vendredi 9 août 2013

Monde : nouvelles révoltes en Amérique latine

Le Brésil, le Venezuela, Cuba et l'Amérique latine
 

La discussion sur l'Amérique latine à l'École d'été du CIO 2013 a été introduite par notre camarade Johan Rivas, militant du CIO au Venezuela dans le groupe Socialismo Revolucionario. Johan a remarqué l'ouverture d'une nouvelle période dans la situation en Amérique latine, au moment où la “Grande Récession” atteint maintenant le continent, surtout vu le début de la crise en Chine. Les répercussions se sont fait sentir sous la forme d'une nouvelle période de lutte de classe et de crise capitaliste à travers toute la région. 
 
Rapport par notre camarade Laura Fitzgerald, du Socialist Party irlandais (CIO-Irlande)


Une partie de ce processus inclut, selon Johan, une intensification des tensions entre impérialistes et des conflits économiques, avec la lutte d'influence dans la région entre la Chine et les États-Unis. Ce contexte coïncide avec un renouveau de la lutte de classe – comme on l'a vu avec une vague de grèves de masse au Mexique dans le cadre de la lutte contre la privatisation de la compagnie pétrolière d'État, et avec une grève générale en Bolivie.

Le Venezuela après Chavez

Johan a expliqué la manière dont le récent décès de Hugo Chavez dans son pays a amené une complication de la situation au Venezuela. D'un côté, l'ère Chavez a vu s'accomplir de nombreuses réformes sociales, l'activation et la politisation des masses. D'un autre côté, les acquis des masses sont aujourd'hui menacés non seulement par l'opposition de droite (malgré toutes les tentatives rusées de cacher son caractère réactionnaire), mais aussi par la bureaucratisation au sein du camp Chavez, par les couches pro-capitalistes de son régime qui se sont enrichies grâce au pouvoir, par la corruption et l'affairisme. Ce processus est maintenant en train de discréditer l'idée de “révolution bolivarienne”.

Après la victoire électorale de Chavez en 2006, après que les masses se soient mobilisées pour faire obstacle à une nouvelle tentative de coup d'État de la droite, Johan a expliqué qu'entre 60 % et 70 % de la population soutenait l'idée de la nationalisation des secteurs-clés de l'économie, et que 70 % étaient favorables à l'idée de progresser vers le “socialisme”, même si la notion même de ce que signifiait le mot “socialisme” était certainement très floue aux yeux de beaucoup. À présent, en 2013, Johan affirme que la conscience a fortement reculé à cause de la bureaucratisation massive du régime sur lequel s'appuyait Chavez. Cette bureaucratisation s'est produite à la suite de la mise en œuvre de plusieurs contre-réformes, malgré la nature somme toute limitée des réformes qui avaient pu être accomplies grâce à richesse tirée de la nationalisation du pétrole et malgré le fait que ces réformes avaient été mises en œuvre d'une manière qui n'empiétait pas le moins du monde sur les relations économiques capitalistes.

Johan a soulevé la possibilité que les complications issues de toute cette situation pourraient paver la voie à un retour de la droite au pouvoir, qui se produirait très certainement par la voie électorale plutôt que par une nouvelle tentative de coup d'État, bien qu'on ne puisse pas exclure la possibilité d'un tel coup. De tels développements auraient certainement un effet sur les masses du monde néocolonial qui considéraient, jusqu'à un certain point, Chavez et le Venezuela comme une source d'espoir et d'inspiration.

Cependant, il faut également prendre en compte le fait que la droite elle-même est assez divisée, et que cela pourrait entraver ses chances de succès lors des élections municipales de cette année. D'un autre côté, des fissures sont aussi apparues au sein du parti chaviste, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), avec notamment une cassure grandissante entre l'aile militaire et l'aile civile. On le voit notamment avec un certain virage à gauche dans certaines sections PSUV et dans leurs discours un peu partout dans le pays. Johan a expliqué la manière dont CIO au Venezuela utilise une large de gamme dans ses efforts visant à gagner les couches avancées des travailleurs, des pauvres et des jeunes à un programme socialiste révolutionnaire. De telles tactiques incluent un certain élément de travail parmi la base du PSUV, et aussi un travail afin de construire un front uni de la gauche en-dehors du PSUV, tout comme les camarades du CIO se battent pour l'adoption d'un programme révolutionnaire au sein de ce dernier.

Au Venezuela, les successeurs de Chavez ont du mal à convaincre


Une nouvelle ouverture pour les idées trotskistes quant au destin de Cuba


Johan a ensuite donné un compte-rendu de ce qu'il sait des processus très intéressants qui sont en train de se dérouler en ce moment à Cuba. Raul Castro a adopté toute une série de contre-réformes qui ont orienté l'économie dans une direction capitaliste, mais ce processus est loin d'être complet.

Johan a remarqué à quelle point la jeunesse est la plus en faveur de réformes politiques, tandis que la vieille génération est extrêmement sceptique et vigilante par rapport à ces réformes, vu qu'elle craint ce qui pourrait arriver aux systèmes de santé et d'enseignement cubain, qui sont parmi les meilleurs du monde, et qui représentent les plus importants acquis de la révolution. Johan a également mentionné les réformes au sein du Parti communiste cubain lui-même – les LGBT peuvent maintenant rejoindre le parti et y participer, avec pour conséquence l'élection d'un maire ouvertement LGBT dans une des provinces, une grande première depuis le début de la révolution.

Johan a illustré l'ouverture qui existe quant à une analyse trotskiste du stalinisme, pour un programme qui mentionne la nécessité d'une révolution politique afin de démocratiser l'État et l'économie planifiée, pour le contrôle et la gestion de l'économie par les travailleurs, et pour un changement qui associerait la perspective mondiale d'une remise en question du capitalisme par la classe ouvrière sur le plan mondial, qui puisse véritablement amener la perspective d'une transformation socialiste et démocratique, et du socialisme.

Quel avenir pour Cuba ?

Des explosions convulsives au Brésil


Notre camarade Ricardo Baross Filho, syndicaliste et membre du groupe Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-Brésil) à Rio de Janeiro, a donné la deuxième partie de l'introduction, qui s'est concentrée sur l'explosion convulsive de lutte de masse antigouvernementale que nous avons vu partout au Brésil ces dernières semaines. Ricardo a entamé son commentaire en replaçant le “lulaïsme” en perspective. Lorsqu'il a été élu il y a dix ans, le gouvernement PT (“Parti des travailleurs”) de Lula a donné aux capitalistes une porte de sortie. Malgré son ancien caractère de parti ouvrier, et les immenses espoirs que toute une couche de travailleurs et de pauvres avaient placés en lui, le PT une fois au gouvernement a appliqué une politique néolibérale, caractérisée par un strict équilibre budgétaire, des privatisations (moins que les gouvernements avant lui, mais tout de même), et la corruption.

Tout le succès de ce modèle reposait sur les exportations, surtout de matières premières pour satisfaire la forte demande chinoise.

Ricardo a expliqué la manière dont les améliorations dans la vie de toute une couche de la classe ouvrière ont été effectuées dans l'esprit du néolibéralisme, via des subsides étatiques à l'industrie privée sous forme de partenariats public-privé, comme dans le secteur du logement, ou avec l'introduction d'universités privées payantes pour les jeunes.

Le populisme de Lula s'est illustré dans son incorporation de la CUT (Central Única dos Trabalhadores), la principale fédération syndicale au gouvernement (le président de la CUT a été nommé ministre du Travail). La classe dirigeante brésilienne voulait poursuivre sur la lancée de Lula, mais l'élection de Dilma en 2010 a ouvert un nouveau chapitre de l'histoire, a expliqué Ricardo. Des problèmes économiques sont en train de faire surface, et Dilma n'a pas la base sociale dont bénéficiait Lula. La baisse de la popularité de Dilma est à placer dans son contexte de continuation de la politique néolibérale afin de saper les droits des travailleurs. On voit cela avec le projet de loi selon lequel les droits des travailleurs (comme le droit à des congés maternités, aux congés-maladies payés, etc.) pourraient être renégociés dans le cadre de conventions syndicales, permettant ainsi aux patrons d'attaquer les droits des travailleurs entreprise par entreprise.

L'impopularité croissante de Dilma illustre la perte de vitesse du “lulaïsme”, ce qui est très important vu ce que son régime représentait. Cela est aggravé par les problèmes économiques – la croissance du PIB l'an passé n'était que de 0,9 %, et les perspectives pour cette année sont d'à peine 2 %. Le règne de Dilma voit réapparaitre l'inflation, une cherté de la vie croissante en ce qui concerne les prix des denrées de base, ce qui est un problème majeur pour les masses pauvres partout dans le pays. Dilma parle beaucoup de son approche “responsable” en termes de fiscalité – toutes les dettes seront payées, etc. La réalité est que, comme l'a dit Ricardo, le joli vernis appliqué sur le gouvernement et le capitalisme brésilien s'était usé bien avant que l'éclatement de la récente lutte de masse.

Manifestations au Brésil

Éclatement de la lutte


Ricardo a remarqué que l'année passée a connu le plus grand nombre de grèves au Brésil depuis bien des années. Des grèves larges se sont produites dans le secteur public comme dans le privé, avec par exemple une grève de deux mois dans les universités fédérales. Avant l'important éclatement de la lutte de masse, toute une série de mouvements locaux avaient remporté des victoires contre la hausse du cout des transports publics, ce qui a donné une grande confiance aux travailleurs et à la jeunesse. La colère face à la brutalité qui a été employée contre la première vague de manifestants par la police de São Paulo a contribué à l'extension et à l'intensification du mouvement. Les manifestants contre la hausse du cout des transports publics ont commencé à remettre en question le fait que des millions soient dépensés pour construire des stades pour les JO et pour la Coupe du monde, contrairement au budget de misère octroyé à l'enseignement et à la santé.

Ricardo a remarqué l'incroyable soutien de masse dont a bénéficié le mouvement – selon un récent sondage, 89 % de la population le soutient. Étant donné l'inexpérience et la nature de masse des mouvements – la plupart des participants en étaient à leur toute première manifestation – des éléments d'extrême-droit ont tenté d'intervenir de manière rusée dans ces mouvements avec pour objectif de les détourner à leur avantage. Les membres de LSR (CIO-Brésil), a expliqué Ricardo, ont aidé à organiser la protection des militants de gauche contre ces éléments d'extrême-droite. Ricardo a également expliqué, cependant, l'énorme ouverture des manifestants, ce qui a eu pour conséquence une très importante croissance de LSR grâce à notre intervention dans ce mouvement. LSR met également en avant le fait que la tâche de la gauche dans ce mouvement est cruciale – son rôle est d'assurer le fait que l'énergie du mouvement ne retombe pas – ce mouvement représente une chance de construire de nouvelles organisations de et pour la classe ouvrière et la jeunesse, qui pourraient devenir plus importantes que le PT ou la CUT ne l'ont jamais été.

Boycott de la hausse du prix du ticket par le mouvement de masse

Le PSoL


Ricardo a donné des éclaircissements quant à notre participation ininterrompue au sein de la coalition de gauche large qu'est le PSoL (Partido Socialismo e Libertade, mais “Sol” veut aussi dire “Soleil”). Ricardo a remarqué que le PSoL associe de très impressionnants militants de gauche et des dirigeants de mouvements sociaux, partout au Brésil. Le fait que le PSoL ait grandi électoralement ces dernières années illustre son potentiel en tant que possible futur pôle de gauche au Brésil. La plus grande menace, selon Ricardo, est qu'une puissante aile droite au sein de l'organisation la pousse vers des coalitions avec des forces pro-austérité.

Ricardo a aussi défendu la nécessité d'une nouvelle confédération syndicale au Brésil. Il a souligné l'incapacité de la CUT, qui ne parvient pas à véritablement représenter les besoins des travailleurs. Il a parlé du rôle positif de la CSP-Conlutas (Central Sindical e Popular – Coordenação Nacional de Lutas) dans laquelle participent de nombreux militants LSR, qui en termes de programme et d'action, est loin devant la CUT. CSP-Conlutas joue également un rôle important dans l'organisation des travailleurs intérimaires, des jeunes chômeurs, des luttes sociales et des mouvements des pauvres, et dans la coordination entre ces luttes et le mouvement syndical. 

« Se a tarifa não baixar, a cidade vai parar ! »
Si le tarif ne baisse pas, la ville va s'arrêter
 

Discussion sur le caractère du mouvement au Brésil


Au cours du débat, sont intervenus des camarades de France, du Brésil, de Suède, d'Autriche et d'Allemagne. Les sujets abordés incluaient la situation politique au Honduras, plus d'analyses sur les mouvements de masse qui ébranlent toujours le Brésil, et des points concernant le mouvement syndical et le parti PSoL au Brésil. Notre camarade Christina du Brésil a contribué au débat en insistant sur le rôle de la jeunesse dans le mouvement de protestation au Brésil. Elle a fait remarquer qu'un sondage réalisé au début des manifestations à São Paulo révélait que 71 % des participants en étaient à leur toute première action. Christina a replacé la participation des jeunes au mouvement dans son contexte, en parlant des difficultés en ce qui concerne le chômage des jeunes et les contrats précaires dans le secteur privé pour les jeunes, en plus de l'oppression, du racisme, de la violence policière et de la misère dégradante qui touchent beaucoup de jeunes noirs dans les favelas (quartiers pauvres).

Notre camarade Mariana, de France, a abordé la question du nationalisme au Brésil. Elle a expliqué l'incapacité de la plupart de la gauche à aborder ce problème. La présence de drapeaux brésiliens lors des manifestations représente, à un certain degré, la faiblesse de la conscience qui existe. Certains groupes de gauche ont évité cette question, soit en rejetant les manifestations qualifiées selon eux de “réactionnaires”, soit en disant que ces drapeaux étaient une expression de l'“anti-impérialisme”. La réalité est que le “lulaïsme”, en tant que phénomène purement bourgeois, a rehaussé le nationalisme et un sentiment de “collectivité” qui était conçu afin de gommer les frontières entre classes et faire disparaitre les divisions de classe, afin de défendre les intérêts du capitalisme et de désarmer la classe ouvrière. Il existe toujours des restes de tout ceci, qui sont présents dans le mouvement, mais qui existent cependant aux côtés d'un virage clair vers la gauche dans la conscience des travailleurs. Une intervention appropriée de la gauche dans le mouvement, qui exprime les aspirations des travailleurs et des jeunes, qui donnerait une direction claire au mouvement, et qui mettrait en avant la nécessité de la solidarité et de la lutte à travers toute l'Amérique latine et dans le monde entier, pourrait avoir un énorme impact.

Au moment de la conclusion du débat, le consensus qui s'était dégagé était de souligner les nouvelles opportunités qui se présentent dans ce qui est une nouvelle étape de la crise du capitalisme en Amérique latine, et potentiellement un nouveau chapitre de l'histoire du mouvement prolétaire dans la région. Les camarades se sont mis d'accord sur le fait qu'il faudrait approfondir la discussion quant aux processus contradictoires qui se déroulent à Cuba et au Venezuela, et finalement, quant aux formidables développements au Brésil. Ce pays extrêmement important, qui a une énorme influence sur l'ensemble du continent, tant sur le plan économique que politique, a été considéré comme un indice du potentiel qu'ont les idées socialistes et les luttes de se redévelopper à l'échelle de tout ce continent, avec son histoire si riche en enseignements pour la lutte et pour la révolution.


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