L'heure
est venue pour la constitution d'un véritable front commun pour
sauver l'enseignement ivoirien
Les
mouvements de grève se multiplient dans l'enseignement ces derniers
temps. À la faveur de l'année électorale qui devrait être riche
en promesses, les différents syndicats ont décidé de ne plus
patienter mais de passer à l'offensive. Cependant, malgré leur
bravoure et la combativité de la base, ces mouvements se heurtent à
un véritable mur de la part du gouvernement.
Cependant,
ce gouvernement a déjà montré à maintes reprises, cette année
comme lors de la grève des enseignants de 2013 (voir notre
analyse
à l'époque) que lorsqu'il accepte de dialoguer, c'est uniquement
pour gagner du temps et épuiser les mouvements, mais jamais pour
concrétiser la moindre promesse. Face au front uni du gouvernement,
il nous faut créer un front uni de l'enseignement à tous les
niveaux : du primaire au supérieur, public et privé,
enseignants, apprenants et personnel administratif et technique, main
dans la main.
CIO-CI, en collaboration avec la CES (Conscience estudiantine et scolaire) et la plateforme Agir
Des
revendications communes
Il
est vrai que les revendications du public et du privé, des
enseignants et des apprenants, ne sont pas les mêmes, et que le
supérieur dépend d'un autre ministère que le reste de
l'enseignement. Pourtant, au fond, tous ont la même revendication :
l'argent du gouvernement. À tous, le gouvernement donne la même
réponse : le déni, la répression, les arrestations, les
passages à tabac, les promesses creuses, les mensonges, les
insultes, les humiliations. Lorsque le gouvernement daigne donner une
réponse argumentée, c'est toujours les mêmes éléments qui sont
invoqués : trop de dépenses, caisses vides, dette de l'État,
respect des engagements pris avec l'Uemoa ou les « bailleurs » ;
et la « patience », toujours la « patience ».
Nous
ne sommes pas face à un gouvernement « normal ». Il
s'agit d'un régime d'un genre jamais vu dans ce pays d'excellence.
Un régime de mythomanes invétérés, comme le ministre Bacongo qui
jurait en aout 2013 (peu après son quasi lynchage en mai
de la même année) que toutes les salles de TP avaient été
équipées et que 1200 ordinateurs avaient été distribués aux
étudiants. Un régime de jeteurs de poudre aux yeux, comme le
président qui parle d'une université à San Pedro alors qu'on
se demande toujours où est passée celle de Man. Un régime de
voleurs qui prétend avoir déjà dépensé plus de 110 milliards
dans la rénovation de l'université (soit deux fois le budget
de l'opération Tchad-Niger-Cameroun contre Boko Haram ou encore
cinq fois le bénéfice annuel de la banque SGBCI) et que par
conséquent l'argent n'est plus là pour installer des toilettes
dignes de ce nom sur le campus ou acheter des livres. Un régime
hypocrite, qui jurait aux enseignants qu'aucune ponction n'allait
être opérée sur leurs salaires d'avril 2013 pour fait de grève, alors
qu'il l'a quand même fait.
C'est
un régime complètement déconnecté de la réalité.
Pour
obtenir quoi que ce soit d'un tel régime, on ne peut accepter de
simples promesses et de lutter trois jours par-ci, trois jours
par là. On ne peut plus considérer que l'ouverture d'un
« dialogue » avec le pouvoir peut être une bonne chose,
comme c'était le cas dans le passé. Comme c'est le cas dans
d'autres pays comme en Belgique par exemple, le gouvernement qui nous
a été imposé mène en réalité une véritable guerre contre sa
population. Dans un tel cadre, les appels au « dialogue » ne peuvent être et ne sont rien de plus qu'autant de manœuvres pour gagner du temps, démobiliser, épuiser et contrattaquer – un jeu de dupes dans
lequel les étudiants, les fonctionnaires, et par extension le
peuple, sont les dindons de la farce.
Les
syndicats doivent prendre conscience de cette nouvelle donne et
développer non seulement des arguments politiques, mais aussi une
stratégie adaptée à la tâche qui s'offre à nous.
Pas
d'argent ?
L'argent
est là ! La « pluie de milliards » dont parlait
Alassane dans une de ses énièmes divagations n'attend que notre
intervention pour se concrétiser. La Côte d'Ivoire est un pays
riche de ressources naturelles et d'un important capital humain. De
plus, de nouvelles ressources sont découvertes régulièrement et
d'autres restent inexploitées, comme le secteur des mines, les
vivriers, les fruitiers, l'élevage, l'industrie, les transports.
Pendant
ce temps, le pays est tondu en permanence par des groupes étrangers
qui s'accaparent les marchés et rendent désormais notre
infrastructure payante. Comme si cela ne suffisait pas, nos
dirigeants bouffent, bouffent, bouffent jusqu'à exploser, au vu et
au su de tous : ils ne se cachent même plus !
La
misère en Afrique porte trois noms : impérialisme,
corruption et gaspillage, une trinité qui n'est que le triple visage
d'une même réalité : le capitalisme.
Aujourd'hui,
les étudiants anglais manifestent contre la hausse des frais
d'inscription en occupant les siège du parti conservateur au pouvoir
en 2010 ; les Québécois en 2012 manifestaient
bruyamment la nuit dans la rue en tapant sur des casseroles tout en
appelant la population à se joindre à eux ; les étudiants de
Taïwan ont occupé le parlement national en 2013 ; les
étudiants belges se sont positionnés à la tête de la marche
nationale des syndicats de novembre 2014. La palme revient
cependant aux étudiants du Chili qui, en 2011, ont réussi à
convaincre les mineurs de se joindre à leur mouvement, avec pour
revendication principale la nationalisation totale des mines pour
assurer et l'emploi, et le financement de l'enseignement.
En
effet, les étudiants en tant que couche n'ont aucun poids
économique, c'est pourquoi pour que leur mouvement ait un impact
sensible sur le gouvernement, ils se voient contraints d'aller
chercher la seule force capable de faire plier tous les régimes :
la classe ouvrière.
Qui
a peur ?
Cependant,
même si tout le monde a une critique à formuler envers le régime,
ce qui retient la population aujourd'hui est la peur. Peur de la
répression d'une part, peur d'être « catalogué
politiquement » d'autre part. Et de manière général, peur de
provoquer le chaos alors que le pays ne demande que la stabilité
après dix longues années de crise.
Pourtant,
ce régime est extrêmement faible et est lui-même paniqué. Il le
démontre en intervenant de manière disproportionnée dès qu'il
voit poindre le début d'un commencement de contestation. Pendant la
crise des enlèvements
d'enfants (voir notre
article),
le régime est resté sans réagir, jusqu'à ce que les mamans de
Yopougon n'entament une marche. Sa première intervention a été de…
disperser cette marche ! Ce n'est qu'après qu'on a commencé à
reconnaitre officiellement dans les médias d'État que les
enlèvements étaient un problème (même si on en a surtout profité
pour critiquer le manque de responsabilité des familles et annoncer
que les enlèvements étaient un signe « d'émergence »).
Ce
gouvernement n'a aucune légitimité et son pouvoir repose uniquement
sur la force armée. Une force armée qu'il ne contrôle d'ailleurs
pas. Qui se souvient des grosses gouttes de sueur de HamBak à la RTI
en décembre dernier ? C'est pourquoi il peut tomber très
facilement, pour peu que nous adoptions une approche de la lutte qui
tranche résolument avec les habitudes du passé.
Renouer
avec des pratiques militantes pour construire un rapport de force
La
Fesci a démontré cette semaine que sa force de mobilisation est
entière malgré les manœuvres du régime pour la décrédibiliser
et semer la zizanie en son sein. Depuis les nouvelles élections aux
instances de la Fesci, la couche corrompue et « politicienne »
regroupée autour d'Augustin Mian a été complètement écartée
et de véritables étudiants ont pu reprendre la machine en main.
Malgré le couac à la RTI en février qui avait soudain mis un terme
au mouvement, sans doute le fruit de l'inexpérience, le BEN d'Afa a
prouvé sa valeur et son désir de tisser des liens avec la
sous-région. Il peut compter sur ses alliés de la Liges et sur la
combativité de la Coeeci et d'autres syndicats et groupes comme la
CES.
Des
initiatives intéressantes voient le jour. Par exemple, à la Flash
de Cocody, la nouvelle direction de Zorro le Renard a pris la
décision d'organiser des assemblées hebdomadaires et d'entamer un
cycle de formation dans lequel les camarades du CIO joueront un rôle
de premier plan. Tout cela indique une nouvelle prise de conscience
et une volonté de rompre avec les pratiques mafieuses et les guerres
de positionnement.
Cependant,
nous voyons que dans l'organisation du mouvement, de nombreuses
erreurs ont été commises qui ont gravement nui à la portée de
cette lutte.
Si
une grève de trois jours a été correctement déclarée et
bien suivie du lundi 23 au mercredi 25, on regrette un
manque général de coordination et de communication entre
organisations syndicales. Une fois le mouvement lancé, il semblerait
que chacun ait cherché à se montrer plus radical que son voisin
dans le cadre des éternelles guéguerres de positionnement entre
syndicats. Chacun s'est donc retrouvé à planifier une action
différente sans se concerter avec les autres. Pourtant, la CES, la
Liges et la Fesci sont toutes trois regroupées dans la même
plateforme Agir qui est censée coordonner les actions de la société
civile.
Qu'aurait-il
fallu faire ?
On
voit que les étudiants et les élèves étaient prêts à lutter,
que la grève était suivie à près de 80 % dans tout le pays,
et même que le régime a laissé des élèves d'Adjamé marcher
jusqu'à Riviera en délogeant chaque école sur leur passage. Cela
montre que le potentiel était très présent pour mener de
véritables actions.
Il
aurait fallu organiser mercredi soir, au moment de la fin de la
grève, une rencontre entre organisations syndicales pour faire un
bilan de l'action, tirer des conclusions et décider de la suite des
opérations. Ç'aurait également été l'occasion de lancer une
conférence de presse. Ensuite, la journée de jeudi aurait pu servir
à rassembler les étudiants sur le campus pour un grand meeting
auquel on aurait pu voter le lancement d'une marche. On aurait même
pu se donner un jour de plus pour prendre le temps de réaliser du matériel
(bannière, pancartes, etc.) et de se mettre d'accord par rapport aux
détails pratiques avant de lancer une marche vendredi à partir du
campus, ou toute autre action.
Au
lieu de ça, la Fesci, sans se concerter avec qui que ce soit, a
décidé d'à nouveau déloger le campus jeudi matin. Les étudiants
sont rentrés à la maison, le campus est resté vide, et avec le début des vacances de Pâques, la lutte a
ainsi été enterrée.
Pour
une stratégie gagnante !
Ce
gouvernement ne pliera pas tant qu'on ne lui fait pas peur ! Ça
ne sert à rien de lancer une grève où on reste à la maison.
Kandia l'a bien dit : pour elle, les écoles et l'université
peuvent rester fermées jusqu'à l'an prochain, elle s'en fout !
Cela ne la touche pas personnellement.
Les
annonces de « sit-in » au Plateau ne servent à rien non
plus, vu que dans ce cas les manifestants arrivent un par un et sont
rapidement chassés dès qu'une vingtaine de personnes aura pu se
rassembler. Toute nouvelle action doit partir du campus.
Que
faut-il faire pour amener le mouvement plus loin ?
Différentes
options s'ouvrent :
- Une marche à partir du campus. Il peut s'agir d'un simple aller-retour jusqu'à l'Insaac avant de préparer de nouvelles actions, ou d'une marche plus longue. Cette marche devra se faire dans la discipline et avec le matériel approprié (bannières, etc.). Il y aura bien plus de chances de la réussir si l'on parvient à faire marcher des professeurs en toge à l'avant de la manifestation – il sera plus difficile pour le régime d'envoyer la police attaquer une telle marche. Les flics du régime adorent taper les étudiants, c'est leur plaisir et leur passe-temps favori ; mais oseront-ils frapper des professeurs d'université, l'élite de la nation ? À six mois des élections ?
- Une série de marches convergentes à partir de différents points de la ville. Les élèves, étudiants et enseignants pourraient tous quitter les différentes écoles, collèges, lycées et campus pour marcher et se retrouver à un même endroit. À partir de là, un meeting pourrait être organisé au cours duquel on débattrait avec la masse de la suite des évènements.
- Une occupation. Le campus pourrait servir de point de ralliement fortifié par des barricades et à partir duquel organiser diverses actions. Mais on pourrait tout aussi bien imaginer une occupation d'un carrefour important, d'une zone industrielle ou d'une institution.
Quelle
que soit la piste choisie, cela ne peut se faire que si on laisse les
étudiants se rassembler sur le campus au lieu de les en déloger à
tout bout de champ. Aussi, cela ne peut se faire que si les
différents syndicats acceptent de travailler main dans la main, en
accord total, et fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour
associer les professeurs du supérieur comme du secondaire à leur
mouvement.
À
partir de là, une véritable fronde pourrait être lancée. Vu le
mécontentement de plus en plus général dans la société, un appel
pourrait être lancé à partir du mouvement envers les médecins,
les fonctionnaires, les policiers (menacés d'expulsion de leurs
logements), etc. Des discours doivent être adoptés pour pouvoir
s'adresser aux forces de l'ordre, y compris aux FRCI par des orateurs
capables de leur parler en dioula pour leur expliquer les raisons du
mouvement et leur démontrer en quoi ils ont été trahis par le
régime. La plateforme Agir (et éventuellement, le FPI) a également
un rôle à jouer dans la mobilisation de la population en soutien à
cette lutte.
La
société ivoirienne est mure pour une chute du régime RHDP, mais il
reste à concrétiser ce potentiel en actes et par une véritable
stratégie.
- Pour une lutte commune de tous les acteurs de l'enseignement, du primaire au supérieur, public comme privé ! Enseignants, apprenants, personnel administratif, parents, main dans la main !
- Pour un enseignement gratuit, de qualité et accessible à tous, partout en Côte d'Ivoire !
- Pour la (re)nationalisation des secteurs stratégiques de l'économie, sous contrôle populaire, afin d'assurer le financement et le développement harmonieux du pays !
- Pour la chute de Ouattara et de son régime malade ! Pour l'égalité, la justice, la paix et la démocratie populaire !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire