La question nationale – un trait crucial de la crise politique du capitalisme
Une
solution socialiste à l'oppression nationale
Matt Dobson,
Parti socialiste en Écosse (CIO en Écosse)
Notre
camarade Philip Stott du Parti socialiste écossais a introduit
la session sur la question nationale pendant la réunion de
décembre 2014 du Comité exécutif international du CIO. Philip
a souligné le fait que la question nationale constitue un trait
crucial de la crise politique du capitalisme partout dans le monde.
Cette question est revenue en tête du débat dans de nombreux pays
capitalistes avancés ainsi que dans le monde néocolonial.
Ce document constitue la dernière partie du rapport de la réunion du CEI de 2014. Les autres documents sont disponibles en suivant ce lien : CEI 2014
Philip
a parlé du référendum sur l'indépendance de l'Écosse au cours
duquel 1,6 millions de personnes ont voté « Oui » à
l'indépendance en septembre. Le vote pour l'indépendance était
l'expression d'une politicisation de masse et de la mobilisation de
la couche la plus radicale des travailleurs et des jeunes en révolte
contre l'austérité. Il a expliqué le rôle très important joué
par le CIO en Écosse par la diffusion d'idées socialistes dans la
campagne du référendum aux côtés du célèbre dirigeant
socialiste Tommy Sheridan.
Plus de 30 000 personnes
ont participé aux meetings pour une indépendance socialiste de
l'Écosse. Nous sommes également intervenus lors de mobilisations de
masse pour le « Oui » au cours des jours qui ont précédé
le référendum. On a vu se développer une forte polarisation de
classe pendant le référendum : la majorité des grands
patrons, des banques, des principaux partis politiques et même des
dirigeants mondiaux comme Obama et le pape se sont ligués dans une
campagne d'intimidation pour le « Non » à
l'indépendance, menaçant d'un effondrement économique. Malgré la
victoire du « Non », on voit que la majorité des zones
qui ont voté « Oui » sont des quartiers urbains
prolétaires, ce qui montre que les travailleurs et les jeunes qui
aspiraient à un changement fondamental de leurs conditions de vie et
espéraient obtenir un tel changement grâce à l'indépendance ont
refusé de se laisser effrayer par la propagande.
Cette
politisation était bien plus à gauche que le Parti national
écossais (SNP, Scottish National Party) et les autres dirigeants
officiels de la campagne pour le « Oui ». Dans les
quelques heures et jours qui ont suivi le référendum, des dizaines
de milliers de gens se sont empressés de rejoindre différents
partis afin de s'organiser politiquement. Le Parti socialiste en
Écosse a immédiatement appelé à la création d'un nouveau parti
des travailleurs avec une politique socialiste et des militants comme
Tommy Sheridan à sa tête. Si cet appel avait reçu une réponse
favorable, des milliers de personnes auraient immédiatement rejoint.
Malheureusement, Tommy a préféré appeler à voter pour le SNP, qui
même s'il est le « perdant » du référendum, est en
réalité devenu le « gagnant » car il a gagné des
dizaines de milliers de nouveau membres.
Après
le référendum, la classe capitaliste britannique a été forcée de
concéder plus de pouvoirs de décision budgétaire à l'Écosse. En
conséquence, partout au Royaume-Uni – au pays de Galles, en
Irlande du Nord, dans les grandes villes et régions
d'Angleterre –, des voix s'élèvent pour réclamer une
décentralisation économique. Il se pourrait même qu'un nouveau
référendum soit organisé dans quelques années, surtout si le SNP
continue à progresser sur le plan électoral.
Le
Royaume-Uni qui était à un moment le plus grand empire jamais vu
sur Terre est en plein décomposition. Il n'est pas le seul
d'ailleurs, car après une période de calme, la question nationale a
refait surface dans des pays comme l'Espagne, où la « consultation
populaire » du mois de novembre, organisée par les forces
proindépendances en Catalogne, a elle aussi suscité des
mobilisations de masse.
Un programme marxiste
Phili
a rappelé l'approche des marxistes concernant la question nationale.
Il ne faut pas voir la question nationale comme un processus
statique, pour lequel il est possible de trouver des formules et
revendications toutes faites valables une bonne fois pour toutes et
dans tous les cas. Car certains conflits peuvent être extrêmement
complexes et leur importance ou perception se modifier au fil du
temps. Nous nous devons de définir un programme qui prenne en compte
la lutte démocratique pour plus de droits tout en assurant l'unité
la plus grande possible de tous les travailleurs. Ce faisant, les
marxistes doivent prendre en compte les revirements dans la
perception et la conscience de la classe des travailleurs ainsi que
la réalité concrète de la situation. Cette approche a permis au
CIO partout dans le monde d'adapter son programme sur la question
nationale dans différents pays afin de réagir à l'évolution
politique et aux changements dans la conscience.
Lors
du référendum sur l'indépendance de l'Écosse de 1979, le
soutien à l'indépendance était limité à une petite minorité. La
majorité de la population soutenait plutôt l'idée d'une Écosse
dotée d'une plus grande autonomie et de son propre parlement. Le CIO
soutenait ces revendications à l'époque, sans pour autant appeler à
l'indépendance. Mais à la fin des années '1990, au moment de
la création du parlement écossais, il est devenu clair qu'une large
couche des travailleurs et des jeunes les plus radicalisés allaient
être frustrés par les limites de l'action parlementaire et allaient
de plus en plus accepter l'idée d'une indépendance. Par conséquent,
prenant en compte ce revirement, le CIO a commencé à mettre en
avant l'idée d'une Écosse socialiste indépendante qui pourrait
faire partie d'une confédération socialiste volontaire d'Écosse,
d'Angleterre, du pays de Galles et d'Irlande, dans le cadre de la
lutte pour une Europe socialiste.
Les
marxistes se sont opposés à la création de l'État d'Israël
en 1948, car cet État a été créé au prix du déguerpissement
brutal des Palestiniens que l'on a chassé de leurs foyers et de leur
terre. À ce moment, il était plus raisonnable d'appeler à une
Palestine socialiste unie, dans laquelle toutes les minorités
seraient libres de s'installer et vivre. Mais 70 ans plus tard,
dans le contexte d'un violent conflit qui ne semble pas avoir de fin,
une conscience nationale israélienne s'est développée, tandis que
de plus en plus de Palestiniens souhaitent voir reconnu leur propre
État. Les forces du CIO en Israël/Palestine ont pris en compte
cette réalité et appellent donc à la formation d'une Palestine
socialiste et d'un Israël socialiste tous deux indépendants et qui
pourraient rejoindre une confédération socialiste volontaire de
tout le Moyen-Orient.
La conscience de la classe prolétaire
On
trouve un autre exemple de la flexibilité de notre approche avec la
manière dont nous nous sommes positionnés par rapport à
l'Irlande du Nord (qui appartient toujours au Royaume-Uni
même si le reste de l'Irlande est indépendante depuis presque
cent ans), prenant en compte la conscience de l'ensemble de la
classe des travailleurs. La revendication d'une Irlande socialiste
unifiée était un obstacle qui nous empêchait d'entrer en contact
avec les travailleurs protestants (probritanniques), qui craignent de
se retrouver en minorité en cas de réunification avec l'Irlande
indépendante à majorité catholique et qui plus est, moins
développée. Tout en appelant à une Irlande socialiste et en
luttant pour l'unité des travailleurs, il nous faut donc à chaque
fois, dans la discussion et dans le cadre de notre programme
détaillé, rappeler la nécessaire défense des droits des minorités
et la possibilité d'une autonomie pour la population protestante si
elle le désire, dans le cadre d'une Irlande socialiste. Ce n'est
qu'ainsi que l'on peut aujourd'hui se faire entendre des travailleurs
protestants relativement privilégiés en Irlande du Nord
tout en conservant aussi l'attention des travailleurs catholiques
soumis à la discrimination et à la répression en Irlande du Nord
et dont la plupart rêvent d'une unification de toute l'Irlande.
Philip
a conclu en rappelant la différence entre le nationalisme bourgeois
et le nationalisme des opprimés. Le nationalisme bourgeois est le
rêve d'une élite régionale de gagner plus de puissance, de
richesse et d'influence par l'exploitation des travailleurs et des
pauvres de son propre territoire (bien souvent en semant la divison
parmi ces travailleurs et ces pauvres). Le nationalisme des opprimés
est ce que le révolutionnaire russe Trotsky décrivait comme « la
coquille immature du bolchévisme », un désir d'échapper à
l'austérité, à la guerre et de changer la société.
La
discussion sur la question nationale qui a suivi l'introduction de
Philip a été extrêmement enrichissante et a touché la situation
dans de nombreux pays tels que la Belgique, le Chili, la Chypre,
l'Écosse, l'Espagne, Hong Kong, l'Irlande, Israël/Palestine,
la Pologne, la Russie, le Sri Lanka et la Turquie.
Le flux et reflux de la lutte des classes
Un
thème important de la discussion a été le fait que la question
nationale peut émerger puis temporairement disparaitre en fonction
de l'intensification de la lutte des classes. En Belgique, les partis
nationalistes flamands tentent de forcer l'austérité en divisant
les travailleurs flamands et francophones, mais ont reçu en guise de
réponse une opposition féroce sous la forme d'une grève générale
de masse unie et suivie à travers tout le pays, accompagnée de
manifestations de masse au cours desquelles on voit travailleurs
flamands et francophones marcher ensemble.
La
question nationale est un trait constant de la lutte des classes en
Espagne. La sécession de la Catalogne serait une catastrophe pour le
capitalisme espagnol, car cette région compte pour un quart du
PIB du pays. C'est pourquoi l'État espagnol refuse toute idée de
référendum touchant à l'indépendance de la Catalogne. Mais la
« consultation » du mois de novembre et les élections
catalanes de l'année passée ont également révélé des
divergences de classes au sein du mouvement pour l'indépendance.
Tout
comme pendant les années '1930, le développement d'un
processus révolutionnaire en Espagne sera étroitement lié à la
question nationale. Il est donc très important pour les socialistes
de formuler un programme correct à ce niveau.
Tout
comme en Écosse et en Catalogne où on a vu une radicalisation
politique de masse s'exprimer via la question nationale, les forces
du CIO interviennent dans des pays en prise à des conflits
difficiles qui peuvent constituer une complication constante pour le
développement de la lutte des classes.
Les
camarades d'Israël/Palestine et d'Irlande du Nord ont
donné des exemples de la manière dont des disputes liées au
territoire, comme le mont du Temple à Jérusalem ou le « droit de marche » en Irlande du Nord, peuvent enflammer les tensions et
diviser les travailleurs et les jeunes. Le rôle des socialistes est
de mettre en avant un programme qui équilibre la défense des droits
démocratiques pour tous (droit de prière, droit de réunion, etc.)
avec la lutte pour les droits de la classe des travailleurs dans son
ensemble à ne pas se voir plonger dans un conflit violent.
Le
rôle des socialistes est également de répondre aux idées et aux
attitudes chauvines et réactionnaires au sein de la classe
prolétaire. Les camarades du CIO au Sri Lanka sont la seule
force dans le pays qui défende les droits des Tamouls et de toutes
les minorités du pays contre le chauvinisme cingalais encouragé par
le régime Rajapakse, tout en appelant à l'unité des travailleurs
contre les politiciens réactionnaires et les patrons.
L'approche des bolchéviks
Niall Mulholland,
du Secrétariat international du CIO, a conclu la discussion en
rappelant l'exemple de la révolution russe. L'approche adoptée par
les bolchéviks quant à la question nationale a été un facteur
crucial qui leur a permis de mener la classe prolétaire à la
conquête du pouvoir tout en renversant un empire qui était une
« prison des nationalités ». Il est impossible de
construire un mouvement socialiste international sans conserver une
approche correcte sur la question nationale.
Dans
la conclusion de Niall et au cours de l'excellente discussion, nous
nous sommes aussi penchés sur les erreurs monumentales commises par
d'autres organisations de gauche en ce qui concerne la question
nationale. Le CIO se bat pour les pleins droits de toutes les
minorités nationales et de tous les opprimés, et cherche à adopter
une méthode de lutte prolétaire capable d'unifier l'ensemble de la
classe. Mais certains groupes gauchistes ont par exemple accordé
leur soutien total à la campagne de terrorisme individuel menée par
l'IRA (Armée républicaine irlandaise, organisation militante
patriotique qui recourt à la lutte armée pour l'unification de
toute l'Irlande). Pourtant, le terrorisme de l'IRA n'a fait
qu'approfondir les divisions sectaires entre protestants et
catholiques et a en fait nui à l'objectif de l'unification du pays.
Comme dans toute lutte, la classe prolétaire, qui inclut les
nationalités opprimées, a besoin de ses propres forces
indépendantes de lutte pour ses intérêts, ce qui inclut des partis
et des syndicats.
Dans
des conflits tels que la Syrie et l'Est de l'Ukraine, il est
nécessaire de mettre en avant l'idée de comités d'autodéfense
unifiés de toutes les différentes communautés afin de protéger
les quartiers prolétaires et de jouer un rôle dans la construction
d'une lutte de masse pour les intérêts de la classe des
travailleurs et des pauvres.
Le
CIO a une approche unique et une histoire inégalée en ce qui
concerne la question nationale. Cela contraste fortement avec des
organisations telles que la Tendance marxiste internationale (TMI)
qui a tout récemment brusquement changé sa position par rapport à
l'Écosse. À la suite du résultat du scrutin, malgré le fait qu'elle appelait à voter « Non »
à l'indépendance de l'Écosse en septembre, la TMI a maintenant
rejoint le Parti socialiste écossais (SSP, Scottish Socialist Party, à ne pas confondre avec le « Parti socialiste en Écosse » ou Socialist Party Scotland, qui est la section écossaise du CIO).
Ce
n'est qu'en discutant la question nationale de manière honnête et
ouverte sur base des idées marxistes et de l'expérience historique,
en tenant compte des revirements de circonstances et de l'évolution
de la conscience des travailleurs, etc., que nous pourrons offrir aux
travailleurs et aux jeunes un programme pour un changement
fondamental.
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