Qu'est-ce que le fascisme ?
À la suite de notre article sur la question nationale et le danger des idées d'extrême-droite en Côte d'Ivoire, nous publions aujourd'hui un article du dirigeant révolutionnaire Trotsky sur la question du fascisme d'un point de vue historique, précédé d'une courte introduction. Que représente le fascisme, quelles classes représente-t-il, quel est son rôle historique ?
Bien que les fascistes aujourd'hui aient quelque peu modifié leur discours, on retrouve en fait de très nombreux parallèles entre les fascistes de l'époque de Trotsky et l'extrême-droite actuelle.
Le Groupe union défense français |
Dans tous les cas, les fascistes profitent de la démoralisation, du faible niveau de conscience de la classe ouvrière, du désespoir du lumpen (classes pauvres marginalisées) et de la colère de la petite-bourgeoisie appauvrie (classes moyennes, petits commerçants, artisans, une certaine couche des fonctionnaires, petits patrons…) pour se faire passer pour des héros qui redonneront à la “nation” sa dignité, au nom de la pureté de la race, de l'esprit national, etc. en invoquant un hypothétique âge d'or et le droit du sol. Qu'ils en soient conscients ou non, leur rôle historique est d'utiliser ces couches désespérées et leur discours réactionnaire pour démoraliser, diviser et finalement briser la classe ouvrière organisée et sauvegarder les intérêts de la grande bourgeoisie et de l'impérialisme.
Récupération d'icônes nationaux par l'extrême-droite
(ce qui n'empêche pas De Gaulle d'avoir été lui-même
une crapule de droite)
(ce qui n'empêche pas De Gaulle d'avoir été lui-même
une crapule de droite)
Les fascistes d'aujourd'hui tout comme les fascistes d'avant se font volontiers passer pour des “socialistes” mais plus souvent “ni de gauche, ni de droite” (la fameuse “3ème voie”), des “antisystèmes”, des “antiimpérialistes”, des “antimondialistes”, des “révolutionnaires”, qui “disent tout haut ce que tout le monde pense tout bas” invoquant la nécessité d'un “sursaut national” afin de gommer les différences entre classe sociales, d'effectuer une division verticale entre “nous” (la nation) et “eux” (les étrangers, ou le “système” apatride) plutôt que la division horizontale entre travailleurs et capitalistes, y compris dans son propre pays.
Les fascistes invoquent volontiers de sinistres complots (franc-maçonnerie, Illuminatis, Nouvel Ordre mondial…) et font appel à toutes sortes de discours mystiques et religieux (prophéties, etc.) pour se donner de l'importance. Mais plutôt que d'organiser les masses contre l'ennemi impérialiste ou financier, ils cherchent des boucs-émissaires, en la personne des diverses minorités au sein de la société, jugées comme responsables de la crise ou comme “alliés objectifs” du “système” : auparavant les juifs, aujourd'hui les musulmans (les “islamistes”), les étrangers de manière générale, et les homosexuels. Sans oublier les syndicats.
Affiche appelant à la peur de voir la France devenir “islamiste”
La même, mettant en avant le fait que le FN est censuré car “antisystème” |
Le danger des fascistes réside également dans le fait que leurs discours formatés, simples à comprendre et obscurantistes mais “antisystème” leur permettent de recruter des jeunes radicalisés qui croient réellement rejoindre la lutte contre le système en se rangeant derrière les fascistes. L'histoire nous prouve pourtant qu'à chaque fois, les fascistes une fois au pouvoir ont trahi leur base pour établir une dictature totalitaire au service direct du grand capital, éradiquant toute résistance et repoussant de plusieurs décennies tout potentiel révolutionnaire.
(Voir par exemple le site du parti belge Nation, “La seule alternative, l'unique opposition” ; le groupe “Égalité et Réconciliation” du fasciste français Alain Soral ; dans une gamme plus “soft”, le programme du Front national français peut être téléchargé ici).
Les “solutions” des fascistes |
La Côte d'Ivoire n'est elle non plus pas exempte du danger des idées d'extrême-droite. On en retrouve de nombreuses tendances dans le discours de toute une série de “patriotes” ivoiriens (voir cette interview où un jeune patriote appelle à voter FN en France) : théorie du complot, apologie des “valeurs nationales”, défense de la bourgeoisie “nationale” contre la domination de la bourgeoisie “étrangère”, dénonciation du “multiculturalisme” qui “dissout l'esprit de combativité nationale”, préférence nationale contre l'“invasion” par des étrangers qui entrent en concurrence avec les nationaux pour les emplois, les places sur les marchés, la création d'entreprise et les terres et cherchent à “imposer” leur culture… recours à des arguments mystiques, à l'invocation du “sacré” et à des “prophéties” afin de doter leurs leaders d'un charisme non-mérité, apologie de la force et de la “résistance” armée, revendication d'un discours “qui dérange”, appel à un renforcement du pouvoir d'État (de l'État bourgeois, bien sûr), appel à “l'unité” des classes contre “l'ennemi”, etc. sans pour autant à aucun moment proposer des mesures concrètes (autres que l'appel à la “résistance”) afin de faire progresser les travailleurs sur la voie de l'auto-organisation et de leur prise de leur destin entre leurs propres mains, ni proposer à aucun moment des mesures visant à l'expropriation des groupes impérialistes et à leur collectivisation sous contrôle des travailleurs et des consommateurs.
Délire fascisant en Côte d'Ivoire |
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Qu'est-ce que le national-socialisme ?
Article par Léon Trotsky, 10 juin 1933
Les
esprits naïfs pensent que le titre de roi tient dans la personne
même du roi, dans son manteau d'hermine et sa couronne, dans sa
chair et son sang. En fait, le titre de roi nait des rapports entre
les hommes. Le roi n'est roi que parce qu'au travers de sa personne
se réfractent les intérêts et les préjugés de millions
d'hommes. Quand ces rapports sont érodés par le torrent du
développement, le roi n'est plus qu'un homme usé, à la lèvre
inférieure pendante. Celui qui s'appelait jadis Alphonse XIII,
pourrait nous fait part de ses impressions toutes fraîches sur ce
sujet (il s'agit du roi d'Espagne déposé en 1931 par la
proclamation de la république dans son pays).
Le chef
par la grâce du peuple se distingue du chef par la grâce de Dieu,
en ce qu'il est obligé de se frayer lui-même un chemin ou, du
moins, d'aider les circonstances à le lui ouvrir. Mais le chef est
toujours un rapport entre les hommes, une offre individuelle en
réponse à une demande collective. Les discussions sur la
personnalité de Hitler sont d'autant plus animées qu'elles
cherchent avec plus de zèle le secret de sa réussite en lui-même.
Il est pourtant difficile de trouver une autre figure politique qui
soit, dans la même mesure, le point convergent de forces historiques
impersonnelles. N'importe quel petit bourgeois enragé ne pouvait
devenir Hitler, mais une partie de Hitler est contenue dans chaque
petit bourgeois enragé (dans ce texte, on entend par
petite-bourgeoisie l'ensemble des petits commerçants, artisans,
fonctionnaires, petits patrons… qui forment les classes moyennes
pauvres de la société).
Anti-mondial, pro-local |
La
croissance rapide du capitalisme allemand avant la guerre ne signifia
nullement la disparition pure et simple des classes intermédiaires ;
en ruinant certaines couches de la petite bourgeoisie, il en créait
de nouvelles : les artisans et les boutiquiers autour des
usines, les techniciens et les administrateurs à l'intérieur des
usines. Mais en se maintenant et même en se développant – elles
représentent un peu moins de la moitié du peuple allemand –
les classes intermédiaires se privaient de leur dernière parcelle
d'indépendance, vivaient à la périphérie de la grande industrie
et du système bancaire et se nourrissaient des miettes qui tombaient
de la table des trusts monopolistes et des cartels, et des aumônes
idéologiques de leurs théoriciens et politiciens traditionnels.
La
défaite a dressé un mur sur le chemin de l'impérialisme allemand
(l'impérialisme allemand avait en effet échoué à étendre ses
colonies via la Première Guerre mondiale qui dura de 1914
à 1918, et qui se solda par une défaite terrible pour
l'Allemagne et pour son allié, l'Empire autrichien). La
dynamique extérieure s'est transformée en dynamique intérieure. La
guerre se changea en révolution. La social-démocratie, qui aida les
Hohenzollern à mener la guerre jusqu'à son issue tragique, ne
permit pas au prolétariat de mener la révolution jusqu'à son terme
(les dirigeants du Parti social-démocrate allemand trahirent la
révolution pour conserver leurs postes au gouvernement bourgeois,
même si la république fut proclamée et l'empereur viré). La
démocratie de Weimar a passé quatorze ans à essayer de se faire
pardonner sa propre existence. Le Parti communiste a appelé les
ouvriers à une nouvelle révolution, mais s'est avéré incapable de
la diriger.
Le
prolétariat allemand est passé par les hauts et les bas de la
guerre, de la révolution, du parlementarisme et du
pseudo-bolchévisme. Alors que les vieux partis de la bourgeoisie
s'épuisaient complètement, la force dynamique de la classe ouvrière
était minée.
Selon les fascistes, les nationaux sont discriminés dans leur propre pays |
Le chaos
de l'après-guerre frappait les artisans, les marchands et les
employés aussi durement que les ouvriers. La crise de l'agriculture
ruinait les paysans. La décadence des couches moyennes ne pouvait
pas signifier leur prolétarisation (leur transformation en
travailleurs salariés), car le prolétariat sécrétait lui-même
une armée gigantesque de chômeurs chroniques. La paupérisation de
la petite bourgeoisie, à peine dissimulée sous les cravates et les
bas de soie synthétique, sapait toutes les croyances officielles et
surtout la doctrine du parlementaire démocratique.
La
multiplicité des partis, la fièvre froide des élections, les
changements constants de gouvernements exacerbaient la crise sociale
par un kaléidoscope de combinaisons politiques stériles. Dans
l'atmosphère chauffée à blanc par la guerre, la défaite, les
réparations, l'inflation, l'occupation de la Ruhr, la crise, le
besoin et la rancune, la petite bourgeoisie se rebella contre tous
les vieux partis qui l'avaient trompée. Ces vexations, vivement
ressenties par les petits possédants qui ne pouvaient échapper à
la faillite, par leurs fils qui sortaient de l'université et ne
trouvaient ni emploi, ni client, et par leurs filles qui restaient
sans dot et sans fiancé, réclamaient l'ordre et une main de fer.
Le
drapeau du “national-socialisme” fut brandi par des hommes issus
des cadres moyens et subalternes de l'ancienne armée. Couverts de
décorations, les officiers et les sous-officiers ne pouvaient
admettre que leur héroïsme et leurs souffrances aient été perdus
pour la patrie, et surtout qu'ils ne leur donnent aucun droit
particulier à la reconnaissance du pays. D'où leur haine pour la
révolution et pour le prolétariat. Ils ne voulaient pas prendre
leur parti du fait que les banquiers, les industriels, les ministres
les reléguaient à des postes insignifiants de comptables,
d'ingénieurs, d'employés des postes et d'instituteurs. D'où leur
“socialisme”. Pendant les batailles de l'Yser et de Verdun, ils
ont appris à risquer leur vie et celle des autres, et à parler la
langue du commandement qui en impose tant aux petits bourgeois de
l'arrière. C'est ainsi que ces hommes sont devenus des chefs.
Au début
de sa carrière politique, Hitler ne se distinguait, peut-être, que
par un tempérament plus énergique, une voix plus forte, une
étroitesse d'esprit plus sûre d'elle-même. Il n'apportait au
mouvement aucun programme tout prêt, si ce n'est la soif de
vengeance du soldat humilié. Hitler commença par des injures et des
récriminations contre les conditions de Versailles (le traité de
paix que l'Allemagne fut contrainte de signer en 1918 et qui la
forçait à se soumettre à une véritable justice des vainqueurs de
la part de la France et du Royaume-Uni), la vie chère, le manque
de respect pour le sous-officier méritant, les intrigues des
banquiers et des journalistes de la foi de Moïse (càd, juifs).
On trouvait dans le pays suffisamment de gens qui se ruinaient, qui
se noyaient, qui étaient couverts de cicatrices et d'ecchymoses
encore toutes fraiches. Chacun d'eux voulait frapper du poing sur la
table. Hitler le faisait mieux que les autres. Il est vrai qu'il ne
savait pas comment remédier à tous ces malheurs. Mais ses
accusations résonnaient tantôt comme un ordre, tantôt comme une
prière adressée à un destin inflexible. Les classes condamnées,
semblables à des malades incurables, ne se lassent pas de moduler
leurs plaintes, ni d'écouter des consolations. Tous les discours de
Hitler étaient accordés sur ce diapason. Une sentimentalité
informe, une absence totale de rigueur dans le raisonnement, une
ignorance doublée d'une érudition désordonnée : tous ces
moins se transformaient en plus. Cela lui donnait la possibilité de
rassembler toutes les formes de mécontentement dans la besace de
mendiant du national-socialisme, et de mener la masse là où elle le
poussait. De ces premières improvisations, l'agitateur ne conservait
dans sa mémoire que ce qui rencontrait l'approbation. Ses idées
politiques étaient le fruit d'une acoustique oratoire. C'est ainsi
qu'il choisissait ses mots d'ordre. C'est ainsi que son programme
s'étoffait. C'est ainsi que d'un matériau brut se formait un
“chef”.
La Ligue pour la défense de l'Angleterre. « Nos soldats sont des héros » Mention spéciale au fait qu'ils disent vouloir défendre les homosexuels des méchants musulmans (drapeau arc-en-ciel au fond) |
Dès le
début, Mussolini (le chef des fascistes italiens, ancien
marxiste) s'adressa de façon plus consciente à la matière
sociale que Hitler, qui se sent plus proche du mysticisme policier
d'un quelconque Metternich (un aristocrate autrichien opposé aux
conséquences de la Révolution française dans son pays) que de
l'algèbre politique de Machiavel. Du point de vue intellectuel,
Mussolini est plus audacieux et cynique. Il suffit de nous rappeler
que l'athée romain ne fait que se servir de la religion, comme il le
fait de la police et de la justice, alors que son collègue berlinois
croit réellement à la protection particulière de la Providence. À
l'époque où le futur dictateur italien considérait encore Marx
comme “notre maitre immortel à tous”, il défendait, non sans
habileté, la théorie qui voit avant tout dans la vie de la société
actuelle l'interaction de deux classes fondamentales : la
bourgeoisie et le prolétariat. Il est vrai, écrivait Mussolini
en 1914, qu'entre elles se placent des couches intermédiaires
très nombreuses, qui forment une sorte de « tissu conjonctif
du collectif humain » ; mais « dans les périodes de
crise, les classes intermédiaires sont attirées, selon leurs
intérêts et leurs idées, vers l'une ou l'autre des deux classes
fondamentales ». Généralisation très importante ! De
même que la médecine scientifique permet de soigner un malade, mais
aussi d'envoyer, de la manière la plus expéditive, un homme bien
portant ad patres, l'analyse scientifique des rapports de
classes, destinée par son auteur à mobiliser le prolétariat, a
permis à Mussolini, quant il fut passé dans le camp adverse, de
mobiliser les classes intermédiaires contre le prolétariat. Hitler
accomplit le même travail, en traduisant dans la langue de la
mystique allemande la méthodologie du fascisme.
Les
buchers sur lesquels brule la littérature impie du marxisme,
éclairent vivement la nature de classe du national-socialisme. Tant
que les nazis agissaient en tant que parti et non en tant que pouvoir
d'État, l'accès de la classe ouvrière leur était presque
entièrement fermé. D'autre part, la grande bourgeoisie, même celle
qui soutenait financièrement Hitler, ne les considérait pas comme
son parti. La “renaissance” nationale s'appuyait entièrement sur
les classes moyennes – la partie la plus arriérée de la
nation, fardeau pesant de l'histoire. L'habileté politique
consistait à souder l'unité de la petite bourgeoisie au moyen de la
haine pour le prolétariat. Que faut-il faire pour que ce soit encore
mieux ? Avant tout écraser ceux qui sont en bas. La petite
bourgeoisie, impuissante face au grand capital, espère désormais
reconquérir sa dignité sociale en écrasant les ouvriers.
Les
nazis baptisent leur coup d'État du nom usurpé de “révolution”. En
fait, en Allemagne comme en Italie, le fascisme laisse le système
social inchangé. Le coup d'État de Hitler, en tant que tel, n'a
même pas droit au titre de contre-révolution. Mais on ne peut pas
le considérer isolément : il est l'aboutissement d'un cycle de
secousses qui ont commencé en Allemagne en 1918. La révolution
de novembre (en Allemagne en 1918), qui donnait le
pouvoir aux conseils d'ouvriers et de soldats, était
fondamentalement prolétarienne. Mais le parti qui était à la tête
du prolétariat (le Parti social-démocrate), rendit le
pouvoir à la bourgeoisie. En ce sens, la social-démocratie a ouvert
une ère de contre-révolution, avant que la révolution n'ait eu le
temps d'achever son œuvre. Toutefois, tant que la bourgeoisie
dépendait de la social-démocratie, et par conséquent des ouvriers,
le régime conservait des éléments de compromis. Mais la situation
intérieure et internationale du capitalisme allemand ne laissait
plus de place aux concessions. Si la social-démocratie sauva la
bourgeoisie de la révolution prolétarienne, le tour est venu pour
le fascisme de libérer la bourgeoisie de la social-démocratie. Le
coup d'État de Hitler n'est que le maillon final dans la chaine des
poussées contre-révolutionnaires.
Le petit
bourgeois est hostile à l'idée de développement, car le
développement se fait invariablement contre lui : le progrès
ne lui a rien apporté, si ce n'est des dettes insolvables. Le
national-socialisme rejette le marxisme mais aussi le darwinisme. Les
nazis maudissent le matérialisme, car les victoires de la technique
sur la nature ont entraîné la victoire du grand capital sur le
petit. Les chefs du mouvement liquident “l'intellectualisme” non
pas tant parce que eux-mêmes possèdent des intelligences de
deuxième ou de troisième ordre, mais surtout parce que leur rôle
historique ne saurait admettre qu'une pensée soit menée jusqu'à
son terme. Le petit bourgeois a besoin d'une instance supérieure,
placée au-dessus de la matière et de l'histoire, et protégée de
la concurrence, de l'inflation, de la crise et de la vente aux
enchères. Au développement, à la pensée économique, au
rationalisme – aux XX°, XIX° et XVIII° siècles –
s'opposent l'idéalisme nationaliste, en tant que source du principe
héroïque. La “nation” de Hitler est l'ombre mythique de la
petite bourgeoisie elle-même, son rêve pathétique d'un royaume
millénaire sur terre.
Utilisation d'un soi-disant passé légendaire pour susciter le “sursaut national” |
Pour
élever la nation au-dessus de l'histoire, on lui donne le soutien de
la “race”. L'histoire est vue comme une émanation de la race.
Les qualités de la race sont construites indépendamment des
conditions sociales changeantes. Rejetant « la pensée
économique » comme vile, le national-socialisme descend un
étage plus bas : du matérialisme économique il passe au
matérialisme zoologique.
La
théorie de la race, qu'on dirait créée spécialement pour un
autodidacte prétentieux et qui se présente comme la clé
universelle de tous les secrets de la vie, apparait sous un jour
particulièrement lamentable à la lumière de l'histoire des idées.
Pour fonder la religion du sang véritablement allemand, Hitler dut
emprunter de seconde main les idées du racisme à un Français,
diplomate et écrivain dilettante, le comte Gobineau. Hitler trouva
une méthodologie politique toute prête chez les Italiens. Mussolini
a largement utilisé la théorie de Marx de la lutte des classes. Le
marxisme lui-même est le fruit de la combinaison de la philosophie
allemande, de l'histoire française et de l'économie anglaise. Si
l'on examine rétrospectivement la généalogie des idées, même les
plus réactionnaires et les plus stupides, on ne trouve pas trace du
racisme.
Contre le capital, lutte radicale ! |
L'indigence
infinie de la philosophie nationale-socialiste n'a pas empêché,
évidemment, la science universitaire d'entrer toutes voiles
déployées dans le chenal de Hitler, une fois que sa victoire se fut
suffisamment précisée. Les années du régime de Weimar (le
régime de république parlementaire installé après la révolution
de 1918) furent pour la majorité de la racaille
professorale, un temps de trouble et d'inquiétude. Les historiens,
les économistes, les juristes et les philosophes se perdaient en
conjectures pour savoir lequel des critères de vérité qui
s'affrontaient était le bon, c'est-à-dire quel camp resterait
finalement maitre de la situation. La dictature fasciste dissipe les
doutes des Faust et les hésitations des Hamlet de l'Université.
Sortant des ténèbres de la relativité parlementaire, la science
entre à nouveau dans le royaume des absolus. Einstein fut obligé
d'aller chercher refuge hors des frontières de l'Allemagne.
Sur le
plan politique, le racisme est une variété hypertrophiée et
vantarde du chauvinisme associé à la phrénologie. De même que
l'aristocratie ruinée trouvait une consolation dans la noblesse de
son sang, la petite bourgeoisie paupérisée s'enivre de contes sur
les mérites particuliers de sa race. Il est intéressant de
remarquer que les chefs du national-socialisme ne sont pas de purs
Allemands, mais sont originaires d'Autriche comme Hitler lui-même,
des anciennes provinces baltes de l'empire tsariste, comme Rosenberg,
des pays coloniaux, comme l'actuel remplaçant de Hitler à la
direction du parti, Hess. Il a fallu l'école de l'agitation
nationaliste barbare aux confins de la culture pour inspirer aux
“chefs” les idées qui ont trouvé par la suite un écho dans le
cœur des classes les plus barbares de l'Allemagne.
Fascistes sud-africains : « Poltrons noirs – laissez nos femmes et nos enfants tranquilles – Essayez sur moi ! » |
L'individu
et la classe – le libéralisme et le marxisme – voilà
le mal. La “nation”, c'est le bien. Mais cette philosophie se
change en son contraire au seuil de la propriété. Le salut est
uniquement dans la propriété individuelle. L'idée de propriété
nationale est une engeance du bolchévisme. Tout en divinisant la
nation, le petit bourgeois ne veut rien lui donner. Au contraire, il
attend que la nation lui distribue la propriété et le protège de
l'ouvrier et de l'huissier. Malheureusement, le III° Reich
(3° “Empire” allemand) ne donnera rien au petit
bourgeois, si ce n'est de nouveaux impôts.
Dans le
domaine de l'économie contemporaine, internationale par ses liens,
impersonnelle dans ses méthodes, le principe de race semble sorti
d'un cimetière moyenâgeux. Les nazis font par avance des
concessions : la pureté de la race qui se contente d'un
passeport dans le royaume de l'esprit, doit surtout prouver son
savoir-faire dans le domaine économique. Cela signifie dans les
conditions actuelles : être compétitif. Par la porte de
derrière le racisme revient au libéralisme économique, débarrassé
des libertés politiques.
Pratiquement,
le nationalisme en économie se réduit à des explosions
d'antisémitisme impuissantes, malgré toute leur brutalité. Les
nazis éloignent du système économique actuel, comme une force
impure, le capital usurier ou bancaire : la bourgeoisie juive
occupe précisément dans cette sphère, comme chacun sait, une place
importante. Tout en se prosternant devant le capitalisme dans son
entier, le petit bourgeois déclare la guerre à l'esprit mauvais de
lucre, personnifié par le juif polonais au manteau long et, bien
souvent, sans un sou en poche. Le pogrom devient la preuve supérieure
de la supériorité raciale. (Les nazis cherchaient, et cherchent
encore, à faire une distinction entre le capital “industriel”,
“national” et le capital “financier”, “apatride”, alors
que les deux sont intimement liés en un seul système capitaliste
impérialiste depuis plus de cent ans – capital “juif”
en Allemagne de l'époque ou en Hongrie actuelle, capital “américain”
ou “anglo-saxon” dans la France d'aujourd'hui, capital “français”
en Côte d'Ivoire, tout est bon pour ne pas accuser ses
“propres” capitalistes nationaux. Concernant le “juif
polonais”, il faut savoir que le peuple juif, ce véritable
“peuple-classe” qui occupait un rôle bien spécifique à
l'époque en Europe était lui-même divisé en plusieurs catégories
selon son origine ; le juif allemand était grand banquier,
quand le juif polonais jouait plutôt le rôle du Mauritanien ou du
Guinéen en Côte d'Ivoire, avec sa petite boutique et un statut
de petit banquier des pauvres)
Les fascistes contre les spéculateurs, etc. |
Le
programme avec lequel le national-socialisme est arrivé au pouvoir,
rappelle tout à fait, hélas, le magasin “universel” juif dans
les trous de province : que n'y trouve-t-on pas, à des prix bas
et d'une qualité encore plus basse ! Des souvenirs sur le temps
“heureux” de la libre concurrence et des légendes sur la
solidité de la société divisée en “états” (c'est-à-dire,
en différentes castes rigides comme au moyen-âge) ; des
espoirs de renaissance de l'empire colonial et des rêves d'économie
fermée ; des phrases sur l'abandon du droit romain et le retour
au droit germain et des proclamations sur le moratoire américain ;
une hostilité envieuse pour l'inégalité, que symbolisent l'hôtel
particulier et l'automobile, et une peur animale devant l'égalité,
qui a l'aspect de l'ouvrier en casquette et sans col ; le
déchainement du nationalisme et sa peur devant les créanciers
mondiaux… (comme certains dirigeants qui parlent de lutte contre
l'impérialisme mais marchent dans les PPTE et autres plans du FMI…)
Tous les déchets de la pensée politique internationale sont venus
remplir le trésor intellectuel du nouveau messianisme allemand.
Le
fascisme a amené à la politique les bas-fonds de la société. Non
seulement dans les maisons paysannes, mais aussi dans les
gratte-ciels des villes vivent encore aujourd'hui, à côté du
XX° siècle, le X° et le XII° siècles. Des
centaines de millions de gens utilisent le courant électrique,
sans cesser de croire à la force magique des gestes et des
incantations. Le pape à Rome prêche à la radio sur le miracle de
la transmutation de l'eau en vin. Les stars du cinéma se font dire
la bonne aventure. Les aviateurs qui dirigent de merveilleuses
mécaniques, créées par le génie de l'homme, portent des amulettes
sous leur combinaison. Quelles réserves inépuisables
d'obscurantisme, d'ignorance et de barbarie ! Le désespoir les
a fait se dresser, le fascisme leur a donné un drapeau. Tout ce
qu'un développement sans obstacle de la société aurait dû rejeter
de l'organisme national, sous la forme d'excréments de la culture,
est maintenant vomi : la civilisation capitaliste vomit une
barbarie non digérée. Telle est la physiologie du
national-socialisme.
Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s'est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s'est servi comme d'un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n'est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire, c'est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. Mussolini a raison : les classes intermédiaires ne sont pas capables d'une politique indépendante. Dans les périodes de crise, elles sont appelées à poursuivre jusqu'à l'absurde la politique de l'une des deux classes fondamentales. Le fascisme a réussi à les mettre au service du capital. Des mots d'ordre comme l'étatisation des trusts et la suppression des revenus ne provenant pas du travail, ont été immédiatement jetés pardessus bord dès l'arrivée au pouvoir. Au contraire, le particularisme des “terres” allemandes, qui s'appuyait sur les particularités de la petite bourgeoisie, a fait place nette pour le centralisme policier capitaliste. Chaque succès de la politique intérieure et extérieure du national-fascisme marquera inévitablement la poursuite de l'étouffement du petit capital par le grand.
Le
programme des illusions petites bourgeoises n'est pas supprimé ;
il se détache simplement de la réalité et se transforme en actions
rituelles. L'union de toutes les classes se ramène à un
demi-symbolisme de service de travail obligatoire et à la
confiscation “au profit du peuple” de la fête ouvrière du
Premier Mai. Le maintien de l'alphabet gothique contre
l'alphabet latin est une revanche symbolique sur le joug du marché
mondial. La dépendance à l'égard des banquiers internationaux,
parmi lesquels des juifs, ne diminue pas d'un iota ; en
revanche, il est interdit d'égorger les animaux selon le rituel du
Talmud. Si l'enfer est pavé de bonnes intentions, les chaussées du
Troisième Reich sont couvertes de symboles.
Fascistes allemands de nos jours |
Une fois
le programme des illusions petites bourgeoises réduit à une pure et
simple mascarade bureaucratique, le national-socialisme s'élève
au-dessus de la nation, comme la forme la plus pure de
l'impérialisme. L'espoir que le gouvernement de Hitler tombera, si
ce n'est aujourd'hui, demain, victime de son inconsistance interne,
est tout à fait vain. Un programme était nécessaire aux nazis pour
arriver au pouvoir; mais le pouvoir ne sert absolument pas à Hitler
à remplir son programme. C'est le capital monopoliste qui lui fixe
ses tâches. La concentration forcée de toutes les forces et moyens
du peuple dans l'intérêt de l'impérialisme, qui est la véritable
mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation
de la guerre ; ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance
intérieure et conduit à une concentration mécanique ultérieure du
pouvoir. Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner
son congé. On ne peut que le renverser. L'orbite politique du régime
des nazis bute contre l'alternative : la guerre ou la
révolution ?
Rédigé
à Prinkipo (Turquie), le 10 juin 1933
Post-scriptum à l'article « Qu'est-ce
que le national-socialisme ? »
Le
premier anniversaire de la dictature des nazis se rapproche. Toutes
les tendances du régime ont eu le temps de s'affirmer et de se
préciser. La révolution “socialiste” qui était présentée aux
masses petites bourgeoises comme le complément nécessaire à la
révolution nationale, est condamnée et liquidée officiellement. La
fraternité des classes a trouvé son point culminant dans le faits
que les possédants, le jour fixé par le gouvernement, se privent de
hors-d'œuvre et de dessert au profit des non-possédants. La lutte
contre le chômage s'est ramenée à partager en deux la demi-portion
de famine. Le reste est pris en charge par une statistique
uniformisée. L'autarcie planifiée est simplement un nouveau stade
du déclin économique.
Adolf Hitler |
Plus le
régime policier des nazis est impuissant dans le domaine de
l'économie, plus il est obligé de reporter ses efforts dans le
domaine de la politique extérieure. Ce qui s'accorde pleinement à
la dynamique intérieure du capitalisme allemand, foncièrement
agressif. Le brusque revirement des chefs nazis qui se sont mis à
tenir des propos pacifistes, ne pouvait étonner que les naïfs
incurables ; Hitler avait-il une autre solution pour faire
endosser la responsabilité des désastres intérieurs à des ennemis
extérieurs, et accumuler sous la presse de la dictature la force
explosive de l'impérialisme ?
Benito Mussolini |
Cette
partie du programme, mentionnée déjà ouvertement avant la venue
des nazis au pouvoir, se réalise aujourd'hui avec une logique de fer
aux yeux du monde entier. Le temps nécessaire à l'armement de
l'Allemagne détermine le délai qui sépare d'une nouvelle
catastrophe européenne. Il ne s'agit pas de mois, ni de décennies.
Quelques années sont suffisantes pour que l'Europe se retrouve à
nouveau plongée dans la guerre, si les forces intérieures à
l'Allemagne elle-même n'en empêchent pas à temps Hitler.
2 novembre 1933.
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