Perspectives mondiales : l'Amérique du Sud
La fin d'un cycle, le début d'un autre
Début décembre 2014, s'est tenue une réunion du Comité exécutif international du CIO (CEI), une structure composée de 2-3 délégués de chaque section nationale du CIO, élus lors de notre Congrès mondial bisannuel. Comme lors de chacune de ces réunions, le CEI a débattu de l'actualité mondiale, région par région, pays par pays, ainsi que de l'état d'avancement de notre travail dans nos différentes sections, pour ensuite déterminer notre ligne politique au niveau international, cela en vue d'encourager, accompagner, structurer et guider le processus de la révolution mondiale à venir jusqu'à l'année prochaine.
Ce rapport est en sept parties : 1) Économie mondiale et grandes tendances géopolitiques ; 2) États-Unis et Europe ; 3) Moyen-Orient/Afrique du Nord et Europe de l'Est ; 4) Asie du Sud et de l'Est + Afrique ; 5) Amérique latine (tendances et Amérique centrale) ; 6) Amérique du Sud ; 7) Débat sur la question nationale
Ceci est le sixième document de cette série, concernant l'Amérique du Sud et les conclusions pour l'Amérique latine dans son ensemble.
Ce document – produit par les camarades du CIO en Amérique latine – a été discuté, amendé et voté lors de la dernière réunion du Comité exécutif international du CIO. Étaient présent à cette réunion les camarades des sections brésilienne, bolivienne, chilienne et vénézuélienne du CIO.
Retrouvez toute la série d'articles en cliquant sur ce lien : CEI 2014.
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La Colombie
La
Colombie concentre toutes les contradictions dans la région, avec une
économie qui n'a cessé de croitre ces dernières années d'un point
de vue macro, portée par d'importants investissements étrangers.
Cependant, le conflit armé se poursuit : une rébellion vieille
de plus de 50 ans qui a déjà fait plus de 200 000 morts
et 5 millions de réfugiés. En outre, les indicateurs sociaux
sont négatifs, contrastant avec les indicateurs macroéconomiques
positifs.
Une
toute petite minorité (0,4 % de la population) possède 61 %
des terres – un petit groupe composé de grands seigneurs
terriens dont beaucoup sont liés au trafic de drogue et possèdent
leurs propres milices paramilitaires. Les communautés noires et
autochtones ne possèdent que 2 % des terres. Cela explique
aussi pour beaucoup les raisons de la guérilla en Colombie mais
aussi de la grève des paysans qui est devenue un des plus grands
mouvements de contestation du pays depuis des décennies.
En 2013,
une grève des paysans a paralysé 19 villes et bloqué les
routes principales dans 9 provinces sur 32 que compte le
pays. Le mouvement a mobilisé plus de 300 000 personnes.
Cette vague de contestation a donné de la force aux travailleurs des
villes et aux étudiants qui ont exprimé leur solidarité avec les
paysans mais sont aussi descendus pour protester contre le travail
précaire et pour des droits démocratiques. Au même moment, il y
avait un autre grand mouvement des mineurs artisanaux dont la plupart
fournissent les grosses sociétés minières dans le pays. Ces
deux mouvements ont provoqué une crise pour le
président Santos, dont le taux d'approbation a chuté au point
que 70 % de la population rejette son gouvernement.
Le
mouvement a été mobilisé contre l'accord de libre-échange que le
gouvernement a signé avec les États-Unis et l'Union européenne,
qui a eu un lourd impact sur la production nationale et notamment sur
les activités des petits producteurs, ce qui a encore plus fait
baisser leur niveau de vie.
Ces
mouvements de grève sont en train de transformer la vie politique en
Colombie. Ce n'est pas un hasard si, après 50 ans de guerre, le
gouvernement et les guérillas Farc et ELN cherchent à présent une
solution politique à leurs divergents. Mais plus de 50 % de la
population n'attend rien de ce processus de paix, vu l'expérience
passée. Cependant, cela montre qu'il y a une pression croissante à
la base, qui cherche une issue progressiste à cette impasse, sans
répéter les erreurs du passé. On a vu ça avec la “Marche
patriotique”, un mouvement large de diverses forces qui luttent
pour la paix et pour des réformes pour en finir avec les inégalités.
C'est
dans ce contexte que se sont déroulées les élections
présidentielles de 2014. Santos cherchait sa réélection et la
gauche a présenté deux candidats, qui ne sont pas arrivés au
second tour mais qui ont tout de même démontré qu'il existe un
processus d'accumulation de forces pour contrer le système bipartite
qui dirige la Colombie depuis la fin de l'ère coloniale.
Santos
a été battu dès le premier tour, avec à peine 25 % des
voix. Mais en réalité, c'est tout le système qui a été battu, vu
que le taux d'abstention a atteint un sommet record, avec presque
60 % d'abstentions. Heureusement pour Santos, son principal
adversaire était Zuluaga, du parti de droite de l'ex-président
Uribe, qui avait adopté une position réactionnaire dure contre le
processus de paix et en ce qui concerne les relations avec le
Venezuela. La stratégie d'Uribe a échoué parce que la population
craignait que le conflit armé ne s'intensifie et que les relations
avec le voisin vénézuélien (qui est le principal partenaire
économique du pays) ne s'enveniment. Cela a polarisé le second tour
entre le camp “de la guerre” et celui “de la paix”,
repoussant temporairement à l'arrière-plan les revendications
sociales qui avaient été mises en avant par les différents
mouvements en 2013.
Même
la gauche (Polo Alternativo Democrático, la Marcha Patriótica
et le Parti communiste) a adopté une position de soutien indirect à
Santos, y compris les guerrillas Farc. Au Venezuela, le gouvernement
Maduro a également changé sa rhétorique pour soutenir Santos, car
une victoire de Zuluaga aurait rendu la situation encore plus
instable.
Cette
situation était très compliquée pour la gauche. Bien que Santos
reste un représentant de la bourgeoisie, il était clair qu'une
victoire de l'uribisme via Zuluaga aurait constitué un pas en
arrière pour le processus de paix. Pour la majorité des Colombiens,
la question de la paix est le principal enjeu aujourd'hui arès
50 ans de guerre.
Il
est correct de soutenir les initiatives des forces larges de gauche,
tout en faisant attention à ne pas semer d'illusions à leur égard
ni en ce qui concerne les négociations entre Santos et les
guérillas. Il est vital de continuer à se battre pour la
construction de plateformes politiques indépendantes par et pour les
travailleurs et l'ensemble de la population opprimée. Cependant, ce
processus passera par différentes étapes de développement.
Le
conflit électoral entre Santos et Zuluaga reflétait une situation
qui existe également dans d'autres pays de la sous-région : un
choix entre le moindre mal ou l'abstention. En Colombie, l'abstention
était la position correcte pour la gauche, en se basant sur les
revendications de la population que elle seule est à même
d'obtenir. Santos a fini par remporter les élections, mais le
processus reste ouvert. Il est clair que la classe dirigeante n'a pas
un contrôle total du pays et que des nouvelles générations sont en
train d'émerger à la suite des défaites du passé, tandis que les
contradictions sociales s'intensifient et s'approfondissent.
D'un
point de vue marxiste dogmatique, les mouvements, grèves et
manifestations des paysans et des mineurs et le mouvement pour la
paix ne sont pas la révolution et ne se basent pas sur un programme
marxiste conscient et fermement établi. Cependant, il serait erronné
de sous-estimer la puissance et l'ampleur de ces luttes. Il est
crucial d'adopter une approche sensible envers ces sections des
travailleurs envers les mineurs, les paysans et les étudiants, afin
de bâtir une force alternative révolutionnaire en Colombie.
Toutefois, il s'agira d'un processus complexe.
Le
Venezuela
La
révolution bolivarienne passe en ce moment à travers une période
de stagnation, après le point tournant qu'a été la mort de
Hugo Chávez. Son décès a ouvert une nouvelle période
post-Chávez, dans laquelle toutes les contradictions du modèle du
soi-disant “socialisme du 21è siècle” sont remontées à la
surface. La droite n'a pas abandonné son agenda réactionnaire qui
vise un retour au pouvoir, et a à nouveau tenté de forcer le
passage par la violence après avoir été frustrée par sa défaite
électorale face à Chávez en 2012 et face à Maduro en 2013.
Le
mouvement de droite connu sous le nom de “La Salida”
(“La Sortie”) est dirigé par la faction la plus radicale de
l'alliance MUD (Table ronde de l'unité démocratique), constituée
du parti de droite Volonté populaire (dont le dirigeant
Leopoldo Lopez est en ce moment en prison), de l'Alliance du
peuple brave (qui détient le poste de maire de la capitale Caracas
en la personne d'Antonio Ledezma) et de Maria Corina
Machado, une députée “indépendante” liée aux couches les plus
réactionnaires de l'élite politique réfugiée aux États-Unis.
Début 2014, cette faction a organisé un mouvement de masse
reposant sur la jeunesse des classes moyennes qui a mené à de la
violence et à un début de guerre civile.
Le
meilleur exemple a été la situation dans la province de Tachira (à
la frontière colombienne) qui a été pratiquement assiégée
pendant près d'un mois, sous le contrôle des étudiants de
droite qui bénéficaient du soutien ouvert de milices financées par
les élites les plus réactionnaires de Colombie et certainement
encouragées par les États-Unis. Même si les manifestations de la
droite n'ont pas pu atteindre les principaux bastions chavistes,
elles sont parvenues à épuiser le gouvernement et à le forcer à
s'asseoir à la table des négociations avec des grands hommes
d'affaires et partis de droite.
Ces
négociations ont été présentées par le gouvernement Maduro comme
nécessaires pour rechercher une cohabitation pacifique entre les
factions “démocratiques” de l'opposition de droite et les
patrons “nationalistes” qui désirent investir pour “aider” à
développer l'économie nationale.
Les
cinq mois de confrontations ont officiellement causé 45 morts
et plus de 2000 arrestations. Cette crise a approfondi les
divisions au sein du gouvernement et au sein de l'opposition, ce qui
a jusqu'ici eu pour effet de paralyser les négociations.
Le
MUD s'est retrouvé plongé dans une crise de direction. L'aile
radicale veut une solution rapide, y compris en encourageant le
mécontentement dans l'armée pour provoquer un coup d'État ou la
démission de Maduro. La faction modérée veut demeurer dans le
cadre de la constitution et du jeu démocratique, espérant remporter
une majorité lors des élections parlementaires de 2015, qui
pourraient accélérer la chute du chavisme. Dans ce but, elle a
développé une stratégie de sabotage de l'économie en organisant
de la spéculation, en cessant de livrer les denrées alimentaires
sur les marchés et en activant la contrebande afin de susciter du
mécontentement parmi la base du mouvement chaviste et de s'assurer
d'un soutien pour les élections.
Du
côté du gouvernement, c'est la même situation : une crise de
direction après l'énorme vide laissé par Chávez. Il y deux blocs
à présent qui se disputent la direction du chavisme : l'armée,
qui n'est pas socialiste même si elle utilise ce mot dans ses
discours, et les civils qui viennent de la gauche des années '80
et '90, influencée par les tendances réformistes de
l'après-chute du Mur. Ces deux factions sont d'accord sur un
ennemi commun : pas la droite modérée démocratique, mais les
radicaux de gauche comme de droite qui veulent intensifier la
confrontation.
Dans
le camp Chávez, les factions radicales sont de la gauche critique
qui dénonce le pacte réalisé entre une partie de la bourgeoisie et
qui exige une action plus concrète contre la droite et contre les
capitalistes. Le gouvernement criminalise cette gauche en la reniant
politiquement, en la décrivant comme démodée, dogmatique, en
l'accusant de trahison, d'entrisme, de trotskisme, etc. On retrouve
dans cette tendance ceux qui travaillent dans la base chaviste du
PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela) et d'autres groupes de
gauche indépendants qui font partie de la galaxie de la gauche
patriotique autour du PSUV ou qui lui sont opposés.
Cette
période est donc marquée par un tableau général de confrontation
politique, qui va s'intensifier dans les années à venir vu la
situation économique qui sera déterminante pour l'avenir du
chavisme. L'effondrement du cours du pétrole n'a toujours pas
provoqué la catastrophe économique que les analystes de droite
avaient prédite. Cependant, le gouvernement est en grande difficulté
vu son incapacité à résoudre les importantes distortions dans
l'économie spéculative parasitaire, paradoxalement stimulée par le
gouvernement qui bat sa propre monnaie pour repousser la crise à
plus tard.
Le
gouvernement insiste sur le fait qu'il se voit contraint de mettre en
place des mesures de contrôle absurdes. Sa bureaucratie se révèle
chaque jour de plus en plus inefficace, corrompue et
contrerévolutionnaire. Les initiatives prises par les travailleurs
et la base, telles que l'occupation des entreprises qui ont été
illégalement fermées par leurs patrons ou la distribution de
nourriture, se retrouvent isolées et militarisées par le
gouvernement, ce qui fait qu'elles finissent par tomber à l'eau,
frustrant les travailleurs.
De
plus, le gouvernement, qui qualifie pourtant la situation comme celle
d'une “guerre économique” de la bourgeoisie contre la
révolution, ne fait curieusement que concession après concession,
en cherchant à traiter ces mêmes capitalistes en partenaires de
gouvernement. Ce qui n'a rien amené de bon pour les travailleurs. On
voit de plus en plu de licenciements ces derniers temps ; les
droits des travailleurs même les plus élémentaires sont bafoués :
tout cela est le résultat des concessions faite aux patrons par le
gouvernement.
La
classe prolétaire vénézuélienne est confrontée à une crise
chronique de direction syndicale et politique. Il n'existe aucune
puissante fédération indépendante. Les luttes qui éclatent un peu
partout restent isolées. De plus en plus de militants sont fatigués,
démoralisés, surtout dans la fonction publique. Tout cela facilite
la contrerévolution.
La
politique de l'État revient de plus en plus à criminaliser les
luttes, à violer les droits démocratiques des syndicats et des
négociations collectives. En même temps, il y a au moins
quatre taux différents de change de la monnaie nationale avec
le dollar, ce qui génère une inflation qui atteint déjà plus de
60 % : la plus forte inflation d'Amérique latine et une
des plus fortes au monde. Cette inflation est en train de tuer le
pouvoir d'achat des travailleurs.
Le
modèle du chavisme a atteint ses limites. Il ne propose plus aucune
alternative au-delà des mêmes vieilles formules. L'appareil
bureaucratique a acquis tellement de pouvoir que toute initiative
prise par l'exécutif, quand bien même il s'agirait de la mesure la
plus progressiste au monde, finit par avoir des effets négatifs. Il
y a de plus en plus de problèmes dans le système des soins de santé
et au niveau de l'insécurité. L'état de la société est tel qu'on
se croirait revenu 20 ans en arrière, pendant la crise des
années '90, qui avait commencé par les émeutes de 1989
appelées “Caracazo”, qui avaient fait 3000 morts et ouvert
la voie à deux tentatives de coups d'État.
Pour
la gauche révolutionnaire, la situation est difficile et complexe.
Il est vrai qu'on n'a pas une guerre civile ouverte ou une
intervention militaire comme en Ukraine, en Syrie, au Kurdistan, etc.
Mais une guerre est bel et bien en train de se jouer, une guerre de
fond, qui est en train de tuer la population petit à petit. Les
longues files d'attente pour trouver de la nourriture ou même du
savon ; la violence croissante, qui ne se limite pas au meurtre,
mais qui inclut la torture et le découpage des victimes ; une
immense fatigue, après 15 ans de combat pour un nouveau
système, une nouvelle société qu'on nous promet mais qui ne vient
pas !… Tout cela a un effet terriblement négatif sur la
conscience des masses.
Tous
ces éléments s'accumulent et ont fini par mener à une
fragmentation et à une atomisation des groupes révolutionnaires.
Ils causent aussi une profonde confusion parmi les couches qui sont
critiques du chavisme, qui n'arrivent plus à faire la différence
entre le socialisme et le populisme, et qui refusent de comprendre
l'importance de construire une force prolétaire indépendante.
En
même temps, l'ensemble des forces sociales et politiques cherchent à
se regrouper pour 2015 et les élections parlementaires. Car les
résultats de ces élections seront très importantes pour l'avenir
de la révolution bolivarienne. Pour le groupe
Socialisme révolutionnaire (CIO au Venezuela), notre tâche
reste d'intervenir dans les luttes pour y défendre l'idée d'un
programme socialiste vrai, montrer du doigt les limites du programme
du gouvernement et de son faux socialisme, tout en dénonçant
l'hypocrisie de la droite. Mais en même temps, il est nécessaire de
nous préparer à une possible défaite et à une série de reculs.
Sans doute pas une défaite écrasante et traumatique comme on l'a vu
lors de processus historiques similaires comme au Nicaragua dans les
années '90 ou au Chili en 1973. Mais néanmoins, une
défaite qui aura un impact sur le processus de réorganisation de la
gauche pendant la période de luttes qui va venir.
C'est
pour cette raison que nous devons accorder une grande attention à de
possibles ruptures au sein du PSUV et de la galaxie chaviste en
général. Il est possible qu'au cours de la prochaine période de
nouvelles formations de gauche vont apparaitre, qui vont chercher à
se réclamer de l'héritage progressiste de Chávez et continuer à
être un point de ralliement dans le pays. Mais il ne faudra pas non
plus surestimer ce potentiel. Il ne fait aucun doute que Chávez a
laissé une marque profonde dans la conscience des travailleurs et
des pauvres, mais de même, cela pourrait énormément changer, en
fonction du progrès que la classe prolétaire elle-même va faire du
point de vue révolutionnaire.
Cette
année déjà, il y a eu des tentatives de rupture au sein des bases
du chavisme et de rassembler de nouvelles structures afin de réagir
à la crise actuelle. L'expérience du Conseil populaire
révolutionnaire, dans lequel notre groupe du CIO a joué un rôle
très important, contient des leçons et peut servir de référence.
Cependant, ce processus pourrait s'avérer trop lent par rapport au
rythme brutal auquel la situation se modifie et se développe. C'est
pourquoi notre perspective réaliste sur le court terme est que le
chavisme va soit stagner, soit se droitiser, ou aller vers la
formation d'un gouvernement d'unité nationale qui inclurait aussi
une partie de la droite “démocratique”.
Par
exemple, à la suite du dialogue entamé après les mobilisations de
février et de mai, un processus de négociation a été initié
entre le PSUV et les partis du MUD afin d'élire de nouveaux membres
aux organes judiciaires et électoraux que sont le Tribunal suprême
de justice et Conseil national électoral. Cela va consolider pour le
moment la polarisation entre le PSUV et le MUD.
Mais
il ne faut pas tirer une conclusion fataliste de tout cela, comme
quoi la révolution serait déjà perdue. Les contradictions vont
continuer à se renforcer, et aucune politique réformiste ni
libérale ne pourra les résoudre. La fin de la crise vénézuélienne
qui dure depuis des décennies ne viendra qu'avec le triomphe de la
révolution socialiste démocratique.
Maduro peine à maintenir le mouvement chaviste à flots |
Le Brésil
Ce
pays sert assurément de thermomètre pour toute la sous-région,
malgré ses nombreuses spécificités apparentes, vu qu'il est de
culture et de langue différente (portugais) par rapport au reste de
l'Amérique latine. Mais son modèle économique est le même
que celui des autres pays de la sous-région : une forte
dépendance aux exportations de matières premières, la sujétion
aux marchés mondiaux et une classe politique qui s'inscrit
totalement dans la logique du capitalise, comme c'est le cas avec le
Parti des travailleurs (PT) au pouvoir.
Les
récentes
élections générales au Brésil
(qui combinaient élections présidentielles, parlementaires et
régionales) se sont polarisées entre Mme Dilma Rouseff du
PT et M. Aecio Neves du Parti de la social-démocratie
brésilienne (PSDB). Les deux candidats ont cherché à se
montrer différent l'un de l'autre pendant la campagne, mais on sait
bien qu'en réalité ils mènent la même politique néolibérale,
une politique de coupes budgétaires, de privatisation, de petits
cadeaux aux grandes entreprises, aux banques et aux grands planteurs.
Dilma
est parvenue à remporter le second tour avec une différence
d'à peine 3 millions de votes pour finir à 51 % contre
son adversaire qui avait obtenu 48 %. D'un autre côté, quand
on regarde le nombre d'abstention, de votes blancs et de bulletins
déchirés, cela nous donne 13 millions d'électeurs potentiels,
soit 28 % de la population (mais jusquà 40 % de la
population des grandes villes comme Rio de Janeiro), qui
peuvent être considérés comme un « troisième bloc »
social, capable de jouer un rôle important dans le rapport de forces
au cours de la prochaine période. Le pays semble à présent divisé
entre les « rouges » et les « bleus », les
communistes et les socio-démocrates. C'est en tout cas de ça que
voulait parler Dilma dans les premiers mots de son discours après sa
réélection, quand elle a dit que pour elle, le pays n'est pas divisé
et que son administration fera tout pour se concentrer sur l'économie
et pour entamer un dialogue en vue de l'unité nationale.
Ce
scénario postélectoral pourrait représenter un point tournant pour
la fin d'un processus et le début d'une nouvelle période, au cours
de laquelle les contradictions sociales passeront au premier plan. Un
nouveau virage à droite du PT brésilien pourrait aussi convaincre
les gouvernements « de gauche » des pays voisins
d'effectuer le même revirement.
La
droite traditionnelle du PSDB a grossi pendant ces élections.
C'était la première fois depuis 2002 que le PT voyait une
véritable possibilité de perdre le pouvoir, depuis la victoire de
Lula (un président bourgeois « de gauche » au style
populaire). La droite traditionnelle s'est renforcée à cause de la
situation économique, de l'arrêt de la croissance et de la
réduction de la marge de manœuvre pour la mise en place de mesures
populistes et sociales. Le PT est lui-même responsable de la
croissance du PSDB, parce qu'il ne s'est pas assez différencié
politiquement de la droite, préférant mettre en place des
contreréformes libérales au lieu de réformes populaires, attaquant
et criminalisant les mouvements sociaux.
Mais
ça ne veut pas dire que la droite ne pourrait pas revenir au
pouvoir. C'est possible à cause de la crise de la direction
révolutionnaire, à cause de l'absence d'une alternative au PT qui
soit capable de canaliser le mécontentement croissant et de vaincre
la droite. Le manque d'une alternative permet à la droite
brésilienne mais aussi au PT de rester encore au pouvoir pour un
certain temps en continuant le même petit jeu.
Les
perspectives économiques de 2015 pour le Brésil et pour la
sous-région ne sont pas très favorables. Le FMI et la
Banque mondiale estiment que la croissance restera basse, et que
l'économie brésilienne ne progressera que d'à peine 1 %.
Toute
la sous-région est marquée par la stagnation économique, combinée
à la crise mondiale qui frappe à présent fortement la Chine et la
Russie et à la recrudescence de la droite. Au Brésil, ces
trois facteurs sont encore plus intenses. Le gouvernement PT
pourrait chercher à recourir à des alliances avec des forces qui
lui étaient normalement opposées, comme le PSoL (Parti du
socialisme et de la liberté), une formation de gauche large à
laquelle nos camarades participent. Le PSoL est un parti d'opposition
de gauche critique du PT, mais ses dirigeants ont décidé de
soutenir le PT lors du deuxième tour des élections.
Mais
les scrutins ne tiennent pas compte de la situation sociale qui
s'exprime dans les rues. Les manifestations contre la Coupe du monde
ont marqué la conscience de la population. Ces actions
représentaient le mécontentement croissant et ont révélé
l'ampleur des contradictions et des limites du modèle de
développement prôné par le PT.
Tout
indique que le PT va chercher aussi des alliances avec des forces qui
ont contribué au programme politique du PSDB, ce qui va démontrer
qu'il n'y a pas de grande différences entre les deux. Le nouveau
ministre des Finances est ainsi
Joaquim Levy, un des patrons de la deuxième plus grande banque
du pays. Les
grands planteurs et les grandes entreprises sont eux aussi
représentés au gouvernement.
La
gauche brésilienne doit faire son bilan des élections, tirer les
leçons et trouver des points d'accord afin d'aller vers la
construction d'une force unie large pour pouvoir présenter des
candidats contre la direction du PT et du PSDB.
Lors
du premier tour des élections, les partis de gauche PSoL et PSTU
(Parti socialiste des travailleurs unifié, trotskiste de tendance
moréniste) ont fait ensemble 1,6 % des voix. La raison pour ce
faible score est la campagne de Marina Silva, candidate
indépendante qui, même si elle n'a pas énormément de différences
par rapport à Dilma et Aecio, est apparue comme une alternative
politique pour beaucoup de gens car elle était intervenue pour
soutenir le grand mouvement de juin 2013 contre la hausse du
prix du transport. Sans sa candidature, le PSoL aurait pu obtenir
4-5 %.
Le
score du PSoL est faible, mais nous devons néanmoins apprécier le
fait que son nombre de voix a doublé par rapport aux dernières
élections. Lors des élections régionales, il a pu obtenir beaucoup
de voix dans certaines villes, ce qui montre que la classe des
travailleurs brésiliens est à la recherche d'une alternative. Mais
nous devons aussi critiquer le sectarisme du PSTU, qui a préféré
mettre en avant ses propres candidats et a refusé l'idée d'un front
uni de la gauche qui aurait permis à la gauche brésilienne d'aller
plus loin que ça.
Le
PSoL est un espace important pour l'action politique, avec la
perspective de construire une alternative au bipartisme du PT et du
PSDB. Mais le PSoL ne peut pas constituer cette force seul.
La classe
des travailleurs brésiliens constitue une force énorme dans ce
pays, mais elle n'est pas encore pleinement entrée en action. Elle a cependant exprimé sa puissance lors des dernières mobilisations, et de
nouveaux mouvements plus puissants vont encore certainement survenir
au cours des prochaines années, vu que la crise va s'approfondir.
Par exemple, on a eu la grève des ramasseurs d'ordures à
Rio de Janeiro, la grève des chauffeurs de bus dans
plusieurs villes, les manifestations contre la Coupe du monde, et les
actions pour le logement organisées par le Mouvement des
travailleurs sans toit. Il faut à présent adopter une stratégie
commune pour tous ces différents secteurs, qui combine et qui unifie
la lutte de classes dans les quartiers, dans les villes, à la
campagne et avec la jeunesse.
Nos
camarades du groupe LSR (Liberté, socialisme et révolution, CIO au
Brésil) se sont développés en se focalisant sur ces perspectives.
Ils ont pu faire des pas en avant très importants, ce qui ouvre de
nouvelles possibilités pour la gauche révolutionnaire. Le travail
au sein du PSoL a donné à LSR une expérience qui sera très utile
pour la suite des évènements. La situation électorale nous a
permis de mener l'agitation avec un programme révolutionnaire et
d'atteindre de larges couches des travailleurs, des pauvres et des
exploités du Brésil. Toute cette force et cette expérience
accumulées joueront certainement un rôle dans le développement de
LSR en une force d'attraction pour les travailleurs et les jeunes en
lutte.
Tout
comme aux États-Unis, on ne peut pas dire que les élections aient
représenté un virage à droite. Il y a eu certes une polarisation
entre les électeurs progressistes et la droite. Cette polarisation
ne s'est pas entièrement reflétée dans le conflit entre Dilma et
le PSDB, qui représentent tous deux le même projet de société. La
polarisation a commencé en juin 2013 lorsque des milliers
de gens sont descendus dans la rue pour le transport. La couche la
plus progressiste de la population a voté pour le PSoL, qui a doublé
son nombre de voix par rapport aux dernières élections. La
candidate du PSoL Luciana Genro a reçu 1,6 millions de
voix. Le PSoL est aussi passé de 6 à 12 députés au
parlement national. Le député militant LGBT Jean Wyllys a
été réélu avec 140 000 voix contre
11 000 précédemment. Au niveau des conseils régionaux,
les meilleurs résultats pour le PSoL ont été obtenus par
l'historien Tarcísio Motta (Rio de Janeiro) et pour
notre camarade Roberio Paulino (Rio Grande do Norte,
dans le Nord-Est) : tous les deux ont obtenu 8 %.
L'ingénieur
Paolo Eduardo Gomes est
quant à lui passé de 8000 à 23 000 voix pour
le poste de député de Rio de Janeiro. Ces candidats ont
mené campagne avec un programme véritablement socialiste, qui
tranchait nettement avec l'approche du PT, du PSDB et de la majorité
des candidats PSoL.
Le
Brésil reste et va rester une référence incontournable dans la
sous-région. L'évolution de la situation au Brésil a une influence
certaine sur l'évolution politique dans les autres pays
d'Amérique latine. Mais, comme nous l'avons aussi rappelé,
cette même évolution dépendra de l'évolution de la lutte de
classes au niveau mondial.
Le Mouvement des travailleurs sans toit |
La Bolivie
C'est
en 2005, avec l'élection d'Evo Morales, que la Bolivie est
entrée dans le club des pays gouvernement dit « de gauche
progressiste », brandissant le drapeau du « socialisme du
21e siècle » et adoptant un discours radical envers
l'impérialisme américain et le capitalisme néolibéral. Depuis
lors, la Bolivie a bien changé. Pas seulement parce qu'Evo Morales
est son premier président issu d'une ethnie autochtone (tous les
autres étaient des descendants de colons blancs), mais parce que le
système politique procapitaliste traditionnel y a été complètement
démonté.
Evo Morales
a été récemment réélu pour un troisième mandat avec une
impressionnante majorité : près de 60 % du soutien
populaire. Son succès n'est pas seulement dû à son origine
populaire et indigène, mais aussi à sa politique réformiste qui a
véritablement amélioré le niveau de vie de la majorité de la
population.
Depuis
la « nationalisation » des hydrocarbures en 2006,
même s'il s'agit en réalité plus d'une renégociation des contrats
avec les multinationales du secteur et qu'il manque un contrôle
démocratique ouvrier et populaire sur le secteur nationalisé, Evo
et son parti Mas (Mouvement vers le socialisme) sont parvenus à
obtenir un meilleur contrôle sur le revenu de l'État, tirant
également profit de la hausse de la demande en matières premières
du côté des puissances émergentes que sont le Brésil et la Chine.
Pour donner une petite idée de l'ampleur de ses réformes, alors que
l'État bolivien tirait auparavant 300 millions de dollars
par an (170 milliards de francs CFA) de l'exportation du
pétrole et du gaz, ce secteur a rapporté 6 milliards
de dollars en 2014 (3300 milliards de francs CFA).
Cette
énorme quantité d'argent a permis au gouvernement bolivien de
développer sa politique réformiste par une économie mixte avec la
participation des capitalistes privés (qui ont bénéficié de
baisses de taxes et de plus de flexibilité de la main d'œuvre)
tout en investissant dans des programmes sociaux qui ont eu un
certain succès en même temps que la croissance progressait
fortement.
Le
taux de croissance de l'économie bolivienne est aujourd'hui un des
plus élevés de la sous-région, ce qui tranche avec la stagnation
et la récession d'importants pays voisins, comme le Venezuela,
l'Argentine et le Brésil. Evo a fait baisser le taux de pauvreté de
son pays de 18 % en 10 ans. Il maintient une balance
de paiements positive entre imports et exports ; le taux de
chômage est au plus bas ; le PIB par habitant s'est fortement
accru.
Tous
ces éléments ont créé de nombreuses illusions parmi la
population, c'est ce qui explique ce nouveau triomphe d'Evo et du Mas
qui ont remporté un troisième mandat haut la main. Avant 2005,
Evo obtenait 54 % ; après
le référendum constitutionnel de 2009, 64 % (ce
référendum faisait en sorte que le premier mandat ne comptait pas
comme premier mandat ; la nouvelle constitution consacre les
ressources naturelles comme étant la propriété du peuple bolivien,
fait de la Bolivie un État laïc, limite la possession privées de
terres à 5000 ha, autorise la révocation des élus, organise
un deuxième tour électoral au cas où aucun candidat n'a
obtenu 50 % alors qu'avant le parlement tranchait) ;
et en octobre de cette année, Evo a été réélu pour un
second/troisième mandat avec 60 %. Mais l'évolution de la
Bolivie est étroitement liée et semblable en de nombreux aspects à
celle du Venezuela (malgré les différences et les spécificités) ;
ce qui met en question les perspectives et le développement d'une
stratégie politique pour la gauche révolutionnaire au cours de la
prochaine période qui se profile à l'horizon.
Comme
Chávez au Venezuela, Evo a construit sa popularité sur base d'une
plus grande intervention de l'État dans l'économie, surtout avec la
redistribution des richesses du gaz et du pétrole, qui représentent
54 % des exportations du pays. Mais le modèle réformiste
d'Evo, tout comme celui de Chávez et de Maduro à présent, comporte
d'importantes faiblesses et limites. D'un côté, il dépend de
l'exportation de matières premières, ce qui veut dire que sa
politique est soumise aux dictats du marché mondial dominé par les
grandes puissances. Aujourd'hui déjà, nous vooyons que les cours du
principal produit de l'économie vénézuélienne, le pétrole, ont
commencé à chuter, ce qui complique énormément la situation de
l'économie du Venezuela, et qui fait que de nombreux projets de
réformes sociales sont reportées à plus tard.
En
plus de la dépendance au cours des matières premières, il faut
ajouter la dépendance aux principaux partenaires commerciaux qui
sont la Chine, le Brésil et la Russie. Or, ces pays commencent à
connaitre de grandes difficultés au niveau de leur économie. Tout
ceci se combine pour former un cocktail explosif qui va remettre en
question le modèle de développement prôné par le Mas en Bolivie,
tout comme on le voit au Venezuela.
Mais
l'évolution de la Bolivie possède ses propres particularités. Par
exemple, le parti Mas a conclu des alliances politiques avec toutes
sortes de forces de droite et même d'extrême-droite en Bolivie,
allant jusqu'à coopter certains leaders de droite ou
d'extrême-droite au sein des structures du parti ; ces
rapprochements ont été dénoncés par la gauche révolutionnaire, y
compris par nos camarades boliviens.
Mais
on dirait que ces manœuvres ont permis à Evo d'obtenir des
résultats impressionnants à Santa Cruz, qui était pourtant le
bastion de l'opposition de droite à Evo (Evo avait été élu
surtout avec les voix des paysans indigènes des montagnes, alors que
la bourgeoisie blanche des villes des plaines lui était opposée).
Le fait qu'il se soit fait accepter par la droite et la bonne santé
de l'économie bolivienne marquent une différence très importante
entre Evo et le phénomène Chávez. Car si Chávez avait effectué
des concessions à une partie de la bourgeoisie sur le plan
économique, il avait refusé tout rapprochement politique. Du coup,
alors que Chávez et ses successeurs sont confrontés à une
opposition déterminée de la part de la droite vénézuélienne, en
Bolivie, il semble que toute une partie de la droite ait décidé de
travailler avec le gouvernement Mas et de le soutenir.
Avec
toutes ces contradictions, il ne sera pas facile de construire une
gauche alternative en Bolivie ni de capitaliser sur les
contradictions au sein du Mas, puisque le manque de références
historiques et l'expérience du passé récent de régime de droite
néolibérale réactionnaire agissent fortement sur la conscience des
travailleurs et de la population qui voient le nouveau régime comme
un moindre mal, même si ce n'est pas dit en ces termes.
Ainsi
récemment un journal vénézuélien qui couvrait les élections en
Bolivie a publié des interviews de gens dans les rues de Bolivie,
qui disaient « Je vote pour Evo et je le soutiens, parce que je
ne veux pas voir revenir les politiciens de droite qui nous
dirigeaient dans le passé ».
Il
est clair qu'en Bolivie le processus reste ouvert, mais le virage à
droite du Mas est de plus en plus prononcé. Le résultat de cette
évolution dépendra non seulement du jeu des forces politiques en
Bolivie, mais aussi de la manière dont la situation va évoluer au
niveau de la sous-région, et en particulier au Brésil, en Argentine
et au Venezuela.
Les
camarades du CIO en Bolivie cherchent à développer une stratégie
visant à exposer les faiblesses du Mas et de la politique d'Evo,
afin de mettre en avant la nécessité d'une organisation
indépendante des travailleurs et de tous les secteurs en lutte. Les
contradictions du modèle réformiste du Mas vont rapidement entrer
en crise et en confrontation avec sa base populaire. Ces dernières
années, le Mas est déjà entré en conflit contre la population et
à dû recourir à la répression comme les gouvernements de droite
avant lui.
La
crise de la direction et le manque d'une alternative politique de
gauche se sont intensifiés après que le gouvernement, via la
bureaucratie de la Centrale ouvrière bolivienne, ait brisé une
tentative de construire un Parti des travailleurs (PT) qui était
pourtant une initiative des syndicalistes des mines, qui désiraient
ainsi se doter d'un instrument politique de lutte pour un programme
socialiste contre le gouvernement et la droite, ce qui aurait permis
une indépendance politique des travailleurs qui dénoncent les
limites du “processus de changement”. Ce pas forcé en arrière a
permis au gouvernement de se présenter à nouveau comme la seule
alternative face à la droite, limitant les ouvertures sur le plan
électoral et maintenant le statu quo politique.
Il
nous faut adopter une approche sensible envers la masse des
travailleurs et des indigènes qui ont encore des illusions dans le
gouvernement Mas tout en évitant le piège du sectarisme, afin de
faire progresser le combat révolutionnaire dans ce pays. En même
temps, une politique révolutionnaire ne pourra réussir dans ce pays
si elle ne se bat pas résolument contre les obstacles qui empêchent
le développement de la lutte de classes, et en premier lieu la
bureaucratie à la tête des syndicats et des organisations de la
société civile qui est liée aux programmes du gouvernement. La
quête d'une indépendance politique pour les travailleurs et pour
leurs organisations populaires est une condition pour le
développement d'un nouveau mouvement de lutte pour une alternative
politique qui pourra prendra la tête des luttes à venir.
Le président Morales devant une usine. La bannière dit « Nationalisé. Propriété des Boliviens » |
L'Uruguay
En Uruguay, la relative stabilité politique continue sous le gouvernement du Front large qui est bien parti pour un troisième gouvernement, avec la possibilité de voir son dirigeant Tabare Vasquez réélu pour un deuxième mandat. Tabare Vasquez avait été élu à la tête du premier gouvernement du Front large, puis avait passé la main à Pepe Mujica de la même coalition de gauche, avant de revenir aujourd'hui sur le devant de la scène.
Le
gouvernement uruguayen suit une politique très “pragmatique”, se
présentaint comme un allié et partenaire du bloc Mercosur-Alba,
tout en maintenant des rencontres avec l'alliance pacifique. Il a
signé des accords de libre-échange avec l'Union européenne et avec
le gouvernement israélien actuel. Tout comme au Venezuela, il s'est
vu contraint d'importer de la nourriture et de la viande à cause de
ses troubles économiques internes.
L'Uruguay
n'est pas immunisé aux mêmes processus en cours au Brésil, au
Venezuela et en Argentine, ni à la crise internationale. Tout comme
la Bolivie, sa relative stabilité va très probablement être
secouée par le prochain cycle de luttes dans la sous-région.
Le Paraguay
Le
Paraguay continue à soufrir du coup d'État militaire d'il y a
deux ans. Tout comme au Honduras, les militants de gauche y sont
à présent persécutés, assassinés et violemment réprimés.
Ce
pays reste un des plus pauvres de la sous-région. La gauche a été
gravement affaiblie par les divers régimes militaires dictatoriaux
et gouvernements de droite. Le Parti coloré qui dirigeait le pays
depuis 70 ans a été chassé du pouvoir lors des élections
de 2008 par la coalition du Parti libéral radical authentique
et de l'Alliance patriotique pour le changement, menée par le
président Fernando Lugo. Le retour du Parti coloré au
pouvoir à la suite d'un coup d'État parlementaire représente donc un sérieux pas
en arrière pour le pays. Mais cette situation a permis à la gauche
révolutionnaire de tirer un certain nombre de leçons : 1) Il
n'y a aucune garantie qu'un gouvernement progressiste réformiste
puisse tirer le pays de la crise, 2) les États-Unis ne sont pas
prêts à voir leur hégémonie dans la région remise en question et
feront tout pour empêcher l'extension de gouvernements
« socialistes » ou de gauche au point où cela pourrait
constituer un phénomène irréversible qui nuirait à leurs intérêts
géopolitiques.
La
gauche paraguayenne traverse en ce moment une période très
difficile. La gauche révolutionnaire internationaliste doit soutenir
les mouvements de résistance dans le pays afin de les aider à se
réorganiser, à tirer les leçons nécessaires et à reprendre le
terrain qui avait été perdu afin de reprendre la lutte. Les leçons
des évènements dans d'autres pays seront elles aussi cruciales.
La droite du Parti coloré est revenue au pouvoir à la suite de la destitution parlementaire de l'alliance progressiste. |
Le Chili
Le
Chili connait de profonds changements depuis maintenant six ans.
La société et les travailleurs chiliens ne se laissent à présent
plus berner par les mensonges du modèle néolibéral qui a accru le
fossé entre riches et pauvres, faisant du Chili un des pays les plus
inégaux au monde.
Cette
condition de profonde inégalité, combinée au fait que l'économie
chilienne est extrêmement connectée au rythme de l'économie
mondiale aujourd'hui en crise, pousse les travailleurs et la société
civile en général à se mobiliser afin de lutter pour un train de
vie et un revenu décents.
La
privatisation de l'économie et des services de base au Chili a mis
les travailleurs dans une situation chaotique vu l'effondrement qui a
suivi l'éclatement de la crise internationale. Tout cela va
continuer à faire descendre les travailleurs dans la rue pour
réclamer les revendications les plus basiques.
Les
difficultés ne sont pas seulement du fait des gouvernements les plus
droitiers de l'histoire du Chili, mais même et aussi du gouvernement
de « concertation » actuel présidé par Mme Bachelet.
Tous ces gouvernements se sont caractérisés par leur instabilité
politique face aux revendications pour plus de droits démocratiques.
Il faut savoir que la constitution adoptée par le sanglant dictateur
Pinochet est toujours en vigueur. Cette situation pose la question de
la construction de nouveaux points de référence politiques et de la
mobilisation et de l'organisation populaires en tant que stratégies
de lutte.
Nos
camarades du groupe Socialisme révolutionnaire (CIO au Chili) ont
non seulement prédit la situation actuelle, mais ont également pu
utiliser leurs faibles forces pour rassembler une couche importante
de militants déterminés à reprendre la tâche de la construction
d'une alternative révolutionnaire prolétarienne. Ainsi, après des
décennies de reculs suite à la défaite tragique de 1973
(lorsque le président socialiste Allende a été assassiné par le
général Pinochet), la revendication d'un parti des travailleurs et
d'une unité entre les étudiants, les mineurs, les communautés
indigènes et les autres couches en lutte acquiert chaque jour un peu
plus de force.
Peut-être
bien que l'évolution du Chili n'est pas aussi rapide que celle des
autres pays de la sous-région, mais ce pays n'est pas isolé non
plus de l'extérieur. Tout comme ailleurs, le facteur subjectif et le
développement des luttes à l'échelle mondiale auront une
influence.
La
rue a déjà son propre programme : une assemblée constituante,
la nationalisation de l'industrie du cuivre, la gratuité de
l'enseignement et des soins de santé, la souveraineté et le
contrôle sur les fonds de pension, une réforme du foncier, et la
reconnaissance des droits nationaux des groupes indigènes comme les
indiens mapoutchés (mapuche).
Toutes ces revendications ne sont plus celles de petits groupes de
gauche comme lors des décennies précédentes : elles font à
présent partie d'un programme politique large défendu par de
nombreux secteurs de la société chilienne qui réclame le
changement. Ce programme deviendra un élément central dans la
prochaine période de lutte des classes au Chili.
Chili : « Les élèves du secondaire soutiennent nos grévistes » |
L'Argentine
Dans
ce pays crucial de la sous-région, la situation politique est tout
aussi complexe qu'ailleurs. L'Argentine a connu une croissance
économique grâce à un contexte favorable au niveau du cours des
matières premières sur le marché mondial, ce qui a laissé au
kirchnerisme (le courant de gauche nationale de feu le président
Néstor Kirchner) une grande marge de manœuvre pour accomplir
des réformes et une meilleure distribution de la richesse nationale
sans toucher aux profits records du capitalisme à ce moment-là.
Mais cette époque est terminée.
La
situation générale en Argentine n'échappe pas à la crise dans la
sous-région. La perte de pouvoir d'achat pour les travailleurs liée
à l'inflation a suscité un profond mécontentement parmi de larges
couches de la classe des travailleurs, ce qui a mis la bureaucratie
syndicale sous pression pour organiser une lutte pour de meilleures
conditions de vie. C'est ainsi que s'est produite une scission l'an
passé entre la Confédération générale du travail et le
gouvernement, qui avaient pourtant été alliés depuis l'arrivée au
pouvoir des Kirchners. Cette rupture a ouvert un climat d'instabilité
pour le gouvernement de Mme Cristina Kirchner, la veuve de
Néstor Kirchner élue en 2007 et réélue depuis. Cette
crise a produit des scissions au sein du gouvernement et a aussi
renforcé la faction conservatrice du mouvement péroniste
(nationaliste, d'après le président Peron qui dirigea le pays dans
les années '1950 et '1970). Cela concerne surtout le Front
rénovateur dirigé par M. Massa, qui a obtenu un bon résultat
électoral dernièrement et qui sera probablement élu président
en 2015.
L'Argentine
a connu avec le kirchnerisme une période de stabilité économique
et politique, comme les autres pays de la sous-région. Mais avec
l'intensification de la crise internationale, les limites de son
programme politique ont été révélées au grand jour, encore
aggravées par les séquelles de la politique néolibérale des
gouvernements précédents qui avaient fortement endetté le pays et
l'avaient rendu dépendant des marchés financiers internationaux par
sa dette étrangère. Malgré de nombreux discours contre les « fonds
vautours », le gouvernement a continué à payer la dette aux
spéculateurs internationaux. La crise de l'économie argentine due
au paiement de la dette se fait ressentir dans les poches des
travailleurs qui n'ont pas connu la moindre véritable hausse de
salaire depuis une dizaine d'années malgré la croissance.
L'Argentine est donc rentrée dans une crise politique qui rappelle
fortement celle de 2001.
Les
perspectives ne sont pas encore très claires pour ce pays. Le manque
d'une direction au sein du mouvement kirchneriste suite au décès de
Néstor Kirchner et l'impossibilité de réélire
Cristina Kirchner (vu qu'elle arrive à la fin de son
deuxième mandat) ont provoqué une purge au sein du mouvement.
Les principaux rivaux pour la succession tendent plus à la
confrontation qu'à l'unité. La gauche révolutionnaire a elle
ausssi commencé à montrer des signes de réorganisation depuis
l'émergence de la Fédération de gauche et des travailleurs (FIT,
Federación de Izquierda y de los Trabajadores, une coalition de
différents partis de gauche se réclamant du trotskisme), qui montre
qu'il existe un réel potentiel pour une alternative indépendante
pour la classe des travailleurs et pour les militants.
Mais
même si d'importantes couches des militants de gauche sympathisent
avec la FIT ou se font des illusions à son sujet, il sera difficile
à la FIT d'aller au-delà du stade de la simple alliance électorale
et de planter de véritables racines parmi les masses et le mouvement
large des travailleurs argentins. Après ses résultats électoraux
impressionnants, la coalition a traversé une crise due à des
disputes entre les porteparoles de ses trois principales
constituantes, le Parti ouvrier, le Parti des travailleurs
socialistes et la Gauche socialiste. C'est là un fort mauvais signe,
qui confirme la nécessité pour la FIT de s'élargir pour se
transformer en un instrument politique uni de la classe des
travailleurs et de tous les exploités d'Argentine.
Il
y aura des élections en 2015, et il est possible que le
kirchnerisme perde, ou se retrouve à diriger un gouvernement
affaibli avec un parlement divisé, comme au Brésil. Cette situation
ouvre de très importantes possibilités. Le CIO doit tout faire pour
suivre la situation en Argentine et y développer une base.
La FIT dispose d'un important potentiel mais doit dépasser le stade de simple alliance électorale |
Perspectives
Comme
nous avons tenté de l'illustrer dans ce tableau large, la situation
de l'Amérique latine est complexe et changeante. Certains pays
aujourd'hui stables, comme la Bolivie et le Chili, risquent de se
retrouver dans des situations d'instabilité et de conflits aigus,
tandis que d'autres pays, comme l'Argentine, le Brésil et le
Venezuela, sont plongés dans la stagnation et voient un retour de la
droite se profiler. Enfin, il y a toute une série de pays qui
semblent être déjà partis dans une période d'instabilité grave
sans qu'on puisse se prononcer sur leur avenir, comme la Colombie, le
Mexique, et de nombreux pays d'Amérique centrale.
Il
semble à première vue qu'un processus de changement se produit dans
toute la sous-région, avec une polarisation accrue entre une faction
libérale et une faction conservatrice de gauche, tandis que la
gauche révolutionnaire se retrouve mise à l'écart. Mais la réalité
sur le terrain est bien différente. Les mouvements qui se déroulent
sous la surface, et qui sont le produit d'immenses contradictions
politiques et sociales, rendent une telle analyse absurde.
L'évolution de la situation au Mexique tout dernièrement ou du
Venezuela de la fin des années '90 montre bien cela.
La
gauche révolutionnaire latino est confrontée à la tâche de
réorganiser et de construire des plateformes larges pour offrir une
alternative à l'impasse actuelle. En même temps, elle doit
s'efforcer d'éviter de répéter les mêmes erreurs qui ont fait
tomber les mouvements de gauche du passé dans le piège de la
social-démocratie et de la démocratie bourgeoise. Aujourd'hui plus
que jamais, la clé se trouve dans la combinaison des revendications
démocratiques-bourgeoises et des tâches socialistes
révolutionnaires. Mais le manque de direction et d'organisation
constitue la plus grande faiblesse. Les récents efforts du PSoL au
Brésil, de la FIT en Argentine, du PT en Bolivie, et de la Marche
patriotique en Colombie, sont autant de sources de leçons qui nous
permettent de mieux comprendre ce qu'il faut faire et ce qu'il ne
faut pas faire. D'importantes leçons doivent être tirées de ces
expériences pour l'organisation politique de la classe des
travailleurs. Tout cela sera mis au bénéfice des luttes du futur.
L'année 2015
sera une année pendant laquelle l'économie sera le premier enjeu
dans presque chaque pays de la sous-région, ce qui va ramener la
question de la nationalisation des ressources stratégiques à
l'avant-plan. La redistribution des richesses, les droits
démocratiques et salariaux, l'accès à la santé et à
l'enseignement, la question du foncier, la souveraineté, sont autant
de problèmes qui vont resurgir au cours des luttes à venir. En tant
que révolutionnaires, nous devons tout faire pour nous préparer à
être capables d'intervenir dans les mouvements pour les faire
progresser vers la gauche, vers la possibilité d'une véritable
révolution socialiste.
Dans
le contexte de cette analyse générale, nous voyons qu'apparaitront
de nombreuses difficultés pour le travail des sections du CIO au
Brésil, au Chili, en Bolivie et au Venezuela et de nos sympathisants
dans toute la sous-région. Des difficultés mais aussi de grandes
ouvertures.
Les
récentes interventions des sections du CIO dans la formation du PT
en Bolivie, avec la campagne pour un nouveau parti au Chili, la riche
expérience de nos camarades vénézuéliens, le travail de notre
groupe LSR au Brésil au sein du PSoL… sont autant d'exemples du
potentiel de ce qui peut être réalisé et de ce que nous pouvons
construire malgré les difficultés.
Cpendant,
tous nos efforts ne suffisent pas encore. Le paysage politique de
toute la sous-région est à nouveau en train de se modifier. Nous
allons voir des situations prérévolutionnaires mais aussi de
potentielles défaites comme c'est le danger au Venezuela. Nous
devons nous préparer pour chaque type de scénario, afin de pouvoir
fournir une réponse politique.
Les
années à venir seront un défi pour le CIO au niveau mondial et au
sein de chaque pays pour nos différentes sections. La prochaine
période sera encore plus complexe. Les dangers et les pièges sont
partout sur notre chemin, comme les ouvertures et les potentialités.
Le
CIO est riche d'une histoire de 40 ans de lutte. Au cours de
cette période, il a été capable d'étendre sa présence sur tous
les continents et a connu de réelles avancées malgré de faibles
effectifs. Dans certains cas, il a pu réellement peser sur les
évènements et devenir un point de référence. Tout cet héritage
est la confirmation objective de ce que notre organisation est
capable d'obtenir. Pour cette raison, nous devons continuellement et
profondément autocritiquer et réviser le travail de notre
construction en Amérique latine, les formes et les méthodes
qui nous permettront de continuer à avancer et à faire ce qu'il
faut faire, dans le cadre de la réalité objective qui nous est
imposée par le système capitaliste contre lequel nous nous battons.
École d'été du CIO au Brésil |
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