Perspectives mondiales : l'Occident
Début décembre 2014, s'est tenue une réunion du Comité exécutif international du CIO (CEI), une structure composée de 2-3 délégués de chaque section nationale du CIO, élus lors de notre Congrès mondial bisannuel. Comme lors de chacune de ces réunions, le CEI a débattu de l'actualité mondiale, région par région, pays par pays, ainsi que de l'état d'avancement de notre travail dans nos différentes sections, pour ensuite déterminer notre ligne politique au niveau international, cela en vue d'encourager, accompagner, structurer et guider le processus de la révolution mondiale à venir jusqu'à l'année prochaine.
Ce rapport est en sept parties : 1) Économie mondiale et grandes tendances géopolitiques ; 2) États-Unis et Europe ; 3) Moyen-Orient/Afrique du Nord et Europe de l'Est ; 4) Asie du Sud et de l'Est + Afrique ; 5) Amérique latine (tendances et Amérique centrale) ; 6) Amérique du Sud ; 7) Débat sur la question nationale
Ceci est le deuxième document de cette série, concernant l'États-Unis et l'Europe.
Retrouvez toute la série d'articles en cliquant sur ce lien : CEI 2014.
Retrouvez toute la série d'articles en cliquant sur ce lien : CEI 2014.
Les États-Unis
L'accroissement
des inégalités partout dans le monde va avoir une grande influence
sur le sentiment et sur la conscience de la classe prolétaire dans
tous les pays, dans le présent comme dans l'avenir. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les riches ne sont pas contents du fait que les richesses s'accumulent sur leur compte en banque sans être réinvesties, même en période de “croissance” : les
grandes manifestations anticapitalistes qui se sont produites au
tournant du siècle ont après tout commencé dans la ville de Seattle, aux
États-Unis, en 1999, avant même que le capitalisme ait été
complètement décrédibilisé comme c'est le cas aujourd'hui.
Mais
il est vrai que la grande masse de la population peut souvent
“tolérer” une certaine situation tant que le système “joue
son rôle” en assurant les besoins de base à la majorité de la
population. Mais ce n'est clairement plus le cas aujourd'hui. C'est
la raison de la victoire de notre camarade Kshama à Seattle lors des
élections communales de 2013. Cette percée n'est que le début
de grands chamboulements politiques partout aux États-Unis.
La nouvelle gauche en formation
Depuis
la victoire de Kshama à Seattle, Bernie Sanders, sénateur du
Vermont, subit une pression intense de la part de la gauche (qui
grandit de jour en jour) qui souhaite le voir poursuivre sur cette lancée en prenant la décision de se présenter en tant que candidat
socialiste indépendant pour les élections présidentielles de 2016.
Mais tout indique malheureusement qu'il s'apprête à concourir lors
des primaires du Parti démocrate. Toutefois, des campagnes
similaires sont en train d'être menées dans toute une série de
villes et États afin d'appeler les figures radicales à se présenter
sur des listes de gauche.
Les élections de mi-mandat ont montré le
potentiel qui est toujours bel et bien présent : notre camarade
Jess Spears a obtenu 8500 voix (18 %) lors des
élections régionales pour l'État de Washington (l'État de
Seattle, au Nord-Ouest). Dans l'État de New York, le socialiste
Howie Hawkins, qui se présentait sur la liste du Parti vert, a
reçu 173 600 voix (5 %), soit presque le triple des
voix obtenues en 2010 (60 000 voix à l'époque). On
voit la même évolution se produire ailleurs dans le pays. Pourtant,
il n'est pas encore clair si la campagne pour la formation de listes
de gauche parviendra à persuader assez de personnes à se rassembler
pour présenter aux masses américaines une véritable alternative
tant sur le plan national que local.
Ce qui est clair par contre est
ceci : le terrain a déjà été préparé pour la création
d'une réelle alternative politique de gauche radicale, voire
socialiste, dans un futur proche. Cette formation prendra sans doute
tout d'abord la forme d'une alliance électorale qui pourrait plus
tard mener à la construction d'un parti de masse. Vu l'importance
des États-Unis au niveau mondial, une telle évolution aurait un
impact énorme partout dans le monde et stimulerait la création de
nouveaux partis des travailleurs de masse dans tous les pays qui n'en
ont pas encore un.
Qui
plus est, en tant que “gendarme du monde”, le capitalisme
américain a tendance à accumuler dans ses fondations l'ensemble des
éléments les plus explosifs du capitalisme mondial. Dans le cadre
de la conjoncture actuelle, toute une série de facteurs sont
présents qui pourraient invoquer la “tempête parfaite” qui balayera l'impérialisme américain. Les évènements au Moyen Orient
(et surtout l'émergence de EI), ont forcé Obama, qui avait pourtant
été élu sur base de sa promesse de retirer les troupes d'Iraq et
d'Afghanistan, à retourner complètement sa veste. Obama est à présent
le quatrième président d'affilée – après Bush senior,
Clinton et Bush junior – à se voir contraint de lancer une
intervention militaire américaine au Moyen Orient, même s'il
cherche jusqu'ici à se limiter à une campagne de bombardements
aériens.
La campagne pour le salaire minimum à 15 $ (8000 francs) par heure bat son plein à Seattle et dans tous les États-Unis |
Un système au racisme inhérent
La
crise de l'impérialisme américain se combine à la crise économique
sous-jacente qui donne naissance à une crise sociale croissante,
surtout en ce qui concerne les gens “de couleur”. Obama a chassé
plus d'immigrés des États-Unis que tous les présidents de
l'histoire des États-Unis tous ensemble avant lui ! Puis on a
eu les émeutes de Ferguson suite au meurtre de sang froid de
Michael Brown par une force de police fortement militarisée. Un
meurtre semblable s'est encore produit en octobre, qui a de nouveau
enflammé la situation dans la ville. Les partisans du CIO aux
États-Unis sont intervenus de manière très efficace grâce à nos
camarades afro-américains et autres membres de notre groupe
Alternative socialiste.
En
outre, il ne s'agit ici que d'une seule facette de l'expression du
mécontentement ressenti par les gens de couleur. Ces personnes
s'attendaient à de grands changements et ont placé de grands
espoirs en voyant un Noir élu pour la première fois en tant que
président des États-Unis. Malgré cela, les Afro-Américains ont
encore plus perdu sur le plan économique par rapport aux autres
ethnies des États-Unis, plus que sous n'importe quel autre président
depuis la Grande Dépression. Un pasteur noir américain
posait la question en 2013 : « Pourquoi sommes-nous
si loyaux envers un président qui n'est pas loyal envers nous ? »
Aux États-Unis, la famille non blanche médiane a aujourd'hui
un revenu net de 18 100 $ (10 millions de francs CFA
par an, 830 000 francs par mois), soit presque 20 % de
moins que lorsque Obama est arrivé au pouvoir. Au même moment, le
ménage blanc médian a vu son patrimonie monter de 1 % pour
atteindre 142 000 $ (78 millions de francs CFA).
En 2009, les ménages blancs américains étaient sept fois
plus riches que les ménages noirs. Aujourd'hui, ils sont huit fois
plus riches. En d'autres termes, quel que soit la manière dont on
considère la question, que ce soit en termes absolus ou relatifs,
les Noirs vivent moins bien sous Obama qu'auparavant. Que cela ne
nous fasse toutefois pas perdre de vue le fait qu'il existe aussi de
nombreux ménages blancs pauvres.
Il
est du coup paradoxal de voir la même population noire revenir voter pour Obama lors des élections de mi-mandat. Bien sûr,
il s'agit encore une fois d'un vote pour le “moindre mal” :
l'acceptation consciente de la part de la population noire (et des
gens de couleur en général) du fait que même si Obama est une
grosse déception, toute victoire du Parti républicain, et en
particulier d'un candidat républicain à la présidence en 2016,
aura un effet pire encore.
Mais une telle attitude ne peut durer
éternellement. Cette couche de la population, qui est une des plus
pauvres des États-Unis, rejoindra un nouveau parti de masse avec
autant de ferveur, si pas plus, que le reste de la population. La
valeur d'une organisation révolutionnaire se reconnait à sa
capacité à s'orienter vers les couches les plus opprimées et les
plus délaissées de la population. Aux États-Unis, notre groupe
Alternative socialiste a déjà rallié sous sa bannière un
nombre important de Noirs, d'Hispaniques et autres gens dits “de
couleur”, qui pourront jouer un rôle décisif dans le
développement d'une organisation révolutionnaire dévouée.
Obama demande aux gens de Ferguson de manifester pacifiquement. Au même moment la télé montre les images de la police en train de charger et gazer la foule. |
Des institutions totalement décrédibilisées
La
position d'Obama est précaire. Il court à présent le danger de se
retrouver dans le rôle d'un président “canard boiteux” pour les
deux dernières années qui lui restent à son poste. Lors de la
campagne pour les élections de mi-mandat, les Démocrates l'ont plus
traité comme un agent de collecte de fonds que comme une source
d'électeurs potentiels. Obama s'est vu écarté de toutes les
batailles importantes de la campagne. De plus en plus de gens le
considèrent à juste titre comme un pion du grand patronat qui se
contente de faire semblant de se soucier du “peuple”.
Mais
l'épatante victoire des Républicains aux élections de mi-mandat
n'a pas été le fruit d'un virage à droite de la société. Au
contraire, elle a surtout été le résultat d'une importante chute
du taux de participation : seul 36 % des électeurs
potentiels sont venus voter, soit le taux de participation le plus
bas depuis les élections de mi-mandat de 1942, qui s'étaient
déroulées en pleine Seconde Guerre mondiale.
Nos
camarade américains l'ont signalé avant les élections : « un
sondage dit que 70 % des électeurs soutiennent l'idée de virer
l'ensemble des candidats ». À la suite du scrutin, la victoire
des Républicains « tranche fortement avec le virage à gauche
généralisé au sein de la société américaine ».
D'ailleurs, au cours de la même campagne électorale, « des
initiatives populaires en vue d'une augmentation du salaire minimum
ont été adoptées en Alaska, en Arkansas, au Nebraska et dans le
Dakota du Sud, malgré le fait que ces deux derniers États
ont une solide tradition de vote républicain. À San Francisco,
un référendum pour le salaire minimum à 15 $ de l'heure
(8000 francs CFA par heure) a été adopté par une
majorité écrasante de 77 %. En Orégon, en Alaska et à
Washington DC, les électeurs se sont prononcés en faveur de la
légalisation du cannabis. Deux des trois mesures antiavortement
proposées au niveau étatique ont également échoué.
Ainsi, on a
vu les électeurs soutenir dans de nombreux cas des propositions
rejetées par la droite, sans pour autant voter démocrate. »
Cela veut dire que le potentiel pour la lutte ne s'est pas réduit
avec ces élections : en fait, il est de plus en plus probable
que les travailleurs et les jeunes ripostent aux attaques des
Républicains, prenant conscience du fait que le changement dépend
aussi de leurs propres initiatives.
Une
des nombreuses caractéristiques de la situation américaine
aujourd'hui est le fait que le Congrès (parlement) est complètement
méprisé par la population : selon certains sondages,
l'ensemble des sénateurs seraient moins appréciés que les cafards
ou les poux ! Le système ne fonctionne pas, il a complètement
perdu le lien avec le sentiment populaire, il est dominé par les
grandes entreprises et les grandes banques, miné par le lobbyisme
corrompu, incapable de répondre aux demandes de changement tant
attendu. C'est pourquoi le Congrès est aujourd'hui à l'arrêt, et
que la situation ne sera fondamentalement pas différente même alors
que les élections de mi-mandat sont passées.
La gauche américaine réclame que Bernie Sanders se présente aux élections en tant que troisième candidat. Malheureusement celui-ci préfèrerait se mettre sur les listes démocrates. |
Un gouffre d'inégalités
En
même temps, de plus en plus de gens sont indignés par rapport à
l'immense fossé entre riches et pauvres. Vu la situation, même
Alan Greenspan, ancien dirigeant de la banque centrale
américaine et fervent
défenseur du capitalisme américain, a cru bon de déclarer que bien
qu'il a toujours été un Républicain “libertaire” pur jus, il
est d'avis que « l'inégalité est la tendance la plus
dangereuse qui empoisonne l'Amérique ». Au fil des sondages,
la population américaine se montre de plus en plus opposée à
l'inégalité, et de plus en plus en colère contre les riches, plus
que dans d'autres pays même. Une majorité de la population perçoit
les 1 % les plus riches (ou plutôt, les 0,001 % les plus
riches) comme autant de bandits qui s'enrichissent par la fraude
fiscale et la corruption à grande échelle.
Mais fraude ou pas, les
revenus des impôts parlent d'eux-mêmes concernant la hausse de
l'inégalité salariale. Au Royaume-Uni, le chômage s'est accru de
1,3 millions de gens en cinq ans, mais le nombre de
contribuables a diminué de 2,2 millions. Aux États-Unis, plus
de 40 % des ménages ne paient aucun impôt. Au Royaume-Uni, les
1 % les plus riches contribuent à 28 % au revenu de l'État
via les impôts, alors que les 1 % d'Américains les plus riches
financent à eux seuls l'État à hauteur de 46 % des
contributions. Pourtant, en 1979, ces proportions étaient
respectivement de 11 % et 18 %.
L'analyse des taxes sur les
entreprises révèle la même tendance à une concentration de plus
en plus grande de la richesse. Au Royaume-Uni, 830 entreprises
paient la moitié de toutes les taxes sur les entreprises. Aux
États-Unis, cinq secteurs de l'économie pèsent 81 % du
revenu issu des taxes sur les entreprises, qui regroupent un tiers
de toutes les entreprises.
Cela a un effet sur le revenu d'État,
parce que ce petit pourcentage le plus riche de la population est
constamment à la recherche de moyens d'éviter de payer des impôts,
ce qui est lié à la hausse constante du déficit étatique et de
l'austérité, qui à son tour impacte la population pauvre qui, au
final, paie ainsi le prix de la fraude des riches.
Pour beaucoup de gens, le “rêve américain” a fait long feu |
Une nouvelle donne sur le plan mondial
D'un
autre côté, les États-Unis, dont la puissance est en baisse, ne
sont plus capables d'imposer leur politique économique au reste du
monde comme c'était le cas avant. L'Organisation mondiale du
commerce est à présent bloquée par tout un groupe de pays, comme
Cuba et le Venezuela, concernant l'agriculture et toute une série
d'autres enjeux. L'OMC n'a plus adopté la moindre résolution depuis
maintenant presque 20 ans, et est par conséquent considéré
comme traversant une grave crise existentielle.
De même, les
discussions autour du Partenariat transatlantique de commerce et
d'investissement (PTCI) semblent être dans l'impasse. Ces
discussions ont en effet suscité une importante opposition dans
certains pays, qui considèrent à juste titre que ce traité n'est
qu'une tentative de consolider le pouvoir des puissances
impérialistes et d'intimider tout gouvernement national qui oserait
remettre en question le règne des multinationales.
Même s'il est
clair que le mouvement des travailleurs doit s'opposer au PTCI, il
faut aussi bien comprendre qu'il ne s'agit que d'un papier : un
tel cadre légal pourrait de toute façons se voir complètement
écarté par tout mouvement de masse qui entreprendrait une action
décisive. Ce n'est pas parce qu'un traité aura été signé que ça
voudra dire qu'on ne pourra plus se battre contre le capitalisme.
Plus
fondamentalement, de plus en plus, le développement technologique
menace la durée de vie du système capitaliste sur le long terme.
Nous nous sommes déjà penchés à de nombreuses reprises sur cette
question, notamment dans l'édition de novembre de notre magazine
théorique Socialism Today. Dans certains secteurs économiques,
l'introduction de la robotique va littéralement “tuer l'emploi”.
Robert Gordon, économiste américain, estime que 47 % des
emplois américains sont menacés par les robots. Le magazine
The Economist surestime cependant la capacité du capitalisme à
trouver de nouveaux marchés, et a une attitude franchement utopiste
quant à la manière dont les nouvelles technologies pourront être
mises au service de tous dans le cadre du capitalisme.
Pourtant, le
même très “sobre” The Economist prévient que dans le
futur du capitalisme, on aura « une richesse sans travailleurs,
des travailleurs sans richesse ». Il va même plus loin :
« La création de richesse à l'ère numérique n'a jusqu'ici
généré que peu d'emplois. Des inventeurs transforment leurs idées
en entreprises très bien cotées en bourse et quasiment sans le
moindre employé … un fabricant de lunettes de réalité virtuelle
qui fonctionnait avec 75 employés a été racheté par Facebook
cette année pour la somme de 2 milliards de dollars
(1000 milliards de francs CFA). Avec moins de
50 000 personnes, les géants de l'économie technologique
moderne tels que Google ou Facebook paraissent des nains à côté
des géants industriels qui avaient fait le 20ème siècle ».
Cela
a aussi pour conséquence d'élargir le gouffre entre pays riches et
pauvres : « En 1820, le pays le plus riche du monde,
le Royaume-Uni, était environ cinq fois plus riche que la
moyenne des pays pauvres. Le coefficient Gini qui mesure l'inégalité,
appliqué entre les différents pays, n'était que de 16 en 1820
(très bas). En 1950, ce coefficient est passé à 55, et
est resté à ce niveau depuis. En d'autres termes, le moteur de
l'inégalité mondiale depuis 1820 a été l'industrialisation
de l'Occident ».
Ces faits et chiffres étonnants sont à eux
seuls suffisants pour nous permettre de conclure qu'une période de
conflit sans précédent – accompagnée d'une intensification
de la lutte des classes – est en train d'arriver, que ce soit
au sein des différents pays ou sur le plan mondial. Les États-Unis
vont se retrouver au cœur même de cette lutte ; c'est là que
les secousses seront les plus importantes – des secousses qui
auront des répercussions gigantesques sur la lutte des classes et
qui nous présenteront par conséquent des opportunités fantastiques
pour le développement de puissants partis socialistes.
La robotique menace de plus en plus l'emploi partout dans le monde |
L'Europe
Du
point de vue économique, l'Europe reste plongée dans une dépression
qui menace de s'aggraver dans la prochaine période. Nous avons
caractérisé la situation politique dans ce continent comme celle
d'une “réaction douce”. Cependant, cela commence à changer,
comme nous l'avons dit dans l'introduction à ce document, avec les
grands mouvements en Écosse et en Irlande, le grand mouvement de
grève en Belgique (où on a vu fin 2014 une manifestation de
masse, trois grèves régionales et une grève nationale), les grèves
et manifestations en Italie et ailleurs. Mais de telles explosions
sont possibles partout, étant donné le caractère extrêmement
tendu de la situation politique et sociale.
Cette
tension s'est illustrée lors des violentes bagarres qui ont éclaté
en Italie autour de la réunion de la Banque centrale européenne
(BCE) à Naples, une des régions les plus pauvres d'Italie, qui est
plongée dans sa troisième récession depuis 2008. Le chômage
est à présent officiellement de 11,5 % dans la zone euro,
ce qui représente 18 millions de personnes en quête d'un
travail dans la région, et qui n'en trouvent pas. C'est l'Italie qui
connait le plus grand taux de chômage des jeunes dans la zone, où
il atteint 44 % parmi les 15 24 ans. Il ne fait
aucun doute que l'humeur est explosive en Italie – tout comme
dans le Sud de l'Europe de manière générale –, ce qui
pourrait donner naissance à de grands mouvements dans les rues.
L'euro
Tandis que de moins en moins d'analyses s'attendent à voir l'Europe sortir de la récession, le marché stagne et pourrait même décliner. Il en est de même de l'euro, qui est tombé à son niveau le plus bas depuis deux ans. En conséquence, les antagonismes capitalistes et impérialistes au sein de l'Europe se font plus intenses, tout comme c'est le cas à l'échelle mondiale entre les différents grands blocs.
Les rivalités se manifestent par des propos de plus en plus acerbes entre la France, l'Espagne, l'Italie, etc. d'un côté, qui veulent un assouplissement des contraintes monétaires liées à l'euro, et le capitalisme allemand et ses principaux satellites (Autriche, etc.) d'autre part, qui veulent maintenir ces normes strictes. Le calcul effectué est que si les régulations (qui exigent des pays de la zone euro de maintenir leur déficit budgétaire en-dessous de 3 % du PIB) étaient levées, cela génèrerait de la “demande” et cela, combiné à d'autres mesures telles que la poursuite d'une forme d'assouplissement quantitatif, permettrait d'arriver à une sortie de crise – temporairement du moins.
Les autorités financières européennes calculent que cette tactique permettrait d'éviter la déflation tant redoutée, à condition que la BCE décide d'intervenir pour racheter les actifs du secteur privé à grande échelle, ce qui représenterait une dépense d'au moins 1000 milliards d'euros (650 millions de milliards de francs CFA), y compris les “actifs pourris” des banques grecques et chypriotes. Cependant, tous les ingrédients sont toujours là pour un effondrement de l'euro, même si tout le monde jure que, contrairement à 2012, tout “danger” est écarté.
Mais le danger est toujours là ! D'immenses pressions s'accumulent sur les gouvernements nationaux, surtout vu les taux élevés du chômage permanent, qui influence la jeunesse, tandis que le FMI a dit qu'il ne serait pas étonné d'assister à un effondrement soudain de l'euro. Au fur et à mesure que les problèmes s'accumulent, les investisseurs et les capitaux continuent à fuir l'Europe, tandis que les faiblesses du continent commencent à tirer à la baisse l'économie mondiale, ce qui pourrait durer des années.
Pour la Deutsche Bank, le monde est à présent aux prises avec une “eurosaturation”. Elle fait remarquer qu'au début du siècle, le recyclage des surplus chinois en bons du Trésor américains a causé le problème des rendements exceptionnellement bas des bons américains : « Nous nous attendons à ce que l'énorme excès d'épargne européen, en conjonction avec l'assouplissement agressif effectué par la Banque centrale européenne, mène à une des plus grandes fuites de capitaux de toute l'histoire des marchés financiers ».
Au niveau européen, non seulement les problèmes ne pourront jamais être résolus dans le cadre des accords financiers actuels, mais ils sont en train de s'accumuler. Les disparités sont telles à présent entre l'Europe du “Nord” et du Sud, qu'il devient de plus en plus difficile pour les gouvernements du Sud de garder l'euro, qui revient à une forme extrêmement pernicieuse de dévaluation interne. S'il est probable qu'une rupture sous l'une ou l'autre forme soit opérée en Europe du Sud, on ne peut pas non plus exclure le fait que l'Allemagne ou un autre pays d'Europe du Nord, voire l'Italie ou la France, prenne l'initiative de sortir de l'euro, pour être suivi par d'autres.
Ce qui est vrai au niveau du continent l'est encore plus lorsqu'on parle des différents pays qui composent l'UE pris un par un. Nous n'avons ici l'espace que d'esquisser les principaux traits économiques et politiques dans quelques-uns de ces pays.
La zone euro plombée par la dette de la Grèce et des pays d'Europe du Sud |
L'Allemagne
Le
revirement le plus important sur le continent est la dégradation subite de la
position économique de l'Allemagne, parce que ce pays reste la
locomotive de l'Europe et que tout ce qui le touche a des
répercussions sur l'ensemble du continent. Mais l'économie
allemande est en train de perdre sa stabilité. La production
industrielle a chuté de 3,1 % en aout, et de 0,3 % en
septembre. Globalement, l'économie allemande a perdu 0,1 % lors
du second trimestre, puis a récupéré de 0,1 % au troisième.
Cependant, il est toujours possible qu'elle soit bientôt
officiellement déclarée en récession.
Face à la récession
mondiale, l'Allemagne a été capable de maintenir sa position au
détriment du reste de l'Europe. Le Financial Times rapportait,
avec une joie mal contenue, que « Le modèle de croissance
allemand a contribué à drainer la demande du reste de la zone euro,
a refusé aux travailleurs et ménages allemands toute hausse de leur
niveau de vie sans que cela ne soit justifié, et l'a rendue
vulnérable aux chocs extérieurs ». Le journaliste voulait
dire par-là que l'Allemagne s'est trop reposée sur ses
exportations, qui ont maintenant considérablement baissé à cause
de la récession mondiale. Les exportations ont chuté de 5,8 %
en aout, mais ont de nouveau crû en septembre.
Le Financial Times
se vexe également du fait que le capitalisme allemand ait bénéficié
d'un sérieux avantage compétitif en « Gelant les salaires …
qui n'ont fait que diminuer depuis l'an 2000, ce qui a réduit
la croissance de la consommation. Il est particulièrement malvenu de
la part des entreprises allemandes, alors que les autres pays de la
zone euro luttent pour rééquilibrer leurs économies, de
venir s'accaparer toute demande d'exportation qui pourrait se
présenter à ces pays. »
De plus, la part des investissements
par rapport au PIB allemand a perdu 5 points de pourcentage
depuis l'an 2000, et la productivité du travail par heure s'est
accrue de moins de 1 % par an depuis 2005. Les rivaux du
capitalisme allemand se saisissent de cette occasion pour intensifier
la pression – en exigeant de l'Allemagne qu'elle applique la
même dérégulation qu'elle a exigé des autres : « Leur
propre maison de verre pourrait aussi avoir besoin de l'un ou l'autre
ajustement structurel » (Financial Times).
La compétitivité allemande lui a permis de s'accaparer pour elle seule toute la croissance européenne. Mais la récession arrive là-bas aussi. |
La France
En
France, le gouvernement a déjà annoncé que son déficit budgétaire
sera d'au moins 4,4 %, bien au-delà de la limite de 3 %
fixée par les traités. Les dépenses publiques s'élèvent à 55 %
du PIB.
Cela reflète les acquis historiques des travailleurs
français, dont la plupart sont toujours présents. Jusqu'à présent,
différents gouvernements, de “gauche” comme de droite, ont
grignoté ces acquis mais n'ont pas osé trancher carrément dedans,
comme l̄'ont fait les anciens alliés de la France. L'actuel Premier
ministre Valls, qui provient de l'aile de droite radicale du Parti
socialiste, a été forcé de garantir aux travailleurs que la
semaine des 35 heures demeure “sacro-sainte”. Il est
toutefois extrêmement peu probable qu'il tiendra cette promesse.
Si
le gouvernement demeure intransigeant, il sera confronté à une
tempête médiatique, avec des menaces de la part des grandes
entreprises de délocaliser hors du pays, comme beaucoup l'ont déjà
fait. La seule manière de surmonter cette pression serait de mettre
sur pied un gouvernement des travailleurs qui mobiliserait la classe
prolétaire pour appliquer un programme radical et éviter la fuite
des capitaux hors du pays via le contrôle d'État sur toutes les
entrées et sorties, ce qui n'est possible que par la nationalisation
complète des banques et du secteur financier.
La
BCE et la Commission européenne pourraient toujours décider
d'adopter une attitude prudente vis-à-vis de la France en remettant
ce problème au lendemain avant de continuer. Cependant, ils ne
pourront pas reporter ce problème indéfiniment. Parce que si cette
situation dure trop longtemps, les “règles” ne voudront bientôt
plus rien dire et c'est l'entièreté du “projet européen” qui
s'effondrera. La présidence de Hollande est menacée par de sérieux
problèmes, prise entre l'enclume de la résistance de la classe des
travailleurs et le marteau des capitalistes avec toute leur panoplie
de divers instruments de pression.
Le taux de soutien à Hollande est
exceptionnellement bas. Lui qui était arrivé au pouvoir en
promettant de prendre quelques mesures contre l'austérité, s'est à
la place retrouvé forcé de capituler dès la première difficulté
lorsqu'il s'est retrouvé épinglé par les marchés et par les
oukazes de la BCE pour réclamer “plus d'austérité”. Cela a
provoqué de grandes grèves pendant l'automne 2013, et la
presse bourgeoise s'est retrouvée, début 2014, à spéculer si
on allait assister à « la fin de Hollande, ou bien à celle de
la Cinquième République ». Mais cette année, les principaux
syndicats n'ont mobilisé qu'à contrecœur.
Selon
les sondages, si une élection présidentielle devait se dérouler
aujourd'hui, Marine Le Pen vaincrait Hollande. Et il ne
peut être totalement exclus que, vu la profondeur de la crise dans
laquelle la France est en ce moment plongée, Hollande ou son
successeur doive être forcé d'aller à des élections
présidentielles anticipées dans un contexte de nouvelle vague de
grèves de masse et d'opposition croissante de la droite.
L'extrême-droite pourrait remporter ces élections. Cependant, si
Le Pen devait accéder à la présidence, cela agirait comme un
électrochoc qui aurait pour effet de réveiller la France et la
classe des travailleurs européens, comme cela s'est produit en 2002. Une victoire de Le Pen pourrait donner lieu à d'importants mouvements de masse dans les rues
et dans les usines, c'est-à-dire une situation telle qu'on l'a
connue en 1934 lorsque les travailleurs et la jeunesse français
sont descendus pour montrer qu'ils n'étaient pas prêts à voir un
Hitler français arriver au pouvoir.
Il
n'y a en ce moment sur le plan politique aucun point de référence
visible pour les travailleurs, surtout après que Mélenchon ait
décidé de jeter l'éponge en abandonnant la direction du Front de
Gauche. Mais de nouvelles occasions se présenteront, auxquelles nous
devrons participer, afin de développer un mouvement antifachiste
viable, à base prolétaire, dans tous les pays d'Europe où
l'extrême-droite et les forces néofachistes ont une présence
conséquente.
Les camarades grecs ont lancé un comité très
efficace selon ces lignes, qui pourrait gagner en influence au cours
de la prochaine période. En Autriche, la force durable du Parti de
la liberté d'Autriche (FPÖ, Freiheitliche Partei Österreichs), une
organisation d'extrême-droite qui a aujourd'hui à peu près la même
position dans les sondages d'opinion que les deux partis
traditionnels, est un véritable facteur de complication. Cependant,
sa position n'est pas entièrement dominante ; il reçoit moins
de 30 % dans les sondages et il existe une opposition continue
contre sa démagogie raciste, tandis que la volonté des travailleurs
d'utiliser chaque opportunité de résistance qui leur est offerte
par les syndicats démontre encore et encore la puissance potentielle
du mouvement des travailleurs.
Une victoire de Le Pen aux prochaines présidentielles françaises ouvrirait une nouvelle période de lutte des classes intense en France et en Europe. |
L'Italie
L'Italie
n'est pas loin derrière la France en termes d'ampleur des effets de
la crise en Europe. Dans le passé, ce pays était réputé pour ses
PME très efficaces, surtout dans l'industrie. L'an dernier, un
chiffre record de 372 000 entreprises familiales ont déposé le
bilan, causant une dévastation inouïe dans ce qui était autrefois
un pilier de l'industrie italienne. Il ne s'agit là que d'une
expression parmi d'autres de la crise économique qui, bien que
longtemps tue par la presse et par les médias capitalistes, a
enfoncé un pieu dans le cœur de l'Italie.
Cela
arrive à un moment où les organisations de la classe des
travailleurs italiens sont en situation de faiblesse, alors que cette
classe était autrefois une des plus puissantes du mouvement syndical
européen. Le Premier ministre Matteo Renzi (en Italie comme en
Allemagne, en Irlande et… en Inde, le Premier ministre – ou
chancelier dans le cas de l'Allemagne – détient le pouvoir
politique tandis que le poste de président est essentiellement
honorifique, tout comme le roi d'Angleterre ou de Belgique est
dépourvu de pouvoir politique direct), une “superstar” de la
politique comme Tony Blair en son temps (d'ailleurs adoubé par
Tony Blair lui-même), cherche à accomplir le démantèlement
définitif du pouvoir des syndicats au cours de son présent mandat.
Il a ouvertement confessé que sa tâche était pour lui d'« enfin
en finir avec le communisme », ce qui pour lui ne veut pas
seulement dire effacer l'héritage stalinien, mais faire également
disparaitre toute idée de lutte, de solidarité ou de militance, qui
avaient été les caractéristiques du mouvement syndical italien
dans le passé. Néanmoins, le récent succès qu'a connu son Parti
démocrate (PD, Partito Democratico) ne contrebalance pas les
énormes pertes en termes de nombre de membres dégoutés par son
approche du “consensus” électoral : le parti a ainsi perdu
près de 80 % de ses membres au cours des deux dernières
années.
Renzi
a remporté les élections européennes en distribuant un véritable
pot-de-vin électoral, sous la forme d'un paiement de 100 €
(65 000 francs) aux familles à bas revenu, qui durera pour
au moins un an. Cela lui a permis d'obtenir une victoire mais, selon
les organes de défense des consommateurs, son “cadeau” passera
“presque inaperçu” vu que la consommation ne s'est accrue que de
0,1 % en juin par rapport à l'année précédente. En fait,
l'économie italienne va assurément poursuivre sa chute au cours des
prochains mois.
La “réforme” du sénat est considérée comme
une première étape nécessaire afin d'assurer le passage d'autres
“réformes”. Cela a ouvert la discussion à propos des tensions
qui existeraient apparemment au sein du gouvernement. Le chômage est
une question particulièrement sensible au moment où des hordes de
jeunes chômeurs italiens parcourent l'Europe à la recherche d'un
travail même sous-payé. Les quelques emplois disponibles dans le
Sud de l'Italie sont accaparés par la mafia, qui exerce toujours un
contrôle absolu sur la répartition des emplois, tandis que
« jusqu'à 70 % des boutiques paient une “taxe de
protection” ».
Le
gouvernement Renzi suscite également beaucoup de mécontentement en
écartant les syndicats tandis qu'il pousse ses réformes
néolibérales littéralement au bulldozer. Il a “accordé”
60 minutes à chaque dirigeant syndical, lors d'une série
d'“audiences” qui a démarré à 8 h du matin, pour discuter
de sa nouvelle loi sur l'emploi, une réforme cruciale pour la
« crédibilité en tant qu'administration libéralisatrice »
de son gouvernement. Un dirigeant syndical a commenté que « On
n'a jamais vu qu'une seule fois dans l'histoire de l'Europe une telle
absence de dialogue social… c'était sous Thatcher ».
La
raison pour la brièveté de ces discussions avec les dirigeants
syndicaux est qu'il voulait se débarrasser des représentants
“gênants” des travailleurs juste à temps pour pouvoir recevoir
chez lui un “Sommet européen pour l'emploi”, une réunion où
différents politiciens et grands patrons de toute l'Europe ont été
conviés pour discuter de la meilleure manière de réduire les
salaires des travailleurs italiens et européens. Dans le but de
faire accepter sa nouvelle loi par les dirigeants syndicaux, en plus
du soutien qu'il a reçu de la part de quelques cadres de l'ex-Parti
communiste qui se trouvent toujours dans le Parti démocrate, il a
transformé le vote de cette loi au parlement en un vote de confiance
pour le gouvernement.
Cela a provoqué le chaos au sénat :
26 sénateurs du PD ont refusé de valider ces documents qu'ils
trouvaient trop vagues. Le Mouvement 5 étoiles (M5S, Movimento
Cinque Stelle) a dénoncé le fait que le gouvernement cherche à
se donner de larges pouvoirs pour limiter les lois habilitantes.
Certains de leurs dirigeants ont été chassés du parlement, ce qui
a provoqué un tollé. D'autres scènes de violence ont suivi. Mais
les propositions ont fini par être acceptées, avec 165 “Pour”
et 111 “Contre”.
Renzi
s'est aussi aligné sur la France en opposition aux normes
européennes : « Je préfère que la France ait un déficit
budgétaire de 4,4 % que de voir Marine Le Pen élue à
la présidence ». Le déficit de l'Italie va certainement lui
aussi dépasser de loin la limite de 3 %. Renzi a également
déclaré récemment que : « Je préfère l'arrogance au
manque d'ambition … Mon ambition pour l'Italie n'est pas de faire
mieux que la Grèce, mais mieux que l'Allemagne ».
Tout cela le
mène en confrontation directe avec la classe des travailleurs
italiens, qui commence à bouger comme on l'a vu avec les grèves et
manifestations à Gênes l'an passé, le mouvement de contestation de
masse en octobre à Rome et le récent appel à la grève générale
lancé par la Confédération générale italienne du travail (CGIL,
Confederazione Generale Italiana del Lavoro).
En surface, l'Italie ne
semble pas être concernée par les lois de la révolte, mais les
masses sont en train de réfléchir aux évènements du passé et,
comme dans beaucoup de pays d'Europe, elles vont partir en action
dans un futur proche, ce qui nous offrira de grandes opportunités
pour intervenir et croitre.
Le Premier ministre Renzi, la star du “changement” |
L'Espagne
En
Espagne, le “régime de 1978”, tel qu'il est connu par la
gauche, et qui est le fruit de la “transition” de la dictature
franquiste à la démocratie, est à présent en décomposition.
Cette crise politique se déroule dans le contexte de la crise
économique qui perdure, tandis que la dette équivaut à 100 %
du PIB pour la première fois depuis des décennies, et que
100 millions d'euros (65 milliards de francs CFA)
d'intérêts sont payés chaque jour ! Le capitalisme espagnol
est confronté à de profondes crises sur tous les fronts, ce qui se
reflète avec la chute du bipartisme, la crise territoriale en
Catalogne, l'abdication du roi et l'émergence explosive du parti de
gauche radicale Podemos (« On peut ! »).
La
question nationale est inscrite dans les fondations mêmes du
capitalisme espagnol, qui s'est toujours avéré incapable de la
résoudre. On appelle Catalogne (« Catalunya » en langue locale) la région
de Barcelone, une région frontalière de la France, plus développée
que le reste de l'Espagne et qui parle sa propre langue, le catalan
(également parlée dans le sud-ouest de la France). Cette région a
développé une identité régionale forte qui la distingue du reste
de l'Espagne.
À la suite du référendum pour l'indépendance de
l'Écosse, le gouvernement régional catalan a voulu organiser son
propre référendum sur l'indépendance, lequel a été interdit par
la Cour constitutionnelle, mise sous pression par le gouvernement de
Mariano Rajoy, président du gouvernement (un poste équivalent
à celui de Premier ministre, l'Espagne étant une monarchie
constitutionnelle). Cela a brusquement révélé la nature
antidémocratique de ce régime. Nous sommes pour le droit à
l'autodétermination des peuples. Cependant, l'indépendance de la
Catalogne, dont l'économie représente 20 % du PIB espagnol,
serait un désastre pour le capitalisme espagnol.
Le
gouvernement catalan dirigé par le parti de droite Convergència i
Unió (CiU, Convergence et Union) a passivement accepté cette
interdiction et a préféré organiser une consultation alternative
informelle par une équipe de volontaires (que Rajoy a lui aussi
tenté d'interdire légalement). Cette acceptation des dictats de
Madrid a été considérée comme une trahison de la part des grands
patrons catalans qui contrôlent le CiU, qui ont encore et encore
prouvé qu'ils ne sont pas prêts à mener une véritable lutte pour
l'autodétermination. Cependant, la participation de masse (aux
alentours de 30 %) au scrutin alternatif, qui a bien sûr eu
pour résultat une large majorité en faveur de l'indépendance,
montre que la répression et les hésitations ne suffiront pas pour
faire disparaitre le problème.
La
classe prolétaire et ses organisations doivent se mettre à la tête
du mouvement pour les droits nationaux et l'autodétermination de la
Catalogne, en un mouvement unifié avec leurs frères et sœurs de
classe dans tout l'État espagnol et dans le monde entier, sous la
bannière de la lutte pour l'émancipation de tous et pour une
confédération socialiste volontaire de républiques des
travailleurs dans la péninsule ibérique et ailleurs.
La
percée spectaculaire de Podemos, qui se retrouve en tête de tous
les sondages neuf mois à peine après sa création, révèle la
volatilité politique qui existe dans le contexte de la crise du
bipartisme espagnol qui ne convainc plus personne. Cela montre aussi,
avec la débâcle de la coalition Gauche unie (IU, Izquierda Unida),
qui était encore en train de grandir jusqu'à l'arrivée de Podemos,
le désastre potentiel qui peut ravager toute formation de gauche qui
commence à opérer un tournant à droite ou une politique de
conciliation.
Au départ, les capitalistes vont se rallier autour du
Parti populaire (PP, Partido Popular) et du Parti “socialiste
ouvrier” espagnol (PSOE, Partido Socialista Obrero Español) afin
de résister à la montée de Podemos et à l'instabilité et au
changement qu'il représente. C'est cela qui les pousse à crier
qu'il leur faut une “grande coalition” pour les prochaines
élections générales. Cependant, une telle évolution pourrait
enclencher une nouvelle phase de déclin pour ces deux partis,
surtout l'ex-parti social-démocrate PSOE qui voit venir pour lui la
même annihilation qui a mené à la quasi-disparition du PASOK en
Grèce (parti “socialiste” historique grec, qui obtenait 40 %
à chaque élection de 1980 à 2009, mais qui ne fait plus
que 8 % et qui continue son déclin).
Dans
ce contexte, le capitalisme va tenter de “domestiquer” Podemos,
vu qu'il devient de plus en plus probable de voir ce parti arriver au
pouvoir lors des prochaines élections. Ces derniers mois, on a vu
les principaux dirigeants de Podemos, surtout son fondateur
Pablo Iglesias, modérer la teneur de leurs discours et
interviews, sur base de la pression de la part de la classe
dirigeante.
Le programme du parti sur la dette, contre l'austérité,
etc. se droitise également, au fur et à mesure que Podemos voit
approcher la perspective d'une prise de pouvoir ; tout comme
cela s'est passé avec Syriza (alliance de la gauche radicale) en
Grèce. Malgré le fait qu'il parle de “structures horizontales”
et se présente comme une coalition fort démocratique, Podemos est
en réalité toujours organisé de manière très verticale, de haut
en bas, ce qui provoque un certain mécontentement.
Les
camarades du CIO ont un rôle très important à jouer vis-à-vis des
militants et des sympathisants de la base de Podemos et de IU pour
mettre en avant l'idée d'un front uni à la base, au moyen de la
mobilisation active de la classe des travailleurs et d'une politique
socialiste révolutionnaire. Même si IU se trouve en ce moment en
grand danger, il est encore trop tôt pour l'enterrer et elle
pourrait toujours jouer un rôle décisif sur l'évolution de la
situation si les couches de plus en plus critiques de la direction en
son sein – dans lesquelles nous intervenons –
parviennent à gagner la direction pour recadrer le cours du parti.
Meeting de Podemos, parti de gauche populiste espagnol, qui est devenu premier parti du pays en l'espace de quelques mois |
Le Portugal
Le
mouvement au Portugal passe aussi en ce moment à travers une
certaine période de calme, sans aucune véritable mobilisation
nationale depuis la grève générale de juin 2013 qui a failli
emporter la coalition de droite au gouvernement. L'échec de la
direction des grands partis de gauche que sont le Parti communiste
et le Bloc de gauche à former un front uni en vue de la lutte pour
le pouvoir a laissé le champ libre à l'émergence de forces de
droite populiste et à une certaine reprise (temporaire) du PS
moribond grâce à une nouvelle direction. La section locale du CIO
en pleine croissance va redoubler ses efforts au cours de la
prochaine période et lutter pour jouer un rôle catalyseur dans la
lutte pour l'unité autour d'un programme révolutionnaire,
quarante ans après la révolution d'avril.
Manifestation du Mouvement Alternative socialiste au Portugal. « Troïka dégage » |
La Grèce
Malgré
la résistance herculéenne de la classe des travailleurs grecs – y
compris 30 journées de grève nationale – face aux
mesures d'austérité imposées par la “Troïka” (FMI,
Banque mondiale et BCE) depuis 2010, des coupes sauvages
ont bel et bien été effectuées par les différents gouvernements
grecs.
Cette série de défaites pour la classe prolétaire est avant
tout la responsabilité des dirigeants syndicaux qui ont refusé de
faire monter la pression dans le cadre d'une stratégie pour en finir
avec l'austérité, préférant se limiter à une série de grèves
de 24 heures isolées et limitées, et ont laissé les grèves
menées par les sections les plus combatives se faire isoler et
vaincre par la répression étatique.
Une autre cause de ce revers est l'échec de la direction des principaux partis de gauche que sont la
Coalition de la gauche radicale (Syriza, Synaspismos
Rizospastikis
Aristeras) et le Parti communiste
(KKE, Kommunistiko Komma Elladas), qui ne sont pas parvenus à faire
la moindre proposition concrète quant à la manière de faire
progresser la lutte, de former un front uni et d'aller vers une
alternative socialiste combative.
À
cause de tout cela, on est arrivé à une période de niveau
relativement bas des grèves et des luttes sociales, avec même une
démoralisation de larges couches des travailleurs et des jeunes. De
nombreux travailleurs et leurs familles sont à présent plus
préoccupés par la lutte quotidienne pour la survie que pour la
lutte politique contre le système. Selon les statistiques
officielles, 6,3 millions de Grecs se trouvent à présent sous
le seuil de pauvreté fixé à 400 € par mois
(250 000 francs CFA), sur une population de
10 millions d'habitants.
Cependant,
les luttes n'ont jamais été complètement à l'arrêt. Début
novembre, des étudiants ont occupé 600 lycées et collèges
dans toute la Grèce pour protester contre le nouveau système
d'examens et contre le très grave sous-financement de l'enseignement
et le manque criant d'enseignants. Et 19 maires et préfets de
la région de l'Attique (région autour de la capitale Athènes) ont
décidé de refuser d'appliquer une loi qui les force à licencier
des milliers d'employés communaux.
Pour
peu que cette résistance se poursuive, elle pourrait rappeler les
luttes des conseils communaux du Royaume-Uni contre le gouvernement
Thatcher dans les années '80. Parmi toutes ces luttes, seul le
conseil communal de la ville de Liverpool, qui était à ce moment
dirigé par le CIO (en tant que faction “Militant” au sein du
Parti travailliste britannique), a mené la lutte jusqu'au bout. Le
CIO en Grèce diffuse l'appel des maires concernés dans tous les
conseils communaux à créer un organe coordinateur regroupant
l'opposition de gauche militante de tous les conseils communaux du
pays et à encourager les employés communaux et les populations
concernées par la destruction des services publics à riposter
contre chaque attaque, dans le cadre de la lutte pour faire chuter le
gouvernement de coalition libéral/“socialiste”.
De
nouvelles luttes pourraient être encouragées par la propagande
menée par le gouvernement selon laquelle l'économie serait enfin en
train de relever la tête et par l'espoir de plus en plus de
travailleurs d'obtenir un gouvernement de gauche dirigé par Syriza
après les élections de cette année. Il est clair que la raison
pour laquelle se poursuivent encore la plupart des luttes les plus
déterminées de la période précédente est que ces militants
s'attendent à voir Syriza arriver au pouvoir et changer la loi en
leur faveur. C'est le cas avec les luttes du personnel de l'ERT
(télévision nationale), des ouvriers de Vio.Me (une usine chimique
déclarée en faillite mais occupée par ses ouvriers qui continuent
le travail en autogestion), des nettoyeurs virés par le ministère
des Finances, des employés de l'université licenciés, et de
nombreuses autres.
Lors
des prochaines élections, les masses laborieuses et les pauvres vont
se tourner vers Syriza en tant qu'outil pour se débarrasser de la
politique de la dette. Malgré le tournant à droite de Tsipras (le
porte-parole de Syriza) et de la direction de la Coalition, qui
parlent à présent d'“assouplissement quantitatif”, de
“négociations” avec la Troïka par rapport à la dette, etc.,
une victoire de Syriza donnerait un immense espoir aux travailleurs
et à la jeunesse. Mais elle provoquera aussi la féroce contrattaque
de la part des grands patrons en Grèce et en Europe qui chercheront
à mettre sous pression ou à faire chanter le gouvernement Syriza
afin de le forcer à réprimer ou maintenir sous son contrôle les
mouvements qui vont se développer après sa victoire.
Sous
l'immense pression des masses, un gouvernement Syriza serait forcé
de virer vers la gauche et d'aller à une sérieuse confrontation
avec le capital, ce qui pourrait mener à un départ de la Grèce
hors de la zone euro, voire de l'Union européenne. Mais si un
gouvernement Tsipras devait capituler face aux exigences du
capitalisme et s'avérer incapable d'alléger le fardeau qui pèse
sur les travailleurs grecs, cela pourrait mener à un immense
désespoir et à une grande démoralisation parmi de larges couches
des travailleurs et de la jeunesse.
Dans ces conditions, un espace
pourrait se créer pour une nouvelle croissance de l'organisation
néofachiste Aube dorée (Khrisi Avgi), malgré la
répression étatique à son encontre. Les tâches tactiques
auxquelles sont confrontées la section du CIO en Grèce, Xekinima,
sont de ce fait asssez complexes, mais nous sommes bien positionnés
pour tirer parti des évènements orageux qui s'annoncent.
L'excellente campagne antifachiste que nous avons contribué à
lancer joue un rôle important dans la résistance contre Aube dorée
et contre la réaction.
L'“Initiative des 1000” signataires,
dans laquelle nous jouons également un rôle crucial, nous permet
d'atteindre une plus large audience et influence que cela ne pourrait
être possible sous notre propre bannière. Alors que la gauche en
Grèce est souvent fracturée et sectaire, l'Initiative des 1000
s'est avérée être une tactique correcte, qui a pu poser sa marque
sur l'évolution au sein de la gauche et qui a le potentiel de se
développer et de jouer un rôle dans le rassemblement des forces de
la gauche. Les perspectives pour l'Initiative des 1000 ne sont
pas encore déterminées une fois pour toutes, vu que les mouvements
en Grèce traversent en ce moment une phase de passage à vide et que
le sectarisme au sein de la gauche est toujours très fort.
L'approche
de principe mais flexible adoptée par Xekinima envers Syriza, qui a
permis de faire élire deux de nos camarades au conseil de la ville
de Volos (100 000 habitants) et d'obtenir un bon score pour
d'autres de nos camarades qui se présentaient aux élections, doit
se poursuivre tout au long de la période de grands retournements de
situation qui s'ouvre en Grèce. Le fait de présenter un programme
abouti pour un gouvernement de gauche dirigé par Syriza, – une
alternative socialiste à l'impasse économique et politique du
capitalisme grec et à la misère des masses sous le système du
profit – nous démarque par rapport aux autres tendances de la
gauche et nous permettra d'attirer de nombreux excellents lutteurs
pour notre organisation.
Manifestation en Grèce. « Le fascisme meurt aujourd'hui » |
La Belgique
La
rapidité avec laquelle la situation évolue en Belgique est un
important indicateur qui nous montre à quelle vitesse une situation
peut changer dès que la lutte de classe commence. Quatre mois
après les élections de mai, l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement
de droite “décomplexée” et assumée pour la première fois
depuis la fin des années '80 a tout bouleversé.
La bourgeoisie
belge est divisée depuis le début de la crise en 2007. Son
aile traditionnelle, qui est habituée aux négociations et compromis
avec les dirigeants syndicaux, qui bénéfice d'importantes remises
de taxes et d'un taux de productivité élevé, en échange de
salaires plutôt respectables pour les travailleurs, dirigeait le
pays via les différents partis traditionnels, “socialistes”,
“chrétiens” et libéraux, auxquels ont également été intégrés
les écologistes.
Et voilà que ce “modèle belge” a été remis
en question par une couche de petits patrons ambitieux et de gérants
et sous-traitants locaux de multinationales, jalouse de la grande
bourgeoisie traditionnelle, et qui désirent appliquer une austérité
plus agressive. Politiquement, cette couche est regroupée derrière
les nationalistes flamands néolibéraux et leur parti l'Alliance
néoflamande (NVA,
Nieuw-Vlaamse Alliantie).
C'est le conflit entre ces
deux tendances, une qui cherche la confrontation ouverte avec le
mouvement des travailleurs, et l'autre qui est plus prudente, ayant
tiré les leçons des expériences du passé, qui est à l'origine
des diverses crises politiques qui ravagent le pays depuis 2007.
La victoire de la NVA aux élections du mois de mai lui a permis de
former une coalition de droite avec les libéraux et les
chrétiens-démocrates, un gouvernement “kamikaze” qui s'est
donné pour mission de voir jusqu'où la classe des travailleurs est
prête à lutter, tandis que la bourgeoisie traditionnelle conserve
la possibilité de revenir à une coalition “classique” des trois
partis chrétiens-démocrates, libéraux et socio-démocrates au cas
où la situation tournerait mal pour elle et ce, sans même devoir
passer par de nouvelles élections.
Dès
le début, il était clair que ce gouvernement de droite visait à
rattraper son “retard” par rapport à la politique austéritaire
mise en place dans les pays voisins. Mais pour pouvoir y parvenir, il
fallait terminer ce que les gouvernements de droite des années '80
n'avaient pas été capables de faire jusqu'au bout : opérer
une modification fondamentale du rapport de force entre le Travail et
le Capital.
Aveuglés par leur propre propagande, comme quoi le
prolétariat n'existe plus et les syndicats sont une chose du passé,
les politiciens de droite ont lancé une attaque frontale sur des
thèmes telles que l'indexation automatique des salaires sur la
cherté de la vie ou la hausse de l'âge de la retraite, tout en
remettant aussi en cause le fait que ce sont les syndicats qui paient
les allocations de chômage et non une structure “neutre”. Tout
cela a provoqué une immense colère parmi les syndicalistes. Les
appels à la manifestation et à la grève lancés par les trois
centrales syndicales (“socialiste”, “chrétienne” et
“libérale”) ont été largement applaudis et suivis.
Il est
certain qu'une partie de l'appareil du Parti socialiste, dans
l'opposition pour la première fois depuis plus de 20 ans, a
donné son feu vert au syndicat ABVV/FGTB (Algemeen Belgisch
Vakverbond / Fédération générale du Travail de Belgique), dont la
direction lui est inféodée, et c'est d'autant plus le cas en
Wallonie (sud du pays où vit la minorité francophone) et à
Bruxelles (capitale enclavée en Flandre mais largement francophone
elle aussi), parce que ce parti veut prouver que s'il n'est pas au
gouvernement, le pays ne peut pas tourner. Il y a aussi une partie
des dirigeants syndicaux qui, même s'ils sont corrompus, considèrent
les attaques du gouvernement de droite comme étant également une
attaque sur leur propre poste, ce qui les incite à appeler à
l'action comme jamais auparavant.
Cependant, il est clair que dès
aujourd'hui, nous devons prévenir les travailleurs du fait que vu sa
politique, le Parti socialiste va certainement se désolidariser de
la grève une fois qu'il aura jugé qu'on en aura fait assez, et que
sitôt après, les dirigeants syndicaux vont inévitablement appeler
à démobiliser.
Avant
même la formation du gouvernement, les dirigeants syndicaux avaient
organisé un meeting de masse, le 23 septembre. Notre section en
Belgique, le LSP/PSL (Linkse Socialistische Partij / Parti socialiste
de lutte), a alors lancé le slogan antigouvernement « Pas de
Thatcher en Belgique ». C'est alors que les syndicats ont lancé
un plan d'action impressionnant, presque identique à celui qui avait
été proposé par le LSP/PSL au meeting de septembre, y compris une
manifestation nationale, des assemblées sur les entreprises et
trois journées de grèves régionales successives, culminant en
la grève nationale de 24 h du 15 décembre.
Avant cela, on
a vu une manifestation de masse le 6 novembre, qui était la
plus grande marche syndicale qu'avait connue le pays depuis mai 1986,
avec 120 000, si pas 150 000 participants. L'appel du
LSP/PSL lors de cette marche : « Grève jusqu'à la chute
du gouvernement et de toute la politique d'austérité », a été
particulièrement bien reçu ce jour-là. Les grèves régionales ont
été massives, avec la fermeture complète des trois ports du pays
(Anvers, Bruges et Gand) et un mouvement de grève qui a été tant
suivi en Flandre qu'en Wallonie et à Bruxelles.
Par
sa nature même, il est extrêmement difficile pour ce gouvernement
de céder la moindre véritable concession ; c'est pourquoi,
bien qu'un accord pourri n'est jamais complètement exclus, les
dirigeants syndicaux vont sans doute prolonger le mouvement en 2015.
Le gouvernement est déjà ébranlé ; certains patrons ont
commencé à intervenir en faveur de négociations. Le LSP/PSL
propose un second plan d'action pour mobiliser plus largement, en
cherchant entre autres à intégrer les ouvriers dans les plus
petites entreprises, pour aller vers une nouvelle vague de
manifestations et une grève de 48 h, avec éventuellement une
grève à durée indéterminée si tel est l'humeur parmi les
grévistes.
La principale faiblesse du plan d'action syndicale est le
manque d'alternative : de nombreux dirigeants syndicaux veulent
un retour à l'ancienne coalition de partis traditionnels, avec les
socio-démocrates. Même si cela pourrait bien arriver, un tel retour
“à la normale” ne ferait en réalité que poser de manière
encore plus critique la question qui est déjà largement débattue,
celle d'une alternative politique par et pour les travailleurs. Le
LSP/PSL promeut l'appel de la section syndicale de la ville de
Charleroi qui est d'unifier l'ensemble de la gauche véritable (à
gauche du PS et des Écolos) en un grand parti large de lutte.
Piquet de grève au port d'Anvers (2è port d'Europe) le jour de la grève nationale |
La Suède
La
Suède fait partie des pays de
l'OCDE (Organisation de coopération et de développement
économiques) où le fossé entre classes s'est le plus
élargi. Il y a eu un rapide démentèlement de l'État social qui
avait été construit au cours de décennies, et la Suède est à
présent considérée comme un modèle de néolibéralisme et non
plus de “socialisme”. Les élections du mois de septembre ont
révélé une grande fragmentation politique et une forte montée de
l'extrême-droite.
Beaucoup
de gens voulaient se débarrasser du gouvernement de coalition dirigé
par le Parti du rassemblement modéré (Moderata Samlingspartiet),
dont les quatre partis ont perdu de nombreuses voix. Mais malgré
cela, le résultat du “Parti social-démocrate suédois des
travailleurs” (SAP, Sveriges Socialdemokratiska Arbetareparti, le
plus vieux et traditionnellement le plus grand parti du pays) n'a été
que de 31 %, soit plus bas encore que lorsque son
gouvernement a été vaincu en 2006.
C'est le parti
d'extrême-droite des “Démocrates
suédois” (Sverigedemokraterna) qui a récupéré les voix
de toute une couche qui est contre les coupes budgétaires et les
privatisations du dernier gouvernement et qui en même temps soutient
la politique raciste anti-immigration. Les Démocrates suédois ont
plus que doublé leur score depuis les dernières élections, pour
devenir le troisième parti le plus important au parlement, avec
48 députés.
Ils sont à présent en position de faire chuter
le gouvernement en votant avec l'alliance de droite dirigée par les
Modérés contre le budget gouvernemental à venir. Néanmoins, leur
dirigeant a décidé de prendre des vacances après les dernières
élections, sous prétexte qu'il était “épuisé” après les
propos selon lui haineux proférés par de soi-disant “extrémistes”
qui luttent contre son parti !
Les
Sociaux-Démocrates, avec le Parti de l'environnement (Miljöpartiet)
comme allié, tentent de centrer leur politique sur un consensus pour
des coupes continues. Les dirigeants de la fédération patronale et
de la principale fédération syndicale, l'Organisation nationale
(LO, Landssorganisationen), ont quant à eux entamé des négociations
qui pourraient déboucher sur une convention sociale. Le Parti de
gauche (Vänsterpartiet), qui obtient tout juste 5 % des voix,
ne rejoindra pas le gouvernement central, mais, tout comme l'Alliance
de l'unité rouge-verte (Enhedslisten – de rød-grønne) au
Danemark, soutiendra les coupes budgétaires aux plans national et
local en échange de quelques concessions.
Le
nouveau parti connu sous le nom d'“Initiative
féministe” (Feministiskt initiativ) a reçu moins de voix
que lors des élections européennes et se retrouve à 4 %, sous
le seuil minimum pour pouvoir entrer au parlement ; mais il a
obtenu des élus dans 13 des 21 conseils communaux pour
lesquels il avait présenté des candidats. Cette formation, qui
reçoit beaucoup d'attention médiatique pour son programme de
gauche, a certainement reçu des voix de la part de travailleurs et
de jeunes qui ne supportent pas de voir l'érosion de leur niveau de
vie. Parmi les jeunes électeurs, l'Initiative féministe et le Parti
de gauche ont obtenu beaucoup plus de voix que les Démocrates
suédois.
Les
camarades du CIO en Suède (Parti de la justice socialiste,
Rättvisepartiet Socialisterna)
ont joué un rôle très important dans les grandes manifestations
antiracistes en Suède. Nos camarades sont activement intervenus dans
des campagnes contre la privatisation de l'enseignement et des
services sociaux. Ils sont aussi parvenus, via une campagne
énergique, à conserver quatre de nos cinq conseillers
communaux (à
Haninge, un quartier de la capitale Stockholm, et à Luleå, dans le
grand Nord) et à accroitre la quantité de nos votes à
Göteborg (deuxième ville de Suède, dans l'Ouest).
Manifestation « Pas de racisme au parlement ! » |
Le Royaume-Uni
La
situation au Royaume-Uni au cours de la dernière période a été
dominée d'un côté par le référendum pour l'indépendance de
l'Écosse, et de l'autre, par les élections nationales qui devraient
avoir lieu dans six mois.
Comme
nous l'avons dit peu après le référendum, cet évènement a tout à
fait vérifié la citation « La question nationale n'est que la
coque d'un bolchévisme encore immature ». Il y avait une
polarisation de classe parmi la grande majorité des travailleurs,
surtout au niveau des centres prolétariens que sont Glasgow, Dundee
et ailleurs, avec une très forte proportion de « Oui » à
l'indépendance, tandis que de son côté, la classe moyenne,
effrayée par la campagne de propagande menée par le gouvernement et
l'establishment quelques semaines avant le vote, est venue voter
« Non » en masse.
La conclusion de l'establishment, y
compris du dirigeant du Parti national écossais (SNP, Scottish
National Party) Alex Salmond, qui a démissionné le
lendemain, a été que la question de l'indépendance de l'Écosse
avait été résolue pour « au moins une génération ». Mais en réalité, les “gagnants” du moment sont déjà devenus les
“perdants”, tandis que les “perdants” sont les véritables
“gagnants”.
Les
Tories (parti conservateur) sont à présent fortement divisés à la
suite du référendum écossais, notamment après une tentative
éhontée de se donner une majorité au parlement de Londres en
excluant les députés écossais des votes sur toute une série de
questions ; mais la crise est encore plus sérieuse au sein du
Parti travailliste, qui est en train de perdre tous ses membres et
son soutien en Écosse. Son dirigeant écossais a démissionné en
faisant un discours dans lequel il condamnait le Parti travailliste
et accusait le dirigeant national Miliband de traiter la section
écossaise comme une simple “succursale” de son parti
britannique.
Même
si ceux qui ont voté pour le « Oui » à l'indépendance,
qui sont surtout des travailleurs et des jeunes, sont fort déçus,
ils n'ont pas abandonné la lutte politique pour autant – c'est
même tout le contraire. Une foule de ces gens est maintenant en
quête de réponses et décide de s'organiser en rejoignant un parti
politique : notre section écossaise, le Parti socialiste
d'Écosse, a ainsi gagné beaucoup de nouveaux membres.
La première
destination pour la plupart de ces personnes qui viennent de
s'éveiller à la conscience politique reste toutefois pour l'instant
le SNP, qui a doublé ou triplé ses effectifs. Mais cela ne va pas
durer éternellement : après tout, lorsqu'une vague fait monter
la mer, tous les bateaux montent avec elle. En même temps, ce
processus de conscientisation a produit certains phénomènes
fantastiques et de spectaculaires “changements de conception”. Le
prix de l'hypocrisie revient sans nul doute à l'acrobate politique
Alan Woods et à son organisation, la “Tendance marxiste
internationale” (IMT, International Marxist Tendency, résultat
d'une scission du CIO au niveau international au début des
années '90).
Au
cours du référendum, l'IMT a fermement défendu le « Non »
à l'indépendance (au nom de l'unité des travailleurs
britanniques). Après le référendum, lorsqu'il a vu de nombreux
jeunes refuser de quitter le terrain de la lutte politique,
Alan Woods a clairement commencé à s'inquiéter du fait que sa
position sur le référendum pourrait le discréditer auprès de
cette jeunesse. Et le voilà qui a à présent complètement retourné
sa veste pour déclarer que le Parti travailliste « se
retrouve largement discrédité auprès de larges couches » et
pour apparemment soutenir l'idée d'une « Écosse socialiste
indépendante ».
Souvenons-nous
qu'il s'agit de cette même minuscule organisation qui a décidé de
rompre avec la section britannique du CIO et avec le CIO sur le plan
mondial, notamment au sujet de la nécessité ou non de faire de la
section du CIO en Écosse une section autonome nationale (plutôt
qu'inféodée à l'organisation britannique) ! – décision qui
a été prise en 1992. Pour eux, faire de la section écossaise
une section nationale à part entière revenait à « rompre
avec une tradition de quarante ans de travail au sein du
Parti travailliste ».
Mais si Woods et ses camarades ont à
présent revu leur position et reconnaissent maintenant que nous
avions raison, pourquoi ne pas l'admettre franchement et tirer les
leçons qui s'imposent ? Après tout, il n'y a aucune différence
fondamentale entre le Parti travailliste en Écosse et le Parti
travailliste en Angleterre (l'Angleterre n'étant qu'une des quatre
“nations” du Royaume-Uni), au sein duquel l'IMT travaille encore.
Tout
le tumulte autour du référendum écossais nous éclaire sur
l'humeur véritable qui vit au Royaume-Uni juste en-dessous de la
surface des discours politiques. La misère croissante, « pire
que sous Thatcher », les files dans les banques alimentaires,
qui existent à présent aussi bien dans les zones “privilégiées”
que dans les quartiers les plus pauvres, l'armée permanente de
chômeurs, les attaques contre les “profiteurs”, “parasites”
qui reçoivent des allocations sociales… tout cela cause une
indignation furieuse de la part de la classe des travailleurs, qui ne
peut pas s'exprimer à travers la “politique” traditionnelle.
Cependant, cette colère a percé lors du référendum, surtout vu le
nombre de partisans du « Oui » à l'indépendance qui
voyaient cela comme un moyen de porter un coup décisif aux Tories et
au capitalisme. Ce n'est qu'un reflet de ce qui pourrait encore
arriver dans le contexte de l'atmosphère tendue qui règnera après
les prochaines élections de mai.
Il
est impossible de prédire le résultat de ces élections. Les
sondages d'opinion placent les Tories et les Travaillistes coude à
coude, mais cela pourrait changer vu l'ambiance extrêmement instable
au Royaume-Uni. Le parti de droite populiste UKIP (Parti pour
l'indépendance du Royaume-Uni, United Kingdom Independence
Party) pourrait encore gagner des sièges, tout comme le SNP qui va
rafler les voix du Parti travailliste en Écosse. Tous les partis
sont pour l'austérité. Les porte-paroles travaillistes promettent
même qu'en cas de victoire, les attaques promises « se
poursuivront pendant des années ».
Dans la presse, beaucoup de
journalistes commentent que « les véritables gagnants sont
ceux qui perdront ces élections », vu le contexte, en
particulier le contexte économique qui sera déterminant pour la
politique menée par le prochain gouvernement. De notre point de vue,
le meilleur résultat serait un gouvernement Miliband, qui forcera
l'aile droite du Parti travailliste à montrer de quoi elle est
capable dans la pratique et qui finira de la discréditer aux yeux
des travailleurs, ce qui permettra de dégager la place pour
l'émergence d'une nouvelle force des travailleurs de masse capable
de former un nouveau parti.
D'ailleurs,
il ne reste que très peu d'illusions envers Miliband et son parti.
Même avant les élections, on voit un très grand scepticisme, voire
carrément de l'hostilité. En temps normal, avant les élections,
les dirigeants syndicaux tentent de faire taire l'opposition
syndicale parce qu'ils calculent (à tort) que les mouvements
pourraient nuir aux résultats électoraux de leurs amis
travaillistes. Mais cette fois-ci, ils se sont retrouvés forcés par
la pression des masses à organiser des grèves et une manifestation
nationale de masse en octobre, qui a fait défiler
100 000 participants pour une hausse de salaire pour les
travailleurs britanniques notoirement sous-payés.
Les
dirigeants syndicaux sont des lâches, dont le seul argument pour
appeler à voter pour les Travaillistes est cela nous permettra de
nous débarrasser du gouvernement de coalition
conservateur-démocrate, et que les Travaillistes seraient peut-être
un peu plus conciliants au niveau des libertés syndicales. Il est
vrai qu'un gouvernement travailliste pourrait remettre en place la
loi qui dit que les délégués syndicaux doivent avoir du temps
libre, pris sur leur temps de travail et payé par l'employeur, pour
s'occuper des affaires syndicales, et qui avait été supprimée par
les Conservateurs. Après tout, il s'agit d'une “réforme” qui ne
coutera rien au nouveau gouvernement, à part enlever une arme
antisyndicale utile d'entre les mains des patrons.
Nous
pouvons être certains que la période à venir sera cruciale pour
notre parti en Angleterre et au pays de Galles. La Coalition
syndicale et socialiste (TUSC, Trade Unionist and Socialist
Coalition, un parti créé par des militants syndicalistes mais non
soutenu par la direction des syndicats) pourrait effectuer une
véritable percée dans un futur proche. Elle proposera
cent candidats lors des élections nationales, ce qui lui
coutera la somme de 50 000 £ (40 millions de
francs CFA) en frais d'enregistrement uniquement, et avec
l'objectif d'aller vers un millier de candidats lors des
prochaines élections municipales, sous la bannière de la TUSC. Tout
cela devrait lui conférer une couverture médiatique qui permettra à
la TUSC de se positionner sur la carte politique.
L'establishment tout entier a défilé contre l'indépendance de l'Écosse. « Votez non : Fiers d'être Britanniques, fiers d'être Écossais ». Une victoire qui se retourne à présent contre eux. |
Lien vers la troisième partie de ce document : perspectives pour le Moyen-Orient et la Russie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire