mardi 10 mars 2015

CI : Journée de la femme 2015

Le point sur la situation des femmes en Côte d'Ivoire et une réponse socialiste à l'oppression


Comme chaque année, le CIO a marqué un temps de pause au niveau international afin de consacrer le 8 mars à la réflexion quant à la lutte mondiale et historique pour l'émancipation des femmes. Dans plusieurs pays ont été organisés des meetings et manifestations pour réclamer notamment l'égalité de salaire entre hommes et femmes (« À travail égal, salaire égal »). En Côte d'Ivoire, notre groupe a organisé une réunion ouverte à l'ensemble de nos contacts féminins afin de participer à ce bilan et de nous pencher pour la première fois sur la question spécifique de l'oppression des femmes ivoiriennes. Nous vous présentons ci-dessous le fruit de nos réflexions.

CIO-CI


Qu'est-ce que la journée de la femme ?

La « journée internationale des femmes travailleuses » est un évènement annuel qui tire son origine dans le mouvement socialiste. La toute première journée de la femme a été organisée le 28 février 1909 aux États-Unis afin de commémorer une grande grève des ouvrières du textile. Inspirée par cette idée, l'organisation internationale des femmes socialistes a décidé lors d'une conférence rassemblant une centaine de déléguées venues de 17 pays, d'organiser une grande manifestation internationale des femmes, le 19 mars 1911, pour réclamer le droit de vote pour les femmes, le droit au travail, le droit de faire partie de l'administration et la fin des discriminations. Cette première journée internationale des femmes rassemblera un million de personnes dans toute une série de villes d'Allemagne, du Danemark, d'Autriche et de Suisse. De nouvelles marches de ce type ont été organisées chaque année dans de plus en plus de pays, chaque fois un dimanche vers début mars. Le but de ce mouvement, selon la célèbre dirigeante socialiste Clara Zetkin, était de « réduire l'influence des femmes de la bourgeoisie sur les femmes du peuple ».

C'est la manifestation du 8 mars 1917 à Pétrograd (aujourd'hui Saint-Pétersbourg), alors capitale de l'Empire russe, qui a déclenché la révolution russe. Ce jour-là, alors que la Russie était depuis trois ans plongée dans la Première Guerre mondiale qui avait déjà fait deux millions de morts rien que du côté russe, les ouvrières du textile sont parties en grève et ont défilé pour réclamer « Du pain et la paix ». L'ampleur du mouvement a surpris tant le gouvernement que les organisateurs de la manifestation. Quatre jours plus tard, c'en était fini de la monarchie et de l'Empire russe. Huit mois plus tard, naissait l'Union soviétique, le premier État ouvrier de l'histoire à exercer le pouvoir sur l'échelle de tout un pays.

C'est en souvenir de cette journée historique qu'en 1921, Vladimir Lénine a déclaré le 8 mars « Journée internationale des femmes », dont le but est d'opérer chaque année un bilan du progrès de la lutte des femmes pour le changement. Cette journée allait devenir jour férié en Union soviétique et dans de nombreux payés se réclamant du socialisme (Pologne, Allemagne de l'Est, Yougoslavie, Chine, Cuba, Vietnam, etc.). Ce n'est qu'à partir de 1977 que les Nations-Unies décideront elles aussi d'enjoindre leurs pays membres à organiser une journée de lutte pour les droits des femmes.

Depuis, cette journée a été beaucoup galvaudée. Il est clair que les dirigeants bourgeois comme Mme Ouloto en Côte d'Ivoire n'ont aucune idée de l'origine de cette journée (qui célèbre en réalité la victoire de la lutte des femmes sur la dictature) et préfèrent parler d'une journée pour « reconnaitre l'apport des femmes à la nation », c'est-à-dire, les nombreux sacrifices et souffrances endurés quotidiennement par les femmes du peuple, sans chercher à remettre en question de manière fondamentale la cause de cette souffrance et de cette oppression. Bien au contraire, les dirigeants bourgeois utilisent cette journée pour admirer les soi-disant « vertus féminines » (soumission, sacrifice, humilité…) imposées aux femmes par le système patriarcal et encourager les femmes à continuer à tolérer cette oppression.

La marche des femmes de Pétrograd le 8 mars 1917 qui a été l'élément
déclencheur de la révolution russe.  « Augmentez les rations pour les familles
des soldats qui défendent la liberté et la paix du peuple » ;
« Donnez à manger aux enfants des défenseurs de la patrie »

Nature de l'oppression

Partout dans le monde, il est plus difficile d'être femme qu'homme. Dans de nombreux pays, les femmes souffrent de nombreuses discriminations et violences. Même dans les pays développés, quelque chose d'aussi “normal” que l'égalité salariale n'est pas encore un acquis. Ainsi, en Belgique, les femmes gagnent en moyenne 25 % que les hommes ; en Suisse, une marche a rassemblé plusieurs milliers de personnes dimanche pour réclamer l'égalité salariale. En Europe, les femmes sont en outre les premières touchées par la crise. En Belgique par exemple, les femmes constituent la majorité des personnes radiées des bénéficiaires de l'allocation de chômage.

En Côte d'Ivoire, les femmes sont victimes de toutes sortes de préjugés et soumises à de nombreux harcèlements et comportements discriminants. On peut entendre régulièrement des propos comme « Quel mauvais chauffeur ! Surement une femme au volant » ou « Est-ce qu'une femme peut comprendre ce travail ? ». Les femmes sont découragées de prendre la parole en public devant des hommes, et peuvent être exclues des assemblées, au village notamment. À la mosquée et dans certaines églises, les femmes sont séparées des hommes et mises à l'arrière. Dans les écoles et les universités, il est “normal” pour un professeur de proposer à ses élèves filles de coucher avec lui pour obtenir une meilleure moyenne. Dans l'administration ou en entreprise, la situation est la même.

À la maison, la femme est la première à se lever et la dernière à se coucher. Même si elle a un travail, on s'attend à ce qu'elle s'occupe de tout pour son mari et ses enfants. Si le mari rentre du travail et trouve son repas prêt, pas un merci, c'est normal ; si le repas n'est pas là, c'est la dispute. Les femmes salariées prestent chaque jour une double journée de travail non payée pour s'occuper de leur ménage. Même pour celles qui sont femmes au foyer, leur travail n'est pas reconnu (on entend souvent des maris dire « C'est moi seul qui travaille, ma femme reste à la maison ») alors qu'il s'agit souvent d'un travail complexe et difficile dans des conditions peu confortables. La femme doit aller puiser l'eau (même en ville), doit nettoyer la maison avec du matériel peu adapté, doit préparer à manger dans des cuisines étouffantes, exigües et sombres où règne souvent le désordre à cause du manque de meubles, pour faire à manger au moyen d'outils archaïques. Elle doit marcher longtemps pour faire son marché, discuter les prix, etc. et est encore censée faire preuve de psychologie et de pédagogie envers son mari et ses enfants.

Il est plus difficile pour les femmes de trouver un travail. Elles sont également souvent les premières licenciées en cas de problème. Le fait que les femmes peuvent tomber enceintes et devenir indisponibles pour de longues périodes pose en effet énormément de problèmes aux capitalistes qui ont besoin d'une main d'œuvre capable de travailler en permanence avec le même rythme de travail, sans devoir passer beaucoup de temps aux toilettes ou souffrir de cycles menstruels. Les femmes sont aussi plus enclines à chercher à s'absenter du travail au cas où on leur aurait confié la garde d'un enfant, d'un malade ou d'une personne âgée. Du fait de leur moindre disponibilité mais également de nombreux préjugés, il est également plus difficiles pour les femmes de monter en grade et d'occuper des postes à responsabilités. Les femmes ont également moins facilement accès au crédit, à la terre, à l'éducation… ce qui nuit à leur émancipation et les rend finalement dépendantes de leurs maris ou de leurs parents.

Bien sûr, les hommes souffrent eux aussi de la division “genrée” de la société : on s'attend à ce qu'un homme rapporte de l'argent à la maison, à ce qu'il ne montre pas ses sentiments (ne pas pleurer en public par exemple), etc. Mais même si la vision traditionnelle des rôles masculin et féminin affecte les deux genres, ce sont surtout les femmes qui en souffrent.

Exemple d'objectification du corps féminin. Comme si la « beauté ivoirienne »
pouvait se résumer à deux paires de fesses… féminines !

Origine de l'oppression

Si l'oppression des femmes parait être le fruit d'un commandement divin ou la résultante de différences biologiques (les hommes sont plus forts, plus grands, etc.), il n'en a pas toujours été ainsi. Les premières sociétés humaines qui vivaient le communisme primitif ne connaissaient pas d'oppression des femmes. Si la société humaine a toujours mis en place des institutions visant à réguler les naissances, il y avait une bien plus grande diversité d'arrangements que le mariage patriarcal monogame qui est la norme aujourd'hui. Ainsi, certains peuples pratiquaient des mariages collectifs entre classes d'âge ou entre des villages “frères” ; dans d'autres, le matriarcat était en vigueur et les hommes n'y avaient aucun droit, comme le peuple mythique des “Amazones” à l'époque antique qui avait tant impressionné les Grecs anciens, farouchement patriarcaux. L'histoire ancienne de différents peuples est pleine de noms de femmes qui ont été de grands chefs de guerre, comme la reine Trieu au Vietnam qui allait au combat contre les Chinois montée sur un éléphant ; la reine Boadicée des anciens Bretons qui vainquit les Romains ; de nombreuses grandes femmes ont été pharaons en Égypte ancienne ; plus près de nous, c'est une femme, Abla Pokou qui, il y a trois-cents ans, mena le peuple baoulé à la liberté, fuyant l'État esclavagiste ashanti. Mais la société en se développant a petit à petit relégué la femme au foyer ou au statut d'objet : objet sexuel, objet de reproduction, objet d'échange, esclave domestique, appartenant à son mari.

En fait, comme cela a été démontré par Engels (suivre ce lien) l'oppression de la femme est liée à l'apparition de la propriété privée et des classes sociales. À un moment donné du développement humain, et dans toutes les sociétés développées, les hommes ont peu à peu obtenu un poids disproportionné dans la société par rapport aux femmes : en effet, ils étaient plus aptes aux métiers lourds (laboureur, bucheron, forgeron, mineur, chasseur…) et étaient plus enclins à prester un travail régulier sans être interrompus par des grossesses, l'allaitement ni par des cycles menstruels. L'apparition de l'agriculture, etc. a donné naissance à un surproduit social, une répartition de la société en différents métiers, castes, et classes, et à la propriété privée. De ce fait, terre, outils, logements, troupeaux, argent… seraient désormais transmis par leurs parents à leurs enfants, et notamment de père en fils (transmission patrilinéaire) plutôt que de mère en fille (transmission matrilinéaire).

(Nous voulons souligner au passage le fait qu'il ne faut pas confondre “matriarcat” et “matrilinéarité”. Par exemple, chez les Baoulés, qui sont une société patriarcale, la transmission se faisait jusqu'à récemment de façon matrilinéaire. C'est-à-dire que les possessions d'un homme à sa mort, plutôt que de revenir à ses propres enfants, revenaient à sa famille du côté maternel. C'est pourquoi dans ces sociétés les femmes étaient plus contrôlées par leurs frères que par leurs maris – mais les femmes y étaient malgré tout soumises aux hommes, il s'agissait toujours d'un patriarcat).

Afin de garantir cette bonne transmission de père en fils, la société dirigée par les hommes a mis en place des institutions destinées à réguler la sexualité des femmes. Il fallait notamment s'assurer de pouvoir connaitre le père de chaque enfant : c'est pourquoi il a été établi que chaque femme ne pourrait avoir qu'un seul mari (le mari n'étant pas partout tenu de se limiter à une seule femme). Dans certains cas, le souci de contrôler la sexualité de la femme a donné naissance à des institutions particulièrement dégradantes ou dangereuses, telles que l'excision, l'infibulation, etc. Cela s'est accompagné de toute une batterie de préceptes idéologiques (commandements religieux…) et culturels (inculcation de « valeurs féminines » dès le plus jeune âge, éducation séparée des garçons et des filles, etc.). Au temps des anciens Grecs, la femme était à ce point dévalorisée que les hommes considéraient comme répugnant le contact sexuel avec le sexe féminin, qui aurait pu leur ôter leur virilité et leur tempérament guerrier, et l'homosexualité a été institutionnalisée et généralisée pour les hommes. En Chine, on mutilait horriblement les pieds des jeunes filles pour les rendre plus petits. En Europe, en Russie, au Moyen Orient, en fonction des époques, les femmes étaient ou sont tenues de porter le voile et de ne pas montrer leurs bras, leur cou, leurs jambes…

La situation est donc à nuancer en fonction des différentes cultures et des différentes époques. Toujours est-il que partout, les hommes ont pris le quasi-monopole du pouvoir économique et politique, ce qui s'est traduit par une oppression à la fois physique, psychologique, morale et institutionnelle des femmes.

La plupart des femmes ivoiriennes passent la majeure partie de leur existence
à prester diverses tâches ménagères dans des conditions très peu confortables
et sans équipement approprié

Le capitalisme profite de l'oppression des femmes

Là où les sociétés antérieures opprimaient “gentiment” la femme au nom du seul contrôle sexuel et du pouvoir des hommes, le capitalisme, lui, profite carrément de l'oppression de la femme car celui lui rapporte de l'argent ! 

Déboulant sur la scène mondiale, le capitalisme a transformé radicalement les relations existant auparavant en imposant son modèle bourgeois de famille monogame mononucléaire stricte. Le système capitaliste profite de l'oppression des femmes et de l'institution du mariage patriarcal de différentes manières.

Tout d'abord de manière directe, économique.

La plupart des femmes travailleuses abattent chaque jour une « double journée de travail », puisque lorsqu'elles rentrent du travail, elles doivent encore s'occuper du ménage. Le capitalisme, plutôt que de chercher à trouver des solutions pour faciliter ces nombreuses corvées quotidiennes et d'investir dans des équipements et des infrastructures permettant de réduire la charge pesant à 99 % sur les épaules des femmes, préfère mettre à l'avant-plan les « vertus maternelles ». Ainsi est évitée la question de l'entretien de la classe des travailleurs. Tout le monde estime qu'il est du devoir de l'État de construire des routes, d'assurer la sécurité, l'enseignement, les soins de santé (quoique même cela soit remis en question également par les capitalistes néolibéraux et ultralibéraux) ; mais peu de gens trouvent qu'il est du devoir de l'État de préparer les repas, organiser la lessive, le nettoyage des domiciles, etc. – la machine de propagande capitaliste tourne tellement bien que la question n'est même pas posée : bien sûr c'est le devoir des femmes ! D'ailleurs, cela dépend aussi d'un pays à l'autre : dans les pays avancés, les soins aux jeunes enfants et aux personnes âgées sont en grande partie pris en charge par la société. Dans notre pays par contre, les crèches sont très peu nombreuses et les maisons de repos, inexistantes. L'idéal familial est utilisé par le gouvernement capitaliste pour se dédouaner et renier sa part de responsabilité concernant toute une série de problèmes sociaux : ainsi la ministre Ouloto qui affirmait que si les enfants sont enlevés, c'est la faute des parents qui laissent leurs enfants sans surveillance.

Le capitalisme profite directement du statut « inférieur » de la femme car cela justifie le fait que les femmes soient moins bien payées que les hommes pour un travail pourtant égal ou équivalant. Toute une série de métiers sont ainsi réservées aux femmes (notamment dans le textile, la restauration, la caisse au supermarché, etc.). Les femmes sont les dernières engagées, les premières virées. Dans les usines, des ouvrières femmes sont soumises au contrôle de contremaitres hommes qui n'hésitent pas à les violer pour les punir de la moindre tentative de s'organiser en syndicat. L'idéologie sexiste et le statut inférieur des femmes permet en outre d'utiliser la population féminine en guise de soupape pour réguler le marché du travail : en situation de croissance économique, on mettra en avant leur émancipation afin de les intégrer dans la force de travail et faire pression sur les salaires des hommes ; en situation de crise, on mettra plus en avant les « valeurs familiales » afin de convaincre les femmes de quitter le marché du travail et avoir moins de demandeurs d'emploi.

Le système profite directement de l'oppression des femmes car cela lui offre tout un marché lucratif. Les femmes sont constamment confrontées à un modèle féminin idéal auxquelles elles seraient censées se conformer : elles doivent être à la fois minces mais avec des rondeurs, mères responsables mais amantes sexy, indépendantes sans l'être trop, jolies mais pas aguichantes… Tout cela fait que les femmes ne peuvent pas se développer pour être qui elles veulent, tiraillées entre les nombreuses contradictions de l'« idéal féminin » inatteignable en réalité, alors que les hommes sont finalement libres de choisir entre plusieurs modèles masculins. Afin de tenter de pallier aux nombreux défauts qui les séparent de cet « idéal », les femmes sont encouragées à acheter toute une panoplie de produits de beauté, de mode, cosmétiques, diététiques, etc.

Le système profite directement de l'oppression des femmes car le corps féminin est assimilé à une marchandise ou à une image que l'on peut utiliser à tort et à travers à des fins publicitaires (une femme en maillot sur une voiture pour faire vendre cette voiture en utilisant les sentiments machistes des acheteurs mâles), mais que l'on peut aussi louer et vendre, avec ou sans le consentement de la femme à laquelle ce corps appartient : ainsi la prostitution et la pornographie sont-elles devenues de véritables industries où tous les coups et tous les trafics sont permis.

Le système profite aussi indirectement de l'oppression des femmes sur les plans politique et social.

Le système profite sur le plan politique car le maintien d'une distinction formelle entre hommes et femmes est un facteur de division des travailleurs sur lequel les patrons peuvent jouer. Dans le cadre de conflits, grèves, etc. ils peuvent facilement liguer les travailleurs masculins contre leurs collègues féminines, par toutes sortes de manœuvres et en justifiant en reprenant à leur compte toutes sortes de propos désobligeants largement répandus à propos des femmes afin d'amadouer les hommes et les convaincre de trahir leurs camarades femmes.

Le système profite sur le plan social et psychologique en assimilant la famille à une « entreprise », dans laquelle le mari serait le patron, et la femme et les enfants, ses employés. Ainsi, cela permet de créer une solidarité, un lien affectif entre l'employé et son patron sur le lieu de travail. En cas de désaccord entre patron et personnel, le patron peut endosser une autorité de « père de famille » qui désire se faire respecter par ses « enfants », les employés. On utilise alors facilement l'argument suivant : « En tant que pères de famille, surement vous n'apprécierez pas que vos enfants ou votre femme se rebelle contre votre autorité ? ». L'homme exploité peut alors se consoler en se disant qu'au moins même si lui est le petit de son patron, il reste le patron de sa femme. Rentrant à la maison, c'est sur elle qu'il se défoule. On noie ainsi la contestation sociale en faisant finalement tout endosser à la femme.

Le système profite sur le plan social car le fait que l'homme soit responsable de la famille constitue un terrible moyen de pression sur lui. L'homme sera prêt à accepter de travailler plus longtemps, pour un moins bon salaire, plutôt que de risquer de perdre son emploi, car la vie d'une, deux, trois, quatre… autres personnes dépend de lui.

Par contre, le système capitaliste nous a amené les outils de développement qui nous permettront d'aller vers plus d'égalité et une meilleure vie pour tous. Si autrefois l'homme pouvait labourer un champ plus facilement que la femme, aujourd'hui n'importe qui peut conduire un tracteur. Si autrefois l'homme avait besoin de sa force pour abattre son ennemi, aujourd'hui une femme est tout aussi capable de presser sur la gâchette d'une mitrailleuse. Aujourd'hui, le gros du travail est effectué par des machines qui font que la différence purement biologique entre hommes et femmes devient de moins en moins déterminante dans le choix d'un métier. De plus, les immenses progrès de la médecine permettent aux femmes de réguler leurs cycles corporels et de choisir elles-mêmes quand avoir un enfant ou pas, réduisant à nouveau la source purement biologique des inégalités.

Le capitalisme profite de l'oppression des femmes car il lui permet de
les exploiter plus durement que les hommes

Alors comment s'en sortir ?

En tant que socialistes, nous sommes farouchement opposés à toute discrimination et oppression, quelle qu'elle soit et d'où qu'elle vienne. Cependant, nous ne pensons pas qu'il suffise de dire aux hommes “Soyez plus gentils avec les femmes” pour remédier à ce problème, car il s'agit d'un problème structurel et qui plus est, encouragé par le capitalisme qui, comme nous l'avons dit, en tire d'énormes bénéfices.

Nous ne sommes pas d'accord avec les féministes bourgeois-es pour qui la lutte consiste à « Il faut encourager plus de femmes à la tête des institutions et des entreprises » ou « Il faut aider les femmes à développer leurs propres activités économiques ». Nous ne sommes évidemment pas contre cela, mais nous pensons que ça ne règle pas le fond de la question.

Tout d'abord, le FMI a beau être dirigé par une femme, Mme Lagarde, cela n'empêche pas que cette institution soit responsable de la misère de dizaines de millions de femmes partout dans le monde et en particulier en Afrique. Le fait que Mme Merkel se retrouve à la tête de l'Allemagne n'empêche pas aussi qu'une part croissante de la population allemande vive dans la pauvreté (15 % aujourd'hui), dont une majorité de femmes (les femmes seules avec enfants constituant toujours une des couches les plus vulnérables de la population même dans les pays avancés, leur situation étant gravement aggravée par la crise économique). D'autre part, dans notre pays, même des femmes tenant des postes à responsabilité peuvent être des patronnes très craintes dans leur entreprise, mais une fois revenues à la maison, redeviennent la femme de leur mari, quel que soit le statut de ce mari en-dehors du foyer. Nous ne croyons pas non plus à la nécessité d'instituer une “parité homme-femme” sur les listes électorales, etc.

Ensuite, il est de bon ton que des ONG et des institutions aident des femmes à accéder au crédit, à la terre, à l'éducation et à des formations pour leur permettre de s'organiser en coopérative ou de lancer un commerce. Cela en effet contribue au développement du pays et permet souvent à ces femmes de jouir d'une plus grande liberté et d'une plus grande confiance en elles-mêmes. Ce genre d'actions peuvent encourager d'autres femmes à relever la tête et à se dire : « Si une femme peut faire cela, alors moi aussi je peux ». Toutes ces initiatives contribuent à leur manière à rehausser le moral et l'estime que les femmes ont d'elles-mêmes. Mais cela ne règle pas le problème de fond.

D'ailleurs, toutes ces femmes issues de la bourgeoisie ont, il est vrai, certains enjeux en commun avec les femmes travailleuses, mais ignorent toute une série de problèmes et par conséquent oublient de mener une lutte à ce niveau. Les femmes bourgeoises par exemple ont généralement une armée de nounous et de cuisinières pour faire leur ménage et s'occuper de leurs enfants ; elles ont fait des études et ont un travail bien payé, voir une entreprise, qui les rend autonomes et leur donne une liberté par rapport à leur mari ou leurs parents. Elles ne fréquentent que les meilleurs établissements, n'ont pas de problème de transport, font leurs courses au supermarché, etc. C'est pourquoi l'émancipation de la majorité des femmes ne peut compter sur ces femmes bourgeoise qui d'ailleurs bien souvent mettent en avant leur “féminisme” uniquement pour faire avancer leur propre carrière politique (ou celle de leur mari, comme c'est le cas de Dominique Ouattara).

Finalement, les femmes de la bourgeoisie, comme tout membre de la bourgeoisie, tirent leurs privilèges et leur bonne fortune du système capitaliste lui-même ; c'est-à-dire qu'elles ne seront jamais prêtes à mener la lutte jusqu'au bout contre l'oppression des femmes et le patriarcat (qui requiert une lutte parallèle déterminée contre le capitalisme). L'action de ces femmes vise donc en dernier recours non pas à émanciper l'ensemble des femmes, mais à simplement permettre à plus de femmes d'entrer dans les rangs de la bourgeoisie ou de la petite-bourgeoisie.

Nous nous opposons en outre résolument à cette variante de féminisme qui prône la division entre hommes et femmes en réclamant par exemple que certains emplois soient réservés aux femmes alors qu'il n'y a pas assez d'emploi pour tout le monde. Hommes et femmes ne doivent pas se battre l'un contre l'autre pour les quelques emplois existants, mais lutter ensemble pour le droit à un emploi pour tous et toutes.

De plus, la lutte pour l'émancipation des femmes n'est pas forcément linéaire et progressive. Après avoir obtenu certains acquis, les femmes dans certains pays peuvent avoir l'impression d'avoir obtenu l'égalité et laisser de côté la lutte. Le capitalisme cherche alors insidieusement à revenir sur ces acquis. Ainsi on voit que l'austérité en Europe et aux États-Unis frappe avant tout les femmes, tandis qu'on rapporte de plus en plus de cas de harcèlements et de violences sexuelles – un comportement également lié à la crise. Dans d'autres pays, l'évolution politique peut amener de nouveaux régimes franchement réactionnaires qui feront reculer la lutte pour l'émancipation des femmes de plusieurs siècles – comme en Afghanistan, où les femmes sont condamnées au voile intégral alors qu'elles étaient libres de se promener en jupe courte et sans foulard il y a 30 ans à peine, ou comme en Russie et en Turquie, où les gouvernements de droite conservatrice ont des propos de plus en plus agressifs envers les femmes et remettent ouvertement en question la capacité des femmes à exercer certains emplois tout en suggérant que les femmes devraient s'habiller de façon plus “modeste”. Tout ça pour dire que tant que nous restons sous le capitalisme, la lutte pour l'émancipation des femmes ne pourra jamais cesser.

Le soi-disant féminisme des femmes de la bourgeoisie n'est finalement
qu'un prétexte pour se faire bien voir et se faire de nouvelles amies

Le socialisme pour les femmes, les femmes pour le socialisme !

On le voit donc, le problème des femmes est un problème structurel qui a besoin d'un engagement de la société pour être résolu. Cet engagement ne viendra pas sous le capitalisme.

Voici quelques mesures que l'on peut envisager dans le cadre d'un programme socialiste :

  • Réduire la dépendance des femmes vis-à-vis de leurs maris et de leurs parents, afin de garantir une vie commune basée sur le respect et l'amour mutuel et non pas sur la crainte et le mensonge :
    • politique de plein emploi via notamment un plan étatique d'investissement dans l'industrie et les services publics, avec garantie de congés maternité, respect des contrats dans le public comme dans le privé, afin de permettre à chaque femme de faire un choix de son occupation ; élargissement de la politique d'octroi de crédit et de subside des petites entreprises pour les femmes (et les hommes)
    • politique de construction de logements sociaux à bon marché et loyer modique, contrôle strict des conditions de location dans le privé, mise à disposition de foyers d'accueil pour femmes battues ou pour jeunes filles (par exemple qui ont fui la maison pour éviter un mariage forcé), généralisation de l'allocation chômage, allocations familiales (reprenant le cout réel des besoins de chaque enfant), assurance maladie universelle, afin d'assurer que les femmes puissent facilement se désengager d'une relation abusive si elles en ressentent le besoin et ce, sans encourir la misère ni l'opprobre
  • Politique d'accueil des naissances et des jeunes enfants : afin que donner la vie ne puisse plus être synonyme de misère, mais une bénédiction. Investissement massif dans les maternités et embauche de personnel formé, allocations familiales, crèches publiques gratuites dans chaque quartier disposant de personnel formé, organisation de bus scolaires et d'espaces de jeux sécurisés pour les enfants dans chaque quartier.
  • Réduire au maximum les petits tracas de la vie quotidienne :
    • mise à disposition et rééquipement des toilettes publiques (y compris dans les écoles et autres lieux publics) afin de réduire l'injustice entre hommes et femmes dans le cadre des petits besoins
    • mise à disposition gratuite des moyens de contraception, subside des serviettes hygiéniques, etc.
    • etc., etc.
  • Lutte énergique contre les violences faites aux femmes :
    • sensibilisation et formation adéquate des services de police et de la population, organisation de cours d'autodéfense pour les femmes, organisation de transports séparés pour les femmes (au cas où la demande en serait faite), organisation de comités de femmes dans les quartiers
  • Allègement maximal du poids des tâches domestiques :
    • adduction d'eau courante et de gaz dans tous les foyers, au village comme en ville
    • subside des biens d'équipement électroménagers du type machine à laver, robots ménagers, aspirateurs, etc. et toutes autres technologies qui permettent de faciliter les tâches ménagères et de réduire l'effort requis par les ménages dans le cadre de leur entretien quotidien
    • politique d'aménagement de cuisines correctement équipées, éclairées et ventilées lors de la construction de nouveaux logements
    • organisation de services publics ménagers destinés à éliminer autant que possible le poids des tâches ménagères : services de blanchisserie et nettoyage à domicile, cantines de quartier et d'entreprise, etc. subsidiés et au personnel formé
    • aménagement et modernisation des marchés de la ville (affichage des prix, mise en place d'étals frigorifiés, cimentage et nettoyage régulier du sol, etc.)
    • services d'aides-soignants à domicile, extension des hôpitaux et construction de maisons de retraite pour assurer la garde et les soins des malades et des personnes âgées.
  • Lutte contre les préjugés et l'idéologie sexiste qui bloque le développement des femmes sur le plan psychologique en mettant en place des campagnes de propagande et de sensibilisation ciblées sur certains thèmes ainsi qu'en révisant le contenu des programmes scolaires afin de mettre en avant l'égalité, la non-discrimination et le respect mutuel entre garçons et filles.
  • Etc., etc.

Une telle politique est-elle possible dans un pays sous-développé comme la Côte d'Ivoire ? Oui, oui et oui. Ce pays est très riche, il regorge de potentialités et possède de vastes ressources humaines comme naturelles. Mais l'application de l'ensemble des mesures précitées ne sera possible qu'en sortant du cadre du système capitaliste et de son carcan impérialiste qui étouffe le pays et saigne le peuple quotidiennement et ce, depuis des décennies, si pas des siècles. C'est pourquoi nous disons : « Il n'y aura pas d'émancipation des femmes sans le socialisme ».

En même temps, il faut également se rendre compte que c'est dès aujourd'hui que nous devons nous battre pour l'obtention d'autant de ces mesures que possible, en organisant des campagnes ciblées autour de l'un ou l'autre de ces thèmes qui touchent plus particulièrement les femmes. Dans le cadre de ces campagnes, il faut bien insister auprès des hommes sur le fait que ces campagnes ne sont pas organisées contre eux, mais qu'au contraire ils ont eux aussi tout à gagner en rejoignant ce combat pour l'émancipation. Car il n'y aura pas non plus de socialisme tant que la moitié de la population vit dans l'oppression. C'est pourquoi nous disons « Pas de socialisme sans émancipation des femmes ».



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