Une révolte des travailleurs
Même si le “Non”
a gagné, le référendum sur l'indépendance a complètement
bouleversé la vie politique au Royaume-Uni. La campagne pour le
“Oui” s'est changée en une mobilisation de masse dans les
quartiers ouvriers : contre l'austérité et contre la politique
bourgeoise corrompue, et pour un avenir positif. Il s'agit d'un point
tournant, ce qui soulève d'importantes questions pour les
socialistes.
Le référendum pour
l'indépendance en Écosse a été remarquable à de nombreux
égards : l'énorme politisation et l'intense polarisation de
classe, plus le fait que les masses commencent à intervenir de
manière active dans la vie politique, surtout du côté des couches
les plus opprimées de la classe des travailleurs, qui cherche
maintenant à reprendre son avenir en main, là où la politique
était jusqu'ici au Royaume-Uni considérée comme la chasse gardée
de l'élite auto-proclamée qui domine ce qu'elle appelle le “débat
politique”. Vu le déclenchement des passions qu'il a suscité, ce
référendum a complètement chamboulé le paysage politique du
Royaume-Uni : « Plus rien ne sera comme avant », ont
même concédé plusieurs analystes bourgeois. Plus remarquable
encore, ce référendum aura également d'importantes conséquences
sur la vie politique dans d'autres pays. L'Écosse, ce petit pays
d'une taille et population comparables à celles du Togo (5 millions
d'habitants, 80 000 km²), mais doté d'une importante
histoire de résistance ouvrière, fait à présent vaciller l'Europe
et le monde dans leurs fondements.
Les dirigeants
mondiaux, de Barack Obama à Xi Jinping en passant par le
pape François, se sont rassemblés pour appeler de tous leurs
vœux au rejet de l'indépendance pour l'Écosse. La classe
dirigeante britannique qui régnait naguère sur un quart de la
population mondiale, a été si terrifiée de cette potentielle
atteinte à son prestige et à sa réputation mondiale, qu'elle a
déversé des seaux entiers de calomnies et d'injures contre le
mouvement indépendantiste. « Le monde entier dit “Non” à
l'indépendance de l'Écosse », s'écriait Phillip Stephens
dans le Financial Times. Quelques jours avant la date du
référendum, le même magazine décrivait bien l'effroi qui régnait
parmi les capitalistes : « L'élite dirigeante tremble
d'effroi tandis que l'Union vacille […] Offensive majeure des
patrons contre le “Oui” […] 90 % des patrons sont contre
le “Oui” »
Surprise, surprise,
le Fonds monétaire international a lui aussi été recruté
dans ce front anti-indépendance, prophétisant des « risques
de récession sur les marchés ». Alan Greenspan,
ex-président de la banque centrale américaine, aux affaires au
moment de la plus grande catastrophe économique et financière de
l'histoire après la crise des années '30 et qu'on n'avait plus
vu depuis un bon moment, est tout à coup réapparu pour dire que
« Voter “Oui” serait une grave erreur économique pour
l'Écosse et une catastrophe géopolitique pour l'Occident ».
Et si l'Écosse avait réellement voté pour l'indépendance, elle
aurait été punie : « Les Écossais découvriront le
véritable gout de l'austérité », grondait déjà le
Financial Times.
Pourquoi toute cette
hystérie de la part des poncifes du capitalisme, toute cette
exagération, au vu du peu d'importance que représente somme toute
l'Écosse ? L'explication se trouve non pas en Écosse, mais à
l'étranger, lorsqu'on voit l'écho formidable qu'ont suscité les
évènements écossais parmi les masses d'Europe et du monde entier,
lorsque tant de pays sont eux-mêmes confrontés à leurs propres
crises nationales. Vu le bouillonnement parmi les masses catalanes
échaudées, Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, a
tout naturellement perçu l'indépendance de l'Écosse comme un
« désastre » qui ne ferait « qu'aggraver la crise
économique en Europe et qui mènerait sans doute à la
désintégration de l'Union européenne ».
En réalité, ce que
craignent les dirigeants espagnols, c'est la « balkanisation »
de l'Espagne (pour reprendre leurs termes), c'est-à-dire
l'auto-détermination et l'indépendance du peuple catalan, puis du
peuple basque. Le mouvement catalan a été grandement revigoré par
le simple fait qu'un référendum se passe en Écosse. « Comment
Cameron a-t-il pu se faire piéger comme ça ? »,
grommèlent les dirigeants bourgeois dans toute l'Europe. En Espagne,
les Catalans et autres nationalités réclament à présent leur
propre référendum – ce que les gouvernements refusent
catégoriquement. Pendant ce temps, en Italie, c'est l'effervescence
dans le Haut Adige / Sud-Tyrol, dont la population de langue
majoritairement allemande réclame elle aussi le droit à
l'auto-détermination, tandis que la Ligue du Nord (parti
de droite nationaliste) redouble aussi d'activité en vue d'obtenir
l'indépendance pour l'Italie du Nord.
Drapeau écossais flottant dans une manifestation pro-indépendance en Catalogne |
Les socialistes et la question nationale
Ces exemples qui
illustrent l'impact international de l'intense débat écossais
autour de l'indépendance montrent qu'il n'y a en fait pratiquement
aucun pays aujourd'hui dont la question nationale ne risque à
présent d'exploser à tout moment. Depuis le début de la crise
économique mondiale, la question nationale est revenue en force dans
des régions ou des pays où cette question semblait avoir pourtant
été résolue depuis longtemps.
Cela signifie que le
mouvement syndical, et en particulier pour les militants qui se
disent socialistes ou marxistes, ne peut simplement ignorer cette
question comme si de rien n'était. Il nous faut nous positionner,
mais ce faisant, il est nécessaire d'éviter de tomber dans le piège
de l'opportunisme (en se laissant entrainer par le nationalisme
capitaliste ou bourgeois), tout en évitant également une approche
propagandiste abstraite et vide qui ne nous permettra jamais d'entrer
en lien avec le mouvement réel de la classe des travailleurs, et
certainement pas avec ses couches les plus opprimées.
Tout au long des
quarante dernières années, les forces du marxisme rassemblées dans
le groupe Militant qui est ensuite devenu le Socialist Party
(sections du CIO au Royaume-Uni) ont systématiquement soutenu les
aspirations légitimes du peuple écossais dans le cadre de la
question nationale. Alors que les dirigeants syndicaux (pas seulement
l'aile droite mais aussi la “gauche” du style Neil Kinnock)
s'opposaient même au transfert de compétences très limité donné
à l'Écosse dans les années '70, nous avons soutenu cette
avancée. Nous n'avons cependant jamais entretenu la moindre illusion
dans le fait que l'indépendance serait la “solution finale” à
tous les problèmes de la population écossaise.
En même temps que
nous défendons le droit à l'auto-détermination du peuple écossais,
nous n'avons jamais appelé à la balkanisation de pays composés de
différents groupes ethniques. Il est absurde d'imaginer qu'un pays
seul, surtout s'il s'agit d'un petit pays, puisse dans le monde
actuel prospérer et résoudre tous ses problèmes en se coupant du
reste du monde. Dans ce monde mondialisé, il est impossible de faire
cela seul. Les efforts consentis par les capitalistes européens en
vue de l'“unité”, consacrés par l'Union européenne,
expriment justement cette nécessité pour les forces productives
– la science, la technique, l'organisation du travail –
d'une organisation à échelle continentale, voire mondiale. Mais les
capitalistes ne pourront jamais totalement dépasser les limites
posées par la propriété privée des moyens de production et par
l'existence des États-nations. La seule force capable de réaliser
cette unité est la classe des travailleurs, dans le cadre d'une
lutte unie pour des États-Unis socialistes d'Europe.
Par conséquent, tout
en luttant pour une Écosse indépendante et socialiste, nos
camarades de la section écossaise du CIO appellent à la création
d'une confédération socialiste d'Écosse, d'Angleterre, du pays de
Galles et de l'Irlande unie, en même temps qu'à une Europe
socialiste. Il est arrivé dans le passé que nous nous soyons
déclarés contre l'indépendance de l'Écosse en tant que
revendication immédiate, surtout en tant que slogan. C'est parce
qu'à ce moment, l'indépendance n'avait pas le soutien d'une part
assez importante de la population. Dans ce cas, le fait par exemple
pour notre section anglaise d'appeler à l'“auto-détermination”,
voire à l'indépendance de l'Écosse, c'est-à-dire, à la
séparation, aurait pu être interprété par de nombreux
travailleurs écossais comme signifiant que nous, travailleurs
anglais, qui constituons la majorité, ne désirons plus vivre avec
eux, travailleurs écossais, dans le cadre d'un État uni. Cependant,
une fois que l'idée d'indépendance s'est emparée des cœurs des
masses, gagnant le soutien de la majorité ou du moins, d'une
importante minorité, nous étions face à une situation complètement
différente.
La direction du
mouvement en Écosse est claire depuis longtemps. L'élection du
Parti national écossais (SNP) en tant que parti
majoritaire du parlement écossais a été perçu comme une étape
importante sur la route vers l'“indépendance”, surtout pour les
couches les plus dynamiques des travailleurs qui sont montés au
créneau dans le cadre de la campagne pour le référendum. Une part
importante de la jeunesse (entre 40 et 50 %) était
déjà conquise à l'idée de l'indépendance depuis avant même
qu'on ne commence à parler de référendum. La tâche des marxistes
est d'apporter un soutien à ce mouvement de manière générale,
tout en cherchant à lui donner un contenu socialiste. Nous avons
fait cela en soulignant à chaque fois les contradictions (c'est un
euphémisme) du SNP qui veut rester dans le cadre du capitalisme, ce
qui signifie que la plupart des revendications sociales qui ont
poussé les gens à voter “Oui” n'auraient jamais pu être
réalisées. Au contraire, le futur de l'Écosse n'aurait été rien
d'autre qu'une austérité sauvage, à moins que les travailleurs
écossais n'utilisent les pouvoirs conférés par l'indépendance
pour rompre avec le capitalisme.
Alex Salmond rêve d'une Écosse indépendante et capitaliste prospère |
Les erreurs commises par la gauche
La campagne pour le
“Oui” a été l'occasion rêvée pour contre-carrer les plans du
capitalisme britannique faits d'attaques systématiques contre la
classe des travailleurs. C'est pourquoi les pancartes pour le “Oui”
déclaraient « Chassons les Tories du pouvoir, à jamais ».
Hélas, l'indépendance n'aurait pas eu en soi ce résultat de
manière automatique, vu que l'Écosse aurait alors hérité d'un
gouvernement SNP qui se dit contre l'austérité mais qui la
mène en pratique, avec des coupes budgétaires et un soutien aux
grandes entreprises. Mais le slogan anti-Tory montre bien quels
sentiments de classe se trouvaient derrière le vote en faveur de
l'indépendance.
Considérant ceci,
nous trouvons incroyable que des militants se réclamant de la
gauche, tels que George Galloway, se soient si farouchement
opposés à l'indépendance, partageant la même plateforme que les
Tories, les libéraux-démocrates, et qu'un Ed Miliband en perte
rapide de crédibilité. Malgré le rôle héroïque joué par
George Galloway dans le passé en opposition à la guerre d'Iraq
et malgré sa défense continue des idées du socialisme, celui-ci
s'est vu hué par une grande partie des lycéens qui étaient venus
participer à un débat pour les 16 ans. Mais il n'était pas le
seul dans ce cas, surtout lorsqu'il s'est mis à déclarer que « Ce
serait la fin de l'austérité » et qu'on aurait un
« Gouvernement travailliste qui reviendrait aux valeurs
de 1945 » d'ici 2015.
En effet, le
Parti communiste britannique (CPB), lié au journal
Morning Star, s'est lui aussi retrouvé du mauvais côté de la
barrière. Sa position était : « Le vote pour le “Non”
au référendum doit constituer un tremplin pour la mobilisation du
mouvement des travailleurs dans tout le Royaume-Uni afin de réclamer
un changement constitutionnel » (Déclaration sur
l'indépendance de l'Écosse, 4 mars 2014). Comment
réaliser cette mobilisation tout en s'opposant aux aspirations de la
masse des travailleurs écossais, cela reste un mystère. Et quelles
étaient les raisons du CPB pour s'opposer au “Oui” ? « Le
fait qu'elle soit membre de la zone sterling subordonne l'Écosse à
la politique néolibérale actuelle, sans aucun pouvoir pour la
modifier, ce qui ôte en même temps toute possibilité d'une action
ouvrière unie à travers les différentes nations du Royaume-Uni […]
Pire, le fait que l'Écosse serait toujours membre de
l'Union européenne forcerait l'Écosse à incorporer dans sa
constitution les termes du Traité de stabilité, coordination et
gouvernance de 2012 ».
Mais pourquoi cela
découlerait-il de l'indépendance ? Puisque tout de même, dans
le cadre d'une Écosse indépendante, les travailleurs auraient
surement la possibilité de refuser l'entrée dans l'Union
européenne ? Le CPB semble hypnotisé par le fait que l'Écosse
fasse partie de la zone sterling, tout comme de l'UE. Mais même sans
cela, le fait d'appartenir de l'un ou l'autre de ces blocs n'a tout
de même jamais empêché les travailleurs ni du Royaume-Uni, ni de
l'Europe, de résister aux patrons et de s'opposer aux lois
anti-syndicales et anti-sociales ?
L'argument
sous-entendu ici est que le fait de soutenir l'indépendance de
l'Écosse diviserait automatiquement les travailleurs. Pourtant, il
est possible de soutenir l'indépendance tout en se battant pour les
travailleurs et pour leur unification. C'est ce qu'on fait Karl Marx
et Vladimir Lénine il y a déjà plus d'un siècle de
cela. D'ailleurs, le mouvement marxiste a toujours été impliqué
dans des luttes nationales, depuis l'époque de Marx lui-même. Par
exemple, Marx soutenait de manière générale l'idée d'un État
uni. Pourtant, Engels et lui ont toujours obstinément appelé à
l'indépendance de l'Irlande. Selon Marx, la question d'une
fédération libre de la Grande-Bretagne et de l'Irlande ne pourrait
se poser dans le cadre d'un débat libre qu'une fois l'indépendance
obtenue pour l'Irlande.
Lénine a approfondi
cette approche lorsqu'il enseignait aux travailleurs de Russie à
défendre le droit à l'auto-détermination des nations opprimées
par le tsarisme. Pour Lénine, ce n'est qu'en défendant le droit à
la liberté de ces nations que les travailleurs russes pourraient
gagner leur confiance. En leur offrant après indépendance la
possibilité de s'unifier à la Russie dans le cadre de républiques
socialistes et démocratiques, ses nations ne se retrouveraient donc
pas dans l'isolement, mais dans le cadre d'une alliance fraternelle
et librement choisie avec les masses de Russie. La validité de cette
approche a été brillamment démontrée par le cours de la
révolution russe. Les bolchéviks ont reconnu le droit à
l'auto-détermination jusqu'à l'indépendance, et s'y sont tenus :
c'est ainsi que la Finlande a acquis son indépendance en 1918.
Les arguments du CPB
et d'autres petites organisations de gauche, y compris certains
soi-disant “marxistes”, ne font que reprendre les arguments de
Rosa Luxemburg, qui s'opposait à l'idée d'auto-détermination
prônée par Lénine et les bolchéviks, de même qu'à leur idée de
redistribuer la terre aux paysans après leur prise du pouvoir
en 1917. Elle considérait ces revendicatinos comme représentant
un pas en arrière. Au contraire, les bolchéviks sont parvenus
à unifier la classe des travailleurs parce qu'ils s'opposaient au
nationalisme bourgeois – tout comme le Comité pour une
Internationale ouvrière (CIO) le fait dans le cadre de la question
écossaise.
Lénine expliquait
que, parfois, il est possible de faire un pas en arrière afin de
faire deux pas en avant. Lorsque la terre est redistribuée aux
paysans, c'est pour pouvoir gagner la confiance des paysans, qui ne
pourraient être convaincus de la nécessité d'organiser
l'agriculture à grande échelle qu'au cours d'une longue période et
seulement avec leur consentement. C'est la même chose en ce qui
concerne la question nationale et l'auto-détermination : elle
permet aux nations opprimées d'obtenir satisfaction de leurs propres
revendications, de faire l'expérience dans la pratique du fait que
l'union est nécessaire afin de rassembler les forces productives à
une plus grande échelle, ce qui mène à une confédération
volontaire.
Le CIO est la seule
organisation qui maintient une position cohérente sur la question
nationale, que ce soit au Royaume-Uni ou dans le reste du monde. Le
Parti ouvrier socialiste (SWP), par exemple, lorsqu'on parlait
du transfert de compétences à l'Écosse dans les années '70,
disait que : « Si un référendum est un jour organisé en
Écosse ou au pays de Galles, nous nous abstiendrons. Cela ne
signifie pas que nous ne participerons pas au débat […] Notre
abstention nous définira par rapport au reste de la gauche qui
battra en retraite apeurée par ce nouveau réformisme, tout en nous
permettant de ne pas être assimilés au camp nationaliste,
britannique, unioniste » (La Question nationale,
septembre 1977). Cette politique a pourtant été abandonnée
depuis, sans aucune explication.
George Galloway, figure publique de la gauche, a appelé à voter “Non” |
Le problème des référendums
Il est vrai que la
forme qu'a revêtu la lutte pour l'indépendance dans ce cas n'a pas
été une forme idéale. Les référendums ne sont pas l'arme
préférée de la classe des travailleurs et de ses organisations.
Les référendums sont par contre souvent utilisés par les
dictatures et les régimes non démocratiques afin de renforcer
leur position, en présentant à la population un choix simple :
“Oui” ou “Non”. Le mouvement ouvrier et notamment les forces
socialistes se voient parfois contraints de participer dans le
référendum dans le même camp que des forces bourgeoises ou
pro bourgeoisie, allant jusqu'à partager une même plateforme,
entrainant le risque politique que ces organisations de gauche ne
parviennent pas à faire passer leur message ou leur programme à
travers celui des autres forces.
Les référendums
peuvent aussi constituer un piège pour les forces véritablement
socialistes si au cours de la campagne ces forces ne se différencient
pas clairement du point de vue politique, en termes de perspectives
et de programme, de leurs “alliés” nationalistes du jour. Cela
ne veut pas dire que nous devons directement attaquer les autres
forces qui partagent notre camp pour le référendum. Parfois, il
suffit d'expliquer notre point de vue, ce qui est assez pour que les
travailleurs comprennent la différence entre nous et les
nationalistes. Avec assez d'habileté, notre public, surtout les
travailleurs, tirera de lui-même les conclusions politiques qui
conviennent. Cependant, dans d'autres occasions, il pourrait s'avérer
nécessaire de nous différencier de manière nette en termes de
programme et de perspectives par rapport, par exemple, aux
nationalistes bourgeois ou petit-bourgeois – comme le SNP –
ou au nationalisme de gauche.
Les forces du CIO,
qui ont participé à la campagne du référendum écossais, ne sont
pas tombées dans le piège qui consistait à renforcer le SNP. Tout
en soutenant énergiquement la campagne pour le “Oui”, le
Parti socialiste écossais (Socialist Party Scotland,
SPS, section écossaise du CIO) a pris part à une magnifique
campagne indépendante, orientée vers la classe des travailleurs,
qui est parvenue à attirer des centaines de milliers de
travailleurs écossais enthousiastes dans le cadre de débats et
meetings avec Tommy Sheridan et des figures publiques membres du
SPS. Même Rupert Murdoch, le grand patron de la presse ennemi
juré de Tommy, a reconnu cela lors d'une déclaration où il se
plaignait que les “gauchos” étaient trop visibles dans la
campagne pour le “Oui”.
De plus, notre
position a été détaillée en détail dans notre programme pour une
Écosse indépendante, ce qui contrastait avec les perspectives
fausses des nationalistes qui se contentaient de dépeindre un avenir
rose bonbon pour l'Écosse dans le cadre du système
capitaliste. Le SNP dans le passé se basait sur l'exemple de
nombreux pays capitalistes “nordiques” afin d'étayer sa
position : l'Irlande, l'Islande, la Suède, la Norvège…
Pourtant tous ces pays aujourd'hui ne sont plus que le témoignage
des conséquences dévastatrices de la crise économique mondiale. Le
référendum a indiqué un rejet massif de l'austérité, qu'elle
soit imposée par Westminster ou par Edinburgh (c'est-à-dire,
qu'elle vienne de l'Angleterre ou de l'Écosse). L'analyse
démographique du vote a bien montré que la classe des travailleurs,
surtout dans les zones où vivent ses couches les plus miséreuses et
les plus opprimées, dans les quartiers ouvriers de Glasgow, de
Dundee, dans le West Dunbartonshire et le North Lanarkshire,
a massivement voté pour le “Oui” à l'indépendance, de même
qu'une immense majorité de 16-17 ans.
Les manœuvres des Tories
S'il fallait un jour
donner un exemple de ce genre de “nationalisme” qui, selon les
mots de Trotsky, reflète « l'enveloppe externe d'un bolchévisme qui
n'a pas encore muri », alors ce vote considérable de la classe
des travailleurs écossais constitue un cas d'école. Dans les
esprits des masses, l'idée de l'“indépendance” était
organiquement liée à l'idée d'une indépendance totale vis-à-vis
de ceux qui ont imposé dans le passé la capitation (“poll tax”),
la taxe du logement, la persécution des handicapés et des malades,
etc.
Ce sentiment est
toujours là. Deux semaines avant le référendum,
David Cameron, certain de sa défaite à venir, se préparait
déjà à la fin de sa carrière politique. Même les autres Tories
réclamaient sa tête. Si l'Écosse avait voté pour le “Oui”,
Cameron aurait vu son propre parti lui donner un “Non”
retentissant ! Mais en cours de route, une campagne de terreur
massive est parvenue à rallier la grande majorité de la classe
moyenne et des “sans avis” et à les forcer à voter “Non”
– grandement aidée en cela par l'intervention cruciale de la
direction du Parti travailliste, notamment par Gordon Brown,
qui a à cette fin fait usage de tout le capital politique dont il
pouvait encore disposer.
La campagne féroce
pour le “Non” a eu un effet au dernier moment. Le journaliste
Matthew d'Ancona écrivait dans le Sunday Telegraph :
« Le sondage réalisé après le référendum par Lord Ashcroft
a révélé que 19 % de ceux qui ont voté pour le “Non” ont
pris cette décision il y a moins d'un mois – ce qui montre
bien le résultat de la campagne frénétique lancée par le camp
unioniste au cours de cette période ».
Cependant, ce
résultat a créé presque autant de problèmes pour la classe
dirigeante britannique que l'indépendance aurait pu en causer.
Cameron, en vrai joueur comme à son habitude, a annoncé, quelques
heures après l'annonce du résultat officiel, qu'il honorerait sa
promesse de donner plus de pouvoirs au parlement écossais en termes
de taxes et de budget social. Mais il a ajouté que « De
nouveaux pouvoirs pour les Écossais doivent être contrebalancés
par de nouveaux pouvoirs pour les Anglais ».
Cela constitue donc
une menace pour dire que, si l'Écosse n'est pas d'accord là-dessus,
alors elle n'obtiendra pas non plus les nouvelles compétences qu'on
lui avait “promises”. Toutefois, ce serait vraiment “jouer avec
le feu” en Écosse, comme l'a averti le désormais ex-dirigeant du
SNP, Alex Salmond. Cameron n'a en réalité pas le choix que de
faire des concessions, s'il ne veut pas se retrouver avec une révolte
encore pire que celle qu'il vient de voir au cours du référendum.
Sa proposition vise clairement à attiser le nationalisme anglais, au
vu des élections nationales qui seront organisées dans quelques
mois, avec en plus l'avantage, dans son esprit, de damer le pion au
parti Ukip (Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, droite
nationaliste) et de déstabiliser Miliband et son Parti travailliste.
Cette proposition ne
va sans doute pas se réaliser avant les prochaines élections.
Cependant, il est épatant de voir à présent l'ensemble des Tories
qui passent à la télévision – que ce soit Cameron,
Heseltine, Hague, etc. – réclamer, au nom d'une “plus
grande démocratie”, que les 59 députés écossais (dont
41 travaillistes) n'aient plus le droit de voter au parlement
sur des affaires “spécifiquement anglaises”.
Leur raisonnement est
que, si Miliband gagne les élections en mai l'an prochain, il ne
sera pas capable de mettre en œuvre son programme parce que les
députés écossais ne pourront pas voter concernant des enjeux
cruciaux – ce débat ne date pas d'hier, il constitue au
Royaume-Uni ce qu'on appelle la “question du West Lothian”.
Malgré cela, Will Hutton faisait remarquer dans The Observer
que : « La commission McKay sur la décentralisation des
compétences a noté que depuis 1914, il n'y a eu que
deux périodes pendant lesquelles le parti au pouvoir n'avait
pas en même temps la majorité au parlement : 1964-1966, et
mars-octobre 1974. De plus, selon les recherches du portail
citoyen mySociety, sur 5000 votes au parlement depuis 1997,
seuls 21 ont vu leur résultat final dépendre des voix des
députés écossais ».
La proposition de
décentralisation a été signée non seulement par les cadres
tories, mais aussi par Nick Clegg des libéraux-démocrates.
Cela inclut “plus de compétences” pour les grandes villes et
régions. Le but est clairement de conférer plus de pouvoirs aux
maires dictatoriaux et antidémocratiques tels que Boris Johnson,
le maire de Londres, afin qu'ils puissent mener leur propre politique
antisociale brutale, comme l'offensive contre les guichets de vente
de tickets qui est en train de se dérouler en ce moment dans le
métro de Londres.
En réalité, les
conseillers communaux n'ont que très peu de pouvoir de contrôle sur
les décisions des maires et des échevins. Cette proposition de
centralisation a pour objectif évident de permettre à ces seconds
couteaux d'organiser leurs propres coupes budgétaires à l'échelle
locale. Tout cela fait partie d'un programme général d'attaque sur
le niveau de vie de la classe des travailleurs. Nous devons nous y
opposer de manière intransigeante avec nos propres
contre-propositions émanant du mouvement syndical. Il faut abolir le
règne des maires et des collèges échevinaux au niveau local, pour
revenir à une véritable démocratie et à des conseillers communaux
soumis au contrôle de leurs électeurs.
Ed Miliband et le Parti travailliste se sont farouchement opposés à l'indépendance |
Des occasions à saisir
Cameron est sorti
vivant du référendum, mais il s'est quand même pris une belle
raclée. Il est temps à présent d'en finir avec l'ensemble de cette
bande de Tories et avec tous les politiciens capitalistes qui
menacent d'entrainer les travailleurs toujours plus loin dans le
gouffre. L'Écosse a démontré que la classe des travailleurs est
plus que mure pour une alternative politique conséquente. Les
évènements qui ont entouré le référendum, surtout parmi la
classe des travailleurs, révèlent le potentiel pour un mouvement du
type du “Podemos” espagnol. En Espagne, ce nouveau mouvement
radical (dont le nom signifie “On peut”) a surgi de nulle part,
et en à peine six semaines, a engrangé 1,2 millions de
voix pour les élections européennes. Le même potentiel existe à
présent en Écosse si Tommy Sheridan, en alliance avec les
marxistes et d'autres forces de gauche ou ouvrières comme les
syndicats, surtout les plus radicaux tels que le RMT (syndicat du
rail, de la marine et des transports), décide de se lancer et de
créer une alternative socialiste radicale capable d'attirer tous les
travailleurs et les jeunes qui ont été si inspirés par la campagne
pour l'indépendance.
Malheureusement, au
lieu de prendre des mesures énergiques pour la fondation d'un
nouveau parti des travailleurs, Tommy dit maintenant : « Je
suggère que le mouvement pour “Oui” promeuve à présent l'unité
en soutenant le candidat pro-indépendance qui a le plus de chances
de remporter les élections générales de mai de l'an prochain. Cela
veut dire appeler à voter pour le SNP afin de tenter de déloger
autant de partisans du “Non” que possible ».
Cette déclaration a
été faite sans aucune consultation – pour autant que nous en
sachions – avec ceux qui ont été ses plus proches
collaborateurs et partisans au cours de la campagne retentissante
“Espoir contre peur”. C'est notre message socialiste, combiné à
un soutien inflexible pour l'indépendance, qui a attiré des
milliers de travailleurs qui restent profondément opposés et
prudents par rapport au SNP. Tommy nous suggère maintenant
d'abandonner les leçons qui ont été tirées de cette campagne.
Selon lui, la classe des travailleurs devrait à présent s'aligner
derrière le SNP, malgré le fait que ce parti ait appliqué la
politique d'austérité et est prêt à poursuivre sur cette ligne,
même avant les élections de 2015.
Si nous acceptions la
suggestion de Tommy, cela voudrait dire que des milliers de
socialistes se retrouveraient à soutenir un programme d'austérité,
en reléguant à nouveau notre programme socialiste à “plus tard”,
au nom de l'“intérêt national”. Qu'est-ce donc que cela, si ce
n'est une répétition lamentable de 1918 en Irlande lorsque, après
l'indépendance, les nationalistes irlandais ont déclaré que “le
socialisme attendra”, et que les dirigeants syndicaux lâches comme
Thomas Johnson ont accepté cela ? Les travaillistes
irlandais ont alors laissé le champ libre aux nationalistes et au
Sinn Fein, avec des conséquences désastreuses pour la classe
des travailleurs.
Tommy dit aussi :
« Nous devons insister sur le fait que tous les candidats
pro-indépendance aux élections écossaises de 2016 exigent un
nouveau référendum en mars 2020 ». Vraiment !
Pourquoi attendre quatre ans avant d'organiser un référendum ?
D'ailleurs, au cas où le camp pro-indépendance constituerait la
majorité au parlement écossais, pourquoi passer par l'étape du
référendum ? Mais dans ce cas, le référendum pourrait être
organisé immédiatement et avec un score écrasant pour le “Oui”.
Mais il nous faut
rejeter ces propositions pour d'autres raisons encore. Tommy dit
que : « L'union, c'est la force. Il ne faut pas que nos
différences puissent affaiblir notre combat ». Mais cela ne
peut s'appliquer entre des partis pro-travailleurs et des partis
pro-capitalistes comme le SNP, qui vont inévitablement trahir les
aspirations de ceux qu'ils auront pu duper en les convaincant de
voter pour eux. Si cette alliance était mise en œuvre, elle aurait
pour effet de saboter l'indépendance de la classe des travailleurs
écossais et leur capacité à résister à l'offensive qui sera
lancée sur eux par les capitalistes du monde entier.
La lutte autour du
référendum a démontré ce que peut obtenir une campagne socialiste
indépendante. Il nous faut poursuivre sur cette lancée. C'est là
la véritable leçon du référendum écossais. L'idée que
l'indépendance de l'Écosse est « enterrée jusqu'à la
prochaine génération », comme le dit Salmond, est fausse. Le
génie est sorti de sa bouteille, la revendication d'une Écosse
indépendante et socialiste ne va à présent que gagner en
intensité, au fur et à mesure que la crise du capitalisme va
s'aggraver, provoquant une révolte de masse.
Tommy Sheridan s'adresse à la foule qui n'a pas pu entrer dans la salle où se déroulait un des meetings de sa tournée pour une Écosse indépendante et socialiste |
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