Toute révolution débouche-t-elle forcément sur une dictature ?
Pas
du tout. Ce n'est pas parce qu'une révolution prolétarienne dans un
pays a dégénéré que toutes les révolutions prolétariennes à
venir sont appelées à dégénérer elles aussi.
La
révolution russe d'octobre 1917 avait été portée par des
comités populaires, les conseils ouvriers ou « soviets », des organes populaires dans les quartiers, les villages, les casernes et les zones industrielles dont les dirigeants étaient élus ; ils
étaient reliés entre eux par un exécutif regroupant 500 délégués
des conseils de tout le pays, élus lors d'un congrès dont les
participants étaient eux-mêmes élus au suffrage universel. Les
compétences de ces conseils locaux
étaient on ne peut plus étendues et touchaient tant à l'économie
qu'à la sécurité, avec une participation active de tout un chacun.
Malheureusement,
la révolution s'est très rapidement militarisée, d'abord parce que
les ennemis du peuple, qui voulaient rétablir l'ancien régime, se
sont ligués pour créer toute une série de rébellions à l'ouest,
au sud, à l'est, au nord en recrutant des jeunes aristocrates et
bourgeois, des paysans ignorants et des mercenaires (la fameuse
« Légion tchécoslovaque »). D'autre part, parce que
tous les régimes capitalistes du monde : la France,
l'Angleterre, l'Allemagne, le Japon, la Chine, la Turquie, les
États-Unis, etc. sont eux aussi intervenus en Russie pour rétablir
ce qu'ils estimaient être les dirigeants légitimes (selon eux). Il
a donc fallu se battre et introduire des mesures de discipline très
strictes.
Dans
ce contexte de crise militaire, de famine et de pénurie, il devenait
difficile d'entretenir une démocratie populaire fonctionnelle. Les
opposants, qui sabotaient activement la révolution, ont dû être
mis au pas, les critiques du régime ont été contraintes de se
taire. Pour les besoins de la révolution, on a laissé les soldats
et miliciens effectuer des réquisitions et des exécutions, ce qui a
forcément engendré de nombreuses dérives. Par ailleurs, il était
difficile de parler de pouvoir démocratique quand la plupart des
militants les mieux formés étaient morts au front et quand les
grandes villes s'étaient vidées de leur population, retournée au
village pour trouver de quoi manger.
Si
toutes ces mesures de « communisme de guerre » ont
finalement permis de gagner la guerre civile et à la révolution de
se maintenir, ce sont elles qui on aussi semé les germes du régime
totalitaire en Russie « soviétique ». En d'autres
circonstances, le régime de démocratie prolétarienne aurait pu
plus facilement se maintenir.
Évidemment, cela
n'empêche pas que du point de vue de nos dirigeants capitalistes,
tout système dans lequel la voix du peuple compte plus que la leur
sera toujours décrié comme la pire des dictatures, aussi
démocratique ce régime soit-il !
Les révolutions « communistes » à base paysanne en Chine et ailleurs dans le monde
La
Chine a été le premier régime se réclamant du communisme et né
d'une révolution après la révolution russe, quelques 30 ans
plus tard. Tout au long des années 1920, 1930 et 1940, les
staliniens qui dirigeaient la Russie et l'Internationale communiste
(« KomIntern »)
sabotaient les révolutions partout dans le monde afin de maintenir
leur alliance avec
l'impérialisme et
l'état de siège en Russie qui garantissait la continuité de leur
régime militaire et bureaucratique en Russie. C'est ainsi qu'à la
fin de la Deuxième Guerre mondiale, les militants communistes armés
qui avaient activement participé à l'insurrection contre les nazis
se sont vus ordonner de démobiliser pour laisser les capitalistes
(de Gaulle, etc.) prendre le pouvoir en Occident après la
« Libération ».
En
Chine, par contre, Mao ne l'entendait pas de cette oreille. Mao se
souvenait de la politique désastreuse qui avait été imposée par
Staline aux dirigeants communistes chinois en 1927 et qui les avait
menés tout droit à l'échec et à une mort cruelle. Lorsque les
cadres staliniens ont tenté de dicter la même politique de
compromission à Mao, celui-ci a compris qu'ils n'étaient pas
sincères. C'est ainsi qu'il a pu prendre le pouvoir et assurer le
triomphe de la révolution chinoise.
Malheureusement,
la révolution chinoise n'était pas une révolution
prolétarienne, mais une
révolte paysanne armée dirigée par un cadre
d'intellectuels. Cette
structure militaire a fait en sorte qu'au moment de la victoire, ce
n'est pas un régime « soviétique » (démocratique
prolétarien) qui a été mis en place, mais un régime entièrement
identique au régime stalinien : un État centralisé
bureaucratique à la tête d'une économie planifiée non
capitaliste. Si la Chine et l'URSS étaient unies face aux
capitalistes qui brulaient de récupérer le contrôle sur l'économie
de ces pays (et leurs propriétés !), les élites à la tête
de ces deux pays luttaient entre elles pour l'influence sur les
militants communistes dans le monde et pour le prestige sur l'arène
internationale. C'est ainsi qu'au Zimbabwé, la lutte de libération
nationale a été menée par une armée pro-chinoise (Mugabé) et une
armée pro-russe qui luttaient l'une contre l'autre en même temps
que contre le régime des colons !
De
même, aucun des États dits « communistes » qui ont été
créés tout au long du 20e
siècle ne l'a été par une authentique révolution prolétarienne.
Cuba, le Vietnam, la Yougoslavie, la Corée du Nord… ont connu des
révolutions qui étaient purement militaires, avec une participation
de masse de la paysannerie mais une faible participation du
prolétariat, et dirigées par des intellectuels nationalistes
petits-bourgeois. Les dirigeants de ces régimes se sont empressés
de copier l'exemple qui avait été donné par la Russie et la Chine
pour instaurer une véritable « dictature
des cadres ». En
Pologne, en Tchécoslovaquie, en Roumanie, en Hongrie… les régimes
« communistes » ont été mis sur pied directement par
Staline qui a imposé ses propres hommes à la tête de ces pays
après les avoir conquis militairement. De même concernant les
régimes « communistes » en Afrique : Mali, Guinée,
Bénin, Angola, Mozambique, Éthiopie, etc. C'est pourquoi nous
qualifions ces États d'« États prolétariens déformés ».
On retiendra que la
révolution russe est la seule révolution de l'histoire qui a pu
triompher par la voie prolétarienne démocratique.
Des révolutions qui mènent à des coups d'État, des dictatures, des guerres ou à… rien du tout
On a vu ces dernières années toute une série de révoltes populaires de masse qui ont tenté et sont même parfois parvenues à faire chuter des dictatures : Tunisie, Égypte, Syrie, Libye, Burkina, Gambie, etc.
Malheureusement, dans certains de ces pays, tout est clairement pire qu'avant. Dans ceux où un semblant de démocratie a été obtenu, la population est toujours confrontées aux mêmes facteurs qui avaient provoqué la révolution pour commencer : la misère, le chômage, le sous-développement.
Le point commun de toutes ces révolutions est qu'elles n'étaient pas guidées par des dirigeants, par un parti révolutionnaire prolétarien, déterminé, conscient de son rôle historique et prêt à aller jusqu'au bout. Dans ce cas, il est inévitable que l'énergie des masses populaires se disperse, à cause du manque de vision, de la fatigue ou tout simplement parce qu'on a l'impression d'avoir obtenu ce qu'on voulait.
Or, passé le premier moment de panique, la classe dirigeante se réorganise pour maintenir sa domination et mater la population révoltée (Égypte). Le vide politique ouvre aussi un espace dans lequel viennent s'introduire toute une série d'aventuriers ou des forces obscures, dont les milices sectaires et autres groupes de mercenaires étrangers (Syrie), quand il ne s'agit pas d'une intervention militaire impérialiste ouverte (Libye) ou de l'éclatement de tensions régionales qui finissent par diviser le pays (Ukraine).
En clair : c'est la contrerévolution qui est à l'origine de la guerre et de la dictature, pas la révolution !
Même dans le cas où on n'a pas une contrerévolution déclarée (Tunisie et ailleurs), le fait que le pouvoir reste au final entre les mains de politiciens bourgeois « démocratiques » fait que très peu de réformes sociales sont obtenues, et que les quelques acquis de la révolution sont rapidement annulés, au nom du « réalisme économique » (c'est-à-dire, réaliste d'un point de vue bourgeois). Alors on a alors l'impression que « faire la révolution » ne sert à rien. Mais c'est parce que les masses n'ont pas encore atteint un niveau de conscience et d'organisation suffisant pour arracher le pouvoir des mains de ces soi-disant « amis du peuple » et avancer de manière décisive vers le socialisme.
Il nous faut donc retenir de l'histoire que la seule révolution qui est parvenue à ouvrir la voie à un nouveau système économique a été la révolution prolétarienne démocratique dirigée par un parti révolutionnaire déterminé et conscient de son rôle, en Russie. Mais que cette révolution a dégénéré en une dictature, non pas parce que c'était son destin, mais parce qu'il s'agissait d'un pays sous-développé et isolé sur les plans militaire et économique.
Nous tirons les leçons de l'histoire de toutes ces révolutions. Nous comprenons que la révolution se heurte inévitablement à la contrerévolution. Nous comprenons aussi qu'il nous faut un parti de dirigeants révolutionnaires pour encadrer l'énergie des masses jusqu'à la victoire finale contre le capitalisme. Nous comprenons aussi que la lutte doit être menée et coordonnée au niveau international pour assurer une révolution mondiale et couper court à toute « intervention » impérialiste.
C'est pourquoi nous construisons le groupe Militant, en tant que section en Côte d'Ivoire du CIO.