apparaitre des situations où la nationalisation
d’une entreprise bien définie va devenir la revendication
principale dans certaines luttes. En même temps, il n’est pas
exclu que l’État capitaliste se voie poussé à nationaliser.
Dans de tels cas, nous allons devoir répondre de manière concrète
à la question de savoir comment nous envisageons le contrôle et la
gestion par les travailleurs de cette entreprise une fois
nationalisée.
Lorsque l’on parle
de la revendication générale de la “nationalisation des 150
plus grandes banques et entreprises”, il est suffisant
d’utiliser la formulation générale de “contrôle et gestion par
les travailleurs”. Dans notre brochure “Qui nous sommes et ce que
nous voulons”, nous avons écrit : « À travers des
représentants élus du personnel et de la classe ouvrière ».
La revendication de nationalisation renvoie directement à la
nécessité de la transformation socialiste de la société,
lance la question de la planification de l’économie, de la
reconversion de l’économie dans certains secteurs, etc. Mais que
disons-nous aux ouvriers d’Opel en lutte lorsque nous leur
proposons de lutter pour la nationalisation de leur entreprise ici et
maintenant – c’est à dire, sans que la révolution
socialiste ne soit en vue ? Il y a des gens de gauche, comme
Ernest Mandel (dirigeant historique de la tendance trotskiste
“Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale”),
qui refusaient chaque participation à la gestion des entreprises
nationalisées dans le cadre du capitalisme. Ils justifiaient cela en
disant que cela ne pouvait mener dans l'esprit des représentants des
travailleurs aux organes de gestion qu’à l’acceptation de la
logique de profit et à former des gestions mixtes telles que nous
les connaissons aujourd’hui en Europe. Selon Mandel, on ne devait
pas compter sur le contrôle ouvrier dans le cadre du capitalisme.
Nous disons qu’une
opinion si négative des travailleurs est difficile à justifier dans
une situation concrète dans la lutte pour la nationalisation ou dans
le cas de la nationalisation. Une telle attitude ne fait justement
que pousser les travailleurs dans les bras de modèles réformistes
de gestion mixte.
Comme il est expliqué
dans les textes de cette brochure, il n’existe pas de gigantesque
fossé entre la question du contrôle par les travailleurs et celle
de la gestion démocratiques par les travailleurs. La thèse valable
et générale selon laquelle le contrôle par les travailleurs serait
une phase de la lutte de classe dans le cadre du capitalisme, tandis
que la gestion par les travailleurs ne serait possible qu’après la
prise de pouvoir par la classe ouvrière, ne peut pas être appliquée
de façon mécanique. Comme cela s’est vu dans le passé, on peut
voir apparaitre des situations où, dans les entreprises
nationalisées, la lutte est menée pour la gestion par les
travailleurs, et même parfois avec succès.
Cette question se
pose sans aucun doute ainsi dans certaines entreprises nationalisées
au Venezuela, et s’est posée dans le passé au Royaume-Uni après
la Seconde Guerre mondiale, de même que dans le Mexique des
années ‘30. C’est sur cette question que se penchent les
textes de cette brochure. Dans de pareilles situations, les
révolutionnaires ne peuvent pas lancer la nécessité de la mise sur
pied de conseils des travailleurs en tant qu’organes de pouvoir des
travailleurs et de gestion lorsque la phase de la lutte de classe n’y
répond pas. Trotsky (dirigeant de la révolution russe avec Lénine, puis chef de l'opposition à la dictature stalinienne) a, à partir de l'expérience mexicaine, attiré
l’attention sur le fait que la tâche des organisations
révolutionnaires consistait alors à utiliser leur position au sein
des conseils de gestion en tant que plate-forme de propagande
révolutionnaire, et à refuser toute forme de collaboration de
classe. Cette approche clarifie le fait que cette question est
étroitement liée à la lutte pour l’indépendance et la
démocratisation des organisations prolétaires et à la lutte pour
la construction d’un parti révolutionnaire.
Enfin, aujourd’hui,
la lutte pour le contrôle par les travailleurs est indissociable du
contrôle par les travailleurs de leurs propres organisations et
de leur propre lutte. C’est un slogan crucial dans notre
politique. Nous partons de la lutte pour la démocratisation des
syndicats, continuons vers la mise sur pied de comités de
grève et d’occupation, et amenons ensuite la question du
contrôle ouvrier de la production dans les entreprises
ainsi occupées.
Les mineurs sud-africains demandent la nationalisation de l'ensemble du secteur minier « Payez-nous 600 000 francs ou bien faites vos bagages et quittez le pays » |
Triple parité
Sur base de ces
réflexions, nous avons dans le passé basé la revendication pour la
gestion des entreprises nationalisées selon la formule : un
tiers de représentants du personnel, un tiers de représentants du
mouvement syndical au sens large, et un tiers de représentants du
gouvernement. Cette formule garantit qu’il y ait une majorité
de travailleurs présente dans les organes de gestion et qu’en même
temps, à travers les représentants du mouvement syndical au sens
large, les intérêts des employés dans le secteur entier et même
de l’ensemble de la classe ouvrière soient représentés. Via les
représentants de l’État, c’est ensuite l’ensemble de la
société qui est représentée.
Nous n’avons plus
utilisé cette formule dans les années ‘90 car la question de
la nationalisation ne s’y posait presque jamais de manière
concrète, et par conséquent cette revendication est devenue
purement propagandiste. Maintenant, suite au virage à droite des
directions syndicales, le doute existe de savoir si avec un tel
modèle on aurait encore une majorité qui défendrait effectivement
les intérêts de la classe ouvrière. Vis-à-vis de la
représentation de l’État, il était auparavant plus facile de
donner l’image que les intérêts des travailleurs pourraient
également être défendus avec un gouvernement, lorsque la
social-démocratie (PS et affiliés) était encore un parti des
travailleurs, même avec une direction bourgeoise. Nous devons tenir
compte de ces limites lorsque nous rédigeons aujourd’hui des
revendications concrètes concernant la gestion des entreprises
nationalisées, mais les points de départ restent les mêmes. Ainsi,
la réponse concrète peut varier d’une entreprise à l’autre :
une usine de vélos n’est pas la banque KBC, et une brasserie
n’est pas Opel.
En principe, nous
devons retenir la proposition d’une gestion paritaire, à
laquelle participeraient les travailleurs de l’entreprise, le
secteur, le gouvernement, mais aussi des représentants
d’autres groupes de la population concernée (consommateurs,
riverains, groupes écologistes, etc.). Le fait que des
représentants des travailleurs constituent une majorité demeure
central.
Il faut aussi résoudre le problème de la méfiance légitime envers les représentants syndicaux imposés d’en haut. Nous devons revendiquer de manière explicite le fait que les représentants syndicaux soient élus de manière démocratique par la base, avec des représentants du personnel, eux aussi démocratiquement élus. Cela signifie que la question de la démocratie et de la combattivité des syndicats est posée. Formellement, de telles élections peuvent prendre place lors d’assemblées spéciales de délégués. Les délégués auprès de tels congrès doivent être élus lors de réunions générales de l’entreprise, être révocables à tout moment et continuer à recevoir uniquement leur salaire habituel.
Il faut aussi résoudre le problème de la méfiance légitime envers les représentants syndicaux imposés d’en haut. Nous devons revendiquer de manière explicite le fait que les représentants syndicaux soient élus de manière démocratique par la base, avec des représentants du personnel, eux aussi démocratiquement élus. Cela signifie que la question de la démocratie et de la combattivité des syndicats est posée. Formellement, de telles élections peuvent prendre place lors d’assemblées spéciales de délégués. Les délégués auprès de tels congrès doivent être élus lors de réunions générales de l’entreprise, être révocables à tout moment et continuer à recevoir uniquement leur salaire habituel.
Les représentants
du gouvernement doivent eux aussi être représentés parce que
l’État, en tant que propriétaire, doit respecter ses
engagements. Il faut que de l’argent soit disponible,
l’acquisition des biens produits doit être garantie et une
répartition des moyens judicieuse pour la société doit être
organisée. Parmi les masses de la population, il ne serait pas
accepté – sauf lors de périodes révolutionnaires –
que le gouvernement élu n’ait aucune participation dans les
entreprises d’État.
Nous adhérons
volontiers à la critique à laquelle il faut s’attendre de la part
des ultragauches, que nous défendons sur cette base l’idée des
nationalisations dans le cadre du capitalisme (et donc, que nous
serions selon eux réformistes) : nous n'attendons en effet pas
la révolution socialiste pour lutter pour le maintien de l’emploi
et des entreprises. En même temps, nous devons expliquer que la
transformation socialiste de la société ne se produira pas par une
extension systématique de l’industrie nationalisée. Nous
sommes cependant pour les nationalisations dans le cadre du
capitalisme et proposons une forme pour celles-ci qui en même temps
rompe avec le cadre capitaliste. C’est la méthode dynamique du
programme de transition.
Cette revendication
est utilisée en dialogue avec les travailleurs qui luttent pour
cela, en tant que point de départ pour une discussion sur la
nécessité d’un autre gouvernement et d’un autre État – un
État prolétarien basé sur le pouvoir des agoras, comités
d'entreprise et parlements de la rue démocratiques et apolitiques.
Ainsi, nous
approchons la question de la triple parité de manière flexible et
n’en faisons aucun fétiche. Dans les sociétés de logement, ce
sont les locataires qui doivent être représentés ; dans
l’industrie chimique et automobile, il faut impliquer des
associations environnementales ; pour la gestion de brasseries
ou de la grande distribution nationalisée, des représentants des
petits commerçants (propriétaires de maquis, boutiquiers,
etc.) peuvent être présents.
Cet ensemble de
textes doit pour cela faire en sorte qu’une discussion sur notre
méthode ait lieu dans notre organisation, et que nous soyons en
état, en tant que socialistes révolutionnaires, d’appliquer cette
méthode de manière autonome lors des mouvements de lutte à venir.
Des contributions à cette discussion sont expressément encouragées.
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