Une intervention vouée à l'échec
Tandis que la bataille pour Kobanê fait rage, les forces de EI gagnent de plus en plus de terrain en Iraq
Tony Saunois,
secrétaire général du CIO
Obama et ses alliés occidentaux tels que Cameron au Royaume-Uni, voulaient faire croire qu'une politique d'intervention se limitant à des frappes aériennes suffirait à empêcher l'avancée des forces du groupe « État islamique » en Iraq et en Syrie. Mais à présent, tandis que se rapproche la perspective d'une défaite des forces kurdes qui combattent EI pour le contrôle de la ville de Kobanê, cette politique a prouvé son inefficacité. Les forces de EI avancent dans la ville et, au moment où nous rédigeons cet article, semblent sur le point d'engranger une nouvelle victoire. Alors qu'on fait état de scènes de massacres horribles dans la ville par les forces enragées du groupe réactionnaire qu'est EI, les frappes aériennes américaines sur les forces de EI n'ont eu que très peu d'effet et se sont avérées impuissantes à contrer leur progression. La population kurde de Kobanê mène une lutte courageuse tout autant que désespérée : elle sait que si elle ne vainc pas EI, c'est le massacre qui l'attend.
Ce n'est pas qu'en
Syrie que la politique de frappes aériennes prônée par Obama et
Cameron est vouée à l'échec. L'évolution de la situation en Iraq,
surtout dans la province d'al-Anbâr, dans l'ouest du pays (à la
frontière avec la Syrie, la Jordanie et l'Arabie), voit les forces
de EI effectuer de grandes percées. La province d'al-Anbâr, qui
compte pour près de 25 % du territoire iraqien, ainsi que
toutes les plus grandes villes de la province, à l'exception de
Haditha et de deux bases militaires près de Hit et de
Falloujah, sont tombées entre les mains de EI. Une fois de plus,
l'armée iraqienne a été mise en déroute sans avoir offert la
moindre résistance. Le bilan de l'incessante catastrophe humanitaire
en Iraq s'alourdit en conséquence avec le départ de la province de
750 000 nouveaux réfugiés.
Un désastre à tous points de vue |
Al-Anbâr
Il est maintenant
probable que les forces de EI se préparent à lancer une nouvelle
offensive dont l'objectif sera de s'emparer des quartiers ouest de
Bagdad, à majorité sunnite. La province d'al-Anbâr avait constitué
le cœur de l'insurrection sunnite contre l'occupation américaine
en 2003. Le facteur principal qui explique les victoires
actuelles de EI en Syrie et en Iraq n'est pas seulement la quantité
d'armes lourdes qu'il est parvenu à capturer à la suite de ses
victoires sur l'armée iraqienne, mais aussi au fait que cette
avancée a acquis le caractère d'une nouvelle insurrection sunnite
généralisée.
Les milices chiites
qui ont quelque peu progressé dans les quartiers nord et nord-est de
Bagdad, ont répondu aux attaques de EI d'une manière brutale et
sans chercher à distinguer les combattants de EI des simples civils
sunnites. Cela a contribué à pousser encore plus de sunnites à
rejoindre les rangs de EI, puisque nombre d'entre eux ne voient pas
d'autre force à même de les “défendre”. Les milices chiites
dans Bagdad parlent ouvertement de chasser les sunnites des quartiers
encore mixtes de la ville. Si les forces de EI ont pu trouver une
base sociale, c'est à cause de l'oppression perpétrée à
l'encontre de la population sunnite par le gouvernement iraqien de
Maliki, installé par les États Unis à la suite de l'invasion
de 2003.
Cette crise va
certainement s'intensifier à la suite de ces évènements en Iraq,
avec la possible chute de Kobanê entre les mains des forces de EI.
En Turquie, le régime du Premier ministre Erdoğan a
consciemment refusé toute intervention contre les forces de EI qui
marchaient sur Kobanê, car il craint qu'une victoire des forces
kurdes qui défendent Kobanê n'encourage la lutte de libération
nationale des 15 millions de Kurdes dont le territoire
appartient à la Turquie. La plupart des combattants à Kobanê sont
regroupées dans les unités de protection populaire dirigées par le
Parti de l'union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat)
de la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK,
Partiya Karkerên Kurdistan) dont la base se trouve en Turquie.
Ce serait un grand soulagement pour le régime Erdoğan de voir la
ville tomber entre les mains de EI plutôt que de voir le PYD sortir
victorieux de cette bataille. On voit d'ailleurs que des accords
semblent avoir été conclus entre lui et EI à ce sujet, vu la
récente libération d'otages turcs par EI.
Les milices de EI contribuent à semer la discorde parmi la population iraqienne |
Aucune confiance dans les dirigeants régionaux ni dans l'impérialisme
Nous ne pouvons
accorder la moindre confiance dans les dirigeants régionaux ni dans
l'impérialisme occidental en ce qui concerne la résolution de cette
crise. Aucune “solution” proposée par ces puissances ne
permettra d'améliorer le sort de l'ensemble de la population de la
sous-région. L'intervention impérialiste occidentale ne fait
qu'aggraver le désastre. D'ailleurs, faut-il rappeler que la crise
actuelle tire en grande partie ses origines de la série
d'“interventions” impérialistes qui ont eu lieu dans toute la
sous-région au cours des dernières années ? Nous ne pouvons
pas avoir la moindre confiance non plus dans les élites et
dirigeants sunnites ou chiites des différents pays de la
sous-région, qui ne s'impliquent dans ce conflit que dans le but de
satisfaire leurs propres intérêts. La Turquie cherche à renforcer
son expansion en Syrie, désireuse de rétablir son empire sur cette
région comme à l'époque ottomane.
Obama parle
maintenant de mettre en place une coalition avec des puissances
sunnites telles que l'Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes
unis afin de contrer EI. Cependant, même si certaines des dynasties
corrompues et répressives au pouvoir à la tête de ces pays ne
soutiennent pas pleinement les actions de EI, d'autres l'ont
activement soutenu ; et toutes ont leurs propres intérêts à
défendre, qui ne sont pas ceux d'Obama. Pour elles, vaincre EI n'est
pas une priorité. De plus, sur le court terme, ces régimes
considèrent que EI cause et causera plus de problèmes à leurs
rivaux chiites (au Liban, en Iran, etc.) qu'à eux-mêmes.
Les États-Unis ont une manière bien particulière de participer au développement du Moyen-Orient |
Il faut un mouvement uni des masses
Afin de contrer la
terreur semée par EI et par les autres forces sectaires
réactionnaires dans la sous-région, il faut construire un mouvement
uni des masses arabes sunnites et chiites ensemble avec les Kurdes,
les Turcs et les autres peuples de la sous-région. Pour combattre la
menace réactionnaire et sanglante que fait peser EI sur Kobanê et
ailleurs en Syrie et en Iraq, il faut mettre sur pied des comités
dont la tâche sera de former des milices de masse. Il faut lutter
pour contraindre la Turquie à lever l'embargo sur les armes, afin
d'armer ces milices d'auto-défense. En Turquie, il faut former des
comités de travailleurs turcs et kurdes pour mener une lutte unie.
La construction de comités de masse mixtes regroupant sunnites et
chiites en Iraq, ensemble avec le peuple kurde, contre les forces
sectaires, quelles qu'elles soient, nous permettra d'aller de
l'avant.
Ces comités pourraient former la base d'un nouveau
gouvernement – un gouvernement des travailleurs, des paysans
et de tous les exploités du capitalisme et de l'impérialisme. Une
fédération socialiste des États de la sous-région, constituée
sur une base volontaire et égalitaire, serait seule à même de
garantir les droits démocratiques, nationaux, ethniques et religieux
pour toute la population de la sous-région.
Femmes kurdes au combat pour la défense de Kobanê – un péché mortel pour EI |
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