Le point sur la situation des femmes en Côte d'Ivoire et une réponse socialiste à l'oppression
Comme
chaque année, le CIO a marqué un temps de pause au niveau
international afin de consacrer le 8 mars à la réflexion
quant à la lutte mondiale et historique pour l'émancipation des
femmes. Dans plusieurs pays ont été organisés des meetings et
manifestations pour réclamer notamment l'égalité de salaire entre
hommes et femmes (« À travail égal, salaire égal »).
En Côte d'Ivoire, notre groupe a organisé une réunion ouverte
à l'ensemble de nos contacts féminins afin de participer à ce
bilan et de nous pencher pour la première fois sur la question
spécifique de l'oppression des femmes ivoiriennes. Nous vous
présentons ci-dessous le fruit de nos réflexions.
CIO-CI
Qu'est-ce
que la journée de la femme ?
La
« journée internationale des femmes travailleuses » est
un évènement annuel qui tire son origine dans le mouvement
socialiste. La toute première journée de la femme a été organisée
le 28 février 1909 aux États-Unis afin de commémorer
une grande grève des ouvrières du textile. Inspirée par cette
idée, l'organisation internationale des femmes socialistes a décidé
lors d'une conférence rassemblant une centaine de déléguées
venues de 17 pays, d'organiser une grande manifestation
internationale des femmes, le 19 mars 1911, pour
réclamer le droit de vote pour les femmes, le droit au travail, le
droit de faire partie de l'administration et la fin des
discriminations. Cette première journée internationale des femmes
rassemblera un million de personnes dans toute une série de
villes d'Allemagne, du Danemark, d'Autriche et de Suisse. De
nouvelles marches de ce type ont été organisées chaque année dans
de plus en plus de pays, chaque fois un dimanche vers début mars. Le
but de ce mouvement, selon la célèbre dirigeante socialiste
Clara Zetkin, était de « réduire l'influence des femmes
de la bourgeoisie sur les femmes du peuple ».
C'est
la manifestation du 8 mars 1917 à Pétrograd (aujourd'hui
Saint-Pétersbourg), alors capitale de l'Empire russe, qui a
déclenché la révolution russe. Ce jour-là, alors que la Russie
était depuis trois ans plongée dans la Première Guerre
mondiale qui avait déjà fait deux millions de morts rien que
du côté russe, les ouvrières du textile sont parties en grève et
ont défilé pour réclamer « Du pain et la paix ».
L'ampleur du mouvement a surpris tant le gouvernement que les
organisateurs de la manifestation. Quatre jours plus tard, c'en
était fini de la monarchie et de l'Empire russe. Huit mois plus
tard, naissait l'Union soviétique, le premier État ouvrier de
l'histoire à exercer le pouvoir sur l'échelle de tout un pays.
C'est
en souvenir de cette journée historique qu'en 1921,
Vladimir Lénine a déclaré le 8 mars « Journée
internationale des femmes », dont le but est d'opérer chaque
année un bilan du progrès de la lutte des femmes pour le
changement. Cette journée allait devenir jour férié en
Union soviétique et dans de nombreux payés se réclamant du
socialisme (Pologne, Allemagne de l'Est, Yougoslavie, Chine, Cuba,
Vietnam, etc.). Ce n'est qu'à partir de 1977 que les
Nations-Unies décideront elles aussi d'enjoindre leurs pays membres
à organiser une journée de lutte pour les droits des femmes.
Depuis,
cette journée a été beaucoup galvaudée. Il est clair que les
dirigeants bourgeois comme Mme Ouloto en Côte d'Ivoire
n'ont aucune idée de l'origine de cette journée (qui célèbre en
réalité la victoire de la lutte des femmes sur la dictature) et
préfèrent parler d'une journée pour « reconnaitre l'apport
des femmes à la nation », c'est-à-dire, les nombreux
sacrifices et souffrances endurés quotidiennement par les femmes du
peuple, sans chercher à remettre en question de manière
fondamentale la cause de cette souffrance et de cette oppression.
Bien au contraire, les dirigeants bourgeois utilisent cette journée
pour admirer les soi-disant « vertus féminines »
(soumission, sacrifice, humilité…) imposées aux femmes par le
système patriarcal et encourager les femmes à continuer à tolérer
cette oppression.
Nature
de l'oppression
Partout
dans le monde, il est plus difficile d'être femme qu'homme. Dans de
nombreux pays, les femmes souffrent de nombreuses discriminations et
violences. Même dans les pays développés, quelque chose d'aussi
“normal” que l'égalité salariale n'est pas encore un acquis.
Ainsi, en Belgique, les femmes gagnent en moyenne 25 % que les
hommes ; en Suisse, une marche a rassemblé plusieurs milliers
de personnes dimanche pour réclamer l'égalité salariale. En
Europe, les femmes sont en outre les premières touchées par la
crise. En Belgique par exemple, les femmes constituent la majorité
des personnes radiées des bénéficiaires de l'allocation de
chômage.
En
Côte d'Ivoire, les femmes sont victimes de toutes sortes de
préjugés et soumises à de nombreux harcèlements et comportements
discriminants. On peut entendre régulièrement des propos comme
« Quel mauvais chauffeur ! Surement une femme au volant »
ou « Est-ce qu'une femme peut comprendre ce travail ? ».
Les femmes sont découragées de prendre la parole en public devant
des hommes, et peuvent être exclues des assemblées, au village
notamment. À la mosquée et dans certaines églises, les femmes sont
séparées des hommes et mises à l'arrière. Dans les écoles et les
universités, il est “normal” pour un professeur de proposer à
ses élèves filles de coucher avec lui pour obtenir une meilleure
moyenne. Dans l'administration ou en entreprise, la situation est la
même.
À
la maison, la femme est la première à se lever et la dernière à
se coucher. Même si elle a un travail, on s'attend à ce qu'elle
s'occupe de tout pour son mari et ses enfants. Si le mari rentre du
travail et trouve son repas prêt, pas un merci, c'est normal ;
si le repas n'est pas là, c'est la dispute. Les femmes salariées
prestent chaque jour une double journée de travail non payée
pour s'occuper de leur ménage. Même pour celles qui sont femmes au
foyer, leur travail n'est pas reconnu (on entend souvent des maris
dire « C'est moi seul qui travaille, ma femme reste à la
maison ») alors qu'il s'agit souvent d'un travail complexe et
difficile dans des conditions peu confortables. La femme doit aller
puiser l'eau (même en ville), doit nettoyer la maison avec du
matériel peu adapté, doit préparer à manger dans des cuisines
étouffantes, exigües et sombres où règne souvent le désordre à
cause du manque de meubles, pour faire à manger au moyen d'outils
archaïques. Elle doit marcher longtemps pour faire son marché,
discuter les prix, etc. et est encore censée faire preuve de
psychologie et de pédagogie envers son mari et ses enfants.
Il
est plus difficile pour les femmes de trouver un travail. Elles sont
également souvent les premières licenciées en cas de problème. Le
fait que les femmes peuvent tomber enceintes et devenir indisponibles
pour de longues périodes pose en effet énormément de problèmes
aux capitalistes qui ont besoin d'une main d'œuvre capable de
travailler en permanence avec le même rythme de travail, sans devoir
passer beaucoup de temps aux toilettes ou souffrir de cycles
menstruels. Les femmes sont aussi plus enclines à chercher à
s'absenter du travail au cas où on leur aurait confié la garde d'un
enfant, d'un malade ou d'une personne âgée. Du fait de leur moindre
disponibilité mais également de nombreux préjugés, il est
également plus difficiles pour les femmes de monter en grade et
d'occuper des postes à responsabilités. Les femmes ont également
moins facilement accès au crédit, à la terre, à l'éducation…
ce qui nuit à leur émancipation et les rend finalement dépendantes
de leurs maris ou de leurs parents.
Bien
sûr, les hommes souffrent eux aussi de la division “genrée” de
la société : on s'attend à ce qu'un homme rapporte de
l'argent à la maison, à ce qu'il ne montre pas ses sentiments (ne
pas pleurer en public par exemple), etc. Mais même si la vision
traditionnelle des rôles masculin et féminin affecte les
deux genres, ce sont surtout les femmes qui en souffrent.
Exemple d'objectification du corps féminin. Comme si la « beauté ivoirienne » pouvait se résumer à deux paires de fesses… féminines ! |
Origine
de l'oppression
Si
l'oppression des femmes parait être le fruit d'un commandement divin
ou la résultante de différences biologiques (les hommes sont plus
forts, plus grands, etc.), il n'en a pas toujours été ainsi. Les
premières sociétés humaines qui vivaient le communisme
primitif
ne connaissaient pas d'oppression des femmes. Si la société humaine
a toujours mis en place des institutions visant à réguler les
naissances, il y avait une bien plus grande diversité d'arrangements
que le mariage patriarcal monogame qui est la norme aujourd'hui.
Ainsi, certains peuples pratiquaient des mariages collectifs entre
classes d'âge ou entre des villages “frères” ; dans
d'autres, le matriarcat était en vigueur et les hommes n'y avaient
aucun droit, comme le peuple mythique des “Amazones” à l'époque
antique qui avait tant impressionné les Grecs anciens, farouchement
patriarcaux. L'histoire ancienne de différents peuples est pleine de
noms de femmes qui ont été de grands chefs de guerre, comme la
reine Trieu au Vietnam qui allait au combat contre les Chinois montée
sur un éléphant ; la reine Boadicée des anciens Bretons qui
vainquit les Romains ; de nombreuses grandes femmes ont été
pharaons en Égypte ancienne ; plus près de nous, c'est une
femme, Abla Pokou qui, il y a trois-cents ans, mena le peuple
baoulé à la liberté, fuyant l'État esclavagiste ashanti. Mais la
société en se développant a petit à petit relégué la femme au
foyer ou au statut d'objet : objet sexuel, objet de
reproduction, objet d'échange, esclave domestique, appartenant à
son mari.
En
fait, comme cela a été démontré par Engels (suivre ce
lien)
l'oppression de la femme est liée à l'apparition de la propriété
privée et des classes sociales. À un moment donné du développement
humain, et dans toutes les sociétés développées, les hommes ont
peu à peu obtenu un poids disproportionné dans la société par
rapport aux femmes : en effet, ils étaient plus aptes aux
métiers lourds (laboureur, bucheron, forgeron, mineur, chasseur…)
et étaient plus enclins à prester un travail régulier sans être
interrompus par des grossesses, l'allaitement ni par des cycles
menstruels. L'apparition de l'agriculture, etc. a donné naissance à
un surproduit social, une répartition de la société en différents
métiers, castes, et classes, et à la propriété privée. De ce
fait, terre, outils, logements, troupeaux, argent… seraient
désormais transmis par leurs parents à leurs enfants, et notamment
de père en fils (transmission patrilinéaire) plutôt que de mère
en fille (transmission matrilinéaire).
(Nous
voulons souligner au passage le fait qu'il ne faut pas confondre
“matriarcat” et “matrilinéarité”. Par exemple, chez les
Baoulés, qui sont une société patriarcale, la transmission se
faisait jusqu'à récemment de façon matrilinéaire. C'est-à-dire
que les possessions d'un homme à sa mort, plutôt que de revenir à
ses propres enfants, revenaient à sa famille du côté maternel.
C'est pourquoi dans ces sociétés les femmes étaient plus
contrôlées par leurs frères que par leurs maris – mais les
femmes y étaient malgré tout soumises aux hommes, il s'agissait
toujours d'un patriarcat).
Afin
de garantir cette bonne transmission de père en fils, la société
dirigée par les hommes a mis en place des institutions destinées à
réguler la sexualité des femmes. Il fallait notamment s'assurer de
pouvoir connaitre le père de chaque enfant : c'est pourquoi il
a été établi que chaque femme ne pourrait avoir qu'un seul mari
(le mari n'étant pas partout tenu de se limiter à une seule femme).
Dans certains cas, le souci de contrôler la sexualité de la femme a
donné naissance à des institutions particulièrement dégradantes
ou dangereuses, telles que l'excision, l'infibulation, etc. Cela
s'est accompagné de toute une batterie de préceptes idéologiques
(commandements religieux…) et culturels (inculcation de « valeurs
féminines » dès le plus jeune âge, éducation séparée des
garçons et des filles, etc.). Au temps des anciens Grecs, la femme
était à ce point dévalorisée que les hommes considéraient comme
répugnant le contact sexuel avec le sexe féminin, qui aurait pu
leur ôter leur virilité et leur tempérament guerrier, et
l'homosexualité a été institutionnalisée et généralisée pour
les hommes. En Chine, on mutilait horriblement les pieds des jeunes
filles pour les rendre plus petits. En Europe, en Russie, au
Moyen Orient, en fonction des époques, les femmes étaient ou
sont tenues de porter le voile et de ne pas montrer leurs bras, leur
cou, leurs jambes…
La
situation est donc à nuancer en fonction des différentes cultures
et des différentes époques. Toujours est-il que partout, les hommes
ont pris le quasi-monopole du pouvoir économique et politique, ce
qui s'est traduit par une oppression à la fois physique,
psychologique, morale et institutionnelle des femmes.
La plupart des femmes ivoiriennes passent la majeure partie de leur existence à prester diverses tâches ménagères dans des conditions très peu confortables et sans équipement approprié |
Le
capitalisme profite de l'oppression des femmes
Là
où les sociétés antérieures opprimaient “gentiment” la femme
au nom du seul contrôle sexuel et du pouvoir des hommes, le
capitalisme, lui, profite carrément de l'oppression de la femme car
celui lui rapporte de l'argent !
Déboulant
sur la scène mondiale, le capitalisme a transformé radicalement les
relations existant auparavant en imposant son modèle bourgeois de
famille monogame mononucléaire stricte. Le
système capitaliste profite de l'oppression des femmes et de
l'institution du mariage patriarcal de différentes manières.
Tout
d'abord de manière directe, économique.
La
plupart des femmes travailleuses abattent chaque jour une « double
journée de travail », puisque lorsqu'elles rentrent du
travail, elles doivent encore s'occuper du ménage. Le capitalisme,
plutôt que de chercher à trouver des solutions pour faciliter ces
nombreuses corvées quotidiennes et d'investir dans des équipements
et des infrastructures permettant de réduire la charge pesant à
99 % sur les épaules des femmes, préfère mettre à
l'avant-plan les « vertus maternelles ». Ainsi est évitée
la question de l'entretien de la classe des travailleurs. Tout le
monde estime qu'il est du devoir de l'État de construire des routes,
d'assurer la sécurité, l'enseignement, les soins de santé (quoique
même cela soit remis en question également par les capitalistes
néolibéraux et ultralibéraux) ; mais peu de gens trouvent
qu'il est du devoir de l'État de préparer les repas, organiser la
lessive, le nettoyage des domiciles, etc. – la machine de
propagande capitaliste tourne tellement bien que la question n'est
même pas posée : bien sûr c'est le devoir des femmes !
D'ailleurs, cela dépend aussi d'un pays à l'autre : dans les
pays avancés, les soins aux jeunes enfants et aux personnes âgées
sont en grande partie pris en charge par la société. Dans notre
pays par contre, les crèches sont très peu nombreuses et les
maisons de repos, inexistantes. L'idéal familial est utilisé par le
gouvernement capitaliste pour se dédouaner et renier sa part de
responsabilité concernant toute une série de problèmes sociaux :
ainsi la ministre Ouloto qui affirmait que si les enfants sont
enlevés, c'est la faute des parents qui laissent leurs enfants sans
surveillance.
Le
capitalisme profite directement du statut « inférieur »
de la femme car cela justifie le fait que les femmes soient moins
bien payées que les hommes pour un travail pourtant égal ou
équivalant. Toute une série de métiers sont ainsi réservées aux
femmes (notamment dans le textile, la restauration, la caisse au
supermarché, etc.). Les femmes sont les dernières engagées, les
premières virées. Dans les usines, des ouvrières femmes sont
soumises au contrôle de contremaitres hommes qui n'hésitent pas à
les violer pour les punir de la moindre tentative de s'organiser en
syndicat. L'idéologie sexiste et le statut inférieur des femmes
permet en outre d'utiliser la population féminine en guise de
soupape pour réguler le marché du travail : en situation de
croissance économique, on mettra en avant leur émancipation afin de
les intégrer dans la force de travail et faire pression sur les
salaires des hommes ; en situation de crise, on mettra plus en
avant les « valeurs familiales » afin de convaincre les
femmes de quitter le marché du travail et avoir moins de demandeurs
d'emploi.
Le
système profite directement de l'oppression des femmes car cela lui
offre tout un marché lucratif. Les femmes sont constamment
confrontées à un modèle féminin idéal auxquelles elles seraient
censées se conformer : elles doivent être à la fois minces
mais avec des rondeurs, mères responsables mais amantes sexy,
indépendantes sans l'être trop, jolies mais pas aguichantes… Tout
cela fait que les femmes ne peuvent pas se développer pour être qui
elles veulent, tiraillées entre les nombreuses contradictions de
l'« idéal féminin » inatteignable en réalité, alors
que les hommes sont finalement libres de choisir entre plusieurs
modèles masculins. Afin de tenter de pallier aux nombreux défauts
qui les séparent de cet « idéal », les femmes sont
encouragées à acheter toute une panoplie de produits de beauté, de
mode, cosmétiques, diététiques, etc.
Le
système profite directement de l'oppression des femmes car le corps
féminin est assimilé à une marchandise ou à une image que l'on
peut utiliser à tort et à travers à des fins publicitaires (une
femme en maillot sur une voiture pour faire vendre cette voiture en
utilisant les sentiments machistes des acheteurs mâles), mais que
l'on peut aussi louer et vendre, avec ou sans le consentement de la
femme à laquelle ce corps appartient : ainsi la prostitution et
la pornographie sont-elles devenues de véritables industries où
tous les coups et tous les trafics sont permis.
Le
système profite aussi indirectement de l'oppression des femmes sur
les plans politique et social.
Le
système profite sur le plan politique car le maintien d'une
distinction formelle entre hommes et femmes est un facteur de
division des travailleurs sur lequel les patrons peuvent jouer. Dans
le cadre de conflits, grèves, etc. ils peuvent facilement liguer les
travailleurs masculins contre leurs collègues féminines, par toutes
sortes de manœuvres et en justifiant en reprenant à leur compte
toutes sortes de propos désobligeants largement répandus à propos
des femmes afin d'amadouer les hommes et les convaincre de trahir
leurs camarades femmes.
Le
système profite sur le plan social et psychologique en assimilant la
famille à une « entreprise », dans laquelle le mari
serait le patron, et la femme et les enfants, ses employés. Ainsi,
cela permet de créer une solidarité, un lien affectif entre
l'employé et son patron sur le lieu de travail. En cas de désaccord
entre patron et personnel, le patron peut endosser une autorité de
« père de famille » qui désire se faire respecter par
ses « enfants », les employés. On utilise alors
facilement l'argument suivant : « En tant que pères de
famille, surement vous n'apprécierez pas que vos enfants ou votre
femme se rebelle contre votre autorité ? ». L'homme
exploité peut alors se consoler en se disant qu'au moins même si
lui est le petit de son patron, il reste le patron de sa femme.
Rentrant à la maison, c'est sur elle qu'il se défoule. On noie
ainsi la contestation sociale en faisant finalement tout endosser à
la femme.
Le
système profite sur le plan social car le fait que l'homme soit
responsable de la famille constitue un terrible moyen de pression sur
lui. L'homme sera prêt à accepter de travailler plus longtemps,
pour un moins bon salaire, plutôt que de risquer de perdre son
emploi, car la vie d'une, deux, trois, quatre… autres personnes
dépend de lui.
Par
contre, le système capitaliste nous a amené les outils de
développement qui nous permettront d'aller vers plus d'égalité et
une meilleure vie pour tous. Si autrefois l'homme pouvait labourer un
champ plus facilement que la femme, aujourd'hui n'importe qui peut
conduire un tracteur. Si autrefois l'homme avait besoin de sa force
pour abattre son ennemi, aujourd'hui une femme est tout aussi capable
de presser sur la gâchette d'une mitrailleuse. Aujourd'hui, le gros
du travail est effectué par des machines qui font que la différence
purement biologique entre hommes et femmes devient de moins en moins
déterminante dans le choix d'un métier. De plus, les immenses
progrès de la médecine permettent aux femmes de réguler leurs
cycles corporels et de choisir elles-mêmes quand avoir un enfant ou
pas, réduisant à nouveau la source purement biologique des
inégalités.
Le capitalisme profite de l'oppression des femmes car il lui permet de les exploiter plus durement que les hommes |
Alors
comment s'en sortir ?
En
tant que socialistes, nous sommes farouchement opposés à toute
discrimination et oppression, quelle qu'elle soit et d'où qu'elle
vienne. Cependant, nous ne pensons pas qu'il suffise de dire aux
hommes “Soyez plus gentils avec les femmes” pour remédier à ce
problème, car il s'agit d'un problème structurel et qui plus est,
encouragé par le capitalisme qui, comme nous l'avons dit, en tire
d'énormes bénéfices.
Nous
ne sommes pas d'accord avec les féministes bourgeois-es pour qui la
lutte consiste à « Il faut encourager plus de femmes à la
tête des institutions et des entreprises » ou « Il faut
aider les femmes à développer leurs propres activités
économiques ». Nous ne sommes évidemment pas contre cela,
mais nous pensons que ça ne règle pas le fond de la question.
Tout
d'abord, le FMI a beau être dirigé par une femme, Mme Lagarde,
cela n'empêche pas que cette institution soit responsable de la
misère de dizaines de millions de femmes partout dans le monde et en
particulier en Afrique. Le fait que Mme Merkel se retrouve à la
tête de l'Allemagne n'empêche pas aussi qu'une part croissante de
la population allemande vive dans la pauvreté (15 %
aujourd'hui), dont une majorité de femmes (les femmes seules avec
enfants constituant toujours une des couches les plus vulnérables de
la population même dans les pays avancés, leur situation étant
gravement aggravée par la crise économique). D'autre part, dans
notre pays, même des femmes tenant des postes à responsabilité
peuvent être des patronnes très craintes dans leur entreprise, mais
une fois revenues à la maison, redeviennent la femme de leur mari,
quel que soit le statut de ce mari en-dehors du foyer. Nous ne
croyons pas non plus à la nécessité d'instituer une “parité
homme-femme” sur les listes électorales, etc.
Ensuite,
il est de bon ton que des ONG et des institutions aident des femmes à
accéder au crédit, à la terre, à l'éducation et à des
formations pour leur permettre de s'organiser en coopérative ou de
lancer un commerce. Cela en effet contribue au développement du pays
et permet souvent à ces femmes de jouir d'une plus grande liberté
et d'une plus grande confiance en elles-mêmes. Ce genre d'actions
peuvent encourager d'autres femmes à relever la tête et à se
dire : « Si une femme peut faire cela, alors moi aussi je
peux ». Toutes ces initiatives contribuent à leur manière à
rehausser le moral et l'estime que les femmes ont d'elles-mêmes.
Mais cela ne règle pas le problème de fond.
D'ailleurs,
toutes ces femmes issues de la bourgeoisie ont, il est vrai, certains
enjeux en commun avec les femmes travailleuses, mais ignorent toute
une série de problèmes et par conséquent oublient de mener une
lutte à ce niveau. Les femmes bourgeoises par exemple ont
généralement une armée de nounous et de cuisinières pour faire
leur ménage et s'occuper de leurs enfants ; elles ont fait des
études et ont un travail bien payé, voir une entreprise, qui les
rend autonomes et leur donne une liberté par rapport à leur mari ou
leurs parents. Elles ne fréquentent que les meilleurs
établissements, n'ont pas de problème de transport, font leurs
courses au supermarché, etc. C'est pourquoi l'émancipation de la
majorité des femmes ne peut compter sur ces femmes bourgeoise qui
d'ailleurs bien souvent mettent en avant leur “féminisme”
uniquement pour faire avancer leur propre carrière politique (ou
celle de leur mari, comme c'est le cas de Dominique Ouattara).
Finalement,
les femmes de la bourgeoisie, comme tout membre de la bourgeoisie,
tirent leurs privilèges et leur bonne fortune du système
capitaliste lui-même ; c'est-à-dire qu'elles ne seront jamais
prêtes à mener la lutte jusqu'au bout contre l'oppression des
femmes et le patriarcat (qui requiert une lutte parallèle déterminée
contre le capitalisme). L'action de ces femmes vise donc en dernier
recours non pas à émanciper l'ensemble des femmes, mais à
simplement permettre à plus de femmes d'entrer dans les rangs de la
bourgeoisie ou de la petite-bourgeoisie.
Nous
nous opposons en outre résolument à cette variante de féminisme
qui prône la division entre hommes et femmes en réclamant par
exemple que certains emplois soient réservés aux femmes alors qu'il
n'y a pas assez d'emploi pour tout le monde. Hommes et femmes ne
doivent pas se battre l'un contre l'autre pour les quelques emplois
existants, mais lutter ensemble pour le droit à un emploi pour tous
et toutes.
De
plus, la lutte pour l'émancipation des femmes n'est pas forcément
linéaire et progressive. Après avoir obtenu certains acquis, les
femmes dans certains pays peuvent avoir l'impression d'avoir obtenu
l'égalité et laisser de côté la lutte. Le capitalisme cherche
alors insidieusement à revenir sur ces acquis. Ainsi on voit que
l'austérité en Europe et aux États-Unis frappe avant tout les
femmes, tandis qu'on rapporte de plus en plus de cas de harcèlements
et de violences sexuelles – un comportement également lié à
la crise. Dans d'autres pays, l'évolution politique peut amener de
nouveaux régimes franchement réactionnaires qui feront reculer la
lutte pour l'émancipation des femmes de plusieurs siècles – comme
en Afghanistan, où les femmes sont condamnées au voile intégral
alors qu'elles étaient libres de se promener en jupe courte et sans
foulard il y a 30 ans à peine, ou comme en Russie et en
Turquie, où les gouvernements de droite conservatrice ont des propos
de plus en plus agressifs envers les femmes et remettent ouvertement
en question la capacité des femmes à exercer certains emplois tout
en suggérant que les femmes devraient s'habiller de façon plus
“modeste”. Tout ça pour dire que tant que nous restons sous le
capitalisme, la lutte pour l'émancipation des femmes ne pourra
jamais cesser.
Le soi-disant féminisme des femmes de la bourgeoisie n'est finalement qu'un prétexte pour se faire bien voir et se faire de nouvelles amies |
Le
socialisme pour les femmes, les femmes pour le socialisme !
On
le voit donc, le problème des femmes est un problème structurel qui
a besoin d'un engagement de la société pour être résolu. Cet
engagement ne viendra pas sous le capitalisme.
Voici
quelques mesures que l'on peut envisager dans le cadre d'un programme
socialiste :
- Réduire la dépendance des femmes vis-à-vis de leurs maris et de leurs parents, afin de garantir une vie commune basée sur le respect et l'amour mutuel et non pas sur la crainte et le mensonge :
- politique de plein emploi via notamment un plan étatique d'investissement dans l'industrie et les services publics, avec garantie de congés maternité, respect des contrats dans le public comme dans le privé, afin de permettre à chaque femme de faire un choix de son occupation ; élargissement de la politique d'octroi de crédit et de subside des petites entreprises pour les femmes (et les hommes)
- politique de construction de logements sociaux à bon marché et loyer modique, contrôle strict des conditions de location dans le privé, mise à disposition de foyers d'accueil pour femmes battues ou pour jeunes filles (par exemple qui ont fui la maison pour éviter un mariage forcé), généralisation de l'allocation chômage, allocations familiales (reprenant le cout réel des besoins de chaque enfant), assurance maladie universelle, afin d'assurer que les femmes puissent facilement se désengager d'une relation abusive si elles en ressentent le besoin et ce, sans encourir la misère ni l'opprobre
- Politique d'accueil des naissances et des jeunes enfants : afin que donner la vie ne puisse plus être synonyme de misère, mais une bénédiction. Investissement massif dans les maternités et embauche de personnel formé, allocations familiales, crèches publiques gratuites dans chaque quartier disposant de personnel formé, organisation de bus scolaires et d'espaces de jeux sécurisés pour les enfants dans chaque quartier.
- Réduire au maximum les petits tracas de la vie quotidienne :
- mise à disposition et rééquipement des toilettes publiques (y compris dans les écoles et autres lieux publics) afin de réduire l'injustice entre hommes et femmes dans le cadre des petits besoins
- mise à disposition gratuite des moyens de contraception, subside des serviettes hygiéniques, etc.
- etc., etc.
- Lutte énergique contre les violences faites aux femmes :
- sensibilisation et formation adéquate des services de police et de la population, organisation de cours d'autodéfense pour les femmes, organisation de transports séparés pour les femmes (au cas où la demande en serait faite), organisation de comités de femmes dans les quartiers
- Allègement maximal du poids des tâches domestiques :
- adduction d'eau courante et de gaz dans tous les foyers, au village comme en ville
- subside des biens d'équipement électroménagers du type machine à laver, robots ménagers, aspirateurs, etc. et toutes autres technologies qui permettent de faciliter les tâches ménagères et de réduire l'effort requis par les ménages dans le cadre de leur entretien quotidien
- politique d'aménagement de cuisines correctement équipées, éclairées et ventilées lors de la construction de nouveaux logements
- organisation de services publics ménagers destinés à éliminer autant que possible le poids des tâches ménagères : services de blanchisserie et nettoyage à domicile, cantines de quartier et d'entreprise, etc. subsidiés et au personnel formé
- aménagement et modernisation des marchés de la ville (affichage des prix, mise en place d'étals frigorifiés, cimentage et nettoyage régulier du sol, etc.)
- services d'aides-soignants à domicile, extension des hôpitaux et construction de maisons de retraite pour assurer la garde et les soins des malades et des personnes âgées.
- Lutte contre les préjugés et l'idéologie sexiste qui bloque le développement des femmes sur le plan psychologique en mettant en place des campagnes de propagande et de sensibilisation ciblées sur certains thèmes ainsi qu'en révisant le contenu des programmes scolaires afin de mettre en avant l'égalité, la non-discrimination et le respect mutuel entre garçons et filles.
- Etc., etc.
Une
telle politique est-elle possible dans un pays sous-développé comme
la Côte d'Ivoire ? Oui, oui et oui. Ce pays est très
riche, il regorge de potentialités et possède de vastes ressources
humaines comme naturelles. Mais l'application de l'ensemble des
mesures précitées ne sera possible qu'en sortant du cadre du
système capitaliste et de son carcan impérialiste qui étouffe le
pays et saigne le peuple quotidiennement et ce, depuis des décennies,
si pas des siècles. C'est pourquoi nous disons : « Il n'y
aura pas d'émancipation des femmes sans le socialisme ».
En
même temps, il faut également se rendre compte que c'est dès
aujourd'hui que nous devons nous battre pour l'obtention d'autant de
ces mesures que possible, en organisant des campagnes ciblées autour
de l'un ou l'autre de ces thèmes qui touchent plus particulièrement
les femmes. Dans le cadre de ces campagnes, il faut bien insister
auprès des hommes sur le fait que ces campagnes ne sont pas
organisées contre eux, mais qu'au contraire ils ont eux aussi tout à
gagner en rejoignant ce combat pour l'émancipation. Car il n'y aura
pas non plus de socialisme tant que la moitié de la population vit
dans l'oppression. C'est pourquoi nous disons « Pas de
socialisme sans émancipation des femmes ».
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