L'assassinat de Trotsky
Aujourd'hui
21 aout 2013, cela fait 73 ans qu’est décédé le
révolutionnaire russe Léon Trotsky, un assassinat orchestré
par le dictateur Staline. Les motivations de Staline n’étaient pas
de l’ordre des rivalités personnelles : la bureaucratie
soviétique qui avait pris le pouvoir en Russie avait besoin
d’écraser la Quatrième Internationale qui, avec Trotsky,
continuait à lutter pour l'internationalisme et la démocratie des
travailleurs.
Dossier rédigé par
notre camarade Lynn Walsh, membre du Socialist Party
of England and Wales (section du CIO en Angleterre et
pays de Galles)
C'est le 20 aout 1940
que le grand révolutionnaire russe Léon Trotsky (de son vrai
nom Lev Davidovitch Bronstein) a été frappé d'un coup
mortel de pic à glace porté à la tête par Ramon Mercader, un
agent envoyé au Mexique par la police secrète de Staline (le GPU)
afin d’y assassiner le révolutionnaire exilé. Ce dernier décédait
le lendemain.
L'assassinat de
Trotsky n'était pas un acte de méchanceté de la part de Staline,
il s’agissait de l'aboutissement logique de la terreur systématique
et sanglante dirigée contre toute une génération de dirigeants
bolcheviques, ainsi que contre les jeunes révolutionnaires d'une
deuxième génération prête à défendre les véritables idées
du marxisme contre le régime
bureaucratique et répressif en développement sous Staline. Au
moment où le GPU a atteint Trotsky en 1940, ses agents avaient
déjà assassiné – ou poussé au suicide, ou condamné aux
camps de travail – de nombreux membres de la famille de
Trotsky et la plupart de ses plus proches amis et collaborateurs,
ainsi qu’un nombre incalculable de dirigeants et sympathisants de
l’Opposition de gauche internationale.
Plus de
soixante-dix ans après les faits, une grande partie des médias
et des académiciens s’évertuent à présenter l'assassinat de
Trotsky comme la conclusion d’un conflit personnel entre Trotsky et
Staline, tout comme cela avait été fait en 1940. Cette
“histoire” serait basée sur une rivalité croissante entre
deux chefs ambitieux qui se disputaient le pouvoir, l'un étant
aussi mauvais que l'autre (d'un point de vue bourgeois en tous
cas !). La critique la plus acide est régulièrement réservée
à l'idée “romantique” de Trotsky de la “révolution
permanente”, potentiellement bien plus dangereuse pour eux que
la notion bureaucratique “pragmatique” de Staline de la
construction du “socialisme dans un seul pays”. Si certaines
questions posées par Trotsky à l'époque émergent parfois de ces
commentaires, de manière apparemment légitime, il ne s’agit
généralement que d’une manière de finalement rabaisser son rôle.
Pourquoi, puisque
Trotsky était l'un des principaux dirigeants du parti bolchévique
et le chef de l'Armée rouge, a-t-il permis à Staline de
concentrer le pouvoir entre ses mains ? Pourquoi Trotsky
n'a-t-il pas lui-même pris le pouvoir ? On dit parfois que
Trotsky était “trop doctrinaire”, qu'il s'est laissé “avoir”
par Staline. Le corollaire est de suggérer que Staline était plus
“pragmatique” et un leaders plus “astucieux” et plus
“énergique”.
Trotsky lui-même a
été confronté à ces questions et y a répondu sur base de son
analyse de la dégénérescence politique de l'État ouvrier
soviétique. De toute évidence, d'un point de vue marxiste, il est
tout à fait superficiel de présenter le conflit qui s'est développé
après 1923 comme étant une lutte personnelle entre dirigeants
rivaux. Staline et Trotsky, chacun à leur manière, ont personnifié
des forces sociales et politiques contradictoires, Trotsky de façon
consciente et Staline inconsciemment. Trotsky s'est opposé à
Staline avec des moyens politiques, Staline a combattu Trotsky et ses
partisans avec un terrorisme parrainé par l'État. « Staline
mène une lutte sur un plan totalement différent du nôtre »,
écrivait Trotsky : « Il cherche à détruire non pas les
idées de l'adversaire, mais son crâne ». Il s'agissait là
d'une terrifiante prémonition.
Trotsky à droite de Lénine, pendant la révolution russe |
Le triomphe de la bureaucratie
Analysant le rôle de
Staline, dans son Journal d'exil écrit en 1935,
Trotsky écrivait : « Étant
donné le déclin prolongé de la révolution mondiale, la victoire
de la bureaucratie, et par conséquent de Staline, était déterminée
d'avance. Le résultat que les badauds et les sots attribuent à la
force personnelle de Staline, ou tout au moins à son extraordinaire
habileté, était profondément enraciné dans la dynamique des
forces historiques. Staline n'a été que l'expression à demi
inconsciente du chapitre deux de la révolution, son lendemain
d'ivresse. » (Trotsky, Journal d'exil, p. 38)
Ni Trotsky, ni aucun
des dirigeants bolchéviques de 1917 n'avaient imaginé que la
classe des travailleurs de Russie pourrait construire une société
socialiste en étant isolée dans un pays économiquement arriéré
et culturellement primitif. Ils étaient convaincus que les
travailleurs devaient prendre le pouvoir afin de mener à bien les
tâches en grande partie inachevées de la révolution
démocratique-bourgeoise (fin du système féodal, république
démocratique, etc.), mais en allant de l'avant vers les tâches
impératives de la révolution socialiste. Ils ne pouvaient procéder
qu'en collaboration avec la classe des travailleurs des pays
capitalistes plus développés – parce que, en comparaison du
capitalisme, le socialisme exige un niveau de production et un
matériel culturel plus élevés.
La défaite de la
révolution allemande en 1923 – à laquelle ont contribué
les erreurs de la direction de Staline-Boukharine – a renforcé
l'isolement du jeune État soviétique (“soviet” signifiant
en russe “conseil” – il s'agissait au départ d'un État
basé sur le pouvoir des conseils ouvriers et paysans, des “agoras”),
et la retraite forcée qu'était la Nouvelle Politique
économique (NEP, qui, après la guerre civile désastreuse,
accordait de nouveau la liberté de commerce et d'enrichissement
personnel, en guise de concession à la paysannerie et aux petits et
moyens commerçants) a accéléré la cristallisation d'une caste
bureaucratique qui a de plus en plus mis en avant la défense de son
confort et de son désir de tranquillité et de privilèges au
détriment des intérêts de la révolution internationale.
La couche dirigeante
de la bureaucratie a rapidement trouvé que Staline était la “chair
de sa chair”. Reflétant les intérêts de la bureaucratie, Staline
a engagé une lutte contre le “trotskisme” – un
épouvantail idéologique qu'il a inventé pour déformer et
stigmatiser les véritables idées du marxisme et de Lénine
défendues par Trotsky et par l'Opposition de gauche.
La bureaucratie
craignait que le programme de l'Opposition de gauche pour
la restauration de la démocratie ouvrière puisse trouver un écho
auprès d'une nouvelle couche de jeunes travailleurs et donner un
nouvel élan à la lutte contre la dégénérescence bureaucratique,
c'est ce qui a motivé la purge sanglante de Staline contre
l'Opposition. Ses idées étaient « une
source d'extraordinaires appréhensions pour Staline : ce
sauvage a peur des idées, connaissant leur force explosive et
sachant sa faiblesse devant elles ». (Journal d'exil,
p. 66)
Répondant à
l'avance à l'idée erronée selon laquelle le conflit était en
quelque sorte le résultat d'une “incompréhension” ou du refus
de compromis, Trotsky a raconté comment, alors qu'il était exilé à
Alma-Ata (actuelle Almaty, au Kazakhstan) en 1928, un ingénieur
“sympathisant”, probablement « envoyé
subrepticement sentir mon pouls », lui avait demandé s'il ne
pensait pas qu'il était possible d'aller vers une certaine
réconciliation avec Staline. « Je
lui répondis en substance que de réconciliation il ne pouvait être
question pour le moment : non pas parce que je ne la voulais
pas, mais parce que Staline ne pouvait pas se réconcilier, il était
forcé d'aller jusqu'au bout dans la voie où l'avait engagé la
bureaucratie. – Et par quoi cela peut-il finir ? – Par
du sang, répondis-je : pas d'autre fin possible pour Staline.
– Mon visiteur eut un haut-le-corps, il n'attendait
manifestement pas pareille réponse, et ne tarda pas à se retirer. »
(Journal d'exil, p. 39)
En 1923 (du
vivant de Lénine donc), Trotsky commença une lutte au sein du
Parti communiste russe. Dans une série d'articles (publiés
sous le titre de Cours nouveau), il a commencé à mettre
en garde contre le danger d'une réaction post-révolutionnaire.
L'isolement de la révolution dans un pays arriéré avait conduit à
la croissance naissante d'une bureaucratie dans le parti bolchévique
et dans l'État. Trotsky a commencé à protester contre le
comportement arbitraire de la bureaucratie du parti qui s'était
cristallisée sous Staline. Peu de temps avant sa mort en 1924,
Lénine avait lui aussi convenu avec Trotsky de constituer un bloc au
sein du parti pour lutter contre la bureaucratie.
Quand Trotsky et un
groupe d'oppositionnels de gauche ont commencé leur lutte pour un
renouveau de la démocratie ouvrière, le bureau politique a été
obligé de promettre le rétablissement de la liberté d'expression
et la liberté de critique au sein du Parti communiste. Mais
Staline et ses associés ont fait en sorte que cela reste lettre
morte.
Quatre ans plus
tard – le 7 novembre 1927, dixième anniversaire
de la révolution d'Octobre – Trotsky était contraint de
quitter le Kremlin et de se réfugier chez des amis oppositionnels.
Une semaine plus tard, Trotsky et Zinoviev, le premier président de
l'Internationale communiste, étaient exclus du parti. Le
lendemain, Adolf Joffé, un camarade opposant et ami de Trotsky,
se suicida pour protester contre l'action dictatoriale de la
direction de Staline. Il fut l'un des premiers compagnons de Trotsky
à être poussé vers la mort ou à être directement assassiné par
le régime de Staline qui, par la répression systématique et
impitoyable de ses adversaires et par ses méthodes totalitaires, a
ainsi créé un véritable fleuve de sang qui aujourd'hui encore
demeure entre la véritable démocratie ouvrière et sa propre
bureaucratie.
En janvier 1928,
Trotsky (qui avait déjà été deux fois exilé sous le régime
tsariste) a été contraint à son dernier exil. Il fut d'abord
déporté à Alma-Ata au Kazakhstan (aujourd'hui Almaty), près de la
frontière chinoise ; à partir de là, il fut expulsé en
Turquie, où il élut domicile sur l'ile de Prinkipo, sur la mer de
Marmara, près d'Istanbul.
Afin de tenter de
paralyser le travail littéraire et politique de Trotsky, Staline a
frappé le petit “appareil” de Trotsky, constitué de cinq
ou six proches collaborateurs : « Glazman poussé au
suicide, Boutov mort dans une geôle de la Guépéou, Bloumkine
fusillé, Sermouks et Poznanski en déportation. Staline ne prévoyait
pas que je pourrais sans “secrétariat” mener un travail
systématique de publiciste qui, à son tour, pourrait contribuer à
la formation d'un nouvel “appareil”. Même de très intelligents
bureaucrates se distinguent, à certains égards, par une incroyable
courte vue ! » (Journal d'exil, p. 40) Tous ces
révolutionnaires avaient joué un rôle important notamment pendant
la guerre civile russe, en particulier en tant que membres du
secrétariat militaire ou à bord du train blindé de Trotsky.
Trotsky passa toute la fin de sa vie à lutter contre la trahison stalinienne qui avait imposé une dictature en URSS, pour la restauration du pouvoir démocratique des soviets |
En exil : construire l'Opposition de gauche internationale
Mais si Staline a par
la suite consacré une si grande partie des ressources de sa police
secrète (connue sous différents noms : Tchéka, Guépéou
(GPU), NKVD, MVD et KGB) à la planification de l'assassinat de
Trotsky, pourquoi avoir dès le départ permis à son adversaire
d'être tout simplement exilé ?
Dans une lettre
ouverte au Politburo en janvier 1932, Trotsky avait publiquement
averti du fait que Staline préparait un attentat contre sa vie. « La
question des représailles terroristes contre l'auteur de cette
lettre », écrit-il, « a été posée il y a longtemps :
en 1924-1925, lors d'une réunion, Staline en a pesé les
avantages et les inconvénients. Les avantages étaient évidents et
clairs. La principale considération en sa défaveur était qu'il y
avait trop de jeunes trotskistes désintéressés qui pouvaient
répondre par des actions contre-terroristes »
(Trotsky’s Writings, 1932, p. 19). Trotsky avait été
informé de ces discussions par Zinoviev et Kamenev, qui avaient
brièvement formé une “troïka dirigeante” avec Staline pour
ensuite entrer – temporairement – en opposition
contre Staline.
Trotsky poursuivit :
« Staline en est venu à la
conclusion qu'avoir exilé Trotsky hors d'Union soviétique avait été
une erreur… contrairement à ses attentes, il s'est avéré que les
idées ont un pouvoir qui leur est propre, même sans appareil et
sans ressources. L'Internationale communiste est une structure
grandiose qui a été laissée comme une coquille vide, à la fois
théoriquement et politiquement. L'avenir du marxisme
révolutionnaire, c'est-à-dire du léninisme, est dorénavant
indissolublement lié aux cadres internationaux de
l'Opposition de gauche. Aucune montagne de falsification ne
peut changer cela. Les ouvrages de base de l'Opposition ont été,
sont ou seront publiés dans toutes les langues. Des cadres de
l'Opposition, qui ne sont pas encore très nombreux mais néanmoins
indomptables, se trouvent dans tous les pays. Staline comprend
parfaitement le grave danger que représentent l'incompatibilité
idéologique et la croissance persistante de l'Opposition de gauche
internationale pour lui, pour sa fausse “autorité”, pour sa
toute-puissance bonapartiste. » (Trotsky’s Writings,
1932, pp. 19-20)
C'est
dans les premiers temps de son exil turc, Trotsky écrivit sa
monumentale Histoire de la révolution russe et son
autobiographie Ma Vie. Grâce à une abondante
correspondance avec les opposants d'autres pays et en particulier à
travers le Bulletin de l'Opposition (publié à partir de
l'automne 1929), Trotsky a commencé à rassembler le noyau
d'une opposition internationale composée de bolchéviks
authentiques. Mais la perspective de Trotsky, selon laquelle Staline
allait utiliser le GPU pour tenter de détruire tout ce travail, a
été rapidement confirmée.
Vers la fin de son
exil turc, Trotsky a subi un coup cruel lorsque sa fille, Zinaïda,
malade et démoralisée, a été poussée au suicide à Berlin. Son
mari, Platon Volkov, un jeune militant de l'Opposition, avait
été arrêté pour disparaitre à jamais. La première femme de
Trotsky, Alexandra Sokolovskaïa, celle qui lui avait fait
découvrir les idées socialistes et le marxisme, a été envoyée
dans un camp de concentration, où elle est décédée. Plus tard, le
fils de Trotsky, Sergueï, un scientifique qui ne défendait aucune
position politique, a été arrêté sur base d'une accusation montée
de toutes pièces “d'empoisonnement de travailleurs”. Trotsky
apprit plus tard sa mort en prison. Parallèlement à sa peur
maladive des idées, « dans la
politique de répression de Staline, le mobile de vengeance
personnelle a toujours été un facteur d'importance ».
(Journal d'exil, p. 66)
Dès le début,
d'ailleurs, le GPU a commencé à infiltrer la maison de Trotsky et
les groupes de l'Opposition de gauche. La suspicion a
entouré un certain nombre de personnes qui sont apparues dans les
organisations de l'Opposition en Europe ou qui sont venues à
Prinkipo visiter Trotsky ou l'aider dans son travail. Jakob Frank
de Lituanie, par exemple, a travaillé à Prinkipo pour un temps,
mais s'est plus tard rallié au stalinisme. Il y avait aussi le cas
de Mill (Paul Okun, ou Obin) qui a également rallié les
staliniens, laissant Trotsky et ses collaborateurs incertains quant à
savoir s'il s'agissait juste d'un renégat ou d'une taupe du GPU.
Pourquoi ces
personnes ont-elles été acceptées comme véritables
collaborateurs ? Lors d'un commentaire public concernant la
trahison de Mill, Trotsky a souligné que
« L'Opposition de gauche est placée devant des
conditions extrêmement difficiles d'un point de vue organisationnel.
Aucun parti révolutionnaire dans le passé n'a travaillé sous une
telle persécution. Outre la répression de la police capitaliste de
tous les pays, l'Opposition est exposée aux coups de la bureaucratie
stalinienne qui ne recule devant rien […] C'est bien sûr la
section russe qui connait les temps les plus durs […] Mais trouver
un bolchévik-léniniste russe à l'étranger, même pour des
fonctions purement techniques, est une tâche extrêmement difficile.
C'est ce qui explique le fait que Mill ait pu pendant un certain
temps pénétrer dans le secrétariat administratif de
l'Opposition de Gauche. Il était nécessaire d'avoir une
personne qui connaissait le russe et pouvait mener à bien des tâches
de secrétariat. Mill avait à un moment donné été membre du parti
officiel et, en ce sens, il pouvait revendiquer une certaine
confiance. » (Writings, 1932, p. 237)
Rétrospectivement,
il était clair que l'absence de contrôles de sécurité adéquats
allait avoir des conséquences tragiques. Mais les ressources de
l'Opposition étaient extrêmement limitées, et Trotsky avait
compris qu'une phobie de l'infiltration et une suspicion exagérée
de tous ceux qui offraient un soutien pouvait être contre-productif.
Avec sa vision optimiste et positive du caractère humain, Trotsky
était d'ailleurs opposé au fait de soumettre des individus à des
recherches et des enquêtes sur leurs vies.
Bulletin de l'opposition “bolchévique-léniniste” tel qu'il circulait en Union soviétique pour dénoncer la dictature stalinienne |
Sédov assassiné à Paris
Trotsky était
désireux d'échapper à l'isolement de Prinkipo et de trouver une
base plus proche du centre des événements européens. Mais les
démocraties capitalistes étaient loin d'être disposées à
accorder à Trotsky le droit démocratique d'asile. Finalement,
en 1933, Trotsky a été admis en France. Cependant,
l'aggravation de la tension politique, et en particulier la
croissance de la droite nationaliste et fasciste, a bientôt conduit
le gouvernement Daladier à ordonner son expulsion. Pratiquement
tous les gouvernements européens avaient déjà refusé de lui
accorder asile. Trotsky a vécu, comme il l'écrit, sur « une
planète sans visa ». Expulsé de France en 1935,
Trotsky a trouvé refuge pendant une courte période en Norvège, où
il a écrit La Révolution trahie en 1936.
Peu après son
arrivée en Norvège, le premier grand procès de Moscou a explosé à
la face du monde. Staline a exercé une pression intense sur le
gouvernement norvégien pour empêcher Trotsky de répondre et de
réfuter les accusations ignobles lancées contre lui à partir de
Moscou. Pour éviter cet emprisonnement virtuel, Trotsky a été
obligé de trouver un nouveau refuge, et il s'empressa d'accepter une
offre d'asile du gouvernement Cardenas au Mexique. En route,
Trotsky a rappelé sa lettre ouverte au bureau politique du
Parti communiste russe dans laquelle il avait prédit l'arrivée
d'une campagne mondiale de diffamation bureaucratique de Staline et
de tentatives d'assassinats.
La purge qui a eu
lieu en Russie ne s'est pas limitée à une poignée de vieux
bolchéviks ou d'oppositionnels de gauche. Pour chaque dirigeant
apparu dans un simulacre de procès-spectacle, des centaines ou des
milliers de personnes ont été emprisonnées en silence, envoyées à
une mort certaine dans les camps de prisonniers dans l'Arctique, ou
sommairement exécutées dans les caves de leur prison. Au moins
huit millions de personnes ont été arrêtées dans le cadre de
ces purges, et de cinq à six millions d'entre eux ont été
pourrir, la plupart du temps jusqu'à la mort, dans les camps. Il ne
fait cependant aucun doute que ce sont les partisans de
l'Opposition de gauche, les partisans des idées de
Trotsky, qui ont enduré la plus lourde répression.
Les purges menées en
Russie étaient également directement liées à l'intervention
contre-révolutionnaire de Staline dans la révolution ayant éclaté
en Espagne à l'été 1936. Par l'intermédiaire de la direction
bureaucratique du Parti communiste espagnol contrôlé par
Moscou, de l'appareil de conseillers militaires soviétiques et
d'agents du GPU, Staline a étendu sa terreur aux anarchistes, aux
militants de gauche et en particulier aux trotskistes d'Espagne qui
résistaient à ses politiques.
Pendant ce temps, la
police secrète de Staline a aussi intensifié son action destinée à
détruire le centre de l'Opposition de gauche
internationale basé à Paris sous la direction du fils de Trotsky,
Léon Sédov (dont le nom de famille est celui de sa mère,
Natalia Sédova), qui avait à l'époque à peine un peu plus
de 30 ans.
Sédov était indispensable à Trotsky pour son travail de publiciste, dans la
préparation et la distribution des Bulletins de l'Opposition
et pour garder contacts avec les groupes d'oppositionnels à
l'étranger. Mais Sédov avait également livré une contribution
exceptionnelle et indépendante au travail de l'Opposition. Au début
de l'année 1938, il est tombé malade : on suspectait une
appendicite. Sur les conseils d'un homme qui était devenu son plus
proche collaborateur, nommé “Étienne”, Sédov est entré en
clinique – un hôpital qui par la suite s'est avéré être
totalement infiltré par des émigrés russes “blancs” (partisans
de l'ancien régime tsariste) et par des Russes ayant des penchants
staliniens. Sédov a semblé se remettre de l'opération, mais est
mort peu de temps après avec des symptômes extrêmement mystérieux.
Un médecin a suggéré un empoisonnement, et une enquête plus
approfondie a laissé entendre que sa maladie avait en premier lieu
été produite par un empoisonnement sophistiqué et pratiquement
indétectable.
Trotsky a écrit un
hommage émouvant à son fils décédé : Léon Sédov
– le fils – l'ami – le militant. Il a rendu
hommage au rôle de Sédov dans la lutte pour la défense des idées
du marxisme authentique contre leur perversion stalinienne. Mais il a
aussi donné quelques indications sur ce que cela signifiait
personnellement. « Il était
une part, la part jeune de nous deux », écrivait Trotsky,
parlant en son nom et en celui de sa seconde épouse, Natalia :
« Pour cent raisons, nos pensées et nos sentiments allaient
chaque jour vers lui, à Paris. Avec notre garçon est mort tout ce
qui demeurait en nous de jeune. »
Par la suite il a été
révélé que Léon Sédov avait été trahi par “Étienne”,
un agent du GPU beaucoup plus insidieux et impitoyable que les
espions et les provocateurs précédents qui s'étaient infiltrés
dans le cercle de Trotsky. “Étienne” a ensuite été démasqué
comme étant Mark Zborowski, révélé dans les années '50
en tant que figure clé du réseau d'espionnage du GPU aux USA.
Zborowski avait déjà un long fleuve de duplicité et de sang
derrière lui. Zborowski a par la suite avoué qu'il avait également
surveillé Rudolf Klement, (le secrétaire de Trotsky assassiné
à Paris en 1938), Erwin Wolf (un partisan de Trotsky
assassiné en Espagne en juillet 1937) et Ignace Reiss (un
agent de premier plan du GPU qui a tourné le dos à la machine de
terreur stalinienne, a déclaré son soutien à la
Quatrième Internationale et a été assassiné en Suisse en
septembre 1937).
Zborowski a eu des
contacts avec les agents des forces spéciales du GPU en Espagne qui
étaient responsables de l'assassinat d'Erwin Wolf – et
qui comprenaient dans leurs rangs l'infâme colonel Eitingon. C'est
cet homme, sous de nombreux pseudonymes, qui devait ensuite diriger
les tentatives d'assassinat contre Trotsky au Mexique, en
collaboration avec son associée au GPU et maitresse,
Caridad Mercader, ainsi que son fils, Ramon Mercader,
l'agent qui a finalement assassiné Trotsky.
L'assaut du 24 mai
Trotsky,
Natalia Sédova et une poignée de proches collaborateurs sont
arrivés au Mexique en janvier 1937. Le gouvernement du général
Lazaro Cardenas a été le seul au monde à accorder asile à
Trotsky dans les dernières années de sa vie. En contraste marqué
avec la manière dont il avait été reçu ailleurs, Trotsky y a reçu
un accueil officiel flamboyant et partit vivre à Coyoacan, dans la
banlieue de Mexico, dans une maison prêtée par son ami et partisan
politique, le peintre mexicain Diego Rivera.
L'arrivée de Trotsky
a toutefois coïncidé avec un deuxième procès-spectacle de Moscou,
suivi de peu par un troisième procès, encore plus grotesque. « Nous
avons écouté la radio », raconte Natalia, « ouvert le
courrier et les journaux de Moscou, et nous avons ressenti jaillir la
folie, l'absurdité, l'indignation, la fraude et le sang, cela nous
affluait de toutes parts, ici au Mexique comme en Norvège. »
(Vie et mort de Léon Trotsky, p. 212). Encore
une fois, Trotsky a exposé les contradictions internes de ces procès
et réfuté les prétendues “preuves” contre lui et ses partisans
dans une série d'articles.
Un “contre-procès”
a par ailleurs été organisé, sous la présidence du philosophe
libéral américain John Dewey. Cette commission a totalement
exonéré Trotsky des accusations lancées contre lui. Trotsky a
averti du fait que le but de ces procès était de justifier une
nouvelle vague de terreur – qui serait dirigée contre tous
ceux qui ont représenté la moindre menace pour la direction
dictatoriale de Staline, que ce soient des opposants actifs, de
potentiels rivaux bureaucratiques ou des complices devenus tout
simplement embarrassants. Trotsky était bien conscient du fait que
la peine de mort prononcée contre lui était loin d'être une
condamnation qui resterait sans effet.
Dès le moment de son
arrivée, le Parti communiste mexicain, dont les dirigeants
suivaient loyalement la ligne de Moscou, a commencé à faire de
l'agitation pour que des restrictions frappent Trotsky, pour
l'empêcher de répondre aux accusations portées contre lui lors de
ces procès-spectacles, et finalement pour provoquer son expulsion du
pays. Les journaux et les revues du Parti communiste et de la
fédération syndicale contrôlée par le Parti communiste (la
CTM) ont déversé un flot d'injures et d'accusations calomnieuses en
déclarant que Trotsky complotait contre le gouvernement Cardenas
en collaboration avec des éléments fascistes et réactionnaires.
Trotsky était bien conscient que la presse stalinienne utilisait la
langue de ceux qui décident non par la voie de votes mais par celle
des mitrailleuses.
Au milieu de la nuit,
du 24 mai 1940, une première attaque directe contre la vie
de Trotsky a eu lieu. Un groupe d'hommes armés a pénétré dans la
maison de Trotsky, a mitraillé les chambres et a tenté de détruire
les archives de Trotsky en provoquant le maximum de dégâts
possible. Trotsky et Natalia ont échappé de justesse à la mort en
se couchant sur le sol sous le lit. Leur petit-fils, Séva, a été
légèrement blessé par une balle. Par la suite, ils ont constaté
que les assaillants avaient enlevé Robert Sheldon Harte,
l'un des secrétaires-gardes de Trotsky, qui avait apparemment été
trompé par un membre du raid qu'il connaissait et en qui il avait
confiance. Son corps a été retrouvé enterré dans une fosse.
Toutes les preuves
orientaient l'enquête vers les staliniens mexicains et, derrière
eux, le GPU. Grâce à une analyse détaillée de la presse
stalinienne des semaines ayant précédé le raid, Trotsky a
clairement montré qu'ils préparaient une tentative de meurtre. La
police mexicaine a très vite arrêté certains complices des
bandits, et les preuves ont incriminé un des principaux membres du
Parti communiste mexicain. L'enquête a conduit jusqu'à
David Alfaro Siqueiros qui, tout comme Diego Rivera,
était un peintre bien connu. Mais contrairement à Rivera, il était
un membre éminent du Parti communiste mexicain. Siqueiros avait
aussi été en Espagne et était suspecté d'entretenir des liens
avec le GPU depuis longtemps. Malgré les tentatives scandaleuses qui
ont essayé de dépeindre cette attaque comme étant l'œuvre de
Trotsky afin de discréditer le PC et le gouvernement Cardenas,
la police a finalement arrêté les meneurs, y compris Siqueiros.
Toutefois, en raison de pressions exercées par le Parti communiste
et par la centrale syndicale CTM, ils ont été libérés en
mars 1941 pour “manque de pièces à conviction” !
Siqueiros n'a pas nié
son rôle dans cette agression. En fait, il s'en vantait ouvertement.
Mais la direction du Parti communiste, clairement embarrassée
non pas tant par la tentative elle-même, mais par la façon dont
elle avait été bâclée, a tenté de se dissocier du raid, rejetant
la faute sur un gang “d'éléments incontrôlables” et “d'agents
provocateurs”.
La presse stalinienne
a tantôt présenté Siqueiros comme un héros, tantôt comme un “fou
ou un demi-fou”, parfois même comme un agent à la solde de
Trotsky! La presse stalinienne a même affirmé que Trotsky devait
être expulsé suite à cet événement, car l'attaque n'était qu'un
acte de provocation dirigé contre le Parti communiste et contre
l'État mexicain.
Trente-huit ans plus
tard, cependant, un membre dirigeant du Parti communiste
mexicain a admis la vérité. Dans ses mémoires, Mon Témoignage,
publiées par la maison d'édition du Parti communiste mexicain
en 1978, Valentin Campa, un vétéran du parti, a
catégoriquement contredit les démentis officiels de la
participation du parti et a révélé divers détails sur la
préparation de cet attentat contre la vie de Trotsky.
Campa raconte
notamment comment, à l'automne 1938, il a, avec
Raphael Carrillo (membre du comité central du PC), été
convoqué par Herman Laborde (secrétaire général du parti) et
a été informé d'une « affaire
extrêmement confidentielle et délicate ». Laborde leur a dit
qu'il avait reçu la visite d'un délégué de
l'Internationale communiste (en réalité, un représentant du
GPU) qui l'avait informé de la « décision d'éliminer
Trotsky » et avait demandé leur coopération « pour
mener à bien cette élimination ». Après une « analyse
vigoureuse », cependant, Campa déclare avoir rejeté la
proposition : « Nous avons conclu […] que Trotsky était
fini politiquement, que son influence était presque nulle,
d'ailleurs on nous l'avait dit assez souvent à travers le monde. Les
conséquences de son élimination feraient beaucoup de tort au
Parti communiste mexicain et au mouvement révolutionnaire du
Mexique et à l'ensemble du mouvement communiste international. Nous
avons donc conclu que proposer l'élimination de Trotsky était
clairement une grave erreur. » Mais Laborde et Campa ont été
accusés “d'opportunisme sectaire” pour leur opposition au projet
et d'être “mous concernant Trotsky”. Ils ont été chassés du
parti.
La campagne pour
préparer le Parti communiste mexicain à l'assassinat de
Trotsky a été réalisée par le biais d'un certain nombre de
dirigeants staliniens déjà expérimentés dans l'exécution
impitoyable des ordres de Moscou : Siqueiros lui-même, qui
avait joué un rôle actif en Espagne, était probablement un agent
du GPU depuis 1928. Victorio Codovilla, un stalinien
argentin qui avait opéré en Espagne sous la direction d'Eitingon,
avait été probablement impliqué dans la torture et le meurtre
d'Andreas Nin, dirigeant du POUM (Parti ouvrier
d'unification marxiste). Pedro Checa, dirigeant du
Parti communiste espagnol en exil au Mexique, avait reçu son
pseudonyme de la police secrète soviétique, la Tchéka.
Carlos Contreras, alias Vittorio Vidali, avait été actif
dans les forces spéciales du GPU en Espagne sous le pseudonyme de
“Général Carlos”. Le colonel Eitingon avait coordonné
leurs efforts.
Au Mexique : Natalia Sédova, l'artiste mexicaine Frida Kahlo, Trotsky, le camarade Shachtman |
Staline prépare un nouvel essai
Après l'échec de la
tentative de Siqueiros, Campa écrit
« une autre alternative a été mise en pratique.
Ramon Mercader, sous le pseudonyme de Jacques Mornard, a
assassiné Trotsky dans la soirée du 20 aout 1940 ».
Trotsky
se considérait en sursis. « Notre joyeux sentiment de salut »,
écrivait Natalia, « a été freiné par la perspective d'une
nouvelle attaque et de la nécessité de s'y préparer ».
(Natalia, Father and Son)
Les défenses de la maison de Trotsky ont été renforcées et de
nouvelles précautions ont été prises. Mais malheureusement
– tragiquement – aucun effort n'a été fait pour
enquêter de manière plus approfondie sur l'homme qui s'est avéré
être l'assassin, malgré les soupçons que plusieurs membres de la
famille avaient déjà eu sur ce personnage étrange.
Trotsky s'est opposé
à quelques-unes des mesures de sécurité supplémentaires suggérées
par ses secrétaire et gardes : contre le fait qu'un garde soit
à ses côtés à tout moment, par exemple. « Il
est impossible de consacrer sa vie uniquement à l'auto-défense »,
a écrit Natalia, « car dans ce cas, la vie perd toute sa
valeur ». Néanmoins, compte tenu de la nature vitale et
indispensable du travail de Trotsky et de l'inévitabilité d'une
attaque contre sa vie, il ne fait aucun doute qu'il y avait de graves
lacunes dans sa sécurité et que des mesures plus strictes auraient
dû être mises en œuvre. Peu de temps avant l'enlèvement de
Sheldon Harte, par exemple, Trotsky l'avait vu autoriser des
ouvriers passer librement dans et hors de la cour. Trotsky s'est
plaint de cette négligence et a ajouté – ironie du sort, ce
n'était que quelques semaines avant la mort tragique de Harte –
« Vous pourriez être la première victime de votre
propre négligence ».
Mercader a rencontré
Trotsky pour la première fois quelques jours après le raid de
Siqueiros. Mais les préparatifs pour cet assassinat dataient de plus
longtemps. Grâce à Zborowski et à d'autres agents du GPU qui
avaient infiltré les partisans de Trotsky aux États-Unis, Mercader
a été introduit en France auprès de Sylvia Ageloff, une jeune
trotskiste américaine qui est par la suite allée travailler pour
Trotsky à Coyoacan. L'agent du GPU a réussi à séduire
Sylvia Ageloff et à en faire la complice involontaire de son
crime.
Mercader avait une
couverture élaborée, même si elle a suscité beaucoup de soupçons.
Elle a malheureusement assez bien servi son but. Mercader avait
rejoint le Parti communiste en Espagne, et était devenu
militant actif dans la période de 1933 à 1936, quand le
parti était déjà stalinisé. Probablement grâce à sa mère,
Caridad Mercader, qui était un agent du GPU et était associée
à Eitingon, Ramon Mercader est entré au service du GPU. Après
la défaite de la République espagnole – aidée par le
sabotage stalinien de la révolution espagnole – Mercader
s'est rendu à Moscou, où il a été préparée à son futur rôle.
Après avoir rencontré Ageloff à Paris en 1938, il l'a
plus tard accompagnée au Mexique en janvier 1940 et s'est
progressivement introduit dans les bonnes grâces de la famille de
Trotsky.
Après cela,
Mornard/Mercader a organisé une rencontre avec Trotsky, sous
prétexte de discuter d'un article qu'il avait écrit – que
Trotsky considérait comme sans intérêt au point que cela en
devenait gênant. La première réunion était en fait très
clairement une “répétition générale” pour l'assassinat qui
devait suivre.
Il
s'est ensuite à nouveau rendu dans cette maison le 20 aout.
Malgré les réticences des gardes de Natalia et de Trotsky,
Mornard/Mercader a de nouveau été autorisé à voir Trotsky seul
– « Trois ou quatre minutes se sont écoulées »,
rapporte Natalia. « J'étais dans la chambre d'à côté. Il y
a eu un cri perçant, horrible […] Lev Davidovitch (Trotsky)
est apparu, appuyé contre le cadre de porte. Son visage était
couvert de sang, ses yeux bleus étincelants sans lunettes et ses
bras pendant à son côté […] Mornard avait frappé Trotsky d'un
coup fatal porté à l'arrière de la tête à l'aide d'un pic à
glace dissimulé dans son imperméable. Mais le coup n'avait pas
immédiatement été mortel ». « Trotsky a crié très
longuement, infiniment longuement », comme l'a précisé
Mercader lui-même, et s'est courageusement jeté sur son assassin,
ce qui a empêché d'autres coups de survenir.
« Le
médecin a déclaré que la blessure n'était pas très grave »,
dit Natalia. « Lev Davidovitch écouta sans émotion,
comme on le ferait d'un message classique de confort. Attirant
l'attention sur son cœur, il dit : « Je sens … ici …
que c'est la fin … cette fois … ils ont réussi. » »
(Vie et mort de Léon Trotsky, p. 268) Trotsky a été
transporté à l'hôpital, a été opéré et a survécu pendant plus
d'une journée pour finalement mourir à l'âge de 62 ans
le 21 aout 1940.
Mercader
semble avoir espéré disposer d'un traitement similaire à celui de
Siqueiros et pouvoir bénéficier d'une peine légère. Mais
il a été condamné à 20 ans de prison, qu'il a
effectivement prestées. Cependant, même après que son identité
ait été fermement établie avec ses empreintes digitales et
d'autres preuves, il a refusé d'admettre qui il était ou qui lui
avait ordonné d'assassiner Trotsky. Le crime a été quasiment
universellement attribué à Staline et au GPU, mais les staliniens
ont nié toute responsabilité. Cependant, la mère de Mercader, qui
s'était enfuie du Mexique avec Eitingon, a été présentée à
Staline et décorée ainsi que son fils. Mercader lui-même a été
honoré lors de son retour à l'Est après sa libération. En dépit
de son silence, toute une série de preuves sont arrivées, notamment
à partir du témoignage d'espions russes traduits en justice aux
États-Unis, de celui de certains des meilleurs agents du GPU qui ont
fait défection vers les pays occidentaux ou encore à partir des
mémoires de dirigeants staliniens eux-mêmes. Mercader faisait
clairement partie de la machine de terreur secrète de Staline.
En fin de compte,
Staline a réussi à tuer l'homme qui – aux côtés de
Lénine – était sans aucun doute le plus grand dirigeant
révolutionnaire de l'histoire. Mais, comme Natalia Sédova l'a
écrit par la suite : « Tout
au long de sa vie héroïque et magnifique, Lev Davidovitch a
cru en l'émancipation de l'humanité. Au cours des dernières années
de sa vie, sa foi ne s'est pas affaiblie, au contraire, elle était
devenue plus mature, plus ferme que jamais. L'humanité s'émancipera
de toute oppression et triomphera des exploitations de toutes
sortes. » (How it happened,
novembre 1940)
Une scène du film “L'Assassinat de Trotsky” (1972) |
L'héritage de Trotsky
De nombreuses
tentatives ont été faites de présenter Trotsky comme un personnage
tragique, comme si sa perspective d'une révolution socialiste dans
les pays capitalistes développés et d'une révolution politique en
Union soviétique était “noble”, mais désespérément
idéaliste. C'est le point de vue sous-entendu par Isaac Deutscher
dans le troisième volume de sa biographie Trotsky, le
prophète désarmé, dans laquelle il dénigre les efforts de
Trotsky pour réorganiser et ré-armer une nouvelle direction
marxiste internationale avec la création de la
Quatrième Internationale en 1938, rejetant le travail
tenace et minutieux de Trotsky comme futile.
Toute la vie de
Trotsky et son œuvre après la révolution russe victorieuse a été
indissolublement liée à la lutte révolutionnaire de la classe
ouvrière internationale, dans une première période de retraite,
puis de défaites catastrophiques. Pour la simple raison que Trotsky
a joué un rôle de premier plan dans la révolution d'Octobre, le
reflux de la révolution l'a contraint à l'exil et à l'isolement
politique. Mais alors que les sceptiques avaient abandonné les
perspectives marxistes et fait la paix avec le stalinisme ou le
capitalisme – ou les deux – Trotsky, et la petite
poignée qui était restée attachée aux idées de
l'Opposition de gauche, ont lutté pour ré-armer une
nouvelle génération de dirigeants révolutionnaires pour l'avenir
du mouvement de la classe ouvrière.
La Quatrième Internationale Sa tâche – l'abolition de la domination capitaliste Son objectif – le socialisme Sa méthode – la révolution prolétarienne |
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