Démocratie capitaliste contre démocratie des travailleurs
Avec la crise et la
vague révolutionnaire qui parcourt le monde entier, de plus en plus
de gens se posent la question de savoir quel type d'organisation politique et sociétale nous
devons avoir. Les révolutions en Tunisie et en Égypte ont beau
avoir été un “triomphe de la démocratie”, force est de
constater que « La démocratie, ça ne se mange pas ». Et que le peuple s'y voit aujourd'hui contraint à une seconde révolution – mais pour aller où ?
Les différents mouvements et collectifs citoyens nés des luttes au
Brésil, en Turquie, etc. ont envisagé diverses solutions telles que
le “contrôle citoyen” ou le “développement de
la démocratie”. Mais la démocratie parlementaire est-elle le
sommet indépassable en matière de démocratie ?
Adaptation d'un article rédigé en 2002 par notre camarade Jean Peltier, (ex-)membre de notre section belge
Aujourd’hui le
capitalisme non seulement cherche à se présenter comme le seul
système économique viable (malgré la crise mortelle dans laquelle
il est plongé), mais surtout comme le résultat final, l’apogée
du processus historique de l’avènement de la démocratie.
Les
idéologues bourgeois mettent ainsi en avant le suffrage universel,
l’égalité devant la loi comme autant de garants indépassables du
système démocratique actuel. Mais de quelle démocratie
parle-t-on ? En distinguant (de façon artificielle) pouvoir
politique et pouvoir économique, ils essaient de nous faire croire
que la démocratie c’est d’avoir le droit de vote et le droit de
s’exprimer librement. Or que valent ces droits s’ils ne
permettent pas de se débarrasser de ceux qui nous exploitent à des
seules fins économiques ? Et quelle valeur ont-ils s’ils ne
sont pas universels ?
Pendant la
colonisation, les Occidentaux ne se sont pas embarrassés des
questions et principes démocratiques : des millions de déportés
africains vers les plantations des Amériques, des génocides un peu
partout, des hommes et femmes exploités, torturés, massacrés, les travaux forcés en Afrique et en Asie.
Ainsi, alors que le “monde libre” se congratulait en 1945 de
la victoire contre le fascisme, il n’hésitait pas en Algérie à
réprimer dans le sang et l’horreur la révolte de Sétif en mai de
la même année.
La démocratie
parlementaire n’implique aucun moyen de contrôle des élus par les électeurs. Une fois élus, ceux-ci se retrouvent soumis à
toutes les pressions et toutes les tentations. Rien
ne permet d’agir pour les empêcher d’oublier ou de renier leurs
promesses électorales. On demande aux gens d'attendre cinq ans
avant de voter quelqu'un d'autre, qui fera pareil.
Cela ne signifie
évidemment pas que le système parlementaire ne vaut pas mieux
qu’une dictature bananière… Les droits démocratiques, qui ont
été acquis par des luttes souvent très dures dans le passé
– droits d’expression, d’organisation, de manifestation,
de vote –, assurent des conditions de lutte aujourd’hui bien
meilleures que celles qui existaient il y a un siècle ou qui
existent aujourd’hui dans des systèmes véritablement dictatoriaux
(Chine…). Nous devons non seulement défendre ces droits contre
toutes les tentatives gouvernementales de les restreindre, mais aussi
faire le maximum pour les étendre et imposer leur application à
tous, sans distinction de race, de nationalité ou de sexe.
Ouvriers en lutte pour le droit de vote en Belgique, chargés par la gendarmerie à cheval (1886) La démocratie, même bourgeoise, est une conquête de la lutte |
L’égalité :
mythe ou réalité ?
L’égalité devant
la loi dans tous les pays occidentaux est uniquement un paravent
légal ne pouvant plus masquer la corruption généralisée. En
France, la valse des marionnettes politiciennes (affaire Cahuzac, affaire Bettancourt…)
devant les juges d’instruction est devenu une véritable danse
macabre entrainant maires, conseillers généraux, députés,
ministres, jusqu’à Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, anciens présidents de la République. Cependant, les peines
encourues (quand elles le sont) sont ridiculement
faibles par rapport à celles des condamnés de droit commun. Il vaut
mieux être une crapule politicienne démasquée mais assurée d’une
quasi-immunité qu’un jeune de banlieue ayant volé un scooter.
De même, comment
parler de démocratie quand les taux d’abstentions dépassent les
50 % et que la plupart des “représentants” de la population
ne sont donc même pas élus par la majorité des électeurs ?
On sait par exemple que lors du duel George Bush – John Kerry
aux élections présidentielles américaines de 2004, Bush a été
élu avec en réalité seulement 25 % des voix des électeurs
totaux. Les abstentionnistes ne voient plus l’intérêt de se
déplacer aux urnes quand, quelle que soit la couleur politique des
candidats, ils appliquent en fait la même politique.
La population est de
plus en plus consciente du fossé qui la sépare des hommes
politiques. Combien d’ouvriers y a-t-il dans les parlements des
“grandes démocraties” ? Combien de femmes ? Combien
d’hommes politiques de moins de 50 ans ? De plus, le
droit de vote est interdit aux étrangers alors que ceux-ci dans
certains pays forment une partie non-négligeable de la population
laborieuse, installés là depuis des décennies. Le monde politique
est dominé par une élite de soi-disant “spécialistes”. La
majorité des hommes et des femmes politiques (élus nationaux, des
grandes villes…) sont pour la plupart issus de familles plus ou
moins proches du pouvoir, quel que soit le pays.
Vive les “spécialistes” de la politique ! |
Démocratie
participative ?
Ce rejet de la
politique institutionnelle n’est que le reflet du fait que les
électeurs n’ont au bout du compte aucun contrôle sur les
décisions. En effet, quand bien même un politicien honnête, intelligent et radical se ferait élire à la tête de l'État bourgeois, il ne pourrait mettre en place son programme sans voir toute une série d'acteurs lui mettre de sérieux bâtons dans les roues.
Les seuls qui possèdent un réel pouvoir sur les politiques sont
ceux qui détiennent le pouvoir économique.
Nombreux sont ceux qui demandent plus de démocratie par la
multiplication des référendums, comme ça a été le cas pour l’adhésion au projet de “constitution européenne” en Irlande. Malgré un vote
défavorable, il n'y a eu aucune conséquence. Les Irlandais se sont vus contraints de voter et revoter au même référendum jusqu'à ce que le projet de loi passe. Ainsi s'est poursuivie la construction de l’Europe néolibérale sans qu’il ne soit tenu compte de l’avis exprimé par
une partie de la population. De même en Belgique, lors de la grave
crise sociale entrainée par l’affaire Dutroux et la “marche
blanche” (en 1996), la population a exigé un contrôle plus
important sur le pouvoir politique. En réponse, le gouvernement a
voté une loi permettant l’établissement d’un… référendum au
niveau communal ! En dernier ressort, c’est le pouvoir qui
accorde ou non le référendum et c’est lui qui formule la question
– le contrôle de la population est donc plus que réduit.
Une autre idée à la
mode est celle de la démocratie participative. En référence à
l’expérience tentée à Porto Allegre au Brésil, certains
groupes et même certains parlementaires ont avancé l’idée
d’organiser certaines instances de la société (principalement
dans les villes) en comités de citoyens dans lesquels la population
serait consultée sur la façon dont le budget est utilisé.
Cependant, il se
limite à consulter la population et ne lui permet pas de participer
aux prises de décisions. Un tel dispositif ne peut constituer une
réelle avancée démocratique, que si la population est réellement
associée à l’élaboration des politiques économiques et
sociales, ce qui implique de rompre avec le capitalisme.
Pas de démocratie
politique sans démocratie économique !
Le principal problème
est que l’extension de la démocratie dans un système
parlementaire sera toujours limitée par les énormes restrictions
qu’imposent la domination de la propriété privée et des grands
groupes industriels et financiers. À moins que les capacités de
production ne soient réellement contrôlées par la majorité de la
population et mises au service de la satisfaction des besoins
sociaux, la démocratie ne pourra avoir qu’un caractère très
limité.
Face à cette
“démocratie au rabais”, les travailleurs ont à de nombreuses
reprises mis en avant une autre forme de démocratie, directe
celle-là. Avec des formes plus ou moins avancées, de la
Commune de Paris en 1871 au Portugal de 1975
jusqu’à la Russie de 1917, et puis encore avec les agoras des
Indignés espagnols et grecs, les assemblées du mouvement Occupy aux
États-Unis, les comités de salut en Tunisie… les
travailleurs ont chaque fois développé leurs propres organisations
de lutte, en commençant souvent par des formes élémentaires comme
les comités de grève, puis en créant par la suite des formes plus
élaborées.
C’est lors de la
révolution russe de 1917, au sein des “soviets” (mot russe
signifiant “conseil”) que les travailleurs ont été capables
d’établir une forme de démocratie directe, réellement à même
de diriger la société (même si la révolution a par la suite été trahie par la clique bureaucratique autour de Staline, sur base du contexte difficile de la guerre civile). La prise de pouvoir par les travailleurs,
organisés sur cette base, produirait une société de loin plus
démocratique, en tous points, que n’importe quelle démocratie
bourgeoise. Elle doit commencer par la destruction de l’État
capitaliste et l’établissement d’un nouvel État, fondé sur des
conseils ou comités de travailleurs.
Il faut être cependant extrêmement vigilant quant au fait que ces comités ne soient pas récupérés par des forces de l'État capitaliste qui chercherait à asseoir son pouvoir sur eux – comme on l'a vu en Côte d'Ivoire par exemple. Ces comités doivent être absolument indépendants de tout parti bourgeois et de l'État bourgeois – ils ne doivent pas former une base pour le pouvoir (bourgeois), mais ÊTRE le pouvoir.
À tous les niveaux
– local, régional, national, puis au-delà – ces
conseils doivent être constitués de délégués mandatés par des
assemblées se réunissant fréquemment et où la discussion
collective doit avoir lieu continuellement. Ces délégués doivent être
responsables de leurs actes devant ceux qui les ont élus, ne recevoir aucun privilège matériel pour leur responsabilité (autre que le salaire moyen d'un travailleur qualifié, càd. environ 200 000 francs par mois, point) et
révocables par eux (c'est-à-dire, qu'on peut à tout moment leur enlever leur mandat sans attendre un certain délai).
Les forces armées et la police, non
démocratiques et autoritaires, doivent être remplacées par des milices
de travailleurs contrôlées démocratiquement et responsables devant
ces conseils.
L’ensemble des
entreprises, des écoles, des hôpitaux doivent passer sous la gestion
directe des gens qui y travaillent, en collaboration avec les
organismes chargés de mettre en œuvre la planification économique.
Tous les aspects de la vie et de la production doivent être ouverts à la
discussion et au contrôle, l’économie et la politique ne doivent plus être séparées mais réunies, le vote ne doit plus être une exception
occasionnelle mais une pulsation de la vie quotidienne. Tous les
responsables publics doivent être pareillement élus et contrôlés et
les salaires de ces délégués et fonctionnaires ne doivent pas dépasser celui d’un travailleur qualifié.
C’est là un
système qui serait jugé fort peu démocratique par les anciens
possédants privés de leur pouvoir. Mais il serait mille fois
plus démocratique pour les travailleurs que le parlementarisme
encensé aujourd’hui par tous nos dirigeants. Un tel contrôle
démocratique des travailleurs, n’a rien à voir avec le “contrôle
citoyen” dont il est question dans certains mouvements
antimondialisation. La seule garantie d’une réelle démocratie à
tous les niveaux de la société réside dans l’abolition du
système d’exploitation qu’est le capitalisme, pour l’instauration
du seul véritable socialisme, le socialisme révolutionnaire.
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