Quelles destinées pour Syriza au pouvoir ?
La
victoire électorale de Syriza a ouvert une nouvelle période dans la
lutte contre l’austérité en Grèce et dans toute l’Europe. Et
les enjeux pour le mouvement ouvrier ne pourraient être plus élevés.
Nous publions ici une interview d'un de nos
camarades grecs, effectuée fin février, après que les dirigeants
de Syriza se soient mis d’accord avec l’Union européenne pour
une extension de quatre mois du plan de sauvetage.
Interview
de notre camarade Nicos Anastasiades (Xekínima, CIO en Grèce)
réalisée par Niall Mulholland
(secrétariat international du CIO)
Quel
a été l’effet initial de la victoire électorale de Syriza ?
La
victoire de Syriza a été un évènement
historique pour la Grèce et pour toute
l’Europe. Après quatre ans
d’austérité dure et de grandes luttes des
travailleurs qui ont échoué à faire barrage aux coupes
budgétaires (surtout à cause du rôle
joué par les dirigeants syndicaux et les
partis de “gauche”), l’élection de
Syriza (Synaspismós Rizospastikís Aristerás, Coalition de la
gauche radicale) a marqué la première véritable
victoire sur les représentants politiques de l’austérité.
C’était un gain important pour un parti qui était
considéré comme résistant clairement à l’austérité, à
la “troïka” (composée
du FMI, de la BCE et de
l’UE) et aux principaux partis
politiques grecs. Son arrivée au pouvoir a
déclenché une explosion d’optimisme et de joie chez les Grecs,
qui ont vu pour la
première fois apparaitre une possibilité d’inverser
l’assaut des coupes budgétaires lâchée
sur eux par le “mémorandum d’entente”
– c'est-à-dire, l'ensemble des
mesures d’austérité qui ont été imposées
dans le cadre de l’accord de prêt avec la troïka.
Si
on considère l'ensemble des votes pour les partis de gauche
comme Syriza et le KKE (Kommounistikó
Kómma Elládas, Parti communiste
grec), on voit que le
vote de gauche représente une très grande
partie des électeurs grecs. La majorité de la
population des districts populaires de toute la Grèce a voté à
gauche, alors que la “Nouvelle
Démocratie”, le parti traditionnel de la
bourgeoisie grecque (libéral), a
fait un meilleur score dans les zones plus riches. Lorsque
le dernier gouvernement Nouvelle Démocratie / Pasok (Parti
“socialiste”) a perdu la tête des sondages, il y a eu un
sentiment de soulagement très largement éprouvé. Les Grecs
savaient bien que, si ce
gouvernement était réélu, cela signifierait davantage de
mesures d’austérité et de souffrances pour les masses, vu
que l’administration ND/Pasok aurait lâchement accepté une
fois de plus le dictat de la troïka.
Nombreux
sont ceux qui, parmi la gauche du monde entier, ont été surpris et
consternés du fait que Syriza soit entré
au gouvernement avec le parti de droite nationaliste des Grecs
indépendants. Comment les Grecs ont-ils
réagi ?
La
constitution grecque stipule que, pour
former un gouvernement, un parti doit d'abord
gagner un vote de confiance au
parlement. Syriza n’avait pas la majorité absolue pour gouverner
seule, et a donc cherché une coalition. Dans la
cadre de la constitution, cela signifiait qu’elle devait
approcher chaque parti élu jusqu’à ce qu’elle obtienne un
accord pour gouverner avec l’un d’eux ou plus. La
constitution dit aussi que si le premier parti vainqueur
des élections (Syriza) échoue à former un gouvernement,
alors le second parti (Nouvelle Démocratie) peut
tenter d’en former un. Si cela avait échoué, ç'aurait
alors été au tour du troisième parti (Aube dorée).
Syriza
et le KKE ont échoué à parvenir à un accord pour se partager le
pouvoir (voir notre
article à ce sujet). Cela est outrageux du point de vue des
intérêts de la classe des
travailleurs. Chacun
blâme l’autre pour ce résultat, mais la vérité est qu’aucun
de ces
deux partis n’a
jamais eu sérieusement l’intention de former un gouvernement de
coalition avec l’autre. La direction de Syriza a clairement
indiqué, avant même
le résultat des élections, qu’elle était favorable
à l'idée d'une coalition
avec les Grecs indépendants
(GI), et elle n’a fait qu’un appel mitigé au KKE à la rejoindre
dans un gouvernement. Cela indique que la direction de Syriza, qui a
de plus en plus tendu vers la
droite ces
dernières, au fur et à mesure
qu’elle s’approchait du pouvoir, ne voulait pas de la pression
d’un autre parti soutenu par la classe des
travailleurs.
Le
KKE, qui adopte de son côté une approche
sectaire et isolationniste envers le reste de la gauche, a dit qu’il
envisageait de voter pour les lois progressistes
mises en avant par le gouvernement Syriza. Mais
en même temps, les dirigeants du KKE ont déclaré que leurs
parlementaires refuseront dès le départ
d'accorder leur vote de confiance à Syriza pour former un
gouvernement ! Syriza est donc arrivée
au pouvoir sur base du soutien des Grecs indépendants,
avec qui elle a
formé une coalition.
Pour
Xekínima (section grecque du CIO),
c’était une grande erreur de la part de Syriza. Si les dirigeants
de Syriza avaient voulu mener une politique en faveur de la classe
des travailleurs, indépendante des partis
capitalistes, ils auraient dû utiliser les jours suivant les
résultats des élections
pour faire un appel de classe direct à la classe des
travailleurs et aux classes moyennes ruinées pour qu’elles
manifestent leur
soutien actif à une coalition
gouvernementale de gauche. Cela aurait amené
une énorme pression sur les dirigeants du KKE, qui
aurait probablement pu diviser
la base de ce parti. Syriza aurait alors pu
aller au parlement pour demander un vote de
confiance en appelant le KKE et les partis
de gauche à la soutenir. Si cela n’avait pas abouti à une
coalition gouvernementale de gauche, Syriza aurait alors pu
aller vers de nouvelles élections en
présentant un appel de classe et une
politique socialiste ; elle aurait pu
remporter ces nouvelles élections haut la main en obtenant une
hausse significative de son score – sans
doute en récupérant des voix du
KKE discrédité – pour former un
gouvernement majoritaire.
Cependant,
beaucoup de Grecs ne considèrent pas comme un gros problème la
formation d’une coalition par Syriza avec les Grecs indépendants
(qui n’ont que quelques parlementaires),
mais plutôt comme un mal nécessaire pour que Syriza prenne le
pouvoir. Mais nous devons dire la vérité aux travailleurs à propos
des Grecs indépendants et des dangers qui
découlent d'un partage du pouvoir
avec eux. En formant une coalition avec ce parti
– un parti bourgeois, quand bien
même contestataire – les dirigeants
de Syriza ont réalisé une forme de collaboration de classe. Les
Grecs indépendants sont issus d’une
scission de la Nouvelle Démocratie.
Ils représentent une aile de la bourgeoisie grecque qui est
contrariée par les dictats de la troïka
et qui voudrait résister pour gagner des conditions plus favorables
pour le capitalisme grec. Alors que les Grecs indépendants
adoptent une démagogie antitroïka
“patriotique”
(et se montrent souvent plus combatifs que
Syriza dans leur dénonciation des patrons de la zone euro),
ils restent un parti de la classe dominante qui,
au final, agira dans l'intérêt
des patrons.
Les
dirigeants de Syriza ont fait une erreur en donnant des positions
ministérielles cruciales aux politiciens des Grecs indépendants
ainsi qu’à d’autres politiciens de droite. Le chef des forces
armées est maintenant issu des Grecs indépendants.
Le ministre de la police est un ancien membre de la “Gauche
démocratique”
(une scission de droite du Pasok, le parti
social-démocrate) et un ancien dirigeant du Pasok est à la tête de
la police secrète. De plus, le président de la république, élu
par Syriza, est un ex-ministre de la Nouvelle Démocratie !
En d’autres termes, tous les postes cruciaux
qui contrôlent l’appareil d’État ont été donnés à la droite
et à des personnalités politiques qui ont la confiance de la classe
dirigeante. La droite pourrait utiliser
cela à son avantage au cas où Syriza
viendrait à être considérée comme
indigne de confiance par les patrons d’Europe et de Grèce, même
si Syriza a fait de grosses concessions à
la troïka. Et bien sûr, au fur et
à mesure que la crise s’approfondit, l’État peut être
utilisé contre les militants et les manifestants,
voire contre la classe des travailleurs tout entière. La
semaine dernière, des forces de police ont
été déployées contre des manifestants du
nord du pays qui réclamaient
l’arrêt de l’extraction d’or qui cause des dégâts
considérables à l’environnement. La police antiémeutes a
également attaqué une manifestation en
faveur de la fermeture imminente des « camps
de concentration » pour immigrés
à Athènes.
Même
si le cas ne se présente pas dans
l'immédiat, la classe dominante en Grèce a déjà recouru à
la force militaire auparavant lorsqu'elle
était confrontée à une montée de la
lutte des classes
et à une crise économique. Cependant, la
classe ouvrière grecque possède
une immense force potentielle et une
combativité qui lui permettront de lutter pour empêcher ce
processus de prendre place à nouveau.
La classe dominante craint que le “virus” Syriza n'infecte toute l'Europe |
Qu’est-ce
que Syriza a promis aux travailleurs en prenant le pouvoir ?
Dans
ses premiers jours de fonction, le gouvernement Syriza a fait
d'importants gestes symboliques. Son
dirigeant Alexis Tsipras a prêté
serment en tant que Premier ministre sans
prêter de serment religieux (dans
un pays où une grande partie de la société et du pouvoir reste
dominée par l'Église chrétienne orthodoxe). Il a plus tard
été présenter un hommage aux combattants antinazis massacrés par
l’armée allemande occupante durant la Seconde
Guerre mondiale. Ce sont des évènements
hautement symboliques pour les Grecs.
Le
nouveau gouvernement dirigé par Syriza est aussi apparu comme tenant
ses promesses préélectorales : il a
annoncé toute une série de nouvelles
mesures très populaires. Ces
mesures incluent le retour au
salaire minimum d’avant la crise ;
une petite hausse des pensions les plus basses ;
l’abolition des frais de visite à l’hôpital et des charges sur
les prescriptions ; la fin de la mise
en vente forcée des logements des
personnes qui ne peuvent pas racheter leurs hypothèques ;
l’annulation des privatisations qui avaient été
prévues ; la réembauche des
enseignants licenciés ;
l’abolition du système “d’évaluation”
du service civil qui avait été créé
pour contraindre l'administration à des
licenciements continuels ; la
réembauche de plus de 3500 fonctionnaires
et travailleurs du secteur public ; le
rétablissement de l’ERT comme chaine
d’État la réembauche de son personnel ;
la citoyenneté pour les enfants des
immigrés nés et élevés en Grèce.
La
promesse de toutes ces mesures (qui doivent encore être
votées au parlement) a été accueillie
comme un énorme soulagement. Après des
années d’austérité, ce changement est plus
que bienvenu pour les travailleurs grecs. Mais depuis ces
annonces, Syriza a eu des positions très compromettantes au
cours des négociations avec la troïka.
L'élection de Syriza a causé une dégringolade de la bourse d'Athènes et est une des causes de la chute de la valeur de l'euro (et donc du franc CFA) qui se poursuit depuis janvier |
Quelle
est donc l’approche que Syriza a adoptée envers la troïka ?
Syriza
a fait beaucoup de pas en arrière rien qu’en entrant en
négociation avec la troïka. Toutes les
tentatives de courtiser les dirigeants de l’UE par des visites de
Tsipras et du ministre des finances
Yanis Varoufakis ont échoué. Ceux-ci
estimaient possible de recevoir le soutien de l’Italie et de la
France. Les dirigeants de Syriza espéraient aussi
pouvoir se faire bien voir du côté de l’administration
d'Obama aux États-Unis.
Certains pays de l’UE paraissaient plus préparés à laisser une
marge à la Grèce, non pour des raisons altruistes, mais parce
qu’ils comprenaient qu’une
confrontation directe avec Syriza pourrait conduire à une rupture
des négociations, à un défaut de
paiement de la dette grecque et à la
sortie forcée du pays hors de la zone euro – ce
qui aurait des effets désastreux pour
l'ensemble des pays de la zone euro,
provoquerait la dislocation de
cette zone et pourrait même menacer
l’existence de l’Union européenne
elle-même.
Mais,
même si les gouvernements de l’UE ont certaines différences
d’opinion et de nuances sur la marche à
suivre, ils se retrouvent
tous largement d'accord en tant
qu’“alliés” au sein de l’Eurogroupe
dès lors qu’il s’agit des revendications de la Grèce. Aucun
gouvernement de l’UE n’a publiquement déclaré son soutien à la
Grèce ni offert une assistance pratique
réelle à ceux qui souffrent depuis des années des politiques
d’austérité. Cela démontre que les seuls vrais alliés de la
classe des travailleurs grecs
sont les travailleurs de toute l’Europe.
Malgré
les « lignes rouges »
qu'ils avaient fixées antérieurement,
les dirigeants de Syriza sont entrés dans des pourparlers en
acceptant la dette et le besoin de rembourser les emprunts. Ils ont
également accepté que le processus
reste supervisé par les trois composantes
de la troïka, qui ne seront dorénavant
plus appelées “troïka”
mais “institutions”.
Le
capitalisme allemand a montré qu’il n’était pas prêt à
accepter les moindres revendications du
gouvernement grec, même modérées. Cela démontre
la véritable nature de la zone euro capitaliste. Il
s'agit d'un outil pour les grandes puissances, comme le
capitalisme allemand, pour exploiter les petits pays – ou
plutôt, la classe des travailleurs de
ces pays – de la zone, souvent en
collaboration avec la bourgeoisie locale.
Il
est clair que le capitalisme allemand veut obtenir une victoire
convaincante sur Syriza pour que cela serve d’avertissement à
Podemos en Espagne et à tout autre parti antiaustérité :
Syriza doit servir d'exemple pour tous les frondeurs au cas où ils
désireraient comme Syriza s'engager sur le chemin de la
résistance. Le capital allemand et ses
alliés de l’UE veulent un accord qui soit si
préjudiciable à la Grèce que, quelle que soit la façon
dont Syriza essaie de le vendre, cet accord
brisera la grande
popularité dont bénéficient à l'heure actuelle
Syriza et les nouvelles autorités grecques
en Grèce et dans toute l’Europe. De nouveau, le message serait le
suivant : « Tout résistance, même la plus
modérée, est inutile ».
Le nouveau ministre des Finances Varoufakis tente une poignée de main avec un cadre de la Banque centrale européenne |
Pourquoi
Syriza a-t-elle signé ?
Le
20 février, les négociateurs grecs
ont accepté une extension de quatre mois
du plan de renflouement en
vigueur. On rapporte que la
délégation grecque aurait été soumise
à un chantage scandaleux de la
part de l’Eurogroupe, qui aurait
pris la décision d’étrangler l’économie grecque en coupant le
financement de ses banques. Le
gouvernement grec s'est vu dire que faute d'une
signature, il se verrait contraint
d’instaurer des contrôles des flux de
capitaux dans les jours à venir.
Les
principaux éléments de cet accord sont
que la Grèce accepte le cadre du mémorandum pour les
quatre prochains mois. Elle
n’obtiendra le prochain paiement du programme que si elle est
évaluée positivement par la troïka. La
Grèce doit s'engager
à rembourser toute la dette à temps et à utiliser le gros de
l’argent collecté par le programme d’austérité pour rembourser
la dette. La Grèce ne doit pas prendre de mesures unilatérales. Cet
accord est un recul pour le gouvernement grec.
Cela
signifie-t-il pour autant une défaite ?
Tout dépend de l'humeur
des masses des travailleurs grecs vis-à-vis
de la lutte. Les quatre prochains mois
ne seront pas une période de trêve, mais bien une période de
guerre de tranchées. Les mouvements se
battront pour étendre leur victoire politique sur l’establishment
à tous les terrains : dans la rue et
sur les lieux de travail. La troïka va
lutter elle aussi pour maintenir Syriza
dans le cadre de l’Union européenne. Le
gouvernement va se trouver pris entre ces
deux pressions. L’issue de cette
guerre est une chose qui ne peut être prédite à
l'avance : il s'agit d'une
bataille entre deux forces vivantes.
L’accord
de quatre mois a permis
d'éviter à la Grèce de devoir quitter
l’euro immédiatement, mais c’est à un prix très élevé.
Malgré la tournure positive de Tsipras, Athènes a fait de très
grandes concessions, y compris en renonçant à demander une
dépréciation de son immense dette.
Renommer la troïka “institutions”
et le mémorandum “Accord de mécanisme
de soutien financier”
ne change rien à la dure vérité :
les Grecs vont devoir subir un nouveau
programme d’austérité.
Syriza
s'écrie qu’elle
a obtenu le meilleur des accords possibles sous la pression de la
fuite des capitaux hors des banques grecques et de la menace du
chaos au niveau des banques. « Nous
avons gagné du temps », clament les
dirigeants de Syriza. Mais du temps pour quoi ?
L’accord a vu Athènes forcée de
proposer des réformes acceptables à ses créditeurs dans l’UE et
au FMI. Les propositions de Syriza devront
dorénavant être approuvées par l’Eurogroupe et par
la troïka, avec avril comme
échéance pour que la Grèce complète sa liste finale de mesures à
faire valider par la troïka. Si
Syriza n’accepte pas ces dictats, le gouvernement ne pourra pas
accéder aux nouveaux prêts dont il a besoin pour éviter
de faire défaut à sa dette de 320 milliards
de dollars.
« À
une époque de tromperie universelle, dire la vérité est un acte
révolutionnaire ». Syriza devrait
dire la vérité au peuple grec. Si le gouvernement a fait des
concessions pour gagner du temps afin de mettre en
place un plan stratégique pour vaincre l’austérité, alors
le peuple le comprendra et se
joindra à cette bataille. Mais ne pas le
faire illustre tristement la voie que le gouvernement grec semble
prendre, celle de la collaboration de classes
avec l’UE et l’élite locale en acceptant leur agenda.
La Grèce va-t-elle revenir sur le chemin de l'euro, ou prendra-t-elle la porte de sortie ? |
Un
choix autre que celui d’accepter les exigences de la Troïka
existait-il ?
Il
est vrai qu’un gouvernement socialiste déclaré arrivant au
pouvoir contre l’opposition féroce du grand capital aurait bien
sûr à faire face à beaucoup de difficultés et pourrait
se voir contraint de faire quelques
concessions tactiques. Mais Syriza ne défend pas de programme
socialiste général. Ses dirigeants s’engagent à rester dans la
zone euro capitaliste quoi qu’il arrive. Cela signifie
emprisonner les travailleurs grecs dans la camisole du capitalisme
des patrons de l’UE et d’accepter la logique du “marché
unique” et les dictats de la troïka.
Suite
à l’accord avec la troïka, Varoufakis a déclaré que celui-ci
autorise la Grèce à modifier ses objectifs budgétaires pour cette
année, de sorte à obtenir un léger
excédent et à ce qu’il existe une
« ambiguïté créative »
à propos des excédents budgétaires nécessaires à la Grèce
au-delà de 2015. Le gouvernement grec
dit que cela va permettre de mettre en œuvre certaines « politiques
humanitaires ». Il est vrai que
quelques milliards d’euros pourraient quelque peu alléger les
souffrances des couches de la population les plus touchées. Étant
donné que les Grecs ont traversé des années d’appauvrissement
terrible avec les anciens gouvernements proaustérité, tout espoir
d’amélioration de leur condition est une lueur dans l’obscurité.
Cela pourrait permettre à Syriza de
maintenir une partie de son soutien…
pour le moment. Des acquis sociaux limités
pour les plus pauvres et les plus touchés par l’austérité
peuvent être considérés comme un certain progrès pour
la classe des travailleurs, pour le moment
– en tout cas si on compare avec le
triste bilan du dernier gouvernement Nouvelle Démocratie/Pasok.
Mais
cela ne sera pas suffisant pour concrétiser une série de réformes
en faveur des investissements publics
massif dont les travailleurs et leurs familles ont tant
besoin. Les principaux points
du “Programme de Thessalonique”
de Syriza (qui était lui-même un recul
par rapport à ses programmes adoptés
auparavant) vont être reportées à plus
tard, peut-être indéfiniment. Si le gouvernement Syriza
accepte les termes et conditions du capitalisme allemand, cela sera
vu tôt ou tard par les travailleurs grecs comme un retournement de
veste et une capitulation, quelle que soit la manière dont cela sera
présenté. Les dirigeants de Syriza tentent
déjà publiquement de louvoyer sur
certaines de leurs promesses politiques, comme le rétablissement de
la télévision d'État ou
la fermeture des mines d’or (qui n'est
plus aujourd'hui qu'une simple opposition
rhétorique). Alors que Syriza s’était dite
opposée à toute nouvelle privatisation,
les autorités discutent de la possibilité
d’impliquer des entreprises privées dans
le “développement”
des infrastructures.
La joie populaire le soir de l'élection de Syriza. Au milieu, on voit un panneau avec écrit en allemand : « Bonne nuit Mme Merkel » |
Quelle
est l’alternative défendue par Xekinima (CIO en
Grèce) ?
Plus
de 100 000 personnes se sont
rassemblées dans le centre d’Athènes le
15 février en soutien à la position
initiale de Syriza dans les négociations. Le même jour, d’autres
grandes manifestations ont eu lieu dans toute la Grèce. Cela a été
le plus grand mouvement généralisé depuis février 2012.
L’ambiance était combative. Le fascisme et le nationalisme
réactionnaire, représentés notamment par
Aube dorée, ont été mis à
l’arrière-plan par le nouveau sentiment de “patriotisme”
antitroïka et antiimpérialiste. 60 %
des électeurs d’Aube dorée ont
déclaré être d’accord avec la position
de Syriza au gouvernement. Cela démontre
le potentiel d'un énorme soutien actif qui
pourrait être créé pour une lutte
déterminée contre la troïka sur base d'un
programme socialiste clair. Même si Syriza s'en
tenait fermement à son programme de Thessalonique
relativement modéré, les travailleurs et
les pauvres de Grèce se mobiliseraient
avec enthousiasme en soutien de son application, avec le soutien
actif des travailleurs de toute l’Europe qui
défieraient ainsi leurs propres gouvernements austéritaires.
Cela
aurait demandé que Syriza négocie avec la troïka devant la classe
des travailleurs, en démasquant le rôle
de l’Allemagne et des autres puissances capitalistes européennes
antisociales. Cela signifierait
le refus tout remboursement supplémentaire
des prêts onéreux de la troïka et la
répudiation unilatérale de la dette. Si les puissances de l’UE
répondaient en menaçant d’exclure la Grèce de la
zone euro, un gouvernement socialiste préparerait la
classe des travailleurs à l’action qui
serait nécessaire dans cette situation. Il introduirait
immédiatement un contrôle des capitaux afin de stopper la fuite des
capitaux hors de Grèce par les grands investisseurs capitalistes.
L’évasion
et la fraude fiscales endémiques des riches et des grandes
entreprises qui coutent des milliards
d'euros à la société, pourraient être combattues
pour récupérer cet argent afin de créer des emplois et payer des
services. Ces fléaux doivent être
arrêtés en expropriant ces entreprises
pour les placer sous le contrôle des
travailleurs et en taxant les riches. La bureaucratie grecque,
réputée pour sa corruption, son
incompétence et son inutilité, pourrait
être surmontée par le contrôle populaire
et par l’instauration d’un salaire de
haut fonctionnaire identique à celui des travailleurs
qualifiés.
L’introduction
d’une nouvelle drachme offrirait-elle une issue ?
Le
retour à une monnaie nationale (la drachme) aurait des effets
catastrophiques pour les travailleurs si cette opération n'était
pas liée à un programme socialiste. Car
cela provoquerait une dévaluation massive de
la monnaie, qui anéantirait les économies de millions de
personnes. Une nouvelle monnaie nécessiterait donc d’être liée à
des mesures plus larges, y compris l’introduction du monopole
d’État sur le commerce extérieur pour élaborer une planification
des exportations et des importations qui répondrait aux besoins du
peuple grec. Cela exigerait la nationalisation du transport maritime
et des principaux secteurs de l’économie – y
compris le système bancaire et les grandes entreprises
industrielles, le commerce et les services –
sous contrôle et gestion publics et démocratiques, afin de
commencer à développer une économie démocratiquement planifiée.
Cela
créerait de la richesse pour les masses, pas pour l’élite. Ces
mesures recevraient un énorme soutien de la part de la classe des
travailleurs d’Europe et inspirerait les nouveaux partis de
gauche, en les encourageant à lutter pour
le pouvoir afin de prendre des mesures
similaires. Pour les patrons de l’UE, pour l’exploitation
capitaliste et pour l’Otan belliciste,
cela serait le début de la fin. Car serait posée
la question d’une fédération socialiste d’Europe sur une
base libre et égalitaire.
Agora populaire à Athènes dans le cadre de la résistance antiaustérité |
Quelles
sont les perspectives pour la gauche grecque ?
Syriza
est, en fait, un “front populaire”
de différentes forces et tendances. Il y a de grandes divergences en
son sein. Même si les parlementaires de Syriza tendent à être plus
à droite que la base, des tensions et
divergences au sein du conseil ministériel
ont été rapportées. La base a peu ou aucune chance de prendre part
aux décisions importantes. Par exemple, quand
les parlementaires de Syriza ont voté pour le candidat de la
Nouvelle Démocratie au poste de
président de la république, cela a été décidé
par l'appareil sans discussion avec la base. Même si la prise
du pouvoir par Syriza s'est faite dans un
climat d’optimisme, aujourd'hui, de plus
en plus de couches de la classe des travailleurs,
des militants et une partie de la base de Syriza remettent en
question les actes de la direction. Ces personnes
sont prêtes à une résistance de masse
continue contre la troïka et contre les
patrons grecs, comme le sont les meilleurs membres de la
base de travailleurs du
KKE et d’autres groupes de gauche.
La
classe des travailleurs est
prête à donner du temps au nouveau gouvernement pour
voir si sa politique sera
en mesure de la sortir de la misère de l’austérité. Mais elle ne
va pas attendre très longtemps. Les masses
ont déjà eu l’exemple du Pasok en 2010,
qui avait été élu sur une étiquette antiaustérité mais qui
a imposé une politique exactement à
l'opposé. L’amélioration de la
vie de ces millions de
personnes tout en restant dans le carcan de l’UE va
rapidement se révéler n'être qu'une
illusion. Et le rôle de la gauche révolutionnaire au cours de ce
processus va être crucial. Il y a un besoin urgent d’une puissance
politique non sectaire à gauche de
Syriza, non seulement pour pousser le
gouvernement à gauche partout où c’est
possible, mais aussi pour s’opposer à
tout virage à droite qui va finir par arriver.
Xekínima
participe à l’Initiative des 1000, une
coalition de forces de gauche à l’intérieur et à l’extérieur
de Syriza. Elle appelle à l’unité maximale des militants de
gauche sur base d’un programme de principe, socialiste,
anticapitaliste et antiaustérité. La prise du pouvoir par Syriza a
ouvert un nouveau chapitre agité dans la société grecque, qui va
provoquer d'intenses luttes de classes.
Les syndicats seront eux aussi affectés par ces développements et
par les débats intenses qui se
sont ouverts au sein de la gauche et des travailleurs
concernant la voie à suivre. Un
objectif crucial est de mener campagne pour des syndicats
combatifs et démocratiques, afin de résolument résister aux coupes
budgétaires et aux privatisations quel que soit le parti au pouvoir.
Le facteur le plus décisif de la prochaine période sera la capacité
de la classe des travailleurs à se
mobiliser et à marquer les événements de son empreinte, sur
le terrain politique comme économique.
Si
la gauche réussit à poser les bases d’une société socialiste,
cela pourra se répandre dans toute l'Europe
pour changer le cours de l’Histoire. Par
contre, si la gauche échouait à
montrer la voie, les classes moyennes et de grandes parties de la
classe des travailleurs pourraient se
retrouver à la merci de la frustration et de la
démoralisation. Cela pourrait paver la voie à un retour de la
Nouvelle Démocratie et d’autres
partis pro-austérité, voire même à un
regain de croissance du parti d’extrême
droite Aube dorée. Les enjeux n'ont
jamais été si élevés pour la classe des
travailleurs grecque et européenne.
La Grèce sera-t-elle le cheval de Troie de la révolution en Europe ? |
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