Le Brésil, le
Venezuela, Cuba et l'Amérique latine
La discussion sur
l'Amérique latine à l'École d'été du CIO 2013 a été
introduite par notre camarade Johan Rivas, militant du CIO au
Venezuela dans le groupe Socialismo Revolucionario. Johan a
remarqué l'ouverture d'une nouvelle période dans la situation en
Amérique latine, au moment où la “Grande Récession”
atteint maintenant le continent, surtout vu le début de la crise en
Chine. Les répercussions se sont fait sentir sous la forme d'une
nouvelle période de lutte de classe et de crise capitaliste à
travers toute la région.
Rapport par notre
camarade Laura Fitzgerald, du Socialist
Party irlandais (CIO-Irlande)
Une partie de ce processus inclut, selon
Johan, une intensification des tensions entre impérialistes et des
conflits économiques, avec la lutte d'influence dans la région
entre la Chine et les États-Unis. Ce contexte coïncide avec un
renouveau de la lutte de classe – comme on l'a vu avec une
vague de grèves de masse au Mexique dans le cadre de la lutte contre
la privatisation de la compagnie pétrolière d'État, et avec une
grève générale en Bolivie.
Le Venezuela après Chavez
Johan a expliqué la
manière dont le récent décès de Hugo Chavez dans son pays a
amené une complication de la situation au Venezuela. D'un côté,
l'ère Chavez a vu s'accomplir de nombreuses réformes sociales,
l'activation et la politisation des masses. D'un autre côté, les
acquis des masses sont aujourd'hui menacés non seulement par
l'opposition de droite (malgré toutes les tentatives rusées de
cacher son caractère réactionnaire), mais aussi par la
bureaucratisation au sein du camp Chavez, par les couches
pro-capitalistes de son régime qui se sont enrichies grâce au
pouvoir, par la corruption et l'affairisme. Ce processus est
maintenant en train de discréditer l'idée de “révolution
bolivarienne”.
Après la victoire
électorale de Chavez en 2006, après que les masses se soient
mobilisées pour faire obstacle à une nouvelle tentative de coup
d'État de la droite, Johan a expliqué qu'entre 60 % et 70 %
de la population soutenait l'idée de la nationalisation des
secteurs-clés de l'économie, et que 70 % étaient favorables à
l'idée de progresser vers le “socialisme”, même si la notion
même de ce que signifiait le mot “socialisme” était
certainement très floue aux yeux de beaucoup. À présent, en 2013,
Johan affirme que la conscience a fortement reculé à cause de la
bureaucratisation massive du régime sur lequel s'appuyait Chavez.
Cette bureaucratisation s'est produite à la suite de la mise en
œuvre de plusieurs contre-réformes, malgré la nature somme toute
limitée des réformes qui avaient pu être accomplies grâce à
richesse tirée de la nationalisation du pétrole et malgré le fait
que ces réformes avaient été mises en œuvre d'une manière qui
n'empiétait pas le moins du monde sur les relations économiques
capitalistes.
Johan a soulevé la
possibilité que les complications issues de toute cette situation
pourraient paver la voie à un retour de la droite au pouvoir, qui se
produirait très certainement par la voie électorale plutôt que par
une nouvelle tentative de coup d'État, bien qu'on ne puisse pas
exclure la possibilité d'un tel coup. De tels développements
auraient certainement un effet sur les masses du monde néocolonial
qui considéraient, jusqu'à un certain point, Chavez et le Venezuela
comme une source d'espoir et d'inspiration.
Cependant, il faut
également prendre en compte le fait que la droite elle-même est
assez divisée, et que cela pourrait entraver ses chances de succès
lors des élections municipales de cette année. D'un autre côté,
des fissures sont aussi apparues au sein du parti chaviste, le PSUV
(Parti socialiste unifié du Venezuela), avec notamment une
cassure grandissante entre l'aile militaire et l'aile civile. On le
voit notamment avec un certain virage à gauche dans certaines
sections PSUV et dans leurs discours un peu partout dans le pays.
Johan a expliqué la manière dont CIO au Venezuela utilise une large
de gamme dans ses efforts visant à gagner les couches avancées des
travailleurs, des pauvres et des jeunes à un programme socialiste
révolutionnaire. De telles tactiques incluent un certain élément
de travail parmi la base du PSUV, et aussi un travail afin de
construire un front uni de la gauche en-dehors du PSUV, tout comme
les camarades du CIO se battent pour l'adoption d'un programme
révolutionnaire au sein de ce dernier.
Au Venezuela, les successeurs de Chavez ont du mal à convaincre |
Une nouvelle ouverture pour les idées trotskistes quant au destin de Cuba
Johan a ensuite donné
un compte-rendu de ce qu'il sait des processus très intéressants
qui sont en train de se dérouler en ce moment à Cuba. Raul Castro
a adopté toute une série de contre-réformes qui ont orienté
l'économie dans une direction capitaliste, mais ce processus est
loin d'être complet.
Johan a remarqué à
quelle point la jeunesse est la plus en faveur de réformes
politiques, tandis que la vieille génération est extrêmement
sceptique et vigilante par rapport à ces réformes, vu qu'elle
craint ce qui pourrait arriver aux systèmes de santé et
d'enseignement cubain, qui sont parmi les meilleurs du monde, et qui
représentent les plus importants acquis de la révolution. Johan a
également mentionné les réformes au sein du Parti communiste
cubain lui-même – les LGBT peuvent maintenant rejoindre le
parti et y participer, avec pour conséquence l'élection d'un maire
ouvertement LGBT dans une des provinces, une grande première depuis
le début de la révolution.
Johan a illustré
l'ouverture qui existe quant à une analyse trotskiste du stalinisme,
pour un programme qui mentionne la nécessité d'une révolution
politique afin de démocratiser l'État et l'économie planifiée,
pour le contrôle et la gestion de l'économie par les travailleurs,
et pour un changement qui associerait la perspective mondiale d'une
remise en question du capitalisme par la classe ouvrière sur le plan
mondial, qui puisse véritablement amener la perspective d'une
transformation socialiste et démocratique, et du socialisme.
Quel avenir pour Cuba ? |
Des explosions convulsives au Brésil
Notre camarade
Ricardo Baross Filho, syndicaliste et membre du groupe
Liberdade, Socialismo e Revolução (CIO-Brésil) à Rio de Janeiro,
a donné la deuxième partie de l'introduction, qui s'est concentrée
sur l'explosion convulsive de lutte de masse antigouvernementale que
nous avons vu partout au Brésil ces dernières semaines. Ricardo a
entamé son commentaire en replaçant le “lulaïsme” en
perspective. Lorsqu'il a été élu il y a dix ans, le
gouvernement PT (“Parti des travailleurs”) de Lula a donné aux
capitalistes une porte de sortie. Malgré son ancien caractère de
parti ouvrier, et les immenses espoirs que toute une couche de
travailleurs et de pauvres avaient placés en lui, le PT une fois au
gouvernement a appliqué une politique néolibérale, caractérisée
par un strict équilibre budgétaire, des privatisations (moins que
les gouvernements avant lui, mais tout de même), et la corruption.
Tout le succès de ce
modèle reposait sur les exportations, surtout de matières premières
pour satisfaire la forte demande chinoise.
Ricardo a expliqué
la manière dont les améliorations dans la vie de toute une couche
de la classe ouvrière ont été effectuées dans l'esprit du
néolibéralisme, via des subsides étatiques à l'industrie privée
sous forme de partenariats public-privé, comme dans le secteur du
logement, ou avec l'introduction d'universités privées payantes
pour les jeunes.
Le populisme de Lula
s'est illustré dans son incorporation de la CUT (Central Única dos
Trabalhadores), la principale fédération syndicale au gouvernement
(le président de la CUT a été nommé ministre du Travail). La
classe dirigeante brésilienne voulait poursuivre sur la lancée de
Lula, mais l'élection de Dilma en 2010 a ouvert un nouveau
chapitre de l'histoire, a expliqué Ricardo. Des problèmes
économiques sont en train de faire surface, et Dilma n'a pas la base
sociale dont bénéficiait Lula. La baisse de la popularité de Dilma
est à placer dans son contexte de continuation de la politique
néolibérale afin de saper les droits des travailleurs. On voit cela
avec le projet de loi selon lequel les droits des travailleurs (comme
le droit à des congés maternités, aux congés-maladies payés,
etc.) pourraient être renégociés dans le cadre de conventions
syndicales, permettant ainsi aux patrons d'attaquer les droits des
travailleurs entreprise par entreprise.
L'impopularité
croissante de Dilma illustre la perte de vitesse du “lulaïsme”,
ce qui est très important vu ce que son régime représentait. Cela
est aggravé par les problèmes économiques – la croissance
du PIB l'an passé n'était que de 0,9 %, et les perspectives
pour cette année sont d'à peine 2 %. Le règne de Dilma voit
réapparaitre l'inflation, une cherté de la vie croissante en ce qui
concerne les prix des denrées de base, ce qui est un problème
majeur pour les masses pauvres partout dans le pays. Dilma parle
beaucoup de son approche “responsable” en termes de fiscalité
– toutes les dettes seront payées, etc. La réalité est que,
comme l'a dit Ricardo, le joli vernis appliqué sur le gouvernement
et le capitalisme brésilien s'était usé bien avant que
l'éclatement de la récente lutte de masse.
Manifestations au Brésil |
Éclatement de la lutte
Ricardo a remarqué
que l'année passée a connu le plus grand nombre de grèves au
Brésil depuis bien des années. Des grèves larges se sont produites
dans le secteur public comme dans le privé, avec par exemple une
grève de deux mois dans les universités fédérales. Avant
l'important éclatement de la lutte de masse, toute une série de
mouvements locaux avaient remporté des victoires contre la hausse du
cout des transports publics, ce qui a donné une grande confiance aux
travailleurs et à la jeunesse. La colère face à la brutalité qui
a été employée contre la première vague de manifestants par la
police de São Paulo a contribué à l'extension et à
l'intensification du mouvement. Les manifestants contre la hausse du
cout des transports publics ont commencé à remettre en question le
fait que des millions soient dépensés pour construire des stades
pour les JO et pour la Coupe du monde, contrairement au budget de
misère octroyé à l'enseignement et à la santé.
Ricardo a remarqué
l'incroyable soutien de masse dont a bénéficié le mouvement
– selon un récent sondage, 89 % de la population le
soutient. Étant donné l'inexpérience et la nature de masse des
mouvements – la plupart des participants en étaient à leur
toute première manifestation – des éléments d'extrême-droit
ont tenté d'intervenir de manière rusée dans ces mouvements avec
pour objectif de les détourner à leur avantage. Les membres de LSR
(CIO-Brésil), a expliqué Ricardo, ont aidé à organiser la
protection des militants de gauche contre ces éléments
d'extrême-droite. Ricardo a également expliqué, cependant,
l'énorme ouverture des manifestants, ce qui a eu pour conséquence
une très importante croissance de LSR grâce à notre intervention
dans ce mouvement. LSR met également en avant le fait que la tâche
de la gauche dans ce mouvement est cruciale – son rôle est
d'assurer le fait que l'énergie du mouvement ne retombe pas –
ce mouvement représente une chance de construire de nouvelles
organisations de et pour la classe ouvrière et la jeunesse, qui
pourraient devenir plus importantes que le PT ou la CUT ne l'ont
jamais été.
Boycott de la hausse du prix du ticket par le mouvement de masse |
Le PSoL
Ricardo a donné des
éclaircissements quant à notre participation ininterrompue au sein
de la coalition de gauche large qu'est le PSoL (Partido Socialismo e
Libertade, mais “Sol” veut aussi dire “Soleil”). Ricardo a
remarqué que le PSoL associe de très impressionnants militants de
gauche et des dirigeants de mouvements sociaux, partout au Brésil.
Le fait que le PSoL ait grandi électoralement ces dernières années
illustre son potentiel en tant que possible futur pôle de gauche au
Brésil. La plus grande menace, selon Ricardo, est qu'une puissante
aile droite au sein de l'organisation la pousse vers des coalitions
avec des forces pro-austérité.
Ricardo a aussi
défendu la nécessité d'une nouvelle confédération syndicale au
Brésil. Il a souligné l'incapacité de la CUT, qui ne parvient pas
à véritablement représenter les besoins des travailleurs. Il a
parlé du rôle positif de la CSP-Conlutas (Central Sindical e
Popular – Coordenação Nacional de Lutas) dans laquelle
participent de nombreux militants LSR, qui en termes de programme et
d'action, est loin devant la CUT. CSP-Conlutas joue également un
rôle important dans l'organisation des travailleurs intérimaires,
des jeunes chômeurs, des luttes sociales et des mouvements des
pauvres, et dans la coordination entre ces luttes et le mouvement
syndical.
« Se a tarifa não baixar, a cidade vai parar ! » Si le tarif ne baisse pas, la ville va s'arrêter |
Discussion sur le caractère du mouvement au Brésil
Au cours du débat,
sont intervenus des camarades de France, du Brésil, de Suède,
d'Autriche et d'Allemagne. Les sujets abordés incluaient la
situation politique au Honduras, plus d'analyses sur les mouvements
de masse qui ébranlent toujours le Brésil, et des points concernant
le mouvement syndical et le parti PSoL au Brésil. Notre camarade
Christina du Brésil a contribué au débat en insistant sur le rôle
de la jeunesse dans le mouvement de protestation au Brésil. Elle a
fait remarquer qu'un sondage réalisé au début des manifestations à
São Paulo révélait que 71 % des participants en étaient
à leur toute première action. Christina a replacé la participation
des jeunes au mouvement dans son contexte, en parlant des difficultés
en ce qui concerne le chômage des jeunes et les contrats précaires
dans le secteur privé pour les jeunes, en plus de l'oppression, du
racisme, de la violence policière et de la misère dégradante qui
touchent beaucoup de jeunes noirs dans les favelas (quartiers
pauvres).
Notre camarade
Mariana, de France, a abordé la question du nationalisme au Brésil.
Elle a expliqué l'incapacité de la plupart de la gauche à aborder
ce problème. La présence de drapeaux brésiliens lors des
manifestations représente, à un certain degré, la faiblesse de la
conscience qui existe. Certains groupes de gauche ont évité cette
question, soit en rejetant les manifestations qualifiées selon eux
de “réactionnaires”, soit en disant que ces drapeaux étaient
une expression de l'“anti-impérialisme”. La réalité est que le
“lulaïsme”, en tant que phénomène purement bourgeois, a
rehaussé le nationalisme et un sentiment de “collectivité” qui
était conçu afin de gommer les frontières entre classes et faire
disparaitre les divisions de classe, afin de défendre les intérêts
du capitalisme et de désarmer la classe ouvrière. Il existe
toujours des restes de tout ceci, qui sont présents dans le
mouvement, mais qui existent cependant aux côtés d'un virage clair
vers la gauche dans la conscience des travailleurs. Une intervention
appropriée de la gauche dans le mouvement, qui exprime les
aspirations des travailleurs et des jeunes, qui donnerait une
direction claire au mouvement, et qui mettrait en avant la nécessité
de la solidarité et de la lutte à travers toute l'Amérique latine
et dans le monde entier, pourrait avoir un énorme impact.
Au moment de la
conclusion du débat, le consensus qui s'était dégagé était de
souligner les nouvelles opportunités qui se présentent dans ce qui
est une nouvelle étape de la crise du capitalisme en
Amérique latine, et potentiellement un nouveau chapitre de
l'histoire du mouvement prolétaire dans la région. Les camarades se
sont mis d'accord sur le fait qu'il faudrait approfondir la
discussion quant aux processus contradictoires qui se déroulent à
Cuba et au Venezuela, et finalement, quant aux formidables
développements au Brésil. Ce pays extrêmement important, qui a une
énorme influence sur l'ensemble du continent, tant sur le plan
économique que politique, a été considéré comme un indice du
potentiel qu'ont les idées socialistes et les luttes de se
redévelopper à l'échelle de tout ce continent, avec son histoire
si riche en enseignements pour la lutte et pour la révolution.
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